Au programme du débat critique, des expositions : "Suzanne Valadon" au Centre Pompidou et "Le trompe l'œil. De 1520 à nos jours" au musée Marmottan Monet.
- Corinne Rondeau Maître de conférences en esthétique et sciences de l’art à l’Université de Nîmes et critique d'art
- Sarah Ihler-Meyer Critique d'art et commissaire d'exposition
Les critiques discutent de deux expositions, avec Suzanne Valadon au Centre Pompidou, une monographie consacrée à cette artiste emblématique et audacieuse et Le trompe l'œil. De 1520 à nos jours au musée Marmottan Monet, qui met en valeur cinq siècles de cet art du faux.
"Suzanne Valadon"
À la marge des courants dominants de son époque, Suzanne Valadon place le nu, féminin comme masculin, au centre de son œuvre, représentant les corps sans artifice ni voyeurisme.
L’exposition met en lumière cette figure exceptionnelle et souligne son rôle précurseur, souvent sous-estimé, dans la naissance de la modernité artistique. Le parcours de près de deux cents œuvres se concentre sur les deux médiums de prédilection de l’artiste, le dessin et la peinture. Il retrace cet itinéraire unique, depuis ses débuts de modèle favorite du tout-Montmartre, jusqu’à sa reconnaissance artistique, intervenue très tôt, par ses pairs et la critique.
Les avis des critiques
- Sarah Ihler-Meyer : "Je suis contente de voir cette exposition car je connaissais peu Valadon. Elle a un style qui lui est propre : ses peintures tiennent à une ligne noire qui cerne les figures, représentées en volume, comme maçonnées par des coups de pinceau assez visibles. Elle a un réalisme qui consiste en ne pas idéaliser ses modèles, à ne pas les représenter selon les canons de beauté ou des stéréotypes féminins mais en montrant des corps singuliers, dans toute leur masse et toute la densité de leur chair. On sent qu’il n’y a pas de recherche de grâce ou de joliesse. Ces corps nus s’offrent au regard sans forcément s’y fondre, ils sont à la fois objets et sujets, c’est ce qui fait leur érotisme. J’ai cependant trouvé l’exposition un peu répétitive, notamment parce qu’il y a eu peu de ruptures notables dans la carrière de Valadon, mais il aurait été intéressant de la mettre en comparaison avec des tableaux de ses contemporains, pour reproduire le choc, la singularité de sa peinture."
- Corinne Rondeau : "C’est une exposition très intéressante. Valadon est formée par ceux qui vont créer la modernité, Manet, Courbet, Renoir, Degas. Elle est couturière et pour arrondir ses fins de mois, elle devient modèle, ce qui la fait entrer dans ce milieu artistique. C'est une autodidacte, une femme qui vit avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle, et qui peint d’autres femmes, c’est quand-même magistral. Ses dessins comme ses gravures sont très affirmés. Elle montre une très forte présence des corps, avec un grand réalisme. J'admire cette capacité qu'elle a eue de reprendre des motifs qui appartenaient aux hommes pour en faire quelque chose qui affirmait la présence des femmes. Je n’ai jamais vu une exposition où il y a autant de nus féminins, mais il y a aussi des spécificités qu’on ne trouve chez aucune femme peintre de son époque, comme ces femmes avec des miroirs, allégories du temps par exemple. Et puis quand elle fait son autoportrait au sein nu, à soixante-six ans, c’est admirable de dire comme ça “j’ai un corps !”"
L'exposition est à voir jusqu'au 26 mai au Centre Pompidou à Paris. Le commissariat est assuré par Nathalie Ernoult, Chiara Parisi et Xavier Rey. Le catalogue de l'exposition est disponible aux éditions du Centre Pompidou. À l’occasion de l’exposition, ARTE diffusera le 30 mars le documentaire Suzanne Valadon, peintre sans concession, un film de Flore Mongin qui sera disponible jusqu’au 28 avril sur Arte.tv.
À écouter
Quand les femmes performent le nu
LSD, la série documentaire
29 min
"Le trompe l'œil. De 1520 à nos jours"
Au cours des siècles, le trompe-l’œil se décline à travers des médiums divers et se révèle pluriel. Il joue avec le regard du spectateur et constitue un clin d’œil aux pièges que nous tendent nos propres perceptions. L'exposition aborde les différents thèmes du trompe-l’œil tels que les vanités, les trophées de chasse, les porte-lettres ou les grisailles mais aussi les déclinaisons décoratives ou encore la portée politique de ce genre pictural à l’époque révolutionnaire jusqu’aux versions modernes et contemporaines.
En rassemblant plus de quatre-vingt œuvres significatives du XVIe au XXIe siècle provenant de collections particulières et publiques d’Europe et des États-Unis, cette exposition permet d’appréhender l’évolution formelle du trompe-l’œil. Elle retrace l’histoire de la représentation de la réalité dans les arts et entend rendre hommage à une facette méconnue des collections du musée, ainsi qu’au goût de Jules et Paul Marmottan pour ce genre pictural.
Les avis des critiques
- Sarah Ihler-Meyer : "J’ai beaucoup apprécié cette exposition. Il y a une répétition intéressante qui coïncide avec le plaisir répété qu'on a à regarder plusieurs fois le même tableau, à être trompé et détrompé par ce qu'on voit. Ce plaisir mystérieux des trompe-l'œil ne se résume pas au fait d'observer la virtuosité des peintres, il a un ressort plus profond dans ses effets de surface. L'exposition est chronologique, elle nous montre un répertoire de peintures au réalisme illusionniste qui se décline jusqu’à la fin du 19ème siècle. Ces représentations d’objets à échelle réelle cherchent à se faire oublier comme telles mais doivent dans le même temps être perçues comme des illusions d’optiques pour être considérées comme œuvres d’art, c’est ça qui est étrange et fascinant. Sur le 20ème et le 21ème siècle, l’exposition est plus inégale, on regrette certains manques comme l’hyperréalisme américain par exemple."
- Corinne Rondeau : "C’est une exposition spectacle, qui fait un grand nombre de répétitions. On retrouve tous les motifs du trompe-l'œil, les raisins, les vanités, les arts décoratifs, la grisaille, qui est la partie la plus intéressante. Je suis très favorable à ce qu’on fasse une exposition sur le trompe-l'œil, mais là il n’y a pas de vrai travail d’historien, tout est globalement anecdotique et prend les visiteurs pour des imbéciles. C’est même réactionnaire, avec les œuvres de Cadiou ou de Fontana. Le trompe-l'œil est une question de distance, de présomption de réalité qui est très intéressante mais c’est assez scandaleux de montrer la peinture comme une image, de ne pas contextualiser ça à une époque où les gens ne savent plus regarder les images."
L'exposition est à voir jusqu'au 2 mars au musée Marmottan Monet à Paris. Son commissariat Sylvie Carlier et Aurélie Gavoille. Le catalogue est disponible aux éditions Snoeck / Musée Marmottan-Monet.
Extraits sonores
- Gnossienne n°1 d'Erik Satie.
- Archive de Sacha Guitry à propos du trompe-l'œil en 1954.
L'équipe
- Production
- Réalisation
- programmateur
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- Collaboration
- Lise RipocheCollaboration
- Stagiaire