
Endormi dans les bras de sa mère, Haroun, 9 mois, est réveillé par une piqûre dans sa cuisse potelée. Il laisse échapper un sanglot, que sa mère Fatouma contient en le blottissant contre elle. « Son grand frère, Dehie, est mort du paludisme il y a deux ans. Il n’en avait que 6. Alors quand j’ai appris qu’un vaccin existait, j’ai rapidement décidé de le lui donner. Je regrette même qu’il ne soit pas arrivé plus tôt », confie la trentenaire, mère de sept enfants dont Haroun est le benjamin.
En ce début du mois de février, au centre de santé de Gardolé, à N’Djamena, près d’une dizaine de femmes viendront dans la matinée faire vacciner leurs enfants âgés de 6 mois à 5 ans, contre cette maladie dont elles ont pu constater les ravages. Toutes connaissent une fillette ou un garçon morts fauchés par le mal transmis par les moustiques. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2023, l’Afrique concentrait 94 % des cas de paludisme dans le monde (246 millions) et 95 % des décès qui y sont liés (569 000), lesquels touchent en grande majorité les enfants de moins de 5 ans.
Après des dizaines d’années de recherches, deux vaccins antipaludiques (RTS, S et R21) ont été approuvés par l’OMS et sont désormais administrés dans quatorze pays africains. Parmi eux, le Tchad, qui a lancé sa campagne de vaccination le 25 octobre 2024 – couplée à celles contre le rotavirus et le pneumocoque, responsables de maladies à fort taux de mortalité infantile. Cofinancée par le gouvernement tchadien et Gavi (l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation), avec l’appui technique de l’OMS et de l’Unicef, elle se concentre pour l’instant sur les 28 districts (sur 158 que compte le pays) les plus touchés par le paludisme, avec l’ambition de couvrir tout le territoire d’ici 2026.
Priorité aux enfants de 6 mois
Avant le début de la campagne de vaccination, un important travail de sensibilisation a été mené auprès des populations des zones concernées. Des comités de quartiers ou de villages ont été convoqués, des organisations communautaires mobilisées, des messages diffusés à la radio. Quand des parents de jeunes enfants se rendent dans des centres de santé, ils sont aussi informés de la possibilité de réaliser le vaccin.
Résultat, dès les premiers jours de la campagne, les candidats au nouveau sérum ont été nombreux dans les centres de santé qui le proposent. Celui de Gardolé ne fait pas exception. « Les gens attendaient un vaccin contre le paludisme depuis longtemps, explique le docteur Adam Ali, le médecin chef de district. A tel point qu’au démarrage, nous n’avions pas assez de doses pour couvrir toutes les demandes, nous obligeant à prioriser les enfants de 6 mois. »
« Il y a un important afflux donc nous sommes satisfaits, abonde la docteure Antoinette Demian, directrice du département vaccination au ministère de la santé. L’enjeu est maintenant de s’assurer que les enfants qui ont reçu leur première dose fassent bien les trois autres [au cours des neuf mois suivants] sous peine d’être sous-immunisés. »
Au centre de santé de Gardolé, une fois Haroun rhabillé et consolé, sa mère tend son carnet jaune de vaccination à l’équipe médicale. Une infirmière y note la date du jour et celle du prochain rendez-vous. Elle prend aussi son numéro de téléphone, pour la joindre au cas où elle ne se présenterait pas avec son fils. Des tournées sont même parfois organisées dans les quartiers par le personnel de santé pour aller chercher les parents qui ne répondent pas. Mais, selon le docteur Ali, la majorité d’entre eux effectuent le schéma vaccinal complet et « moins de 10 % ne vont pas au bout » du processus.
La demande ne faiblit pas
Dans les deux réfrigérateurs de la petite salle de vaccination aux murs tapissés d’affiches médicales écornées par le temps, les doses ne manquent plus. Trois mois après le début de la campagne, la demande s’est stabilisée mais ne faiblit pas. Khadija, 29 ans, a amené sa dernière fille de 9 mois, Hadje Fatima. « On parle beaucoup de ce vaccin dans mon entourage, donc j’ai fini par venir, explique la mère. Et je ferai aussi vacciner mon prochain enfant. » Grâce à cette injection, ils éviteront « au moins les formes graves », espère-t-elle.
Pour être pleinement efficace, le vaccin, rappellent les médecins, doit continuer à être accompagné des autres stratégies de protection, comme dormir sous des moustiquaires imprégnées d’insecticide ou lutter contre les environnements insalubres. Avec cette nouvelle arme décisive, certains se mettent désormais à envisager une éradication du paludisme au Tchad. « Beaucoup de pays y sont parvenus, alors pourquoi pas nous ? », veut croire la docteure Antoinette Demian.
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