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Kamala Harris L Héritière 1st Edition Alexis Buisson Instant Download

Le document présente une analyse de la vice-présidence de Kamala Harris, soulignant son rôle historique en tant que première femme et première personne d'origine afro-américaine à occuper ce poste. Il aborde les défis auxquels elle fait face dans un contexte politique complexe et les attentes pour son avenir, notamment en tant que potentielle candidate à la présidence. Le texte met en lumière l'importance de son identité et de ses convictions dans le paysage politique américain actuel.

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Kamala Harris l héritière 1st Edition Alexis

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E-ISBN 978-2-8098-4254-8
Copyright © L’Archipel, 2023.
du même auteur

S’installer à New York, Héliopoles, 2018.


Sommaire
Couverture

Page de titre

Page de copyright

Du même auteur

Préface

Prologue

1 - Le symbole à l'épreuve du pouvoir

2 - La construction d'une identité

3 - Naissance d'une femme politique

4 - En route pour la présidence

Épilogue

Remerciements
Préface

« À un battement de cœur de la Maison-Blanche. » C’est


l’expression consacrée pour souligner une évidence : s’il arrive
malheur au président des États-Unis, il reviendra à celui ou celle
qu’il a choisi comme colistier lors de son élection de reprendre
instantanément le flambeau et de s’installer dans le Bureau
ovale jusqu’au terme du mandat. Et ce, quelle que soit la cause
de cet accident de parcours : décès, démission ou destitution.
Cette redistribution spectaculaire du pouvoir est intervenue à
de nombreuses reprises depuis la naissance de la nation
américaine. Avec des conséquences très importantes, et pas
seulement pour nos amis d’outre-Atlantique. Car, à l’évidence,
ce qui se passe à la Maison-Blanche concerne l’ensemble de la
planète, pour le meilleur et pour le pire. Curieusement, l’opinion
ne semble pas très sensible à cet aspect des choses. C’est
pourtant une particularité très remarquable. Mais, après tout, on
vote pour son champion pour de bonnes ou de mauvaises
raisons, selon l’époque, et on oublie très vite le rôle éminent
que devra tenir son vice-président, sorte d’alter ego en cas de
défaillance du commandant en chef. L’électeur n’imagine pas,
chaque matin en s’éveillant, que l’occupant du Bureau ovale
peut disparaître du jour au lendemain, même si Joe Biden,
quatre-vingts ans, et à qui on souhaite longue vie, n’est pas à
l’abri d’un accident de santé. Le choix du vice-président compte
énormément pendant la campagne électorale, pour des raisons
symboliques ou géographiques. Il ou elle est sur le « ticket »
pour faire gagner des voix, ici ou là, dans tel ou tel État, dans
telle ou telle communauté. Mais son rôle s’arrête souvent là, à
quelques notables exceptions près.
Les Américains devraient de temps en temps réviser leur
histoire, même récente, et s’intéresser sérieusement aux
conséquences d’un transfert de pouvoir impromptu.
Lorsque Richard Nixon doit démissionner à l’été 1974 à la
suite de son inconduite dans le triste scandale du Watergate, il
abandonne le pouvoir deux ans avant le terme de son mandat.
Son successeur, le vice-président, se nomme Gerald Ford. Il est
plus connu dans sa ville natale, Grand Rapids, Michigan, qu’à
Washington. C’est un fort brave homme, une sorte d’antithèse
de Nixon qui est « le prince des Ténèbres ». La tâche qui
l’attend est lourde. Le Watergate a fait des dégâts. Le tout-
Washington ne le prend guère au sérieux. On se moque de lui,
