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Fiche N°4 Droit Const 2023-2024

Le document traite du principe de la séparation des pouvoirs dans le cadre du droit constitutionnel, en mettant en lumière son importance pour éviter le despotisme et garantir la liberté. Il présente différentes doctrines sur la séparation des pouvoirs, notamment la doctrine traditionnelle qui se compose de la spécialisation et de l'indépendance des pouvoirs, ainsi que des critiques à cette doctrine. Enfin, il souligne l'évolution de la compréhension de la séparation des pouvoirs depuis le XVIIIe siècle, en distinguant les interprétations négatives et positives du principe.
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Fiche N°4 Droit Const 2023-2024

Le document traite du principe de la séparation des pouvoirs dans le cadre du droit constitutionnel, en mettant en lumière son importance pour éviter le despotisme et garantir la liberté. Il présente différentes doctrines sur la séparation des pouvoirs, notamment la doctrine traditionnelle qui se compose de la spécialisation et de l'indépendance des pouvoirs, ainsi que des critiques à cette doctrine. Enfin, il souligne l'évolution de la compréhension de la séparation des pouvoirs depuis le XVIIIe siècle, en distinguant les interprétations négatives et positives du principe.
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UNIVERSITÉ EUROPÉENNE JEAN JAURÈS DU NIGER

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES

Licence 1 : Droit
Travaux Dirigés de droit constitutionnel 1
Chargé du cours : Dr ALASSANE Soufouyanou
Chargé de TD : M. MATY ANGO Ali

Année académique 2023-2024

Séance n°4 : Le principe de la séparation des pouvoirs


I. Bibliographie indicative
 BODINEAU P. et VERPEAUX M. (2013), Histoire constitutionnelle de la France,
Paris, PUF, 4e éd. ;

 BRAUD P. et BURDEAU F. (1992), Histoire des idées politiques depuis la


Révolution, Paris, Montchrestien, 2e éd. ;

 CHEVALLIER J.-J. (2001), Histoire des institutions et des régimes politiques de la


France de 1789 à 1958, Paris, Dalloz, 9e éd. ;

 DESLANDRES M. (1932-1937), Histoire constitutionnelle de la France, 3 vol.,


Paris ;

 A. Colin : recueil Sirey. MORABITO M. (2014), Histoire constitutionnelle de la


France (1787-1958), Paris, LGDJ, 13e éd. ;

 REMOND R. (2005), La vie politique en France depuis 1789, 2 vol., Paris, Pocket. ;

 SZRAMKIEWICZ R., BOUINEAU J. (1998), Histoire des institutions, 1750-1914,


Paris, Litec, 4e éd. ;

 VELLEY S. (2009), Histoire constitutionnelle française de 1789 à nos jours, Paris,


Ellipses, 3e éd.
II. Documents joints

 Denis BARANGER, droit constitutionnel, Paris, Que sais-je ? 6e éd. 18e


mille, pp. 70-71 ;

 Francis HAMON et Michel TROPER, droit constitutionnel, Paris, LGDJ,


35e éd. 2014, pp. 89-96.

III. Exercice
Dissertation : La séparation des pouvoirs, aujourd’hui.
2. La séparation des pouvoirs

(v. M. Troper, La Séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française,


