Social Psychology 12th Edition Baron
Test Bank
Visit to download the full and correct content document:
https://testbankdeal.com/download/social-psychology-12th-edition-baron-test-bank/
Social Psychology 12th Edition Baron Test Bank
Test Bank
for
Baron, Branscombe, and Byrne
Social Psychology
Twelfth Edition
prepared by
Greg Nichols
University of Kansas
Boston New York San Francisco
Mexico City Montreal Toronto London Madrid Munich Paris
Hong Kong Singapore Tokyo Cape Town Sydney
Visit TestBankDeal.com to get complete for all chapters
Copyright © 2009 Pearson Education, Inc.
All rights reserved. The contents, or parts thereof, may be reproduced with Social
Psychology, Twelfth Edition, by Robert A. Baron, Nyla R. Branscombe, and Donn Byrne,
provided such reproductions bear copyright notice, but may not be reproduced in any form
for any other purpose without written permission from the copyright owner.
To obtain permission(s) to use the material from this work, please submit a written request
to Allyn and Bacon, Permissions Department, 501 Boylston Street, Suite 900, Boston, MA
02116 or fax your request to 617-671-2290.
ISBN-13: 978-0-205-58178-8
ISBN-10: 0-205-58178-1
Printed in the United States of America
10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 12 11 10 09 08
CONTENTS
Preface
Chapter 1 Social Psychology: The Science of the Social Side of Life 1
Chapter 2 Social Cognition: How we think About the Social World 27
Chapter 3 Social Perception: Perceiving and Understanding Others 53
Chapter 4 The Self: Answering the Question, “Who Am I?” 79
Chapter 5 Attitudes: Evaluating and Responding to the Social World 105
Chapter 6 The Causes, Effects, and Cures of Stereotyping, Prejudice and
Discrimination 131
Chapter 7 Interpersonal Attraction and Close Relationships 155
Chapter 8 Social Influence: Changing Others’ Behavior 179
Chapter 9 Prosocial Behavior: Helping Others 205
Chapter 10 Aggression: Its Nature, Causes, and Control 231
Chapter 11 Groups and Individuals: The Consequences of Belonging 257
Chapter 12 Social Psychology: Applying Its Principles to Law, Health, and Business 283
Another random document with
no related content on Scribd:
moi; et moi, c’est vous. C’est nous. Que je vous force à entendre ce que
vous savez bien, mais ne voulez pas savoir!
Mon fils avait vingt ans, lorsqu’il est tombé sous les coups de la
guerre. Vingt ans, je l’ai chéri, défendu contre la faim, le froid, contre les
maladies, contre la nuit de l’esprit, l’ignorance, l’erreur, contre toutes les
embûches dissimulées dans l’ombre de la vie. Mais qu’ai-je fait pour le
défendre contre le fléau qui venait?
Je n’étais pourtant pas de ceux qui pactisaient avec les passions des
nationalismes jaloux. J’aimais les hommes, j’avais joie à me représenter
leur fraternité future. Pourquoi donc n’ai-je rien fait contre ce qui la
menaçait, contre la fièvre qui couvait, contre la paix menteuse, qui, le
sourire aux lèvres, se préparait à tuer?
Peur de déplaire, peut-être? Peur des inimitiés? J’aimais trop à aimer,
surtout à être aimé. Je craignais de compromettre la bienveillance
acquise, cet accord fragile et fade avec ceux qui nous entourent, cette
comédie qu’on joue aux autres et à soi, et dont on n’est pas dupe, puisque
des deux côtés on redoute de dire le mot qui effriterait le plâtre et
dénuderait la maison crevassée. Peur de voir clair en soi. Équivoque
intérieure... Vouloir tout ménager, faire tenir ensemble les vieux instincts
et la nouvelle croyance, les forces qui s’entre-détruisent et s’annulent
mutuellement, Patrie, Humanité, Guerre et Paix... Ne pas savoir au juste
de quel côté l’on penche. Pencher de l’un à l’autre, comme en se
balançant. Peur de l’effort à faire, pour prendre une décision et pour faire
son choix... Paresse et lâcheté! Le tout bien recrépit d’une foi
complaisante en la bonté des choses, qui sauraient, pensions-nous,
s’organiser d’elles-mêmes. Et nous nous contentions de regarder, de
glorifier le cours impeccable du Destin... Courtisans de la Force!...
A notre défaut, les choses,—ou les hommes (d’autres hommes),—ont
choisi. Et nous avons compris alors que nous nous étions trompés. Mais il
nous était si affreux d’en convenir, et nous étions si déshabitués d’être
vrais que nous avons agi comme si nous étions d’accord avec le crime.
Pour gage de l’accord, nous avons livré nos fils...
Ah! nous les aimons bien! Sûrement, plus que nos vies... (S’il ne s’était
agi que de donner nos vies...) mais pas plus que notre orgueil, s’exténuant
à voiler notre désarroi moral, le vide de notre esprit et la nuit de notre
cœur.
Passe encore pour ceux qui croient à la vieille idole, hargneuse,
envieuse, poissée de sang caillé,—la Patrie barbare! Ceux-là, en lui
sacrifiant les autres et les leurs, tuent; mais du moins ils ne savent ce
qu’ils font!—Mais ceux qui ne croient plus, qui seulement veulent croire,
(Et c’est moi! Et c’est nous!), en sacrifiant leur fils ils l’offrent à un
mensonge (affirmer dans le doute, c’est mentir); ils l’offrent pour se
prouver à eux-mêmes leur mensonge. Et maintenant que nos aimés sont
morts pour notre mensonge, bien loin de l’avouer, nous nous y enfonçons
jusqu’au-dessus des yeux, afin de ne plus le voir. Et il faut qu’après les
nôtres, les autres, tous les autres, meurent pour notre mensonge!...
Mais moi, je ne peux plus! Je pense aux fils encore vivants. Est-ce que
cela me fait du bien que cela fasse du mal aux autres? Suis-je un barbare
du temps d’Homère pour croire que j’apaiserai la douleur de mon fils
mort et sa faim de la lumière, en répandant sur la terre qui le dévore le
sang des autres fils? En sommes-nous toujours là?—Non. Chaque
meurtre nouveau tue mon fils une fois de plus, fait peser sur ses os la
lourde boue du crime. Mon fils était l’avenir. Si je veux le sauver, je dois
sauver l’avenir, je dois épargner aux pères qui viendront la douleur où je
suis. Au secours! Aidez-moi! Rejetez ce mensonge! Est-ce pour nous que
se livrent ces combats entre États, ce brigandage de l’univers? De quoi
avons-nous besoin? La première des joies, la première des lois, n’est-elle
pas celle de l’homme, qui, pareil à un arbre, monte droit et s’étend sur le
cercle de terre qui est à sa mesure, et par sa libre sève et son calme
labeur voit sa multiple vie, en lui et en ses fils, patiemment s’accomplir?
De qui donc d’entre nous, frères du monde, est jaloux pour les autres de
ce juste bonheur, voudrait le leur voler? Qu’avons-nous à faire de ces
ambitions, de ces rivalités, de ces cupidités, de ces maladies d’esprit, que
des blasphémateurs couvrent du nom de patrie? La patrie, c’est vous,
pères. La patrie, c’est nos fils. Tous nos fils. Sauvons-les!
