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Gel de l’aide américaine : une régression inédite pour les femmes et les minorités sexuelles africaines

Les Etats-Unis représentaient, en 2023, 43 % des financements mondiaux consacrés aux soins reproductifs. Les conséquences du gel par l’administration Trump ont déjà des effets dramatiques.

Par  (Johannesburg, correspondance),  (Nairobi, correspondance),  (Abidjan, correspondance) et

Publié le 25 février 2025 à 14h00, modifié à 10h16

Temps de Lecture 4 min.

Sibusisiwe Ngalombi, 42 ans, agent de santé communautaire, montre un gilet de l’Usaid qu’elle portait à Harare, au Zimbabwe, le vendredi 7 février 2025.

« Un chaos sans précédent, une attaque cruelle contre l’avenir des Africaines. » Un mois après l’annonce du gel de l’aide américaine, le 24 janvier, Carole Sekimpi, responsable Afrique de MSI Reproductive Choices, une ONG qui fournit des services de contraception et d’avortement dans 36 pays, peine encore à mesurer l’ampleur du séisme. Les Etats-Unis sont, depuis cinquante ans, les plus grands donateurs en matière de planification familiale. Au point de représenter à eux seuls, en 2023, 43 % des financements mondiaux consacrés aux soins reproductifs. Des fonds destinés pour moitié – 336 millions de dollars (321 millions d’euros) chaque année depuis 2016 – à 41 Etats africains.

Parmi les récipiendaires, l’Ethiopie et le Nigeria arrivent en tête, avec 22 millions de dollars chacun, suivis de l’Ouganda (20 millions) et de la Tanzanie (19 millions). Dans des pays comme le Kenya et l’Ouganda, l’aide américaine compte pour 60 % du budget consacré à la santé. Combien d’Africaines risquent d’en payer les conséquences ?

A en croire les ONG, le bilan s’annonce désastreux. « En trois semaines, 2,7 millions de femmes ont été privées de contraceptifs dans le monde, dont 2 millions en Afrique, estime Elizabeth Sully, chercheuse principale au sein de l’Institut Guttmacher, spécialisé dans la santé reproductive. D’ici à la fin des quatre-vingt-dix jours de gel de l’aide, on estime que, dans le monde, 8 000 femmes et filles mourront de complications durant la grossesse et l’accouchement. Et 7 200 d’entre elles seront africaines. »

Sur le terrain, les effets de l’arrêt des financements se font déjà durement ressentir. « En Côte d’Ivoire, on nous signale des ruptures de stock en contraceptifs dans certaines zones, alerte une dirigeante d’association qui, comme de nombreuses ONG à qui l’Usaid a ordonné de ne pas communiquer, requiert l’anonymat. Il y aura un manque de moyens qu’on n’a encore jamais connu. Tout ça va provoquer une augmentation des grossesses non désirées, des avortements clandestins. »

« Au Burkina Faso, des milliers de femmes déplacées, confrontées aux violences sexuelles et aux maladies, ne sont plus soignées », constate pour sa part Sarah Shaw, directrice associée chez MSI. « En Zambie, ajoute-t-elle, il n’y a plus aucun stock de contraceptifs. L’hôpital public que nous fournissons en soins a dû licencier 50 infirmières du jour au lendemain car elles étaient payées grâce à l’aide américaine. » Un coup fatal pour un pays dont la politique de planification familiale dépend à 70 % de l’aide américaine, et où le taux de grossesse chez les adolescentes est de 27,6 %, selon l’ONU.

La lutte contre le paludisme menacée

Comme d’autres organisations consacrées à la santé des femmes, MSI s’attendait à un bras de fer avec l’administration Trump, notoirement opposée à la planification familiale. En 2017, les associations avaient subi le rétablissement de la « règle du bâillon mondial ». Cette loi interdit aux organismes recevant des fonds publics américains de fournir des informations, des services ou de plaider en faveur de l’avortement légal. La Fédération internationale des plannings familiaux, qui avait dû renoncer à l’époque à 100 millions de dollars d’aide sur quatre ans, a estimé en janvier 2019 que près de 20 000 décès maternels, 4,8 millions de grossesses non désirées et 1,7 million d’avortements à risque, surtout en Afrique subsaharienne, auraient pu être évités si la « règle du bâillon » n’avait pas été mise en place. Abrogée sous Joe Biden, elle a été rétablie le 24 janvier par Donald Trump.

L’effet collatéral de la suspension de l’aide concerne aussi la lutte contre le paludisme, qui affecte principalement les femmes enceintes et les enfants. La campagne saisonnière qui débute en mars dans certains pays africains est désormais menacée. « Nous ne pouvons plus distribuer de moustiquaires. On ne pourra pas sauver des vies si l’on rate cette campagne », prévient la directrice d’une des principales organisations de lutte contre la malaria. Contrainte à témoigner sous le couvert de l’anonymat du fait de la forte dépendance de son ONG aux subventions américaines, cette responsable va devoir aussi licencier massivement : 1 400 personnes, dont 1 000 en Afrique.

Les organisations craignent par ailleurs la disparition de projets consacrés aux droits des femmes. En Afrique du Sud, pays qui affiche un taux de féminicides parmi les plus élevés au monde, selon la Banque mondiale, les associations locales anticipent une recrudescence des violences. « Près de 50 % des femmes que nous assistons dans les affaires de violences ont moins de 18 ans. Il y a aura forcément un impact. Nous l’avons vu pendant la pandémie de Covid-19 », souligne Sophie Hobbs, responsable de Nacosa, l’une des principales associations de prévention contre les violences de genre, dont le programme touche 200 000 jeunes filles par an.

« Effet domino »

Parmi les domaines frappés par la suspension des fonds américains figurent également les projets liés à la protection des minorités sexuelles. Des associations sud-africaines actives dans le domaine de la lutte contre le VIH et dépendantes des financements de l’Usaid ont déjà cessé leurs activités, comme Engage Men’s Health, qui gérait jusque-là plusieurs cliniques à travers le pays.

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Les structures financées par des fonds privés américains sont elles aussi concernées. « Même si l’association ne reçoit pas d’aides directes de l’Usaid, il y a un effet domino : quand le plus gros bailleur – le gouvernement américain – se retire, tout le monde commence à se serrer la ceinture. On craint que les levées de fonds deviennent plus difficiles pour tout le monde », explique Armando Ayala, le président du Pride Shelter Trust, première association sur le continent africain à offrir un hébergement d’urgence aux personnes LGBT+ issues également d’autres pays africains.

Même inquiétude en Ouganda, au sein de l’Uganda Key Populations Consortium, qui défend la communauté LGBT avec un budget annuel de 2,5 millions de dollars. « Les Américains finançaient à 70 % mon organisation. Ils y ont mis un terme le 30 janvier par l’envoi d’un courrier annonçant la fin du soutien d’activités considérées comme “radicales et dépensières” », rapporte son directeur, Richard Lusimbo, contraint de licencier 28 salariés sur 35. Il s’agissait d’un programme de « réponse rapide » pour aider les membres de la communauté ougandaise LGBT qui se retrouvent à la rue.

Désormais, l’enjeu pour les organisations spécialisées, c’est de survivre au délai des trois mois imposé par l’administration Trump afin de passer en revue les projets financés. Mais peu d’entre elles imaginent un retour à l’ordre précédent, tant les dommages risquent d’être sévères sur l’écosystème de la santé reproductive. « Il est à craindre qu’à l’issue des quatre-vingt-dix jours, même si l’aide est rétablie, la planification reste définitivement exclue. Or c’est le meilleur investissement pour le développement », avertit la chercheuse Elizabeth Sully.

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