Paris, LGDJ, 1980). L’expression de « séparation des pouvoirs » est chargée de significations
souvent contradictoires. Avant tout, il faut s’accorder sur ce que l’on entend par « pouvoir ».
Le mot peut désigner soit une faculté d’action permettant de réaliser les activités de l’État (le
pouvoir d’adopter une loi, par exemple), soit encore, non pas une faculté ou une capacité
juridique, mais un organe de l’État. Par exemple, le « pouvoir législatif » peut désigner soit le
Parlement, soit la compétence de voter les lois qui lui est confiée par la Constitution. Les deux
significations étaient en quelque sorte réunies lorsque la souveraineté n’appartenait qu’à une
seule autorité dans l’État, le monarque, et que celui-ci était l’unique détenteur de l’ensemble
des moyens juridiques permettant la réalisation de la justice et du bien commun. On ne
pouvait pas parler alors de « fonctions » de l’État, car ce terme implique une spécialisation de
l’activité étatique, certains moyens juridiques étant mis au service de certaines finalités (faire
la loi, puis l’exécuter, pour gouverner le pays ; trancher les litiges de manière à assurer la
justice…). Mais c’est dans ce contexte que l’idée de séparation des pouvoirs est apparue. Son
origine est à rechercher dans la conception pessimiste du pouvoir politique qui, née dans les
conflits constitutionnels de l’Europe du xvii e siècle, a ensuite animé les révolutions
d’Amérique et de France à la fin du xviii e siècle. Si le penchant du pouvoir est à l’abus, la
concentration des forces de l’État entre les mêmes mains accroîtra les chances de la tyrannie.
Dans sa forme première, la séparation des pouvoirs est revendiquée comme une garantie
contre l’arbitraire. Elle traduit donc une préoccupation négative – que les forces de l’État ne
soient pas monopolisées par la même personne – qui se trouve soit satisfaite, soit méconnue,
sans qu’il puisse y avoir de situation intermédiaire. C’est ce qu’énonce l’article 16 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle… la
séparation des pouvoirs [n’est pas] déterminée, n’a point de constitution. » L’exigence est
forte : il ne s’agit pas de dire qu’à défaut de séparation des pouvoirs la constitution est de
mauvaise qualité, mais qu’il n’y a pas de constitution du tout. Mais le problème du
gouvernement libre n’est pas résolu du seul fait que l’on a fractionné la puissance de l’État en
différentes fonctions et partagé leur exercice entre plusieurs organes. Ce que les
révolutionnaires américains virent les premiers, c’est que certaines formes de distribution des
moyens juridiques de l’État entre ses parties constituantes ne garantissaient pas de la tyrannie,
tant qu’il restait possible à l’un des organes de dominer les autres. Ainsi – aux yeux des
républicains américains qui le combattent pendant la guerre d’indépendance –, le régime
britannique, qui avait pourtant contraint le roi à exercer la puissance législative en commun
avec les deux chambres du Parlement, n’avait pas échappé à cette dérive tyrannique. Dans une
république, même, rien ne prévenait une identique captation du pouvoir par un exécutif élu,
voire par une assemblée délibérante : « L’accumulation de tous les pouvoirs, législatif,
exécutif et judiciaire entre les mêmes mains, qu’elles soient d’un seul, de quelques-uns ou de
plusieurs, autodésigné ou élu, peut à juste titre être dite la définition même de la tyrannie »
([Madison], Fédéraliste, no 47). La question de la séparation des pouvoirs devient alors une
question positive : quelle configuration donner à l’architecture des organes et au réseau des
fonctions étatiques pour assurer la liberté ? La question même connaît quelques grandes
réponses, qui sont autant de types possibles du gouvernement légitime.

§ 2. Le principe de la séparation des pouvoirs

80. « La séparation des pouvoirs » est avant tout un principe de technique constitutionnelle
destinée à éviter le despotisme et à garantir la liberté. Tous les auteurs hostiles au despotisme
en préconisent donc l’application, mais tous cependant ne le conçoivent pas de la même
manière et l’on peut en distinguer deux interprétations très différentes, au point qu’on doit
considérer qu’il s’agit en réalité de deux principes et même de deux doctrines radicalement
différentes. On exposera d’abord celle qui a été professée par les juristes modernes, depuis la
deuxième moitié du XIXe siècle et qu’on appellera par commodité, parce qu’elle est acceptée
par un très grand nombre d’auteurs, la doctrine traditionnelle, puis les critiques qui peuvent
être formulées contre cette thèse et enfin la doctrine du XVIIIe siècle, qui a marqué les
constitutions de l’époque révolutionnaire.

A. La doctrine traditionnelle
81. Selon cette doctrine, le principe est lui-même composé de deux règles distinctes, la règle
de la spécialisation et la règle de l’indépendance, dont la combinaison doit procurer le résultat
souhaité, la liberté.

1. La règle de la spécialisation

82. L’État exerce ou doit exercer trois activités : il fait la loi, il l’exécute et il tranche les
litiges. Il a donc trois fonctions, législative, exécutive et juridictionnelle. Selon une variante
de cette doctrine, ces fonctions sont au nombre de deux seulement, la fonction exécutive étant
subdivisée elle-même en une fonction administrative et une fonction juridictionnelle. Quoi
qu’il en soit, il y aura trois autorités ou organes de l’État (ou seulement deux si l’on n’admet
que deux fonctions) et chacun d’eux sera spécialisé dans l’exercice de l’une des fonctions.
Cette spécialisation signifie que chacune des autorités devra exercer une fonction, mais
qu’elle ne devra en exercer qu’une seule, mais l’exercer tout entière. En revanche, elle ne
devra se mêler d’aucune manière des autres fonctions. Dans une version forte de la doctrine,
on considère que chaque autorité ou organe est investi d’un pouvoir spécifique, nécessaire à
l’exercice de sa fonction et on le désignera par le nom de ce pouvoir. Il y aura donc un
pouvoir législatif, un pouvoir exécutif, un pouvoir judiciaire.