cruellement. Gerald Ford ne peut, dit-on, « marcher et mâcher
son chewing-gum en même temps ». Sous entendu : cet ancien
joueur de football, qui a la fâcheuse tendance de trébucher en
toute occasion, a reçu trop de coups sur les terrains de sport
pour avoir conservé un cerveau en état de marche. Il
n’empêche qu’il parviendra en partie à réconcilier ses
concitoyens après le naufrage de Richard Nixon.
D’autres personnages illustrent l’importance de la vice-
présidence lors d’un transfert du pouvoir au plus haut niveau.
C’est à bord d’Air Force One, l’avion qui ramène à Washington la
dépouille du président John F. Kennedy, quelques heures
seulement après la fusillade de Dallas, que Lyndon B. Johnson
endosse avec talent et énergie sa succession. Et Johnson,
pendant les cinq années suivantes, parviendra à mener à bien
des réformes essentielles, notamment en termes de droits
civiques.
Autre exemple, là encore dans des circonstances d’une
exceptionnelle gravité pour l’Amérique et le reste du monde :
lorsqu’en avril 1945 Franklin D. Roosevelt, trente et unième
président des États Unis, s’éteint au terme d’une vie épuisante,
incendiée par la maladie, c’est Harry Truman qui reçoit la charge
de mettre un terme à la Seconde Guerre mondiale et d’éviter
une épouvantable saignée à des centaines de milliers de jeunes
soldats américains, engagés en Europe et dans le Pacifique. Sa
détermination et sa force de caractère impressionneront ses
concitoyens qui le maintiendront à la Maison-Blanche pour un
second mandat. Truman est un homme modeste, ancien
propriétaire d’une mercerie à Kansas City, qui a fait faillite et est
finalement entré au Sénat. C’est un chaud partisan de Roosevelt
qui finira par lui proposer la vice-présidence. Une offre qu’il a
d’ailleurs refusée dans un premier temps. Ce petit homme,
adepte des chapeaux à larges bords, s’est hissé instantanément
à la hauteur de sa tâche. Personne, en tout cas, n’aurait parié
sur sa réélection en 1948, tant le personnel politique et les
médias continuaient de voir en lui un simple provincial du Sud,
arrivé par le plus grand des hasards au sommet de l’État.
Grossière erreur : il a gouverné jusqu’en 1952, laissant la
succession à Eisenhower.
Quel sera donc le destin de Kamala Harris, 49e vice-président
des États-Unis, première femme et première personne d’origine
afro-américaine à accéder à cette fonction ? La colistière de Joe
Biden, après deux années à son poste, reste un personnage
mystérieux. Il est de bon ton d’affirmer qu’elle n’a pas encore
trouvé sa place auprès du président et de son entourage, qu’elle
« n’imprime pas », comme on dit de manière assez simpliste. Il
est vrai que le très rusé Biden, virtuose de la chose politique,
semble tenir à distance l’impeccable numéro 2 qu’il s’est choisie
dans la chaleur de la campagne de 2020, face à l’ogre Trump. Et
il lui a confié quelques dossiers impossibles à régler, comme
celui de l’immigration. Une question qui ronge et grignote les
meilleurs cerveaux, et pas seulement en Amérique. Pendant
cette campagne électorale insensée, Kamala Harris a fait ses
preuves : sang froid, détermination, compétence, tolérance,
courtoisie, respect de l’adversaire, quel qu’il soit. Une fraîcheur
bienvenue dans un paysage dont la toxicité n’a guère diminué
depuis que Donald Trump, à force de cynisme, de mensonges et
de bouffissure égomaniaque, a polarisé le débat politique et mis
en danger l’une des plus belles démocraties du monde.
Joe Biden se présentera-t-il pour un second mandat ? Donald
Trump parviendra-t-il encore une fois à circonvenir le Parti