Sans consulter personne, il alla porter ces pages, à peine écrites, chez
un petit éditeur socialiste du quartier. Il revint, soulagé. Il pensait:
—Maintenant, j’ai parlé. Cela ne me regarde plus.
Mais, la nuit qui suivit, il perçut brusquement, par un coup dans la
poitrine, que cela le regardait plus que jamais. Il s’éveilla...
—Qu’est-ce que j’ai fait?
Il éprouvait une souffrance de pudeur, à livrer au public sa douleur
sacrée. Et sans imaginer qu’elle pût soulever des colères, il avait le
sentiment des incompréhensions, des commentaires grossiers, qui sont
des profanations.
Les journées suivantes passèrent. Il ne se produisit rien. Silence.
L’appel avait plongé dans l’inattention publique. L’éditeur était peu
connu, le lancement de la brochure négligemment fait. Et il n’y a pire
sourd que qui ne veut pas entendre. Les quelques lecteurs qu’avait attirés
le nom de Clerambault avaient, dès les premières lignes, écarté cette
lecture importune. Ils pensaient:
—Le pauvre homme! Son malheur est en train de lui troubler la tête.
Bon prétexte pour ne pas risquer de compromettre l’équilibre de la
leur.
Un second article suivit. Clerambault y prenait congé du vieux fétiche
sanglant: la Patrie. Ou plutôt, il opposait au grand carnassier auquel se
livrent en pâture les pauvres hommes de ce temps, à la Louve romaine,
l’auguste Mère de tout ce qui respire: la Patrie universelle.
A Celle qu’on a aimée
Nulle douleur plus amère que de se séparer de celle qu’on a aimée. En
l’arrachant de mon cœur, c’est mon cœur que j’arrache. La chère, la
bonne, la belle,—si du moins on avait l’aveugle privilège de ces amants
passionnés qui peuvent oublier tout, tout l’amour, tout le beau et le bon
d’autrefois, pour ne plus voir que le mal qu’elle vous fait aujourd’hui et
ce qu’elle est devenue! Mais je ne sais pas, je ne sais pas oublier; je te
verrai toujours comme je t’ai aimée, quand je croyais en toi, quand tu
étais mon guide et ma meilleure amie,—Patrie! Pourquoi m’as-tu laissé?
Pourquoi nous as-tu trahis? Encore si j’étais seul à souffrir, je cacherais
la triste découverte sous ma tendresse passée. Mais je vois tes victimes,
ces peuples, ces jeunes hommes crédules et épris (je reconnais en eux
celui que je fus aussi)... Comme tu nous as trompés! Ta voix nous semblait
celle de l’amour fraternel; tu nous appelais à toi afin de nous unir: plus
d’isolés! Tous frères! A chacun tu prêtais les forces de milliers d’autres,
tu nous faisais aimer notre ciel, notre terre et l’œuvre de nos mains; et
nous nous aimions tous en t’aimant... Où nous as-tu conduits? Ton but, en
nous unissant, était-il seulement de nous faire plus nombreux, pour haïr et
pour tuer? Ah! nous avions assez de nos haines isolées. Chacun avait son
faix de ses mauvaises pensées! Du moins, en y cédant, nous les savions
mauvaises. Mais toi, tu les nommes sacrées, empoisonneuse des âmes...
Pourquoi ces combats? Pour notre liberté? Tu fais de nous des
esclaves. Pour notre conscience? Tu l’outrages. Pour notre bonheur? Tu
le saccages. Pour notre prospérité? Notre terre est ruinée... Et qu’avons-
nous besoin de nouvelles conquêtes, quand le champ de nos pères nous
est devenu trop grand? Est-ce pour l’avidité de quelques dévorants? La
patrie a-t-elle pour mission d’emplir ces ventres, avec le malheur public?
Patrie vendue aux riches, aux trafiquants de l’âme et du corps des
nations, Patrie qui es leur complice et leur associée, qui couvres leurs
vilenies de ton geste héroïque,—prends garde! Voici l’heure où les
peuples secouent leur vermine, leurs dieux, leurs maîtres qui les abusent!
Qu’ils poursuivent parmi eux les coupables! Moi, je vais droit au Maître,
dont l’ombre les couvre tous. Toi qui trônes impassible, tandis que les
multitudes s’égorgent en ton nom, toi qu’ils adorent tous en se haïssant
tous, toi qui jouis d’allumer le rut sanglant des peuples, femelle, dieu de
proie, faux Christ qui planes au-dessus des tueries, avec tes ailes en croix
et tes serres d’épervier! Qui t’arrachera de notre ciel? Qui nous rendra le
soleil et l’amour de nos frères?... Je suis seul, et je n’ai que ma voix,
qu’un souffle va éteindre. Mais avant de disparaître, je crie: «Tu
tomberas! Tyran, tu tomberas! L’humanité veut vivre. Le temps viendra,
où l’homme va briser ton joug de mort et de mensonge. Le temps vient. Le
temps est là».
Réponse de l’Aimée
Ta parole, mon fils, est la pierre qu’un enfant lance contre le ciel. Elle
ne m’atteint pas. C’est sur toi qu’elle retombe. Celle que tu outrages, qui
usurpe mon nom, est l’idole que tu as sculptée. Elle est à ton image, et
non pas à la mienne. La vraie Patrie est celle du Père. Elle est commune
à tous. Elle vous embrasse tous. Ce n’est pas sa faute, si vous la
rapetissez à votre taille... Malheureux hommes! Vous souillez tous vos
dieux, il n’est pas une grande idée que vous n’avilissiez. Le bien qu’on
veut vous faire, vous le tournez en poison. La lumière qu’on vous verse
vous sert à vous brûler. Je suis venue parmi vous, pour réchauffer votre
solitude. J’ai rapproché vos âmes grelottantes, en troupeaux. J’ai fait de
vos faiblesses dispersées un faisceau. Je suis l’amour fraternel, la grande
Communion. Et c’est en mon nom, ô fous, que vous vous détruisez!...
Je peine, depuis des siècles, à vous délivrer des chaînes de la
bestialité. J’essaie de vous faire sortir de votre dur égoïsme. Sur la route
du Temps, vous avancez en ahanant. Les provinces, les nations, sont les
bornes milliaires qui jalonnent vos haltes essoufflées. C’est votre débilité
qui seule les a plantées. Pour vous mener plus loin, j’attends que vous
ayez repris haleine. Mais vous êtes si pauvres de souffle et de cœur que de
votre impuissance vous vous faites une vertu; vous admirez vos héros,
pour les limites auxquelles ils ont dû s’arrêter, épuisés, et non parce
qu’ils ont su y atteindre les premiers! Parvenus sans effort au point où ces
héros avant-coureurs sont tombés, vous croyez être des héros à votre
tour!... Qu’ai-je à faire aujourd’hui de vos ombres du passé? L’héroïsme
dont j’ai besoin n’est plus celui des Bayard, des Jeanne d’Arc, chevaliers
et martyrs d’une cause à présent dépassée, mais d’apôtres de l’avenir, de
grands cœurs qui se sacrifient pour une patrie plus large, pour un idéal
plus haut. En marche! Franchissez les frontières! Puisqu’il faut encore
ces béquilles à votre infirmité, reportez-les plus loin, aux portes de
l’Occident, aux bornes de l’Europe, jusqu’à ce que pas à pas vous
arriviez au terme et que la ronde des hommes fasse le tour du globe, en se
donnant la main...