2. La règle de l’indépendance

83. Mais, les pouvoirs ne resteraient pas longtemps spécialisés si l’un d’eux pouvait exercer
des pressions sur le titulaire de l’autre. Si par exemple, le pouvoir exécutif pouvait nommer et
révoquer à sa guise les titulaires du pouvoir législatif, c’est lui qui exercerait indirectement ce
pouvoir et il n’y aurait plus de spécialisation. Il faut donc que les autorités ou organes soient
mutuellement indépendants, ce qui signifie en pratique que les individus qui composent
chacune de ces autorités ne doivent pas être nommés par les autres organes et surtout qu’ils ne
doivent pas être discrétionnairement révocables par eux. Cela interdit donc notamment la
responsabilité ministérielle et la dissolution. On rattache parfois à cette règle l’interdiction de
contacts physiques entre les organes – ainsi, l’interdiction pour un membre de l’Exécutif de
prendre la parole dans les assemblées – et l’indépendance financière – aucune autorité ne
devant attendre ses crédits de la bonne volonté d’une autre –, et même une prescription de
sécurité militaire, chaque autorité devant disposer d’une garde armée distincte pour se
prémunir contre les tentatives violentes des autres.

3. Le résultat attendu
84. Le résultat, attendu de la combinaison des deux règles est que, selon une formule reprise
de Montesquieu par la plupart des auteurs, « le pouvoir arrête le pouvoir » : une tentative de
l’une des autorités pour devenir despotique se heurterait immédiatement à l’opposition d’une
autre autorité. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif se feront mutuellement équilibre de
sorte que la liberté des sujets sera préservée.

B Les critiques à la doctrine traditionnelle

85. La doctrine traditionnelle s’est d’abord heurtée à des critiques diverses et d’ailleurs
incompatibles entre elles, liées à la théorie de la souveraineté : la 90 Droit constitutionnel
séparation des pouvoirs ainsi entendue est contraire au principe fondamental de l’indivisibilité
de la souveraineté. Par conséquent ou bien l’unité de la souveraineté se reconstitue
nécessairement au profit de l’un ou l’autre des pouvoirs et le but est manqué, ou bien les
tentatives pour briser la souveraineté n’aboutissent qu’à la détruire et comme il n’y a pas
d’État sans souveraineté, c’est l’anarchie. D’autres donnent à leurs objections une apparence
plus instrumentale et soutiennent ou bien que les conflits se résoudront par des coups d’État
ou bien que les oppositions entre les pouvoirs aboutissent à paralyser l’État. On verra
cependant que cette dernière objection ne peut être retenue, compte tenu de la critique
décisive de Raymond Carré de Malberg.