républicain pour arriver à ses fins et se venger des humiliations
subies ? L’Amérique découvrira-t-elle de nouveaux talents,
d’autres femmes et d’autres hommes pour s’inventer un avenir ?
L’extrême volatilité des esprits, parvenue à un niveau
d’exaspération sans précédent, redescendra-t-elle la pente vers
plus de rationalité ? Nul ne le sait. Alors, que deviendra Kamala
Harris ? Ses atouts sont nombreux, si elle parvient, à temps, à
exprimer un projet pour l’Amérique. Se déclarer « centriste »,
aujourd’hui, ne constitue sûrement pas un passeport pour la
Maison-Blanche. Est-elle capable, comme son ami Obama,
d’exprimer une vision pour le futur ? Incarne-t-elle une
modernité multiculturelle indispensable, alors que la division
semble régner sur le pays ? En tout cas, elle a prouvé qu’elle
avait de solides convictions et a montré lors de son ascension
en Californie qu’elle savait ce qu’elle voulait et surtout comment
s’y prendre. Elle n’existait pas. Elle existe aujourd’hui. L’une des
grandes qualités du livre que vous tenez entre les mains, c’est
de vous aider à comprendre ce qu’est réellement la politique
américaine, à tous les niveaux de pouvoir.
Que veut Kamala Harris ? Harry Truman, encore lui, fabriquait
à la chaîne ses propres aphorismes. Sans doute parce que, trop
pauvre pour aller à l’université, il s’était cultivé lui-même. Parmi
les perles dont il est l’auteur, celle-ci : « Quand on n’aime pas la
chaleur, on n’a rien à faire dans la cuisine. » Une pensée que
médite probablement ces temps-ci Kamala Harris.
Les obstacles à son accession au pouvoir suprême sont
cependant légion. Certes, en tant que vice-présidente, elle a
servi d’arbitre au Sénat – et l’on sait à quel point les batailles
ont été rudes pour l’administration Biden dont le programme
législatif n’a tenu qu’à sa double voix pour avancer : des
milliards de dollars ont été votés pour rénover les infrastructures
vieillissantes du pays, pour faire avancer l’Amérique sur la voie
de la lutte contre le réchauffement climatique, pour désendetter
des millions d’étudiants étranglés par le remboursement de
leurs dettes… Kamala Harris peut incarner tous ces combats et
les faire siens dans l’avenir. Lorsqu’elle évoque la maladie
mortelle de l’Amérique, le racisme, elle sait de quoi elle parle,
intimement. Lorsqu’elle aborde un autre poison qui fracasse
chaque année des milliers de vies, à savoir la violence
endémique qui caractérise le pays, elle peut s’enorgueillir de son
attitude ultrasécuritaire dans son État natal, lorsqu’elle était
procureure générale de Californie.
C’est une femme et c’est sans doute pour cela que Joe Biden
l’a choisie. Pas pour son expérience politique. En tout cas, elle a
fait ses preuves et il semble que, depuis la courte défaite
d’Hillary Clinton face à Donald Trump en 2016, l’horloge tourne
dans le bon sens. Le pays, même s’il n’en a pas encore tout à
fait conscience, attend une femme pour le diriger. N’allez pas
croire que je voue un culte sans limite à ce cher Harry Truman.
Mais, si vous le permettez, une dernière anecdote à son sujet.
Le jour où il quitte la Maison-Blanche, il écrit une lettre à sa fille
adorée, Margaret : « Il y a une épitaphe qui me plaît beaucoup.
Elle figure sur la tombe d’un illustre inconnu, Jack Williams, au
cimetière de Boot Hill, à Tombstone, Arizona. On peut y lire :
“Ici repose Jack Williams. Il a fait de son mieux. Que peut-on
faire de plus ?” Kamala Harris peut faire davantage. Se faire
mieux connaître du public et nous révéler une certaine idée de
l’Amérique. Le pays en a besoin pour très bientôt, en 2024.

