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« Et personne ne sait », de Philippe Forest, Gallimard, 126 p., 17 €, numérique 12 €.
CONTE D’HIVER
C’est l’histoire d’un livre qui raconte un film qui parle d’un tableau. Le film, que le nouveau roman de Philippe Forest, Et personne ne sait, donne très envie de voir (et qui est en accès libre sur YouTube), est lui-même tiré d’un livre, et il s’appelle Le Portrait de Jennie. Il a été tourné en 1948 par William Dieterle pour la MGM. Il raconte l’histoire, au départ très convenue, d’un peintre sans le sou, Eben Adams, qui traîne ses toiles et son ennui dans les rues enneigées de New York, cherchant au jour le jour de quoi manger et rentrant la nuit tombée dans son atelier non chauffé, sous les toits, comme il se doit. Un soir, il croise dans Central Park une petite fille habillée d’un costume marin, dont les paroles et l’attitude étranges semblent appartenir à une autre époque. Commence alors un conte de Noël plein de charme désuet et de rebondissements : la vie du peintre est transformée et sa peinture magnifiée. Alors qu’il ne produisait que des croûtes, il s’achemine vers le chef-d’œuvre – ce que le film nous fait croire, sans nous le prouver, c’est la loi du conte de procéder ainsi.
Qu’est-ce qui intéresse Philippe Forest dans cette histoire, qui vaut qu’il lui consacre tout un livre ? Un goût pour la littérature enfantine, certainement, qui le fait revenir régulièrement à Peter Pan, de James Barrie (1911), et à Alice aux pays des merveilles, de Lewis Carroll (1865). Mais pas seulement. On comprend vite que le fascine, dans cette histoire, le fait que Jennie ait, presque en même temps, tous les âges. Lors de la première rencontre au parc, elle semble avoir 7 ou 8 ans. La deuxième fois, peu de temps après, elle a au moins 12 ans, la troisième fois 15 et la fois suivante elle est adulte. Celle qui fait le vœu de grandir très vite pour pouvoir vivre avec le peintre voit son souhait se réaliser et sa métamorphose ultrarapide est reçue par le personnage principal comme tout à fait normale. Il n’est pas incrédule, il accepte la magie, la vérité du conte. « Chaque image nouvelle d’elle que Jennie présente à Adams fait disparaître la précédente. Elle la remplace et elle l’efface. » Tout va à la vitesse du rêve.
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