Misérable écrivain, qui m’adresses des outrages, redescends en toi-
même, ose t’examiner! Je t’ai donné le pouvoir de parler pour guider les
hommes de ton peuple; et tu en as usé pour te tromper toi-même et pour
les égarer; tu as enfoncé dans leur erreur ceux que tu devais sauver, tu as
eu le triste courage de sacrifier à ton mensonge ceux que tu aimais:—ton
fils. Maintenant, pauvre ruine, oseras-tu du moins t’offrir en spectacle
aux autres et dire: «Voilà mon œuvre, ne l’imitez pas!»—Va, et que ton
infortune puisse éviter ton sort à ceux qui viendront après! Ose parler!
Crie-leur:
«Peuples, vous êtes fous. Vous tuez la patrie, en croyant la défendre.
La patrie, c’est vous tous. Vos ennemis sont vos frères. Embrassez-vous,
millions d’êtres!»
Le même silence parut engloutir ce nouveau cri. Clerambault vivait en
dehors des milieux populaires, où ne lui eût point manqué la chaude
sympathie des cœurs simples et sains. D’un écho éveillé par sa pensée, il
ne percevait rien.
Mais quoiqu’il se vît seul, il savait qu’il ne l’était point. Deux
sentiments extrêmes, qui paraissaient contraires,—sa modestie et sa foi,—
s’unissaient pour lui dire: «Ce que tu penses, d’autres le pensent. Ta vérité
est trop grande, et tu es trop petit, pour qu’elle n’existe qu’en toi. Ce que
tu as pu voir, avec tes mauvais yeux, d’autres yeux en reçoivent, comme
toi, la lumière. En ce moment la Grande Ourse s’incline à l’horizon. Des
milliers de regards la contemplent peut-être. Tu ne vois pas les regards.
Mais la flamme lointaine les marie à tes yeux.»
La solitude de l’esprit n’est qu’une illusion. Amèrement douloureuse,
mais sans réalité profonde. Nous appartenons tous, même les plus
indépendants, à une famille morale. Cette communauté d’esprits n’est pas
groupée en un pays, ou en un temps. Ses éléments sont dispersés à travers
les peuples et les siècles. Pour un conservateur, ils sont dans le passé. Les
révolutionnaires et les persécutés les trouvent dans l’avenir. Avenir et
passé ne sont pas moins réels que le présent immédiat, dont le mur borne
les regards satisfaits du troupeau. Et le présent, lui-même, n’est pas tel
que voudraient le faire croire les divisions arbitraires des États, des
nations, et des religions. L’humanité actuelle est un bazar de pensées; sans
les avoir triées, on les a mises en tas, que séparent des clôtures hâtivement
construites: ainsi, les frères sont séparés des frères, et parqués avec des
étrangers. Chaque État englobe des races différentes, qui ne sont
nullement faites pour penser et agir ensemble; chacune des familles ou
des belles familles morales qu’on appelle des patries, enveloppe des
esprits qui, en fait, appartiennent à des familles différentes, actuelles,
passées, ou à venir. Ne pouvant les absorber, elle les opprime; ils
n’échappent à la destruction que par des subterfuges:—soumission
apparente, rébellion intérieure,—ou par la fuite:—exilés volontaires,
Heimatlos. Leur reprocher d’être insoumis à la patrie, c’est reprocher aux
Irlandais, aux Polonais, d’échapper à l’engloutissement par l’Angleterre
ou par la Prusse. Ici et là, ces hommes restent fidèles à la vraie Patrie. O
vous qui prétendez que cette guerre a pour but de rendre à chaque peuple
le droit de disposer de soi, quand rendrez-vous ce droit à la République
dispersée des libres âmes du monde entier?
Cette République, Clerambault, isolé, savait qu’elle existait. Comme la
Rome de Sertorius, elle était toute en lui. Toute en chacun de ceux,—les
uns aux autres, inconnus,—pour qui elle est la Patrie.
Brusquement, la muraille de silence qui bloquait la parole de
Clerambault, tomba. Et ce ne fut pas la voix d’un frère qui répondit à la
sienne. Où la force de sympathie eût été trop faible pour rompre les
barrières, la sottise et la haine aveuglément firent une brèche.
Après quelques semaines, Clerambault se croyait oublié et songeait à
une publication nouvelle, quand un matin Léo Camus tomba chez lui,
avec fracas. Il était crispé de colère. Avec un front tragique, il tendit à
Clerambault un journal grand ouvert:
—Lis!
Et, debout derrière lui, tandis que Clerambault lisait:
—Qu’est-ce que cette saloperie?
Clerambault, consterné, se voyait poignardé par une main qu’il croyait
amie. Un écrivain notoire, en bons termes avec lui, collègue de Perrotin,
homme grave, honorable, avait, sans hésiter, assumé le rôle de
dénonciateur public. Bien qu’il connût depuis assez longtemps
Clerambault pour n’avoir aucun doute sur la pureté de ses intentions, il le
présentait sous un jour déshonorant. Historien habitué à manipuler les
textes, il détachait de la brochure de Clerambault quelques phrases
tronquées, et il les brandissait, comme un acte de trahison. Sa vertueuse
indignation ne se fût point satisfaite d’une lettre privée; elle avait fait
choix du plus bruyant journal, basse officine de chantage, dont un million
de Français méprisaient, mais avalaient les bourdes, bouche bée.
—Ce n’est pas possible! balbutiait Clerambault, que cette animosité
inattendue trouvait sans défense.
—Pas un instant à perdre! dit Camus. Il faut répondre.
—Répondre? Que puis-je répondre?
—D’abord, naturellement, démentir cette ignoble invention.
—Mais ce n’est pas une invention, dit Clerambault, en relevant la tête
et regardant Camus.
Ce fut au tour de Camus d’être frappé de la foudre.
—Ce n’est pas...? Ce n’est pas...? bégaya-t-il, de saisissement.
—La brochure est de moi, dit Clerambault; mais le sens en est
dénaturé par cet article...
Camus n’avait pas attendu la fin de la phrase pour hurler:
—Tu as écrit ça, toi, toi...!
Clerambault, essayant de calmer son beau-frère, le priait de ne pas
juger avant de savoir exactement. Mais l’autre le traitait, à tue-tête,
d’aliéné, et criait:
—Je ne m’occupe pas de cela. Oui, ou non, as-tu écrit contre la guerre,
contre la patrie?
—J’ai écrit que la guerre est un crime, et que toutes les patries en sont
souillées...
Camus bondit, sans permettre à Clerambault de s’expliquer davantage,
fit le geste de l’empoigner au collet, et se retenant, il lui souffla à la face
que le criminel, c’était lui, et qu’il méritait de passer illico en conseil de
guerre.