Jean-Luc Hees
prologue

Washington, le vendredi 19 novembre 2021 au matin. Joe


Biden prend la direction de l’hôpital militaire Walter Reed. Il doit
y effectuer une coloscopie de routine, qui nécessite de le placer
sous anesthésie. Auparavant, il doit régler un léger détail : son
remplacement temporaire à la présidence des États-Unis.
Conformément à la Constitution américaine, il informe Nancy
Pelosi et Patrick Leahy, respectivement numéros trois et quatre
de l’État fédéral en leur qualité de présidente de la Chambre des
représentants et de président pro tempore du Sénat, de sa
décision de transférer le pouvoir présidentiel à la vice-
présidente, Kamala Harris, jusqu’à ce qu’il reprenne
connaissance. Il est 10 h 10 quand, pour la première fois, une
femme devient officiellement le personnage le plus puissant des
États-Unis.
L’intérim est de courte durée – quatre-vingt-cinq minutes au
total. Pendant ce laps de temps, aucune mauvaise surprise ne
survient : la « VP » se contente de travailler à quelques pas du
Bureau ovale de la Maison-Blanche. Certes, cet éphémère
transfert des pouvoirs ne lui a pas conféré le titre suprême, mais
la dimension symbolique de ce geste ne peut être négligée. Un
bref instant à l’échelle de l’Histoire, toute une nation s’est
souvenue qu’une femme – qui plus est de couleur – était la
première personne dans l’ordre de succession présidentielle.
« Chaque moment durant lequel elle parle au nom du pays est
historique, affirme Jen Psaki, la porte-parole de la Maison-
Blanche, lors de son point presse quotidien. Ce jour a sans nul
doute ouvert un nouveau chapitre. Il restera gravé pour de
nombreuses femmes à travers le territoire1. »
L’épisode demeure l’un des moments forts de la première
moitié de mandat de Kamala Harris. Le reste n’a pas toujours
été une partie de plaisir. Deux ans après son entrée en fonction
aux côtés de Joe Biden à la tête d’une nation secouée par
l’invasion du Capitole et la pandémie du Covid, les crises en
cascade sont loin d’avoir été endiguées. Même si le virus est
sous contrôle, le pays souffre toujours de ses conséquences.
Dans son sillage, le Covid-19 a entraîné une multiplication des
troubles de santé mentale et une hausse de la criminalité dans
les grandes villes. La crise sanitaire a accéléré l’affaiblissement
du lien social dans un pays dont les habitants avaient déjà de
moins en moins d’amis proches avant l’irruption du nouveau
coronavirus2. Elle a perturbé les chaînes logistiques, provoqué
des pénuries de main-d’œuvre et engendré, avec la guerre en
Ukraine, une inflation record qui impacte de plein fouet les
ménages les moins aisés. Sur le front climatique, le
gouvernement américain a réalisé des avancées majeures pour
atteindre ses engagements de réduction des gaz à effet de
serre. Mais un temps précieux a été perdu à cause des
majorités étriquées du parti présidentiel à la Chambre des
représentants et, surtout, au Sénat.
La bataille de Joe Biden pour sauver « l’âme de l’Amérique »
face aux forces antidémocratiques réveillées par Donald Trump
semble loin d’être gagnée. Plus de deux ans après l’émeute du
6 janvier 2021 contre le siège du Congrès, le spectre de
l’extrémisme plane toujours. Bien qu’affaiblie au sortir des
midterms de novembre 2022, la droite trumpiste conserve un
contingent important à la Chambre des représentants. Assez
pour lui permettre de peser sur le travail législatif. Sondage
après sondage, environ 70 % de l’électorat républicain
considère que l’élection de Joe Biden et Kamala Harris n’est pas
légitime. Une conviction qui s’est forgée par le biais de médias
partisans et d’une classe politique qui amplifient les colères et
diffusent de fausses informations à des fins électoralistes et
financières.
« Jusqu’à présent, les normes démocratiques étaient
acceptées par tous, estime Andrew Garner, professeur à
l’Université du Wyoming. Aujourd’hui, le consensus est en train
de s’effriter. L’une des causes est l’évolution de l’identification
partisane aux États-Unis ces trente dernières années. À la
différence de l’Europe, où l’appartenance à un parti est liée à
l’idéologie et à la classe sociale, outre-Atlantique celle-ci dépend
en grande partie de l’affect : on s’identifie comme démocrate ou
républicain parce qu’on déteste l’autre parti, plus que pour des
raisons de politiques publiques. Cela a donné naissance à un
esprit partisan négatif, qui fragilise la démocratie : la base
électorale déteste tellement l’autre camp qu’elle est prête à
soutenir des actions ouvertement autoritaires pour arriver au
