« La Saison des bêtises », de Mathilde Henzelin, Les Avrils, 240 p., 21,10 €, numérique 15 €.
La vie, la vraie, commence le vendredi. Le reste du temps, elle se résume pour Victoire, héroïne du premier roman de Mathilde Henzelin, à un jeu de rôle insupportable. Assistante d’une boîte de com, la jeune femme vomit la conformité des gens ordinaires qui font du jogging, vont travailler et ouvrent chaque midi leurs tupperwares au bureau en rêvant de voyages low cost ou d’électroménager dernier cri. Un quotidien « annihilant » que Victoire et ses amis oublient chaque week-end dans d’interminables fêtes où rien ne compte plus que « la drogue, la drogue et rien que la drogue ». De clubs en afters, ils déposent leur rapport au réel entre les mains de dealeurs de cocaïne, kétamine, MDMA, ecstasy, herbe ou GHB avant de retourner mimer la vie normale.
C’est cette existence, polarisée jusqu’à la folie, que décrit La Saison des bêtises, texte furieux et fascinant. En huit moments de la vie de Victoire, entre ses 25 ans et ses 30 ans – une rave joyeuse à Berlin, une interminable journée de travail ou un trajet de métro halluciné après une nuit blanche –, Mathilde Henzelin, 34 ans, dresse le portrait intransigeant de milléniaux en perdition sur fond d’angoisse économique, numérique et écologique. Une jeunesse dépendante de « l’enfer doux et molletonné » des réseaux sociaux, sans projets, sans désirs, qui attend passivement que « quelque chose advienne, que quelque chose commence ». Une aboulie qui se double d’une intolérance à la frustration et d’un refus forcené de la moindre sensation déplaisante.
Aucun traumatisme évident à l’origine des consommations effarantes de Victoire et sa bande, issues d’une classe moyenne plutôt préservée. Les parents de Victoire, simples silhouettes dans le chaos, ne sont ni meilleurs ni pires que les autres. Interdite face aux raisons de son apathie et de sa toxicomanie, Victoire se résigne : elle n’est qu’« une sale petite gamine emmerdante et blasée ». L’excès aurait plus à voir avec une forme d’opposition aux maux de l’époque où, selon la jeune femme, « les objets prennent toute la place, où on compare les tarifs des compagnies aériennes et les qualités supposées de la Grèce et de l’Italie, où les jours se ressemblent sans souci de la passion ni de l’aventure ».
Il vous reste 34.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.