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« Une langue inconnue », de Valère Novarina, suivi de « Paysage incompréhensible », dialogue avec Olivier Dubouclez, postface de Doris Jakubec, Zoé, « Poche », 112 p., 8 €.
« Les Limites du langage philosophique suivi de La Guerre sainte et de Pataphysique des fantômes », de René Daumal, La Tempête, « Poche », 96 p., 8 €.
« Exégèse des lieux communs », de Léon Bloy, Rivages poche, « Petite bibliothèque », 410 p., 10,50 €.
La langue, depuis toujours, Valère Novarina s’en met partout. Comme un bambin à la cuillère tambourinant son écuelle de bouillie, tel un vigneron fort ancien piétinant ses grappes pour en tirer le trésor de la première goutte. Le dramaturge-poète et plasticien savoyard, en virulence accrue depuis un demi-siècle (né en 1942, sa première pièce, L’Atelier volant, date de 1974 ; sa plus récente, Les Personnages de la pensée, de 2023), n’a de cesse de fouler les mots, pétrir des phrases, souffler la langue comme on insuffle le verre, y pratiquant un modelage pneumatique, jouissif et ludique, qui la déboussole et l’extasie.
Crédo poétique et vade-mecum insurrectionnel, c’est ainsi que doit être lu le merveilleux Une langue inconnue, ensemble de trois textes biographiques et programmatiques. Novarina y narre sa découverte, par le chant de sa mère, d’une langue hongroise, « sœur obscure du français », qui lui devient une langue maternelle imaginaire dont l’approche, par un travail de traduction, lui offre d’éprouver « la danse parlante, [de] penser le langage comme un théâtre de forces ». Evocation en suivant d’autres langues mères : le vrombissant savoyard et son essaim de toponymes, le latin, l’italien. Parachève ce triptyque une évocation de son travail avec des comédiens hongrois de Debrecen, expérience d’une tectonique de langues qui se frottent l’une à l’autre, créant un séisme scénique dont chaque acteur est l’épicentre. Pas d’acteur, chez Novarina, mais des jacteurs, des corps en proie à la jactance effrénée d’une possession langagière dont il est, après Artaud et Beckett, le grand mystagogue.
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