Aux éclats de sa voix, la domestique écoutait à la porte. Mᵐᵉ
Clerambault, accourue, tâchait d’apaiser son frère, avec un flot de paroles
sur le mode suraigu. Clerambault, assourdi, offrait vainement à Camus de
lui lire la brochure incriminée mais Camus s’y refusait avec fureur, disant
qu’il lui suffisait de connaître de cette ordure ce que les journaux en
exposaient. (Il traitait les journaux de menteurs; mais il ratifiait leurs
mensonges.) Et, se posant en justicier, il somma Clerambault d’écrire sur-
le-champ, devant lui, une lettre de rétractation publique. Clerambault
haussa les épaules; il dit qu’il n’avait de comptes à rendre qu’à sa
conscience,—qu’il était libre...
—Non! cria Camus.
—Quoi! Je ne suis pas libre, je n’ai pas le droit de dire ce que je
pense?
—Non, tu n’es pas libre! Non, tu n’as pas le droit! criait Camus,
exaspéré. Tu dépends de la patrie. Et d’abord, de la famille. Elle aurait le
droit de te faire enfermer!
Il exigea que la lettre fût écrite, à l’instant. Clerambault lui tourna le
dos. Camus partit, en frappant les portes, criant qu’il ne remettrait plus les
pieds ici: entre eux, tout est fini.
Après, Clerambault eut à subir les questions éplorées de sa femme qui,
sans savoir ce qu’il avait fait, se lamentait de son imprudence et lui
demandait «pourquoi, pourquoi il ne se taisait pas? N’avaient-ils pas
assez de malheur? Quelle démangeaison de parler? Et quelle manie
surtout de vouloir parler autrement que les autres?»
Rosine rentrait d’une course. Clerambault la prit à témoin, il lui
raconta confusément la scène pénible qui venait de se passer, et la pria de
s’asseoir auprès de sa table, pour qu’il lui donnât lecture de l’article. Sans
prendre le temps d’enlever ses gants et son chapeau, Rosine s’assit près
de son père, l’écouta sagement, gentiment, et quand il eut fini, elle alla
l’embrasser, et dit:
—Oui, c’est beau!... Mais, papa, pourquoi as-tu fait cela?
Clerambault fut démonté:
—Comment? Comment?... Pourquoi je l’ai fait?... Est-ce que ce n’est
pas juste?
—Je ne sais pas... Oui, je crois... Cela doit être juste, puisque tu le
dis... Mais peut-être que ce n’était pas nécessaire de l’écrire...
—Pas nécessaire? Si c’est juste, c’est nécessaire.
—Puisque cela fait crier!
—Mais ce n’est pas une raison!
—A quoi bon faire crier?
—Voyons, ma petite fille, ce que j’ai écrit, tu le penses aussi?
—Oui, papa, je crois...
—Voyons, voyons, «tu crois»?... Tu détestes la guerre, comme moi, tu
voudrais la voir finie; tout ce que j’ai dit là, je te l’ai dit, à toi; et tu
pensais comme moi...
—Oui, papa.
—Alors, tu l’approuves?
—Oui, papa.
Elle avait passé ses bras autour de son cou:
—Mais il n’y a pas besoin de tout écrire...
Clerambault, attristé, essaya d’expliquer ce qui lui semblait évident,
Rosine écoutait, répondait tranquillement; et la seule évidence fut qu’elle
ne comprenait pas. Pour finir, elle embrassa encore son père, et dit:
—Moi, je t’ai dit ce que je crois. Mais tu sais mieux que moi. Ce n’est
pas à moi de juger...
Elle rentra dans sa chambre, en souriant à son père; et elle ne se doutait
pas qu’elle venait de lui retirer son meilleur appui.
L’attaque injurieuse ne resta pas isolée. Une fois le grelot attaché, il ne
cessa plus de tinter. Mais dans le tumulte général, son bruit se fût perdu,
sans l’acharnement d’une voix, qui groupa contre Clerambault tout le
chœur des malignités diffuses.
C’était celle d’un de ses plus anciens amis, l’écrivain Octave Bertin.
Ils avaient été camarades au lycée Henri IV. Le petit Parisien Bertin, fin,
élégant, précoce, avait accueilli les avances gauches et enthousiastes de ce
grand garçon qui arrivait de sa province, aussi dégingandé de corps que
d’esprit, les bras, les jambes qui n’en finissaient pas dans des vêtements
trop courts, un mélange de candeur, d’ignorance naïve, de mauvais goût,
d’emphase, et de sève débordante, de saillies originales, d’images
saisissantes. Rien n’avait échappé aux yeux malins et précis du jeune
Bertin, ni les ridicules ni les richesses intérieures de Clerambault. Tout
compte fait, il l’avait agréé pour intime. L’admiration que lui témoignait
Clerambault n’avait pas été sans influence sur sa décision. Pendant
plusieurs années, ils partagèrent la surabondance bavarde de leurs pensées
juvéniles. Tous deux rêvaient d’être artistes, se lisaient leurs essais,
s’escrimaient en d’interminables discussions. Bertin avait toujours le
dernier mot,—comme il primait en tout. Clerambault ne songeait pas à lui
contester sa supériorité; il l’eût beaucoup plutôt imposée à coups de poing
à qui l’aurait niée. Il admirait bouche bée la virtuosité de pensée et de
style de ce brillant garçon, qui récoltait en se jouant tous les succès
universitaires et que ses maîtres voyaient d’avance appelé aux plus hautes
destinées,—ils voulaient dire: officielles et académiques. Bertin
l’entendait bien ainsi. Il était pressé de réussir, et pensait que le fruit de la
gloire est meilleur, quand on le mange avec des dents de vingt ans. Il
n’était pas sorti de l’École qu’il trouvait moyen de publier dans une
grande revue parisienne une série d’Essais, qui lui valurent une
immédiate notoriété. Sans même prendre haleine, il produisit coup sur
coup un roman à la d’Annunzio, une comédie à la Rostand, un livre sur
l’Amour, un autre sur la Réforme de la Constitution, une enquête sur le
Modernisme, une monographie de Sarah Bernhardt, enfin des «Dialogues
des vivants», dont la verve sarcastique et sagement dosée lui procura la
chronique parisienne dans un des premiers journaux du boulevard. Après
quoi, entré dans le journalisme, il y resta. Il était un des ornements du
Tout-Paris des lettres, quand le nom de Clerambault était encore inconnu.
Clerambault, lentement, prenait possession de son monde intérieur; il
avait assez à faire de lutter contre lui-même, pour ne pas consacrer
beaucoup de temps à la conquête du public. Aussi, ses premiers livres,
péniblement édités, ne dépassèrent pas un cercle de dix lecteurs. Il faut
rendre cette justice à Bertin qu’il était des dix, et qu’il savait apprécier le
talent de Clerambault. Il le disait même, à l’occasion; et tant que
Clerambault ne fut pas connu, il se donna le luxe de le défendre,—non
sans ajouter aux éloges quelques conseils amicaux et protecteurs, que
Clerambault ne suivait pas toujours, mais que toujours il écoutait avec le
même respect affectueux.