pouvoir. »
D’autres signaux inquiètent : l’interdiction dans certaines
écoles de livres sur la race et l’identité sexuelle, jugés
inappropriés par des élus et des parents conservateurs ; la
baisse continue de la confiance dans les institutions ; l’érosion
de l’accès au vote dans certains États républicains ;
l’augmentation des menaces de terrorisme domestique et des
crimes haineux contre les minorités… À cette société fracturée
s’ajoutent des craintes pour l’avenir causées par la domination
de juges conservateurs nommés à vie à la Cour suprême. Après
avoir révoqué le droit constitutionnel à l’avortement en
juin 2022, s’en prendront-ils à d’autres acquis ?
L’incertitude gagne aussi le Parti démocrate. Âgé de quatre-
vingts ans, Joe Biden est le président le plus âgé de l’histoire
des États-Unis. Bien qu’il n’ait pas fait secret de son intention de
se représenter à la présidentielle de 2024, certains candidats
aux primaires de son camp pour les élections législatives de mi-
mandat (midterms) de novembre 2022 l’ont ouvertement appelé
à ne pas concourir. Malgré d’indéniables réussites au cours de
son mandat (loi de modernisation des infrastructures,
investissements historiques en faveur du climat…) et de
meilleurs scores que prévu aux midterms, la plupart des
électeurs démocrates sont opposés à ce qu’il rempile. Cédera-t-il
sa place à Kamala Harris, ou la fera-t-il patienter quatre années
de plus ? Les paris sont ouverts. « Même en off, l’entourage de
la vice-présidente n’ose pas évoquer 2024, confie Noah
Bierman, correspondant du Los Angeles Times à la Maison-
Blanche. C’est le sujet le plus sensible entre elle et Joe Biden.
Elle ne veut pas apparaître comme déloyale. En même temps,
elle doit se tenir prête. »
L’idée de me plonger dans la vie du deuxième personnage de
l’État fédéral m’est venue le 12 décembre 2020, alors que je me
trouvais en Géorgie pour couvrir le second tour de l’élection
sénatoriale. Très suivi, ce scrutin allait déterminer quel parti
contrôlerait la chambre haute du Congrès et, par la même
occasion, le destin de la présidence Biden. Devant un centre
commercial où se tenait un rassemblement en faveur des deux
candidats démocrates en course, Jon Ossoff et Raphael
Warnock, je fis la connaissance de Ranjit, un père de famille
d’origine indienne. Tout sourire, il se tenait derrière une table
recouverte de pancartes et de t-shirts de campagne. Un mois
plus tôt, ce volontaire, venu au militantisme durant l’ère Trump,
avait voté pour Joe Biden lors d’une élection présidentielle qui
restera parmi les plus tendues de l’histoire récente des États-
Unis. Aux yeux de Ranjit, la victoire du démocrate était avant
tout celle de sa colistière, Kamala Harris. La sénatrice de
Californie était devenue à la fois la première femme, première
personne de couleur et le premier enfant d’immigrés à accéder
à la vice-présidence. Qu’elle soit à moitié indienne n’avait pas
été anodin pour Ranjit. « J’ai compris ce que signifiait sa victoire
quand j’ai vu le bonheur de ma fille de neuf ans », m’explique-t-
il alors que d’autres volontaires déplient des tables. D’après lui,
la fillette se souvenait du message d’Hillary Clinton lors de sa
défaite à la présidentielle de 2016 : « À toutes les petites filles,
ne doutez jamais que vous êtes importantes et que vous
méritez d’accomplir vos rêves. » Quatre ans plus tard, la boucle
était bouclée. « L’accession de Kamala Harris à un niveau de
pouvoir aussi élevé prouve aux immigrés de la deuxième
génération, en particulier aux filles, qu’ils font partie de ce
pays », poursuit Ranjit.
Rencontrée plus tard à Atlanta, la « Mecque noire » des États-
Unis, Sanidia Oliver partage le même enthousiasme. « Jusqu’à
présent, les filles noires grandissaient sans avoir de tels
modèles, confie la métisse fondatrice d’une école antiraciste3.
Elles faisaient au contraire trop souvent l’objet de stéréotypes
sexualisés. En voyant Kamala, elles vont désormais avoir le
sentiment que tout est possible. »
Kamala Harris était alors pour moi une énigme. Comme
beaucoup d’Américains, je l’avais découverte après son élection
au Sénat en 2016. Durant le mandat de Donald Trump, la
Californienne s’était illustrée par ses questions ciselées aux
membres de l’administration républicaine dans le cadre
d’auditions parlementaires très suivies. En 2019, j’avais été
témoin de l’effondrement de sa candidature aux primaires
démocrates, à la surprise des commentateurs qui la
considéraient comme une version féminine de Barack Obama.
Un an plus tard, j’assistais à son retour en grâce lorsque Joe