La démonstration de Carré de Malberg est d’une grande simplicité : tout d’abord, comment
des pouvoirs spécialisés et indépendants et pour ainsi dire sans aucun contact les uns avec les
autres, pourraient-ils s’arrêter l’un l’autre et se faire équilibre ? Un tel équilibre serait déjà
difficilement concevable si les fonctions qu’ils exercent étaient équivalentes. Mais elles ne le
sont pas et il est même tout simplement absurde de prétendre que l’activité qui consiste à faire
les lois pourrait être équivalente à celle qui consiste à les exécuter. En réalité, l’exécution est
bien évidemment, par définition même, subordonnée à la législation. Mais alors, si les
fonctions sont ainsi hiérarchisées et les organes spécialisés, il s’ensuit naturellement que celui
qui exerce la fonction la plus élevée est supérieur aux autres. Selon la formule de Carré de
Malberg, la hiérarchie des organes suit la hiérarchie des fonctions et jamais un pouvoir
subordonné ne pourra arrêter un pouvoir supérieur (Carré de Malberg, 1922, t. II, p. 109-142).
À ces critiques, il importe d’en ajouter deux autres : en premier lieu, la séparation des
pouvoirs que décrit la doctrine traditionnelle est généralement imputée à Montesquieu,
quoique certains auteurs en cherchent les germes chez des auteurs antérieurs, Locke ou
Bolingbroke. Or, comme l’a montré Charles Eisenmann de manière irréfutable, le système
préconisé par Montesquieu est en réalité entièrement différent et même radicalement opposé à
celui de la séparation des pouvoirs (Eisenmann, 1933 ; Troper, 1980). Il reste cependant que
l’on trouve dans le texte de nombreuses constitutions ou des déclarations des droits, des
références à la « séparation des pouvoirs ». La plus célèbre et la plus importante est celle de
l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 : « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de
constitution. » Comment comprendre dans ces conditions, qu’un principe aussi absurde ait pu
trouver une consécration aussi solennelle ? Comment peut-on concevoir qu’un principe,
étranger à Montesquieu, ait été brusquement inventé et érigé au niveau d’un dogme de
politique constitutionnelle ? Deux sortes d’explications peuvent alors être avancées : selon la
première, les hommes de la Révolution française auraient mal lu l’Esprit des Lois ; alors que
Montesquieu entendait le principe d’une manière souple, les révolutionnaires en auraient, par
esprit de système, donné une interprétation rigide. Selon la seconde explication, envisagée
sous l’angle historique la séparation des pouvoirs dont il est question dans la Déclaration des
droits de l’Homme de 1789 n’a aucun rapport avec la séparation des pouvoirs de la doctrine
Le pouvoir 91 traditionnelle. Les termes sont les mêmes, mais il s’agit d’une doctrine
différente. L’expression a tout simplement, depuis cette époque, changé de sens.

C La séparation des pouvoirs au XVIIIe siècle

86. En réalité, ce qu’on entend par séparation des pouvoirs au XVIIIe siècle – et cela d’une
manière unanime – c’est un principe entièrement négatif. Lorsqu’on recommande la
séparation des pouvoirs, on n’indique pas de quelle manière les fonctions doivent être
réparties, mais seulement de quelle manière elles ne doivent pas l’être. Les auteurs du XVIIIe
siècle partent d’une distinction des fonctions et formulent ensuite le principe dans des termes
analogues.

1. La distinction des fonctions législative et exécutive

87. Elle est ancienne, en tout cas antérieure à Montesquieu, car on la trouve formulée dans des
termes semblables chez Locke. Elle découle en réalité d’une métaphore anthropomorphique :
de même qu’on distingue chez l’Homme la tête et les bras ou la volonté et l’action, de même
on distingue dans l’État le pouvoir législatif, qui est la volonté et le pouvoir exécutif, qui est
l’action. Parfois, l’on distingue une troisième fonction, la fonction juridictionnelle, qu’on
appelle aussi parfois « judiciaire » et qu’on présente comme une espèce de fonction
exécutive ; c’est l’exécution des lois dans le but de trancher des litiges. C’est cette distinction
que formule à peu près Montesquieu lorsqu’il écrit : « Il y a dans chaque État trois sortes de
pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit
des gens et la puissance des choses qui dépendent du droit civil. Par la première, le prince ou
le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours et corrige ou abroge celles qui sont
faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la
sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes ou juge les différends des
particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger et l’autre simplement la
puissance exécutrice de l’État » (Esprit des Lois, Livre XI, chap. 6). Mais c’est Rousseau qui
la présente de la manière la plus claire « Toute action libre a deux causes qui concourent à la
produire, l’une morale, savoir la volonté qui détermine l’acte, l’autre physique savoir la
puissance qui l’exécute. Quand je marche vers un objet, il faut premièrement que j’y veuille
aller ; en second lieu que mes pieds m’y portent. Qu’un paralytique veuille courir ; qu’un
homme agile ne le veuille pas ; tous deux resteront en place. Le corps politique a les mêmes
mobiles, on y distingue de même la force et la volonté, celle-ci sous le nom de puissance
législative, l’autre sous le nom de puissance exécutive. Rien ne s’y fait ou ne doit s’y faire
sans leur concours » (Contrat social, Livre III, chap. 1). Cette distinction implique clairement
la reconnaissance d’une hiérarchie entre les deux fonctions puisque l’exécution est
évidemment subordonnée à la création. 92 Droit constitutionnel

