Mines d’or, âmes perdues : l’histoire tragique des enfants travailleurs au Bénin

Article : Mines d’or, âmes perdues : l’histoire tragique des enfants travailleurs au Bénin
Crédit: Crédit photo Chamsou-Dine BAGUIRI
18 octobre 2024

Mines d’or, âmes perdues : l’histoire tragique des enfants travailleurs au Bénin

Des enfants béninois sont contraints de quitter l’école pour survivre en travaillant dans les mines d’or. Malgré des lois interdisant le travail des enfants, la pauvreté continue d’alimenter cette exploitation contraire aux droits humains. À travers les témoignages poignants d’Issa et Angèle, nous ne pouvons pas ignorer les abus subis par ces enfants travailleurs.

Le soleil est au zénith, débris de graviers éparpillés un peu partout sur le long du chemin. Tout en sueur, visage serré, pieds nus marchant difficilement avec une bassine remplie de pierre sur la tête. Issa âgé de 11 ans avec d’autres enfants, garçons et filles, s’en vont décharger les pierres à environ 200 mètres. Ils retournent dans un tunnel sombre pour le même exercice avec des allers-retours incalculables. Une voix d’homme d’environ la quarantaine se fait entendre au loin. « Dépêcher vous hein, il y a encore des choses à faire avant la tombée de la nuit. Si vous travaillez avec réserve, vous n’aurez pas droit à votre gain complet le soir. » Ceci se déroule dans l’une des mines de Gnagnammou. Un village situé dans l’arrondissement de Perma de la commune de Natitingou au Nord-Bénin.

Issa, originaire du village de Tonri, commune de Péhunco, a décidé de quitter sa famille à la recherche d’une vie meilleure. Pour son père, l’accès à l’éducation est devenu trop onéreux. Ce qui le pousse à travailler dans des conditions pénibles.

Exploitation dangereuse des enfants dans les mines d’or

Crédit : Chamsou-Dine BAGUIRI
Enfant travaillant sur le site d’orpaillage de Perma.

« J’ai suivi d’autres garçons de mon âge en direction de Perma, à plus de 100 km à l’Ouest. Une fois arrivé, je me suis approché d’un garçon du village pour lui demander où se trouvaient les mines. »

Issa, enfant victime d’exploitation

Ne connaissant personne, il a été difficile pour lui de trouver du travail tout de suite. Il s’est fait ami avec d’autres enfants, qui l’ont aidé à s’orienter. Après quelques jours d’errance autour du site, il a enfin été engagé comme « garçon de courses » par l’un des propriétaires. Le lendemain, « on m’a envoyé avec un autre garçon au fond d’un puits d’extraction d’or. Ma tâche consistait à apporter des outils aux mineurs et à remonter les bouteilles d’eau vides et à transporter bassines de pierres. Ainsi, je faisais la navette entre la surface et le fond du puits. Tout ceci pour une rémunération allant de 500 à 1000 francs CFA par jour », témoigne-t-il.

Il ne s’attendait pas à des conditions de travail si difficiles et dangereuses où aucune sécurité n’est garantie.

« Quand on se blesse par inadvertance, il n’y a personne pour s’occuper de nous. Toutes les fois que je me suis blessé lors du travail, le mot d’ordre était clair. Soit tu travailles pour avoir la totalité de ton gain journalier le soir ou tu t’arrêtes maintenant et tu n’auras plus rien. Nous travaillons plus de huit heures par jour sous une forte pression. »

Issa, enfant victime d’exploitation

Malgré onze mois passés à chercher à faire fortune, il a dû repartir à son village très déçu et malade. Une fois rentré, ses parents ont dû chercher de l’aide afin qu’il bénéficie des soins au risque de le perdre.

Violences sexuelles au travail

Crédit : Chamsou-Dine BAGUIRI

Originaire de Oroukayo, un village de la commune de Kouandé, Angèle est âgée de 15 ans. L’adolescente travaillait aussi Gnagnammou où elle a vécu des moments traumatisants. Elle a abandonné ses études en classe de quatrième, faute de moyens des parents. Elle espérait gagner de l’argent pour payer ses frais scolaires. Angèle avait pour objectif de faire assez d’économie afin reprendre l’école à la rentrée scolaire. Cependant, elle a subi des abus inacceptables. À travers ses larmes, elle partage son expérience.

