
Lorsque Sarah Moon rencontre Yohji Yamamoto, cela donne naturellement des photographies oniriques, dont les silhouettes apparaissent comme plongées dans l’encre de Chine. La photographe de mode française est connue pour ses clichés fugaces, à la puissance suggestive ; le créateur japonais pour ses vêtements drapés de noir, qui se déploient et s’enroulent autour du corps de manière sculpturale.
Les deux artistes partagent cette capacité à transcender la mode, en créant des artefacts intemporels, affranchis des tendances. Un beau livre édité par Delpire & Co réunit ainsi quarante-cinq photographies de Sarah Moon, en grande partie inédites, dont la beauté énigmatique affleure à chaque page. Cet ouvrage conçu main dans la main par les deux créateurs est le fruit d’une collaboration commencée dès les années 1990.
On découvre des images aux tonalités sombres, parfois flashées d’éclats sourds, des noirs et blancs à l’aura envoûtante, aux contours souvent incertains. « Ce qui me fascine dans ton travail c’est que, la plupart du temps, tu drapes la femme en noir, et pourtant… chaque fois tu trouves une autre manière de le faire », écrit Sarah Moon à Yohji Yamamoto, dans un échange avec le designer qui fait office de préambule à l’ouvrage. Ce dialogue souligne la proximité de leurs processus créatifs, et leur quête incessante de la « surprise ».
« Peut-être que je serais devenu tueur »
Moon et Yamamoto font preuve de sincérité lorsqu’il s’agit de poser des mots sur leur pratique artistique. La première évoque cette « course à la chimère », cette nécessité quasi tragique d’être là au bon moment pour immortaliser l’éphémère ; le second relate ses incessants essayages : « Faut-il que je change ? Que je recommence ? Que j’arrête ? C’est comme une punition. » « Qu’est-ce qui te pousse à continuer ? », lui demande alors la photographe. « C’est une question importante. Peut-être ma colère envers ma société, mon monde, parce qu’il n’est pas exactement tel que je voudrais qu’il soit. Si je n’étais pas devenu couturier, peut-être que je serais devenu tueur », lui répond Yohji Yamamoto.
La première partie de l’ouvrage s’ouvre sur un portrait du designer par la photographe et se poursuit avec des images de ses collections des années 1990, qui paraissent familières tant elles ont imprimé nos rétines. Le livre est rythmé par les mots fétiches de Yohji Yamamoto : asymétrie, destruction, métamorphose, opposition, etc.
Les clichés inédits, tantôt en couleur, tantôt en noir et blanc, révèlent des créations issues des collections récentes du créateur. L’ouvrage, pensé comme un objet en soi, se conclut par un croquis du couturier, une silhouette vue de dos, enveloppée dans un grand manteau, qui laisse transparaître son mystère.

Dialogue Sarah Moon, Yohji Yamamoto, Delpire & Co, 84 p., 150 €.
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