Biden lui proposa de former avec lui un « ticket » présidentiel.
J’appréciais son allure décontractée, ainsi que son rire
communicatif. Rien de plus.
Son investiture en tant que quarante-neuvième vice-président
des États-Unis, le 20 janvier 2021, a conforté mon envie d’en
savoir davantage sur son parcours et ses valeurs. Juste après la
cérémonie au Capitole, elle avait accompli à pied les derniers
mètres qui la séparaient de la Maison-Blanche. L’occasion pour
le pays d’avoir un aperçu du melting-pot que constitue son
cercle rapproché. Fille de parents indien et jamaïcain, élevée
dans les traditions baptiste et hindoue, elle était accompagnée
de son mari, Doug Emhoff, juif blanc de New York. La sœur de
Kamala, Maya, était venue avec Meena, sa fille blanche issue
d’une précédente union. Cette dernière était au côté de son
conjoint noir, Nikolas Ajagu, de leurs deux filles métisses, Amara
et Leela, ainsi que des enfants de Doug, Cole et Ella, nés d’un
autre mariage.
L’image de cette famille cosmopolite et recomposée
symbolisait parfaitement l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle
Amérique, aux antipodes des quatre années d’exaltation de la
masculinité blanche sous l’ère Trump. À bien des égards,
Kamala Harris elle-même incarne l’exact contraire de l’ancien
chef de l’État. Elle est une femme ; il est un homme. Elle est
démocrate ; il est républicain. Elle est métisse noire et
indienne ; il est blanc d’origine allemande. Elle est née à
Oakland, en Californie, bercée par la contre-culture des années
1960 ; lui à l’autre extrémité du pays, dans une famille aisée du
New York de l’après-guerre. Elle a remporté toutes les élections
auxquelles elle s’est présentée, à l’exception de la
présidentielle ; lui n’a connu pour seul scrutin que celui qui l’a
mené à la tête de la superpuissance planétaire.
À cinquante-six ans, Kamala Devi Harris semblait être bien
plus qu’une vice-présidente : elle était l’incarnation éclatante de
l’Amérique d’aujourd’hui et de demain. Un pays où les non-
Blancs constituent une part croissante du corps électoral et
seront majoritaires au sein de la population en 2050. Où les
femmes s’emparent du pouvoir politique et économique. Où les
familles mixtes et recomposées sont de plus en plus
nombreuses. Dans une nation où la lutte pour l’égalité raciale
n’a jamais cessé, personnifier une telle évolution est lourd de
sens.
Alors que les États-Unis s’engagent dans la course folle pour
la Maison-Blanche, cet ouvrage a pour vocation de dévoiler la
personnalité cachée de cette potentielle future présidente. De
faire découvrir les individus et les moments clés qui ont forgé sa
personnalité. De relater les coulisses de son parcours politique,
parsemé de victoires électorales sur le fil, de coups du destin et
de rencontres déterminantes. De faire la lumière sur une femme
qui a gravi les échelons du pouvoir malgré le mur du sexisme et
du racisme qui perdure en Amérique. De percer à jour cette
figure de la scène internationale encore largement méconnue du
grand public et sous-estimée par ses adversaires. Bref, de
raconter qui elle est et a été pour comprendre la présidente
qu’elle sera peut-être demain.
Pour dresser un portrait à la fois politique et personnel de
Kamala Harris, je me suis rendu dans la baie de San Francisco,
où elle a grandi, et à Washington, où elle occupe ses fonctions.
J’ai interrogé des membres de sa famille, des amis de longue
date, des anciens collègues, des adversaires politiques et
certains de ses donateurs entre New York, la Californie et
Montréal, la ville de son adolescence. Cet ouvrage s’appuie
également sur des dizaines d’articles de presse, des interviews,
ainsi que sur ses propres écrits – car elle est l’autrice de deux
livres. Le premier, The Truths We Hold : An American Journey4,
sorti en 2019, avait vocation à la faire connaître du grand public
juste avant sa candidature aux primaires démocrates. C’est
avant tout un livre de campagne, qui omet les aspects les plus
controversés de sa carrière. Plus intéressant est le second,
Smart on Crime5, publié en 2009, qui portait sur son expérience
de procureure de Californie dans les années 2000.
Ce travail journalistique ne se limite pas à une exploration du
passé. Pour cerner celle qui sera peut-être la prochaine
présidente des États-Unis, il est nécessaire d’aller plus loin. L’un
de ses proches, qui la connaît depuis plus de vingt ans, m’a
confié qu’elle demeurait une énigme même à ses yeux. Avant
d’ajouter, sibyllin : « Vous êtes certain de vouloir écrire sur
elle ? »

