« Des milliers de ronds dans l’eau », de Claro, Actes Sud, 176 p., 19 €, numérique 14 €.
Cheminer vers la poussière des débuts, vers la tache minuscule et légèrement lumineuse d’où l’on vient, implique parfois d’emprunter de drôles de sentiers, où le temps s’assouplit et fragilise les paysages, les rend tremblants comme des mirages. Claro, qui avait entamé ce parcours en 2019 avec Substance, suivi, en 2020, par La Maison indigène – tous deux chez Actes Sud –, livre avec Des milliers de ronds dans l’eau le dernier volet de son cycle autobiographique.
Cette nouvelle descente dans les terrains vagues de la mémoire nous conduit en 1999, année marquée par une violente tempête et par la mort de la mère du narrateur, aux alentours de la Toussaint. Nous voilà donc dans la « salle carrelée » du funérarium, face au cercueil maternel, avec le narrateur et ses sœurs. Leurs « larmes, retenues quelque part en lieu sûr », ne se répandent pas. L’auteur cherche une émotion, une phrase, un reproche même, à adresser à la défunte ; ne lui viennent que des vers et un souvenir d’enfance. Plus tard, en 2001, le narrateur se voit prié par sa sœur d’aller rendre visite à… sa mère. Elle n’était donc pas morte, et tout ce récit dans le salon mortuaire n’était qu’une scène hallucinée.
Si Claro embrouille les fils temporels, c’est peut-être parce qu’il est plus « vrai » de faire coïncider la mort de sa mère avec la « grande tempête », celle qui fait que « le monde se [met] à ployer puis à s’éparpiller en pertes et fracas ». Peut-être aussi parce que le recours à la fiction aide à avaler la douloureuse pilule du réel et permet de converser doucement avec les morts. Ainsi, lorsqu’il se rend à la maison de retraite où se trouve sa mère – autre épisode imaginaire –, cette dernière interpelle son fils en une adresse magnifique : « Mon chéri, toute ma vie j’ai lutté, (…) j’ai fait la vaisselle des âmes et le lit des monstres, (…) allez, viens ici, plus près, au chevet de mon chevet, oui, sache que j’ai lutté sans qu’on s’en aperçoive. »
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