2. Le contenu du principe de la séparation des pouvoirs : la règle négative ou


l’interdiction du cumul

88. Il est extrêmement simple : il ne faut pas remettre tous les pouvoirs à un même individu
ou un même groupe d’individus. C’est ce principe qu’énonce Montesquieu : « Lorsque dans la
même personne ou le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la
puissance exécutrice, il n’y a point de liberté, parce qu’on peut craindre que le même
monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement ».
Montesquieu ne l’avait d’ailleurs ni inventé ni découvert. On le trouve déjà chez Locke : « Ce
serait provoquer une tentation trop forte pour la fragilité humaine, sujette à l’ambition que de
confier à ceux-là même qui ont déjà le pouvoir de faire les lois, celui de les faire exécuter ». Il
est d’ailleurs frappant de constater que Rousseau, souvent considéré aujourd’hui comme un
adversaire de Montesquieu et de la séparation des pouvoirs, énonce une formule semblable : «
il n’est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son
attention des vues générales pour les donner aux objets particuliers ». C’est donc une doctrine
unanimement acceptée au XVIIIe siècle et il faut en souligner trois aspects : En premier lieu,
le principe est seulement négatif : il ne faut pas donner tous les pouvoirs à un seul, parce qu’il
en abuserait. Il faut éviter à tout prix le cumul, qui serait le despotisme même. Autrement dit,
il faut absolument que les pouvoirs soient répartis – ou, dans la langue du XVIIIe siècle, «
séparés » ou « divisés » ou encore « distribués » – entre plusieurs autorités. Peu importe de
quelle manière ils seront séparés – cela sera l’objet d’un autre principe – pourvu qu’ils le
soient. En deuxième lieu, le principe ne se confond nullement avec la règle de la
spécialisation. Certes, s’il y a deux autorités spécialisées l’une dans la fonction législative et
l’autre dans la fonction exécutive, l’interdiction du cumul sera respectée, mais elle le sera
également si l’on adopte un autre mode de répartition, si par exemple on donne à une autorité
une partie d’une fonction et une partie d’une autre. La spécialisation est donc l’une des
manières dont on peut satisfaire au principe, l’un des procédés possibles de répartition des
fonctions, mais seulement l’un d’eux. En troisième lieu, il n’est évidemment question ici ni
d’indépendance, ni d’équilibre, mais dès lors que les pouvoirs sont répartis entre plusieurs,
quelle que soit la manière dont ils le sont, le despotisme est impossible, ne serait-ce que parce
que celui qui exécute ne peut pas modifier la loi au gré de ses caprices. Il ne peut qu’exécuter
une loi antérieure. Celui qui lui obéit n’obéit en définitive qu’à la loi, ce qui est la définition
de la liberté.

89. Séparation des pouvoirs et classification des régimes politiques. – On peut utiliser le
principe de la séparation des pouvoirs pour classer les régimes politiques. On peut d’abord
opposer ceux dans lesquels le pouvoir est tout entier concentré entre les mains d’un homme
ou d’un groupe d’hommes et ceux dans lesquels il existe une séparation des pouvoirs. Les
difficultés commencent lorsqu’il s’agit de distinguer parmi les régimes de séparation des
pouvoirs.

1) La doctrine moderne, on l’a vu, comprend la séparation des pouvoirs comme un système
dans lequel des organes spécialisés et indépendants se font équilibre. Elle oppose alors les
systèmes dans lesquels le principe est appliqué de manière rigide et ceux qui admettent
quelques assouplissements ou quelques exceptions. Dans la première catégorie, elle place la
Constitution américaine de 1787, les constitutions françaises de 1791 et de l’an III et
quelquefois celle de 1848, et dans la seconde catégorie, toutes les autres. Cette classification
présente plusieurs inconvénients. En premier lieu, elle est fondée sur une conception
discutable de la séparation des pouvoirs, puisqu’il est impossible de réaliser un équilibre entre
un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif spécialisés. En deuxième lieu, elle laisse en dehors
de la classification les systèmes qui rejettent le principe de la séparation des pouvoirs ainsi
entendu, par exemple le système soviétique, ou qui reposaient sur une tout autre conception
de ce principe, comme la constitution française de 1793 (v. infra no 329). En troisième lieu,
elle rend impossible tout classement rigoureux parce que la séparation rigide n’est réalisée en
pratique dans aucun régime politique, de sorte que tous les systèmes lui apportent
nécessairement des exceptions et peuvent ainsi être indifféremment placés dans l’une ou
l’autre catégorie. On le voit bien à propos du régime américain, considéré tantôt comme un
système de séparation souple dans les manuels de droit américain, tantôt comme un système
de séparation rigide des pouvoirs, dans les manuels français.