Et puis, Clerambault fut connu. Et puis, ce fut la gloire. Bertin, bien
étonné, content sincèrement du succès de l’ami, un peu vexé tout de
même, laissait entendre qu’il le trouvait exagéré et que le meilleur
Clerambault était le Clerambault inconnu,—celui d’avant la renommée. Il
entreprenait parfois de le démontrer à Clerambault, qui ne disait ni oui ni
non, car il n’en savait rien, et ne s’en occupait guère: il avait toujours une
nouvelle œuvre en tête.—Les deux vieux camarades étaient restés en
excellents termes; mais ils avaient laissé leurs relations peu à peu
s’espacer.
La guerre avait fait de Bertin un furieux cocardier. Autrefois, au lycée,
il scandalisait le provincial Clerambault par son irrespect effronté pour
toutes les valeurs, politiques ou sociales: patrie, morale, religion. Dans ses
œuvres littéraires, il avait continué de promener son anarchisme, mais
sous une forme sceptique, mondaine et lassée, qui répondait au goût de sa
riche clientèle. Avec cette clientèle et tous les fournisseurs, ses confrères
de la presse et des théâtres du boulevard, ces petits-neveux de Parny et de
Crébillon junior, il s’érigea soudain en Brutus, immolant ses fils. Son
excuse d’ailleurs était qu’il n’en avait pas. Mais peut-être le regrettait-il.
Clerambault n’avait rien à lui reprocher; aussi n’y songeait-il point.
Mais il songeait encore moins que son vieux camarade l’amoraliste se
ferait contre lui le procureur de la Patrie outragée. Était-ce seulement de
la Patrie? La furieuse diatribe que Bertin déversa sur Clerambault
décelait, semblait-il, un ressentiment personnel, que Clerambault ne
s’expliquait pas. Dans le désarroi des esprits, il eût été compréhensible
que Bertin fût choqué par la pensée de Clerambault et s’en expliquât avec
lui, librement, seul à seul.—Mais, sans le prévenir, il débutait par une
exécution publique. En première page de son journal, il l’empoignait,
avec une violence inouïe. Il n’attaquait pas seulement ses idées, mais son
caractère. De la crise de conscience tragique de Clerambault, il faisait un
accès de mégalomanie littéraire, dont était responsable un succès
disproportionné. On eût dit qu’il cherchât les termes les plus blessants
pour l’amour-propre de Clerambault. Il terminait sur un ton de supériorité
outrageante, en le sommant de rétracter ses erreurs.
La virulence de l’article et la notoriété du chroniqueur firent du «cas
Clerambault» un événement parisien. Il occupa la presse pendant près
d’une semaine, ce qui était beaucoup pour ces cervelles d’oiseaux.
Presque aucun ne chercha à lire les pages de Clerambault. Cela n’était
plus nécessaire: Bertin les avait lues. La confrérie n’a pas l’habitude de
refaire un travail superflu. Il ne s’agissait pas de lire. Il s’agissait de juger.
Une curieuse «Union Sacrée» s’effectua sur le dos de Clerambault.
Cléricaux, jacobins, s’entendirent pour l’exécuter. Du jour au lendemain,
sans transition, l’homme hier admiré fut traîné dans la boue. Le poète
national devint un ennemi public. Tous les Myrmidons de la presse y
allèrent de leur invective héroïque. La plupart étalaient, avec leur
mauvaise foi constitutive, une invraisemblable ignorance. Bien peu
connaissaient les œuvres de Clerambault, c’est à peine s’ils savaient son
nom et le titre d’un de ses volumes: cela ne les gênait pas plus pour le
dénigrer maintenant que cela ne les avait gênés pour le célébrer naguère,
quand la mode était pour lui. Maintenant, ils trouvaient dans tout ce qu’il
avait écrit des traces de «bochisme». Leurs citations étaient, d’ailleurs,
régulièrement inexactes. Un d’eux, dans la fougue de son réquisitoire,
gratifia Clerambault de l’ouvrage d’un autre, qui, blêmissant de peur,
protesta aussitôt avec indignation, en se désolidarisant de son dangereux
confrère. Des amis, inquiets de leur intimité avec Clerambault,
n’attendirent pas qu’on la leur rappelât: ils prirent les devants; ils lui
adressèrent des «Lettres ouvertes», que les journaux publièrent en bonne
place. Les uns, comme Bertin, joignaient à leur blâme public une
adjuration emphatique de faire son mea culpa. D’autres, sans recourir
même à ces ménagements, se séparaient de lui en termes amers et
outrageants. Tant d’animosité bouleversa Clerambault. Elle ne pouvait
être causée par ses seuls articles; il fallait qu’elle couvât déjà dans le cœur
de ces hommes. Quoi!... Tant de haine cachée!... Qu’avait-il pu leur
faire?... L’artiste qui a du succès ne se doute pas que, parmi les sourires de
l’escorte, plus d’un cache les dents qui guettent l’heure de mordre.
Clerambault s’efforçait de dissimuler à sa femme les outrages des
journaux. Ainsi qu’un collégien qui escamote ses mauvaises notes, il
guettait l’heure du courrier pour faire disparaître les feuilles malfaisantes.
Mais leur venin finit par infecter l’air même qu’on respirait. Mᵐᵉ
Clerambault et Rosine eurent à subir, de leurs relations mondaines, des
allusions blessantes, de menus affronts, des avanies. Avec l’instinct de
justice qui caractérise la bête humaine, et spécialement femelle, on les
rendait responsables des pensées de Clerambault, qu’elles connaissaient à
peine et qu’elles n’approuvaient pas. (Ceux qui les incriminaient ne les
connaissaient pas davantage.) Les plus polis usaient de réticences; ils
évitaient ostensiblement de demander des nouvelles, de prononcer le nom
de Clerambault... «Ne parlez pas de corde dans la maison d’un pendu!...»
Ce silence calculé était plus injurieux qu’un blâme. On eût dit que
Clerambault avait commis une escroquerie, ou bien un attentat à la
pudeur. Mᵐᵉ Clerambault revenait, ulcérée. Rosine affectait de ne pas s’en
soucier; mais Clerambault voyait qu’elle souffrait. Une amie, rencontrée
dans la rue, passait sur le trottoir opposé et détournait la tête, pour ne pas
les saluer. Rosine fut exclue d’un Comité de bienfaisance, où elle
travaillait assidûment depuis plusieurs années.
