Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 1 Arrêt du 07 mai 2014
Franck B. / Philippe R.
absence d'autorisation - appel - blog - condamnation - contrefaçon - dernier ressort - diffusion - photographie - TGI
Vu le jugement contradictoire du 11 mai 2012 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l’appel interjeté le 24 mai 2012 par Franck B.,
Vu les uniques conclusions, avant désistement, du 23 août 2012 de l’appelant,
Vu les uniques conclusions du 18 octobre 2012 de Philippe R., intimé et incidemment appelant,
Vu les conclusions aux fins de désistement du 25 avril 2013 de l’appelant,
Vu la non acceptation du désistement du 14 mai 2013 de l’intimé,
Vu l’ordonnance de clôture du 2 juillet 2013,
DISCUSSION
Considérant que le désistement de l’appelant ne pouvant, par application de l’article 395 du code de procédure civile, produire effet que sous réserve de l’acceptation de l’intimé qui a antérieurement formé appel incident, il y a lieu de déclarer ce désistement sans portée et de se référer aux précédentes conclusions de l’appelant du 23 août 2012 soutenues à l’audience ;
Considérant que l’intimé oppose l’irrecevabilité de l’appel à raison du montant cumulé de ses demandes principales en première instance, s’élevant à moins de 4000 €, et réclame 5000 € pour appel abusif ;
Mais considérant que si ses demandes tendaient à obtenir réparation de préjudices subis à raison d’actes de contrefaçon pour un montant total de 3000 €, elles supposaient la reconnaissance d’un principe de droit quant aux sommes réclamées savoir la protection d’une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d’une forme originale, qui a un caractère indéterminé, rendant l’appel recevable ;
Qu’il n’est nullement démontré que l’appel formé en de telles conditions est abusif et serait, en conséquence, susceptible d’ouvrir droit à indemnité compensatoire, d’autant que l’acte de signification délivré à la demande de Philippe R. le 22 novembre 2012 mentionnait que “le jugement objet de la présente signification peut être frappé d’appel”;
Considérant, au fond, que l’intimé, photographe, se prévaut de droits d’auteur sur une photographie intitulée “Coupez, mais coupez bon sang” ;
Qu’ayant découvert que cette photographie était reproduite sans son autorisation, ni mention de son nom, notamment sur un site internet édité par l’appelant, il a fait établir un procès-verbal de constat par huissier de justice le 7 septembre 2009, a vainement mis en demeure le 29 septembre 2009 Franck B. de lui régler 1500 € au titre de ses droits, puis l’a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris le 24 janvier 2011 en contrefaçon de droits d’auteur ;
Que, selon jugement dont appel, les premiers juges ont dit que la photographie en cause bénéficiait de la protection au titre du droit d’auteur et qu’en la reproduisant, sans autorisation ni mention du nom de l’auteur, sur le site “essonnes.ilotech.com” Franck B. avait porté atteinte aux droits patrimoniaux et au droit moral d’auteur de
Philippe R., le condamnant à lui payer en réparation 500 € pour chacune de ces atteintes, et à payer 1000 € au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi les dépens “qui comprendront les frais de constat d’huissier” ;
Considérant que le tribunal a par des motifs pertinents, auxquels la cour se réfère expressément, décrit le visuel en cause et justement estimé qu’il était accessible à la protection prévue par le livre I du code de la propriété intellectuelle ;
Que pour combattre le grief de contrefaçon, l’appelant réitère devant la cour ses moyens de première instance, ne contestant pas avoir reproduit, comme d’autres militants, en 2009 sur son blog le cliché en cause, lequel avait été cédé en 2007 par l’auteur à un parti politique pour réaliser un support visuel militant, soutenant que la mise en ligne de ce visuel par le cessionnaire avait été autorisée, que l’acte incriminé tendait au même but de mobilisation contre les franchises médicales que l’affiche pour laquelle il avait été réalisé et qu’il a été inséré de bonne foi pour illustrer un de ses articles ;
Que les premiers juges ont cependant justement rappelé que la bonne foi est inopérante en la matière ; qu’enfin l’appelant ne saurait prétendre que l’intimé ne pouvait ignorer l’usage qui serait fait de son visuel et que celui-ci ne pourrait être exclu du champ de la cession consentie deux ans auparavant alors, qu’ainsi que relevé par les premiers juges, la seule cession régularisée par l’auteur est intervenue au profit d’un parti politique et non de l’appelant personnellement ; qu’il ne saurait donc être admis que cette cession première, destinée à la réalisation d’une affiche contre la création de la franchise médicale, couvrait l’utilisation incriminée, et la décision entreprise ne peut qu’être approuvée en ce qu’elle a déclaré constituée l’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur ;
Considérant qu’il n’est pas discuté que le nom du photographe n’est pas mentionné, ce qui caractérise, ainsi qu’exactement retenu par les premiers juges, une atteinte au droit moral de l’auteur ;
Considérant que le tribunal a justement relevé que le préjudice patrimonial résulte du fait que le photographe n’a perçu aucune contrepartie pour la reproduction faite sans son autorisation ; que Philippe R. demande à bénéficier d’une indemnisation forfaitaire de 3000 € pour les redevances ou droits qui lui auraient été dus si l’appelant lui avait demandé l’autorisation d’utiliser son cliché ; qu’il indique que s’il avait cédé en 2007 ce visuel pour 250 € HT il s’agissait d’un geste commercial exceptionnel, qu’en l’espèce la contrefaçon a perduré pendant 9 mois et qu’il a engagé des frais de constat (750 €) non encore recouvrés en totalité, étant relevé qu’il demande la confirmation de l’inclusion de ces frais dans le remboursement des dépens de première instance ;
