Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 10 novembre 2006
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre, chambre de la Presse Jugement du 25 octobre 2005

Bernard H., Ali P., Gilles B. / Grégoire L.

contenus illicites - forum de discussion - injure - provocation - pseudonyme - racisme

PROCEDURE

Par ordonnance d’un des juges d’instruction de ce siège en date du 29 janvier 2004, rendue sur une plainte avec constitution de partie civile déposée le 16 juillet 2002 par la société Net 2 S, Bernard R., Ali P., Gilles B. et Yves M., Grégoire L. a été renvoyé devant ce tribunal pour y répondre du délit d’injures publiques à raison de l’origine, de l’appartenance ou de la non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, prévu par les articles 23, 29 alinéa 2, 33 alinéas 3 et 4, 47 et 48-6° de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à la suite de la diffusion sur internet, le 17 avril 2002, des mots « youpin (Gilles B.) » visant Gilles B. et, le 23 mai 2002, de l’expression « petits métèques » visant Bernard R. et Ali P. […]

[…] Le conseil des parties civiles a demandé la condamnation du prévenu à leur payer à chacune les sommes de 8000 € à titre de dommages-intérêts et de 1000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, outre deux publications judiciaires, dans la limite de 5000 € par insertion, et l’exécution provisoire des dispositions civiles du jugement. […]

DISCUSSION

Sur l’action publique

Grégoire L., ancien salarié de la société Net 2 S, qui a quitté, au mois de févier 2002, cette société dans des conditions qu’il estime humiliantes, reconnaît être l’auteur des messages électroniques contenant les propos poursuivis, adressés sur un forum de discussion ouvert sur le site internet www.boursorama.com, comme l’a établi l’instruction.

Bernard R., Ali P. et Gilles B. étaient respectivement président du conseil d’administration, directeur général et directeur commercial de la société Net 2 S, laquelle se définit comme une société de conseils et d’ingénierie spécialisée dans les technologies de communication.

Le 17 avril 2002, Grégoire L. a adressé sept messages différents sur le forum de discussion mentionné ci-dessus, en utilisant le pseudonyme « youpin (Gilles B.) », lequel figurait en conséquence en tête de chacun de ces messages, pour en identifier l’expéditeur.

En accolant de la sorte au nom et au prénom de la partie civile un terme de mépris utilisé pour désigner les personnes de confession juive, le prévenu a commis à son encontre le délit qui lui est reproché.

Le 23 mai suivant, Grégoire L., utilisant un autre pseudonyme, a adressé un message sur le même forum, sous le titre « Re: Menace terroriste : une formidable opportunité pour net2s », dans lequel il stigmatisait l’attitude des dirigeants de la société Net 2 S qui auraient fait savoir que la société considérait les attentats commis le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis comme « une opportunité pour eux dans le cadre de la reconstruction des sociétés décimées », écrivant que cette société était « une boite gérée par des ploucs mal élevés ». Il ajoutait immédiatement après :

« Maintenant que les petits métèques qui ne respectent rien ont récupéré le pactole grâce aux folies de la bourse : Net 2 S en a rien à foutre des pigeons qui ont investi ».

L’utilisation du substantif incriminé, lequel désignait l’étranger à la cité, dans la Grèce antique, mais renvoie, de nos jours, de façon péjorative, selon la définition qu’en donne le dictionnaire, à l' »étranger (surtout méditerranéen) vivant en France, et dont l’allure, le comportement sont jugés déplaisants », constitue également le délit poursuivit. Il résulte de l’ensemble du message que, par ce terme, le prévenu entendait désigner les dirigeants de la société Net 2 S. Dans ces conditions, le président du conseil d’administration et le directeur général de cette société pouvaient légitimement s’estimer visés par cette injure.

C’est en vain que le prévenu fait plaider l’excuse de provocation, dès lors qu’à les supposer fondés, les griefs nourris par lui relativement au harcèlement qu’il aurait subi au sein de la société pendant les mois qui ont précédé son départ et aux conditions de celui-ci, dont il doit être relevé qu’ils n’ont jamais été soumis par lui à l’appréciation d’une juridiction, qu’elle soit pénale ou prud’homale, ne pouvaient justifier l’emploi de qualificatifs injurieux à l’égard de dirigeants de la société à raison de leur origine.

Il y a lieu, en conséquence, d’entrer en voie de condamnation, en prononçant contre le prévenu une peine d’emprisonnement à la mesure de la gravité de son comportement et qui soit de nature à constituer un ferme avertissement pour l’avenir, peine qui pourra, cependant, être assortie du sursis, le prévenu n’ayant jamais été condamné.

Sur l’action civile

Bernard R., Ali P. et Gilles B. seront reçus en leur constitution de partie civile et leur préjudice sera justement réparé par la condamnation du prévenu à leur payer à chacun la somme de 750 € de dommages-intérêts, sans qu’il soit toutefois nécessaire d’ordonner la publication judiciaire demandée.

Le versement provisoire de ces sommes sera ordonné, en application des dispositions de l’article 464 du code de procédure pénale.

Le prévenu sera enfin condamné à payer à chacune des parties civiles la somme de 500 € au titre des frais irrépétibles par elles engagés pour faire valoir leurs droits en justice.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Grégoire L., prévenu, par jugement contradictoire (art. 424 du code de procédure pénale) à l’égard de Bernard R., Ali P., Gilles B., parties civiles, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

. Déclare Grégoire L. coupable d’injures publiques envers Bernard R., Ali P. et Gilles B. à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, délit prévu et puni par les articles 23, 29 alinéa 2, 33 alinéas 3 et 4, 47 et 48-6° de la loi du 29 juillet 1881 ;

En répression, vu les articles susvisés,

. Le condamne à la peine d’un mois d’emprisonnement ;

Vu les articles 132-29 à 132-24 du code pénal :

. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles ;

Et aussitôt, le président, suite à cette condamnation assortie du sursis simple, a donné l’avertissement, prévu à l’article 132-29 du code pénal, au condamné que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première peine sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-9 et 132-10 du code pénal ;

. Reçoit Bernard R., Ali P. et Gilles B. en leur constitution de partie civile ;

. Condamne Grégoire L. à leur payer à chacun la somme de 750 € à titre de dommages-intérêts ;

. Ordonne le versement provisoire de ces sommes aux parties civiles ;

. Condamne Grégoire L. à leur payer à chacune la somme de 500 € sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;

. Rejette les autres demandes des parties civiles.

Le tribunal : M. Nicolas Bonnal (vice président), MM. Alain Bourla et Marc Bailly (juges)

Avocats : Me Catherine Chilot, Me Florence Watrin

 
 

En complément

Maître Catherine Chilot est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Florence Watrin est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Alain Bourla est également intervenu(e) dans les 35 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Marc Bailly est également intervenu(e) dans les 15 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Nicolas Bonnal est également intervenu(e) dans les 30 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.