Dans cette réprobation patriotique, les femmes se distinguaient par leur
acharnement. L’appel de Clerambault au rapprochement et au pardon ne
trouvait pas d’adversaires plus enragés.—Il en a été de même partout. La
tyrannie de l’opinion publique, cette machine d’oppression, fabriquée par
l’État moderne et plus despotique que lui, n’a pas eu, en temps de guerre,
d’instruments plus féroces que certaines femmes. Bertrand Russell cite le
cas d’un pauvre garçon, conducteur de tramway, marié, père de famille,
réformé par l’armée, qui se suicida de désespoir, à la suite des insultes
dont le poursuivaient les femmes du Middlesex. Dans tous les pays, des
centaines de malheureux ont été, comme lui, traqués, affolés, livrés à la
tuerie, par ces Bacchantes de la guerre... N’en soyons pas surpris! Il faut,
pour n’avoir pas prévu cette frénésie, être de ceux qui, tel jusqu’alors
Clerambault, vivent sur des opinions admises et des idéalisations de tout
repos. En dépit des efforts de la femme afin de ressembler à l’idéal
mensonger imaginé par l’homme pour sa satisfaction et sa tranquillité, la
femme, même étiolée, émondée, ratissée, comme l’est celle
d’aujourd’hui, est bien plus près que l’homme de la terre sauvage. Elle est
à la source des instincts et plus richement pourvue en forces, qui ne sont
ni morales ni immorales, mais animales toutes pures. Si l’amour est sa
fonction principale, ce n’est pas l’amour sublimé par la raison, c’est
l’amour à l’état brut, aveugle et délirant, où se mêlent égoïsme et
sacrifice, également inconscients et tous deux au service des buts obscurs
de l’espèce. Tous les enjolivements tendres et fleuris, dont le couple
s’efforce de voiler ces forces qui l’effraient, sont un treillis de lianes au-
dessus d’un torrent. Leur objet est de tromper. L’homme ne supporterait
pas la vie, si son âme chétive voyait en face les grandes forces qui
l’emportent. Son ingénieuse lâcheté s’évertue à les adapter mentalement à
sa faiblesse: il ment avec l’amour, il ment avec la haine, il ment avec la
femme, il ment avec la Patrie, il ment avec ses Dieux; il a si peur que la
réalité apparue ne le fasse tomber en convulsions qu’il lui a substitué les
fades chromos de son idéalisme.
La guerre faisait crouler le fragile rempart. Clerambault voyait tomber
la robe de féline politesse dont s’habille la civilisation; et la bête cruelle
apparaissait.
Les plus tolérants étaient, parmi les anciens amis de Clerambault, ceux
qui tenaient au monde politique: députés, ministres d’hier ou de demain;
habitués à manier le troupeau humain, ils savaient ce qu’il vaut! Les
hardiesses de Clerambault leur semblaient bien naïves. Ils en pensaient
vingt fois plus; mais ils trouvaient sot de le dire, dangereux de l’écrire, et
plus dangereux encore d’y répondre: car ce que l’on attaque, on le fait
connaître; et ce que l’on condamne, on consacre son importance. Aussi,
leur avis eût-il été, sagement, de faire le silence sur ces écrits
malencontreux, qu’eût négligés, d’elle-même, la conscience publique,
somnolente et fourbue. Ç’a été, pendant la guerre, le mot d’ordre
généralement observé en Allemagne, où les pouvoirs publics étouffaient
sous les fleurs les écrivains révoltés, quand ils ne pouvaient pas sans bruit
les étrangler. Mais l’esprit politique de la démocratie française est plus
franc et plus borné. Elle ne connaît pas le silence. Bien loin de cacher ses
haines, elle monte sur des tréteaux pour les expectorer. La Liberté
française est comme celle de Rude: gueule ouverte, elle braille. Qui ne
pense pas comme elle, aussitôt est un traître; il se trouve toujours quelque
bas journaliste, pour dire de quel prix fut achetée cette voix libre; et vingt
énergumènes ameuteront contre elle la fureur des badauds. Une fois la
musique en train, rien à faire qu’à attendre que la violence s’épuise par
son excès. En attendant, gare à la casse! Les prudents se mettent à l’abri,
ou hurlent avec les loups.
Le directeur du journal, qui s’honorait de publier, depuis plusieurs
années, des poésies de Clerambault, lui fit dire à l’oreille qu’il trouvait
tout ce vacarme ridicule, qu’il n’y avait pas dans son cas de quoi fouetter
un chat, mais qu’à son grand regret, il se voyait obligé, pour ses abonnés,
de l’éreinter... Oh! avec toutes les formes!... Sans rancune, n’est-ce pas?...
—En effet, rien de brutal: on se borna à le rendre ridicule.
Et jusqu’à Perrotin—(piteuse espèce humaine!) qui, dans une
interview, ironisa brillamment Clerambault, fit rire à ses dépens, et
pensait en cachette demeurer son ami!
Dans sa propre maison, Clerambault ne trouvait plus d’appui. Sa
vieille compagne, qui depuis trente ans ne pensait que par lui, répétant ses
pensées avant même de les comprendre, s’effrayait, s’indignait de ses
paroles nouvelles, lui reprochait âprement le scandale soulevé, le tort fait
à son nom, au nom de la famille, au souvenir du fils mort, à la sainte
vengeance, à la patrie. Quant à Rosine, elle l’aimait toujours; mais elle ne
comprenait plus. Une femme a rarement les exigences de l’esprit; elle n’a
que celles du cœur. Il lui suffisait que son père ne s’associât point aux
paroles de haine, qu’il restât pitoyable et bon. Elle ne désirait point qu’il
traduisît ses sentiments en théories, ni surtout qu’il les proclamât. Elle
avait le bon sens affectueux et pratique de celle qui sauve son cœur et
s’accommode du reste. Elle ne comprenait pas cet inflexible besoin de
logique, qui pousse l’homme à dévider les conséquences extrêmes de sa
foi. Elle ne comprenait pas. Son heure était passée, l’heure où elle avait
reçu et rempli, sans le savoir, la mission de relever maternellement son
père, faible, incertain, brisé, de l’abriter sous son aile, de sauver sa
conscience, de lui rendre le flambeau qu’il avait laissé tomber.
Maintenant qu’il l’avait repris, son rôle, à elle, était accompli. Elle était
redevenue la «petite fille», aimante, effacée, qui regarde les grands actes
du monde avec des yeux un peu indifférents, et dans le fond de son âme,
comme la phosphorescence de l’heure surnaturelle qu’elle a vécue,
qu’elle couve religieusement, et qu’elle ne comprend plus.
⁂
A peu près dans le même temps, Clerambault reçut la visite d’un jeune
permissionnaire, ami de la famille. Ingénieur, fils d’ingénieur, Daniel
Favre, dont la vive intelligence n’était pas bornée par son métier, s’était
depuis longtemps épris de Clerambault: les puissantes envolées de la
science moderne ont singulièrement rapproché son domaine de celui de la
poésie; elle est devenue elle-même le plus grand des poèmes. Daniel était
un lecteur enthousiaste de Clerambault; ils avaient échangé d’affectueuses
lettres; et le jeune homme, dont la famille était en relations avec les
Clerambault, venait souvent chez eux, peut-être pas uniquement pour la
satisfaction d’y rencontrer le poète. Les visites de cet aimable garçon, âgé
d’une trentaine d’années, grand, bien découplé, aux traits forts, au sourire
timide, avec des yeux très clairs dans un visage hâlé, étaient bien
accueillies; et Clerambault n’était pas seul à y trouver plaisir. Il eût été
facile à Daniel de se faire affecter à un service de l’arrière, dans une usine
métallurgique; mais il avait demandé à ne pas quitter son poste périlleux,
au front; il y avait rapidement conquis le grade de lieutenant. Il profita de
sa permission pour venir voir Clerambault.
