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Jurisprudence : Vie privée

vendredi 01 février 2008
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Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 17 janvier 2008

Laurence F. / Publications Métro France

article de presse - droit à l'image - site internet - vie privée

FAITS

Le 26 novembre 2007, la société Publications Métro France a diffusé sur son site internet www.metrofrance.com un article intitulé “une love affaire entre Nicolas S. et Laurence F.” illustré d’une photographie de la journaliste. L’existence de cet article a été annoncée en première page de l’édition du 27 novembre 2007 du quotidien Métro. La diffusion de l’article sur internet a cessé dès le 27 novembre.

Estimant qu’il a ainsi été porté atteinte tant à son droit au respect de sa vie privée qu’à son droit à l’image, le 4 décembre 2007, Laurence F. a fait assigner à jour fixe la société Publications Métro France devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d’obtenir la publication d’un communiqué judiciaire sur le site internet ainsi que la condamnation de la défenderesse à payer la somme de 25 000 € à titre de dommages-intérêts. Elle réclame, en outre, la somme de 5382 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile et l’exécution provisoire du jugement.

A l’appui de ses demandes, Laurence F. explique tout d’abord que le site internet www.metrofrance.com avait déjà annoncé sa prétendue rupture avec son mari Thomas H. mais que la société Publications Métro France assignée en justice avait arrêté la diffusion de l’article et avait présenté ses excuses. Elle déclare que cette fois-ci, le site internet de la société Publications Métro France propose à ses lecteurs un compte-rendu d’un article paru dans The daily mail du 24 novembre 2007, faisant état d’une prétendue relation avec le président de la République. Elle précise que tout en relevant que l’article du Daily mail ne repose sur aucune preuve, le site internet continue en indiquant que le point de départ de cette relation serait l’interview du candidat à l’élection présidentielle réalisée par la journaliste en mars 2007.
Laurence F. fait valoir que l’article sur internet qui se rapporte exclusivement à sa vie privée, ne poursuit aucun objectif légitime d’information du public ni ne contribue à aucun débat d’intérêt général ; elle ajoute que le fait que cette rumeur se soit propagée dans la presse étrangère n’exonère pas la société Publications Métro France de sa responsabilité. Elle fait, par ailleurs, valoir que la photographie la représentant a été détournée de son contexte de fixation aux fins d’illustration de propos attentatoires à sa vie privée et que sa reproduction sur le site internet, sans son consentement, réalise donc une atteinte à son droit à l’image. Laurence F. soutient que la défenderesse connaissait le caractère illicite de ses publications et qu’elle a agi dans un but purement mercantile.

Pour caractériser l’ampleur de son préjudice, Laurence F. invoque l’immixtion violente et tapageuse dans sa vie privée, la large tribune conférée par Métro à une rumeur qui n’avait prospéré que dans des journaux étrangers et sur quelques sites internet, le sentiment d’impuissance provoqué par le comportement de la défenderesse qui avait déjà été assignée en justice. Elle ajoute qu’elle ne s’est pas exprimée sur la rupture d’avec son mari et qu’elle n’a consenti d’interviews se rapportant à sa vie privée que pour les besoins et dans les limites d’une communication professionnelle. Aussi, outre le paiement d’une indemnité, elle sollicite une mesure de publication judiciaire afin d’informer le public de son opposition à ces intrusions.

A l’audience du 19 décembre 2007, la société Publications Métro France rappelle que la mise en ligne de l’article a duré 24 heures et que celui-ci n’a pu être vu que par 6 300 internautes. Elle ajoute que cet article n’a pas initié la rumeur et n’a pas eu de rôle moteur dans sa propagation de telle sorte qu’il n’est à l’origine d’aucun préjudice spécifique. En toutes hypothèses, la société Publications Métro France entend contester le caractère fautif de cet article qui ne fait que reprendre les propos d’un journal anglais en assortissant cette évocation de nombreuses précautions et réserves. Elle fait valoir que l’information ne peut s’arrêter aux frontières françaises sans nier la réalité de sa mondialisation via notamment internet. Elle ajoute qu’une rumeur dès lors qu’elle est diffusée de façon aussi massive dans de nombreux pays, devient un fait sur lequel il est légitime d’informer le public.
Elle considère donc qu’elle remplissait son rôle d’information en reprenant cette rumeur avec toutes les précautions nécessaires sur la crédibilité des faits évoqués. Elle soutient également que l’existence d’une relation sentimentale entre le président de la République et une journaliste d’information très médiatisée doit être connue du public car elle touche aux relations entre les hommes politiques et la presse et instaure un débat d’intérêt général sur les liens entre les différents pouvoirs au sein d’une société démocratique. Enfin, la société Publications Métro France conteste la réalité d’une atteinte au droit à l’image alors que la photographie reproduite illustre de façon anodine et pertinente le sujet traité. Elle conclut donc au rejet des demandes, à l’allocation de la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile et subsidiairement à une réparation symbolique du préjudice.

