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« L’Art du déséquilibre », d’Evelyne Grossman : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

La philosophe a créé le personnage conceptuel du « déséquilibriste », dont les incarnations multiples donnent à son nouvel essai une grande richesse.

Publié le 14 février 2025 à 16h00 Temps de Lecture 2 min.

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« L’Art du déséquilibre », d’Evelyne Grossman, Minuit, « Paradoxe », 128 p., 17 €, numérique 12 €.

DÉSTABILISATION PERMANENTE

Ils frôlent continûment la catastrophe. Parviennent, malgré tout, à éviter le pire. Ne cessent pourtant de traverser de microdésastres. Qui donc ? Les « déséquilibristes ». Une pléiade d’écrivains, d’artistes et de philosophes fort dissemblables, qui ont en commun de bousculer l’ordre immobile de manière créatrice. De leurs bévues, ils font des œuvres d’art, transfigurant le désordre en horizon d’un autre monde. Ce qu’ils ébranlent ? Toutes les évidences, les pesanteurs, et la langue elle-même.

C’est ce qu’explique Evelyne Grossman dans son nouvel essai, L’Art du déséquilibre, qui se lit aisément tant son écriture est sobre, vive et précise. Professeure émérite de littérature comparée, ancienne présidente du Collège international de philosophie, spécialiste notamment de Van Gogh, d’Artaud, de Beckett, elle poursuit avec ce livre sa réflexion sur la « créativité de la crise » (Minuit, 2020) en forgeant l’intéressant personnage conceptuel du « déséquilibriste », dont les incarnations multiples donnent à ce livre, assez bref, une grande richesse.

On y croise en effet quantité d’écrivains – Joyce, Proust, Kafka, Beckett, Céline – qui bousculent l’équilibre et « apprivoisent l’intenable », à des degrés divers et selon des styles distincts. On y rencontre également des penseurs contemporains qui ont ébranlé les catégories philosophiques de toujours en mettant en mouvement les oppositions binaires. Nietzsche, « sujet instable », cultivant la « dissonance », est le premier d’entre eux, avec dans son sillage Deleuze, Foucault, Derrida, notamment.

Démarches contemporaines

Dans la foulée, de French Theory en mouvement queer, le parcours se prolonge avec les démarches contemporaines qui prétendent bousculer les « assignations identitaires » et œuvrer à la « nécessaire sortie de toute pensée simplement binaire ». Surgissent alors les troubles dans le genre de Judith Butler et de Paul B. Preciado, les hybridations et décompositions de Donna Haraway, juxtaposés à quelques artistes et écrivains. Ce qui convainc beaucoup moins.

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