Considérant qu’il n’est pas sérieusement dénié que Franck B., simple particulier, n’a fait aucun usage commercial ou mercantile à son profit ni contraire à l’esprit dans lequel le cliché en cause a été créé ; qu’il ressort du constat produit que le visuel apparaissait sur son blog le 7 septembre 2009 et illustrait un article daté du 11 février 2009 intitulé “Dans le secret de l’accès aux soins en danger”, annonçant une diffusion télévisée du 12 février 2009 d’un film sur le sujet ; qu’il ne s’agissait donc pas d’une campagne publicitaire devant perdurer dans le temps, mais de la promotion ponctuelle d’une émission, demeurée accessible sur le blog quoique dépassée ;
Que si le photographe a facturé la reproduction de la même photographie 1500 € HT (1582,20 € TTC) en 2011, il s’agissait d’une diffusion mondiale sur un site de comparateur de mutuelles sur une année (juillet 2011 à juin 2012) et si le tribunal de grande instance de Paris lui a alloué 1500 € en réparation de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux dans le cadre d’une autre exploitation du même cliché par une association ayant indiqué vouloir inciter le public à la réflexion sur un débat d’actualité le contexte de publication était également distinct ; qu’il résulte des pièces produites par l’intimé qu’une autre décision du même tribunal lui a alloué 500 € en réparation de son préjudice patrimonial pour la diffusion du visuel en cause par un autre “blogueur”, et qu’il a lui-même cédé ses droits de reproduction pour le même cliché selon des prix variant selon les diffusions en cause, qu’ainsi il les a facturés 780,93 € TTC pour deux diffusions dans une émission télévisée de mars 2008, et 947,87 € HT pour une diffusion mondiale au moyen d’internet du 3 février 2008 au 30 septembre 2009 soit pour une durée de près de 18 mois ;
Considérant qu’en l’état de l’ensemble de ces éléments d’appréciation, les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice subi en la cause par Philippe R. des suites de l’atteinte à ses droits patrimoniaux a été justement, et de manière proportionnée, fixés à 500 € par les premiers juges ; que le jugement entrepris mérite également confirmation en ce qu’il a fixé à 500 € l’indemnisation de l’atteinte au droit moral d’auteur, alors qu’un photographe doit légitimement pouvoir prétendre à la reconnaissance de son travail de création par la mention de son nom ;
Considérant que, l’appelant succombant en son recours, il ne saurait être admis que l’action ou la résistance de l’intimé a revêtu un caractère dolosif, étant observé que la victime d’un acte de contrefaçon demeure libre de ne pas attraire exhaustivement tous les contrefacteurs en justice et que le non engagement de poursuites à l’encontre d’un site ayant mis à disposition l’image litigieuse ne saurait caractériser une faute à l’égard de l’appelant ; que, de même, le seul fait de demander à ce dernier le remboursement intégral d’un constat ne le concernant que pour partie ne saurait caractériser un abus ouvrant droit à indemnité compensatoire, même si ce remboursement a déjà été admis à l’encontre d’un autre “blogueur” (jugement du 25 mars 2010) au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dès lors qu’ainsi que relevé par le tribunal il n’est pas démontré que Philippe R. en a déjà été remboursé ; qu’en conséquence, la demande pour abus de droit et en dommages et intérêts “toutes causes de préjudice confondues” de l’appelant ne saurait prospérer ;
Considérant par contre que les dépens limitativement énumérés par l’article 695 du code de procédure civile ne sauraient inclure les frais d’un constat d’huissier non judiciairement autorisé et la décision entreprise sera infirmée sur ce point, étant observé que les premiers juges ont rejeté la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, laquelle n’est pas réitérée en cause d’appel par l’intimé (qui ne se prévaut pas plus des dispositions de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991) ;
Que l’appelant, partie perdante tenu à paiement, sera condamné aux dépens d’appel ; que l’avocat de l’intimé bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale peut solliciter le paiement d’une somme au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que l’intimé aurait exposé s’il n’avait pas eu cette aide ; qu’il sera fait droit à sa demande au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à hauteur de la somme de 1000 €, laquelle s’ajoutera à celle de 1000 € accordée en première instance sur ce même fondement ;
DÉCISION
Par ces motifs,
. Constate que le désistement n’a point eu lieu ;
. Reçoit Franck B. en son appel ;
. Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a dit que les dépens comprendront les frais de constat d’huissier ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
. Dit n’y avoir lieu d’inclure dans les dépens les frais du constat versé aux débats ;
. Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;
. Condamne Franck B. aux dépens d’appel et à payer, conformément aux dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à Maître Françoise Malempré, avocat, une somme de 1000 € au titre des honoraires et frais d’appel non compris dans les dépens.
La cour : M. Benjamin Rajbaut (président), Mmes Brigitte Chokron et Anne-Marie Gaber (conseillères)
Avocats : Me Irène Terrel, Me Françoise Malempré
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