2) Au XVIIIe siècle, comme ce principe était compris uniquement de manière négative – il se


borne à indiquer de quelle manière les fonctions ne doivent pas être attribuées – on
comprenait qu’il devait être complété par un principe positif. S’il existait un accord très
général sur le principe négatif, deux procédés positifs de répartition des compétences avaient
chacun leurs partisans. Le premier et le plus simple consistait à spécialiser les autorités, l’une
dans la fonction législative, l’autre dans la fonction exécutive. Il devait en résulter, en raison
de la hiérarchie des fonctions, une subordination de l’autorité exécutive au pouvoir législatif.
Ce système est préconisé par les démocrates, parce que le pouvoir législatif devait, dans leur
esprit, être le peuple lui-même ou ses représentants. C’est donc celui qui est exposé par
Rousseau et ses successeurs. Dans le vocabulaire du XVIIIe, il est parfois appelé d’un terme,
qui aujourd’hui a une signification radicalement différente, celui de « séparation absolue des
pouvoirs ». Le second système, appelé balance des pouvoirs est plus complexe : ses partisans
reprochent au procédé de la spécialisation d’être instable. En effet, soutiennent-ils, le pouvoir
législatif exercera une prédominance si forte sur l’autorité exécutive, qu’il sera en mesure de
concentrer entre ses mains l’exercice des deux fonctions, c’est-à-dire de devenir despotique.
Ce système ne pourrait se maintenir que par la vertu des gouvernants. Mais, si l’on connaît les
hommes et leurs passions, on ne peut raisonnablement compter qu’ils seront durablement
vertueux. Il faut donc, estiment-ils, construire un système stable, un système si bien construit
qu’il ne puisse être détruit, quelles que soient les passions des hommes. Mieux, ce système
doit être fondé non sur la vertu, mais sur les vices. La solution est inspirée de la constitution
anglaise, une constitution anglaise idéalisée, telle que, à la suite de Montesquieu, la décrivent
de très nombreux 94 Droit constitutionnel auteurs. Elle consiste à réaliser un équilibre, non
pas entre un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif, ce qui est évidemment impossible, mais
entre plusieurs autorités, qui participent toutes à la fonction législative. Ces autorités sont
donc des organes législatifs partiels. Dans la Constitution anglaise, ces trois autorités sont une
Chambre élue, la Chambre des communes, une Chambre nobiliaire, et, grâce à un droit de
veto, le roi, qui exerce par ailleurs, mais seul, la fonction exécutive. Dans ce système, il n’y a
pas de spécialisation, puisque le roi exerce entièrement une fonction et participe à l’exercice
d’une autre, mais le principe de la séparation des pouvoirs est préservé, puisque aucune
autorité n’exerce tous les pouvoirs. L’équilibre se maintiendra entre les trois organes
législatifs, dont les intérêts politiques et économiques sont opposés. Il sera par exemple
impossible aux deux Chambres d’usurper le pouvoir exécutif, parce que si elles proposent une
loi en ce sens, le roi, titulaire d’un pouvoir exécutif qu’il voudra défendre, s’y opposera
immanquablement. On peut donc classer les constitutions de la fin du XVIIIe siècle et du
début du XIXe siècle selon qu’elles réalisent une spécialisation ou une balance des pouvoirs.
Dans la première catégorie, on ne trouvera d’ailleurs guère que la Constitution de 1793, dans
la seconde la Constitution américaine de 1787, la Constitution française de 1791, les chartes,
la Constitution belge de 1830 et de nombreuses autres. La Constitution française de l’an III,
qui a entendu réaliser un équilibre, mais entre les Chambres seulement, appartient à un type
intermédiaire (v. infra no 330). Cette classification n’est cependant pas utilisable pour les
régimes modernes, notamment parce que ceux-ci, lorsqu’ils entendent réaliser un équilibre, ne
prétendent plus le faire par le partage du pouvoir législatif, mais par des techniques d’action
réciproques, que la classification du XVIIIe siècle ne prenait pas en compte. Il faut donc
envisager les classifications modernes.