DISCUSSION

Aux termes de l’article 9 du Code civil, la rupture d’un couple et une relation extra-conjugale de l’un de ses membres constituent des éléments de la vie privée qui ne peuvent être évoqués par la presse qu’avec le consentement des intéressés.

Le fait que d’autres publications ou sites internet aient déjà divulgué des informations, ne peut pas faire disparaître le caractère fautif d’une publication postérieure dès lors que les premières sont elles-mêmes illicites en ce qu’elles ne reposent pas sur le consentement des intéressés.

Une rumeur reprise de façon massive par la presse internationale et des sites internet peut devenir l’objet d’une information légitime du public si son existence contribue à un débat d’intérêt général.

En l’espèce, il y a lieu de constater que ni l’article du Daily mail tel que résumé par la société Publications Métro France ni l’article paru sur le site internet de cette dernière n’entendent contribuer à un débat d’intérêt général notamment sur les relations entre les hommes politiques et la presse, mais se contentent d’évoquer “une love affaire” dans une rubrique “people”. Ainsi, la société Publications Métro France ne peut-elle invoquer le droit à l’information légitime du public.

Ainsi en faisant part, à travers le résumé de l’article du Daily mail, de la rupture du couple qu’elle forme avec Thomas H. et d’une éventuelle relation extra-conjugale, le site incriminé a porté atteinte au droit de Laurence F. au respect de sa vie privée alors qu’elle n’a effectué aucune déclaration sur ces deux sujets.

L’utilisation sans son consentement d’une photographie la représentant afin d’illustrer des informations fautives sur sa vie privée, réalise un détournement de son image et une violation du droit dont elle dispose dessus.

La seule constatation des atteintes réalisée par le magazine Closer ouvre droit à réparation du préjudice moral qu’elles engendrent, son étendue étant déterminée selon le contenu de l’article, la diffusion du magazine et les éléments librement débattus par les parties.

En l’espèce, il sera tenu compte du caractère particulièrement intrusif dans la vie privée de la demanderesse d’un article qui non seulement rapporte la rupture d’un couple marié sur laquelle celui-ci ne s’est pas exprimé mais a pour objet de porter à la connaissance de tous l’existence d’une possible relation extra-conjugale.

La société Publications Métro France n’a été ni la première ni la seule à propager la rumeur de cette relation extra-conjugale, cependant son action a contribué à sa diffusion et la reprise par un quotidien d’information générale a, au surplus, pour effet de lui accorder une importance particulière.

Il sera enfin tenu compte du fait que la société Publications Métro France avait été spécialement informée de la volonté de Laurence Ferrai de ne pas voir évoquer sa rupture avec son mari.

Compte tenu de ces éléments mais aussi de la diffusion réduite de l’article litigieux, il sera alloué à Laurence F. la somme de 5000 € sans qu’une mesure de publication judiciaire apparaisse en outre nécessaire.

Il sera enfin alloué à Laurence F. la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L‘exécution provisoire compatible avec la nature de l’affaire est nécessaire pour assurer la réparation rapide du dommage.

DECISION

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;

. Condamne la société Publications Métro France à payer à Laurence F. la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts,

. Rejette la demande de publication judiciaire,

. Condamne la société Publications Métro France à payer à Laurence F. la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,

. Ordonne l’exécution provisoire y compris pour les dépens,

. Condamne la société Publications Métro France aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Florence Watrin, selon les règles de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Le tribunal : Mme Marie-Claude Hervé (vice-président)

Avocats : Me Florence Watrin, Me Richard Malka

 
 

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