Celui-ci était seul. Sa femme et sa fille étaient sorties. Il reçut avec joie
le jeune ami. Mais Daniel paraissait gêné; et après avoir répondu tant bien
que mal aux questions de Clerambault, il aborda brusquement le sujet qui
lui tenait à cœur. Il dit qu’il avait entendu parler, au front, des articles de
Clerambault; et il était troublé. On disait... on prétendait... Enfin, on était
sévère... Il savait que c’était injuste. Mais il venait—(et il saisit la main de
Clerambault avec une chaleureuse timidité)—il venait le supplier de ne
pas se séparer de ceux qui l’aimaient. Il lui rappela la piété qu’inspirait le
poète qui avait célébré la terre française et la grandeur intime de la race...
«Restez, restez avec nous, à cette heure d’épreuves!»
—Jamais je n’ai été davantage avec vous, répondit Clerambault. Et il
demanda:
—Cher ami, vous dites qu’on attaquait ce que j’ai écrit. Vous-même,
qu’en pensez-vous?
—Je ne l’ai pas lu, dit Daniel. Je n’ai pas voulu le lire. J’ai craint d’être
attristé dans mon affection pour vous, ou troublé dans l’accomplissement
de mon devoir.
—Vous n’avez pas beaucoup de confiance en vous, pour craindre de
voir ébranler vos convictions par la lecture de quelques lignes!
—Je suis sûr de mes convictions, fit Daniel, un peu piqué; mais il est
certains sujets qu’il est préférable de ne pas discuter.
—Voilà, dit Clerambault, une parole que je n’attendais pas d’un
homme de science! Est-ce que la vérité a rien à perdre à être discutée?
—La vérité, non. Mais l’amour. L’amour de la patrie.
—Mon cher Daniel, vous êtes plus téméraire que moi. Je n’oppose pas
la vérité à l’amour de la patrie. Je tâche de les mettre d’accord.
Daniel trancha:
—On ne discute pas la patrie.
—C’est donc, dit Clerambault, un article de foi?
—Je ne crois pas aux religions, protesta Daniel. Je ne crois à aucune.
C’est justement pour cela. Que resterait-il sur terre, s’il n’y avait la
patrie?
—Je pense qu’il y a sur terre beaucoup de belles et bonnes choses. La
patrie en est une. Je l’aime, moi aussi. Je ne discute pas l’amour, mais la
façon d’aimer.
—Il n’y en a qu’une, dit Daniel.
—Et c’est?
—Obéir.
—L’amour aux yeux fermés. Oui, le symbole antique. Je voudrais les
lui ouvrir.
—Non, laissez-nous, laissez-nous! La tâche est déjà assez dure. Ne
venez pas nous la rendre encore plus cruelle!
En quelques phrases sobres, hachées, frémissantes, Daniel évoqua les
images terribles des semaines qu’il venait de vivre dans la tranchée, le
dégoût et l’horreur de ce qu’il avait souffert, vu souffrir, fait souffrir.
—Mais, mon cher garçon, dit Clerambault, puisque vous voyez cette
ignominie, pourquoi ne pas l’empêcher?
—Parce que c’est impossible.
—Pour le savoir, il faudrait d’abord essayer.
—La loi de la nature est la lutte des êtres. Détruire ou être détruit.
C’est ainsi, c’est ainsi.
—Et cela ne changera jamais?
—Non, dit Daniel, avec un accent de douleur obstinée. C’est la loi.
Il est des hommes de science, à qui la science cache si bien la réalité
qu’elle enserre, qu’ils ne voient plus sous le filet la réalité qui s’échappe.
Ils embrassent tout le champ que la science a découvert, mais jugeraient
impossible et même ridicule de l’élargir au delà des limites qu’une fois la
raison a tracées. Ils ne croient à un progrès qu’enchaîné à l’intérieur de
l’enceinte. Clerambault connaissait trop bien le sourire goguenard, avec
lequel des savants éminents, sortis des écoles officielles, écartent, sans
autre examen, les suggestions des inventeurs. Une certaine forme de la
science s’allie parfaitement à la docilité. Du moins, Daniel n’apportait à
la sienne aucune ironie: c’était plutôt l’expression d’une tristesse stoïque
et butée. Il ne manquait point de hardiesse d’esprit. Mais dans les choses
abstraites. Mis en face de la vie, il était un mélange—ou, plus exactement,
une succession—de timidité et de raideur, de modestie qui doute et de
dureté de conviction. Un homme,—comme beaucoup d’hommes,—
complexe, contradictoire, fait de pièces et de morceaux. Seulement, chez
un intellectuel, surtout chez un homme de science, les pièces se
juxtaposent, et l’on voit les sutures.
—Cependant, dit Clerambault, achevant tout haut les réflexions qu’il
venait de faire en silence, les données de la science elle-même se
transforment. Les conceptions de la chimie, de la physique, subissent
depuis vingt ans une crise de renouvellement, qui les bouleverse en les
fécondant. Et les prétendues lois qui régissent la société humaine, ou
plutôt le brigandage chronique des nations, ne pourraient être changées!
N’y a-t-il point place dans votre esprit pour l’espoir d’un avenir plus
haut?
—Nous ne pourrions pas combattre, dit Daniel, si nous n’avions
l’espoir d’établir un ordre plus juste et plus humain. Beaucoup de mes
compagnons espèrent par cette guerre mettre fin à la guerre. Je n’ai pas
confiance, et je n’en demande pas tant. Mais je sais avec certitude que
notre France est en danger, et que si elle était vaincue, sa défaite serait
celle de l’humanité.
—La défaite de chaque peuple est celle de l’humanité, car tous sont
nécessaires. L’union de tous les peuples serait la seule vraie victoire.
Toute autre ruine les vainqueurs autant que les vaincus. Chaque jour de
cette guerre qui se prolonge fait couler le sang précieux de la France, et
elle risque d’en rester épuisée pour jamais.
Daniel arrêta ces paroles, d’un geste irrité et douloureux. Oui, il le
savait, il le savait... Qui le savait mieux que lui, que la France mourait,
chaque jour, de son effort héroïque, que l’élite de la jeunesse, la force,
l’intelligence, la sève vitale de la race s’en allait par torrents, et avec elle
la richesse, le travail, le crédit du peuple de France!... La France, saignée
aux quatre membres, suivait la route par où passa l’Espagne d’il y a
quatre siècles,—la route qui conduit aux déserts de l’Escurial... Mais
qu’on ne lui parlât pas de la possibilité d’une paix qui mît fin au supplice,
avant l’écrasement total de l’adversaire! Il n’était pas permis de répondre
aux avances que faisait alors l’Allemagne,—même pour les discuter. Il
n’était même pas permis d’en parler. Et, comme les politiciens, les
généraux, les journalistes, et les millions de pauvres bêtes qui répètent à
tue-tête la leçon qu’on leur souffle, Daniel criait: «Jusqu’au dernier!»