90. Les formes modernes de séparation des pouvoirs. – On utilise aussi aujourd’hui
l’expression « séparation des pouvoirs » dans d’autres sens multiples et à vrai dire pas
toujours très rigoureux. Il s’agit d’abord d’un sens très large, proche du principe négatif, par
lequel on désigne une répartition des compétences jugée protectrice de certaines libertés.
Ainsi, on appelle quelquefois séparation verticale des pouvoirs une organisation fédérale ou
fortement décentralisée de l’État. Cette séparation est dite « verticale » parce que les
compétences sont réparties entre un État central ou fédéral et les collectivités qui en sont les
composantes. L’expression est cependant trompeuse si elle conduit à désigner la séparation
traditionnelle des pouvoirs législatif et exécutif comme une séparation « horizontale », c’est-
à-dire entre pouvoirs égaux. Mais, employée seule, elle indique bien que les pouvoirs peuvent
être législatifs, exécutifs, juridictionnels, voire constituants, aussi bien au niveau des
collectivités composantes qu’au niveau fédéral, et néanmoins distincts et hiérarchisés. La
garantie des libertés n’est pas attendue ici d’un équilibre entre organes, mais simplement de ce
que les décisions seront en principe adoptées de la manière la plus efficace possible et par
l’autorité la plus proche de ceux qui leur seront soumis. Le pouvoir 95 Mais si l’on reste
attaché à la distinction traditionnelle des fonctions législative, exécutive et juridictionnelle on
peut parler de séparation des pouvoirs, au sens large toujours, pour désigner non la
combinaison de la spécialisation et de l’indépendance, mais la seule spécialisation ou la seule
indépendance. Il s’agit d’un usage à des fins pratiques ou à des fins théoriques lorsqu’il s’agit
de justifier ou critiquer certaines pratiques. C’est ainsi que « séparation des pouvoirs » peut
signifier soit la seule spécialisation – séparation fonctionnelle – soit la seule indépendance –
séparation organique. Certains disent par exemple que la subordination du parquet au pouvoir
exécutif est conforme à la séparation fonctionnelle des pouvoirs, parce que les activités du
parquet relèvent de la fonction exécutive, d’autres qu’elle est contraire à ce principe parce
qu’elles relèvent plutôt de la fonction juridictionnelle. Certains invoquent le principe de
séparation organique pour soutenir que les autorités exécutives doivent être mises au moins
temporairement à l’abri des poursuites judiciaires sous peine de perdre leur indépendance. On
peut d’ailleurs utiliser le principe de séparation fonctionnelle pour soutenir le contraire, en
affirmant que les autorités juridictionnelles doivent exercer pleinement leur fonction. C’est
encore dans ce sens qu’on parle en France de séparation des pouvoirs pour désigner la
répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions administratives et judiciaires.
On emploie « séparation des pouvoirs » au sens large à des fins théoriques dans la
classification habituelle des régimes politiques, lorsqu’on définit le régime présidentiel
comme un régime de séparation rigide des pouvoirs : la séparation y est considérée comme
rigide, bien que les autorités ne soient pas spécialisées, mais parce qu’elles sont mutuellement
indépendantes. De même, le régime parlementaire est appelé « séparation souple des pouvoirs
», bien que les autorités ne soient pas indépendantes, mais parce qu’elles sont plus ou moins
spécialisées. De même, on parle aussi de séparation des pouvoirs dans les États modernes où
certaines compétences qui étaient exercées jusque-là par le pouvoir exécutif sont confiées par
la loi à des autorités qui restent administratives mais sont organiquement indépendantes du
gouvernement. Il s’agit dans ce cas d’une séparation de plusieurs pouvoirs exécutifs (v. infra
no 149). Mais il peut arriver que ce soit la constitution qui institue des autorités indépendantes
du gouvernement, mais aussi du Parlement, pour leur attribuer des fonctions diverses mais qui
n’entrent pas facilement dans les cadres habituels. Dans certains États, la banque centrale est
instituée par la constitution pour garantir qu’elle décidera de la politique monétaire
indépendamment du pouvoir politique. Plusieurs pays d’Amérique latine connaissent une
institution chargée de l’organisation des élections et qui peut être composée de magistrats
mais aussi parfois de représentants désignés par les partis politiques.

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