
Rarement, depuis sa naissance au XIXe siècle, la cuisine bourgeoise avait été aussi en vogue. On en veut pour preuve les tourtes version street food de Groot la tourte (Paris, 2e) ; le pithiviers de céleri-rave du restaurant bistronomique Le Boréal (18e), ou encore la soupe à l’oignon cachée sous son dôme de pâte feuilletée, servie sur les tables du bistrot 100 % plant-based (végétal) Faubourg Daimant (10e)…
Trois exemples de délicieuses réminiscences culinaires, que de plus en plus de jeunes cheffes et chefs ont récemment remises au goût du jour. Parmi eux, Alice Arnoux revisite l’un des plus grands classiques de la gastronomie hexagonale : le saumon à l’oseille.
Vieux de plus de soixante ans, ce mets indissociable de l’histoire de la maison Troisgros, à Ouches, dans la Loire, où il a vu le jour, avait déserté les menus des restaurants. Voilà qu’il fait son retour en grâce à 400 kilomètres de là, dans le quartier de Belleville, à Paris. Plus précisément au Café de l’Usine, qu’a inauguré Alice Arnoux en octobre 2024.

Sous sa houlette, cette ancienne cantine d’usine de chaussures Spring Court s’est vue réhabilitée en bistrot flambant neuf fait de béton ciré, de bois brut et de fer forgé, sur 120 mètres carrés répartis sur deux étages. Un terrain de jeu à la mesure du talent de la cheffe, passée par les cuisines de deux restaurants triplement étoilés – La Marine, à Noirmoutier, en Vendée, et Noma, à Copenhague, au Danemark, sacré cinq fois meilleur restaurant du monde au classement « 50 Best ».
Le beurre blanc plutôt que la crème
Si le menu unique (qui change chaque semaine) compte d’autres alléchants hommages à la tradition culinaire française – comme cette joue de bœuf confite et ses légumes glacés ou ce chou farci et son jus d’oignon corsé –, c’est surtout cette relecture du légendaire saumon à l’oseille qui téléporte le mangeur dans une salle à manger d’antan.
A ce détail près que ledit saumon a été remplacé par de la truite, urgence climatique oblige. « Sa pêche est bien moins néfaste pour l’environnement que celle du saumon, qu’il soit d’élevage ou sauvage », assure Alice Arnoux. Pas de quoi déchanter, toutefois : maturée puis lentement cuite à la vapeur, la truite fondante se pare d’un goût riche et noiseté qu’équilibre la légère âpreté d’une simple tombée d’épinards.
L’autre liberté prise par la cuisinière, définitivement affranchie des codes édictés par les frères Troisgros dans les années 1960, concerne la crème, à laquelle elle préfère un délicat beurre blanc, non moins gourmand car bien chargé en vin blanc et échalotes réduites.
Un jet de vinaigre de cidre et quelques feuilles d’oseille fraîche, envoyées le matin même de Pornic (Loire-Atlantique), se chargent d’apporter l’acidité que demande le poisson, sans passer par le sempiternel citron. L’accompagnement, quant à lui, varie au gré des envies de la cheffe : hier, le bol de riz japonais ; aujourd’hui, les croustillantes pommes Anna ; demain, l’onctueuse purée de pommes de terre… Peu importe l’escorte, pourvu qu’elle fasse honneur à cette prodigieuse sauce.
Café de l’Usine, 5, passage Piver, Paris 11e. Du mercredi au samedi, menu déjeuner, entrée-plat ou plat-dessert à 25 € ; entrée-plat-dessert à 30 €. Menu dîner, deux entrées, plat, dessert à 45 €.
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