« Je travaillais sans repos. Mon travail consistait à ramasser les cailloux dans des tunnels. Ensuite, on les pilait, les lavait puis les tamisait pour extraire l’or. Mon revenu journalier s’élève à 1000 francs par jour et parfois notre patronne ne nous donnait rien après la vente. Nous n’avons pas trouvé d’endroit où dormir et nous nous réfugions au marché et nous mangeons difficilement. Je me rappelle aussi des soirées amères où des hommes peu lucides abusaient sexuellement de nous. Je n’ai gardé aucun bon souvenir de ce lieu depuis 2022, jusqu’à mon retour dans mon village. J’ai eu la chance de rencontrer une ONG qui a décidé de m’aider à retourner à l’école. L’organisation prend en charge mes frais de fournitures scolaires et de scolarité pour la rentrée scolaire 2024-2025. »

Angèle, enfant victime d’exploitation et d’abus sur le site d’orpaillage de Gnagnammou

Les cas d’Issa et Angèle ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Leurs exemples illustrent à quel point les conditions de travail dans les mines sont cruelles et dénuées de toute humanité.

Innocent Sahagbé, coordonnateur des services psychosociaux au village d’enfants SOS de Natitingou, exprime également son inquiétude. Il observe que « des enfants effectuent des travaux aussi exigeants que ceux des adultes, souvent sous l’influence de drogues qui leur confèrent une certaine force temporaire ». Cela se déroule dans un environnement où des individus de moralité douteuse imposent leur loi aux enfants, aggravant ainsi leur situation.

Alerte sur les violations des droits des enfants

Au Bénin, le travail des enfants a fortement augmenté depuis 2008, touchant 52,5% des enfants, soit un enfant sur deux. Près de 40% de ces enfants travaillent dans des conditions dangereuses. Selon le Tableau de Bord Social de 2021, 882 enfants sont en situation de travail, dont 578 exposés aux pires formes de travail, avec la tranche d’âge la plus affectée étant celle des 10-14 ans (434 cas). L’Atacora est le troisième département le plus touché par les pires formes de travail des enfants, après le Plateau et l’Alibori.

Ces violations graves des droits des enfants portent atteinte à leur droit à l’éducation et à leur protection contre l’exploitation et les abus. Josias Dondja, juriste et conseiller en protection des enfants dans une ONG à Natitingou, souligne que « le travail est déjà risqué pour les adultes, et pour les enfants, les dangers sont encore plus grands, notamment en cas d’accidents comme des affaissements de mines ».

Kélani Soumanou, contrôleur du travail à la Direction départementale du travail de l’Atacora rappelle les normes internationales définies par l’Organisation Internationale du Travail (OIT). La convention 138 fixe à 15 ans, l’âge minimum pour commencer à travailler et la convention 182, interdit les pires formes de travail, y compris l’orpaillage, aux enfants de moins de 18 ans.

Dans les lois nationales, le code du travail et la loi du code de l’enfant déterminent l’âge d’admission au travail à 14 ans, avec un minimum de 16 ans pour les activités dangereuses. Malgré ces lois, les enfants continuent de travailler. 

Pourquoi le phénomène perdure ?

La présence de ces enfants sur les sites d’exploitation découle de plusieurs facteurs. D’abord, la pauvreté, qui les pousse à chercher de l’or pour gagner de l’argent. De plus, il y a un abandon de la responsabilité parentale. Les parents ne surveillent pas suffisamment leurs enfants et restent souvent indifférents à leurs déplacements vers ces lieux. Certains enfants se laissent également entraîner par l’exemple des autres, et la déscolarisation joue un rôle clé dans cette situation. Le Pasteur Roger Tété exprime sa tristesse face à la situation. Il confie avoir maintes fois sensibilisé à l’importance de protéger les enfants des dangers liés au travail dans les sites d’orpaillage.