Clerambault regardait avec une affectueuse pitié ce brave garçon
timide et héroïque, qui s’effarait à l’idée de discuter les dogmes dont il
était victime. Son esprit scientifique n’avait-il pas une révolte devant le
non-sens de ce jeu sanglant, dont la mort pour la France comme pour
l’Allemagne—et peut-être plus que pour l’Allemagne—était l’enjeu?
Si! il se révoltait, mais il se raidissait pour ne pas se l’avouer. Daniel
adjura de nouveau Clerambault... «Oui, ses pensées étaient peut-être
justes, vraies... mais, pas maintenant! Elles ne sont pas opportunes... Dans
vingt ou cinquante ans!... Laissez-nous d’abord accomplir notre tâche,
vaincre, fonder la liberté du monde, la fraternité des hommes, par la
victoire de la France!»
Ah! le pauvre Daniel! Ne prévoit-il donc pas, dans le meilleur des cas,
les excès dont se souillera fatalement cette victoire, et que ce sera au tour
du vaincu de reprendre la volonté maniaque de revanche et de juste
victoire? Chaque nation veut la fin des guerres, par sa propre victoire. Et
de victoire en victoire, l’humanité s’écroule dans la défaite.
Daniel se leva, pour prendre congé. Serrant les mains de Clerambault,
il lui rappela avec émotion ses poèmes d’autrefois où, redisant la parole
héroïque de Beethoven, Clerambault exaltait la souffrance féconde...
«Durch Leiden Freude...»
—«Hélas! Hélas! Comme ils comprennent!... Nous chantons la
souffrance, pour nous en délivrer. Mais eux, ils s’en éprennent! Et voici
que notre chant de délivrance devient pour les autres hommes un chant
d’oppression...»
Clerambault ne répondit pas. Il aimait ce cher garçon. Ces pauvres
gens qui se sacrifient savent bien qu’ils n’ont rien à gagner à la guerre. Et
plus on leur demande de sacrifices, plus ils croient. Bénis soient-ils!...
Mais si du moins ils voulaient bien ne pas sacrifier avec eux l’humanité
entière!...
Clerambault reconduisait Daniel jusqu’à la porte de l’appartement,
lorsque Rosine entra. Elle eut, en voyant le visiteur, un mouvement de
surprise ravie. Le visage de Daniel s’éclaira aussi; et Clerambault
remarqua l’animation joyeuse des deux jeunes gens. Rosine invita Daniel
à revenir sur ses pas, pour reprendre l’entretien. Daniel fit mine de rentrer,
hésita, refusa de se rasseoir, et, prenant une expression contrainte, il
allégua un vague prétexte qui l’obligeait à partir. Clerambault, lisant dans
le cœur de sa fille, insista amicalement pour qu’il revînt du moins une fois
avant la fin de sa permission. Daniel, gêné, dit non, d’abord, puis oui,
sans prendre d’engagement ferme, et finalement, pressé par Clerambault,
il fixa un jour, et prit congé, d’une façon un peu froide. Clerambault
rentra dans son cabinet et s’assit. Rosine restait debout, immobile,
absorbée, l’air peiné. Clerambault lui sourit. Elle vint l’embrasser.
Le jour fixé passa, Daniel ne revint pas. On l’attendit encore le
lendemain et le surlendemain. Il était reparti pour le front.—A
l’instigation de Clerambault, sa femme alla, peu après, avec Rosine, faire
visite aux parents de Daniel. Elles furent reçues avec une froideur
glaciale, presque blessante. Mᵐᵉ Clerambault revint en déclarant qu’elle
ne reverrait plus de sa vie ces malotrus. Rosine avait grand’peine à ne pas
montrer ses larmes.
Dans la semaine qui suivit, arriva une lettre de Daniel à Clerambault.
Un peu honteux de son attitude et de celle de ses parents, il cherchait
moins à l’excuser qu’à l’expliquer. Il faisait une allusion discrète à
l’espoir qu’il avait conçu de devenir, un jour, plus proche de Clerambault
que par les liens de l’admiration, du respect, de l’amitié. Mais il ajoutait
que Clerambault était venu jeter le trouble dans ses rêves d’avenir par le
rôle regrettable qu’il avait cru devoir prendre dans le drame où se jouait la
vie de la patrie, et par le retentissement que sa voix avait eu. Ses paroles,
sans doute mal comprises, mais à coup sûr imprudentes, avaient revêtu un
caractère sacrilège qui soulevait l’opinion. Parmi les officiers du front,
comme chez ses amis à l’arrière, l’indignation était unanime. Ses parents,
qui connaissaient le rêve de bonheur qu’il avait formé, y mettaient leur
veto. Et quelle que fût sa peine, il ne se croyait pas le droit de passer outre
à des scrupules, qui avaient leur source dans une piété profonde envers la
patrie blessée. L’opinion ne pourrait concevoir qu’un officier qui avait
l’honneur d’offrir son sang pour la France songeât à une union qu’on eût
interprétée comme une adhésion à des principes funestes. Elle aurait tort,
sans doute. Mais il faut compter toujours avec l’opinion. L’opinion d’un
peuple, même excessive et injuste en apparence, est respectable; et c’était
l’erreur de Clerambault de l’avoir voulu braver.—Daniel pressait
Clerambault de reconnaître cette erreur et de la désavouer, d’effacer par
de nouveaux articles l’impression déplorable produite par les premiers. Il
lui en faisait un devoir—un devoir envers la patrie—un devoir envers lui-
même—et (il laissait entendre) un devoir envers celle qui leur était à tous
deux si chère.—Sa lettre se terminait par diverses autres considérations,
où revenait deux ou trois fois encore le nom de l’opinion. Elle finissait
par prendre la place de la raison et même de la conscience.
Clerambault songea en souriant à la scène de Spitteler, où le roi
Epiméthée, l’homme à la ferme conscience, quand l’heure est venue de
l’exposer à l’épreuve, ne peut plus mettre la main dessus, la voit qui
décampe, la poursuit, et, pour la rattraper, se jetant à plat ventre, la
cherche sous son lit. Et Clerambault pensa qu’on pouvait être un héros
devant le feu de l’ennemi, et un tout petit garçon devant l’opinion de ses
compatriotes.
Il montra la lettre à Rosine. Si partial que soit l’amour, elle fut blessée
dans son cœur de la violence que son ami voulait faire aux convictions de
son père. Elle pensa que Daniel ne l’aimait pas assez. Et elle dit qu’elle ne
l’aimait pas assez, pour accepter de pareilles exigences: quand bien même
Clerambault serait disposé à céder, elle ne le permettrait pas; car ce serait
injuste.
Sur quoi, embrassant son père, elle affecta bravement de rire et
d’oublier sa cruelle déconvenue. Mais on n’oublie pas le bonheur entrevu,
tant qu’il reste la plus faible chance de le retrouver. Elle y pensa toujours;
et même, après quelque temps, Clerambault sentit qu’elle s’éloignait de
lui. Qui a l’abnégation de se sacrifier a rarement celle de n’en pas garder
rancune aux êtres pour qui il se sacrifie. Rosine, malgré elle, en voulait à
son père de son bonheur perdu.