« Mes collègues pasteurs et moi avions à plusieurs reprises dans nos prêches, sensibilisé les fidèles aux dangers de laisser les enfants aller dans ces mines pour y gagner de l’argent. Malheureusement, ce n’est que lorsque des enfants ont péri, victimes d’affaissements sur certains sites, que certains parents ont réalisé la gravité de la situation. »

Pasteur Roger Têtê, responsable de l’école biblique de Perma

Le pasteur déplore que malgré ces tragédies, de nombreux enfants continuent de fréquenter ces lieux dangereux qui mettent en péril leur vie.

Que fait la direction du travail de l’Atacora ?

Kélani Soumanou, contrôleur du travail dans la région, identifie aussi la pauvreté. À l’en croire, elle est la principale raison pour laquelle de nombreux enfants se retrouvent sur les sites d’orpaillage. Les parents, souvent en situation financière précaire, envoient leurs enfants travailler pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille.

De plus, le faible niveau d’éducation et d’information des parents contribue à cette tragédie. Beaucoup ignorent les conséquences néfastes du travail des enfants et l’importance cruciale de l’éducation. Par ailleurs, de nombreux enfants ne possèdent même pas d’acte de naissance. Cet état de chose complique davantage leur situation en cas d’exploitation illégale.

Le contrôleur de travail insiste sur le caractère extrêmement nuisible du travail des enfants dans ces mines. Les conditions de travail sont très dures voire dangereuses. « Si vous allez sur ces sites, vous constaterez à quel point la situation peut être horrible. C’est inacceptable de soumettre des enfants à de telles conditions, clairement en violation de leurs droits », s’indigne-t-il.

La direction du travail ainsi que la police et diverses ONG, effectuent parfois des descentes sur le terrain pour sensibiliser la population. Cependant, une fois leur intervention terminée, les pratiques réapparaissent. Leurs efforts sont entravés par l’inaccessibilité des sites et des considérations de sécurité.

Kélani Soumanou précise : « Nous concentrons actuellement nos efforts sur la sensibilisation. En raison des dangers sur le terrain, nous n’avons pas encore pu réaliser des inspections pour retirer les enfants des mines. Bien que nous ayons tenté d’intervenir dans le passé, cela a souvent été compliqué par des problèmes de sécurité. »

Quelques pistes de solutions

Pour remédier à ce fléau qui touche tant d’enfants, plusieurs pistes doivent être envisagées. Innocent Sahagbé préconise un renforcement des politiques éducatives. Pour lui, faciliter l’accès à l’éducation et proposer des programmes de soutien aux familles vulnérables est une piste à explorer. Josias Dondja, conseiller en protection de l’enfant, insiste sur l’importance de la sensibilisation continue. Informer les communautés sur les droits des enfants et les dangers liés au travail des enfants doit être le combat perpétuel de tous les acteurs de la chaine de protection des enfants. Il fait allusion au gouvernement, aux organisations de la société civile et tous les défenseurs des droits de l’homme. Des dialogues communautaires et des focus groupes bimensuels peuvent être organisés en direction des populations. Ces dernières surtout vivant dans les zones des sites aurifères doivent être sensibilisées davantage sur les dangers du travail des enfants dans les mines.

Les radios communautaires de l’Atacora peuvent également contribuer à lutter contre le travail des enfants dans les mines. Elles doivent faire de cette lutte une priorité. Ceci en intégrant dans leurs programmes, la diffusion des microprogrammes pour attirer l’attention de tous sur le respect des droits des enfants.

Il est impératif que les autorités renforcent les lois interdisant le travail des enfants et veillent à leur application rigoureuse. Il va falloir agir afin que les droits des enfants deviennent une réalité et non un simple concept. Une prise de conscience collective est essentielle pour mettre fin à cette exploitation inacceptable. Il faut mener des actions dans l’intérêt supérieur de l’enfant pour leur garantir un avenir meilleur. Les adultes et la communauté doivent prendre des résolutions à ne plus envoyer les enfants sur les sites d’orpaillage mais plutôt à l’école.

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