1. Point presse du 19 novembre 2021, www.youtube.com/watch?


v=w03y20HG3cs.
2. American Perspectives Survey, mai 2021.
3. www.morganoliverschool.org.
4. Nos vérités. Mon rêve américain, Robert Laffont, 2021.
5. Non traduit en français.
1

Le symbole à l’épreuve du pouvoir

Il n’y a pas que le ciel qui pleure, ce dimanche 11 septembre


2022 à New York. Comme chaque année depuis 2001, les
proches des victimes des attentats contre les tours jumelles se
rassemblent à Ground Zero pour participer à la traditionnelle
lecture des noms des disparus. Ils sont rejoints par une armée
d’élus de tous bords, de la députée démocrate socialiste
Alexandria Ocasio-Cortez à Rudy Giuliani, l’ex-maire républicain
de New York, devenu l’un des plus fidèles alliés de Donald
Trump.

Mais que fait Kamala ?

« Elle arrive ! », entend-on soudain sur la petite estrade


réservée à la presse. À quelques pas, une nuée d’agents des
services secrets s’active. Une femme brune de petite taille, un
ruban bleu en hommage aux victimes épinglé sur sa veste noire,
marche vers la foule. C’est Kamala Harris. Accompagnée de son
mari Doug Emhoff et de Chuck Schumer, le sénateur de l’État de
New York, elle n’est pas venue prononcer un discours, mais
témoigner du soutien des plus hautes sphères de l’État aux
familles endeuillées. Elle ne restera qu’une petite heure.
Pour la vice-présidente, ce déplacement new-yorkais marque
la fin d’une semaine chargée. Une de plus en cette période
tourmentée pour les États-Unis. La veille, elle s’exprimait devant
les instances nationales du Parti démocrate, réunies en banlieue
de Washington à deux mois des midterms, cruciales pour
l’avenir de la présidence Biden. Le jour d’avant, elle était au
Texas pour parler exploration spatiale. Auparavant, figuraient à
son agenda un discours devant la Convention nationale baptiste,
congrégation protestante noire influente aux États-Unis, une
rencontre avec son homologue nigérian à Washington pour
évoquer la sécurité alimentaire en Afrique et un entretien avec
le Premier ministre de Pologne au sujet de la guerre en Ukraine.
Malgré cet emploi du temps chargé, beaucoup d’Américains
s’interrogent encore sur ce que fait Kamala Harris, plus de deux
ans après son entrée en fonction. D’aucuns, y compris certains
de ses soutiens, la disent « invisible » ou « effacée ». Certains
lui reprochent de manquer d’influence et aimeraient la voir
mieux mise en lumière par le gouvernement Biden. « Elle n’a
pas su imprimer sa marque sur les dossiers qu’on lui a confiés,
mais elle a encore du temps pour se rattraper », juge Yann
Coatanlem, président du think tank Praxis et auteur de l’ouvrage
Le Capitalisme contre les inégalités. Franco-Américain établi à
New York, il a participé au financement de sa campagne pour
les primaires présidentielles de 2020.

À un battement de cœur de la présidence

Une chose est sûre : les attentes sont énormes. Sans doute
même démesurées eu égard à ses pouvoirs réels. La
Constitution américaine lui attribue deux missions essentielles :
présider le Sénat et succéder au président en cas d’incapacité à
gouverner. Le reste du temps, le rôle de la vice-présidente est
difficile à cerner et son influence malaisée à évaluer. Il peut
même se révéler ingrat. Thomas Marshall, vice-président sous
Woodrow Wilson (1913-1921), a comparé la fonction à une
« crise cataleptique » : « On ne peut ni parler ni bouger. On ne
ressent pas de douleur. On est conscient de ce qu’il se passe
autour de nous, mais on ne peut rien y faire. » À la fois proche
et éloigné du pouvoir, le « VP » doit s’assurer de ne pas faire
d’ombre au patron, même s’il aimerait secrètement le remplacer.
Sans pouvoirs propres, il doit assumer les décisions du chef de
l’État, sans pour autant être toujours d’accord avec lui. « Il faut
savoir être un leader et dire au président qu’il a tort, mais être
aussi un subordonné qui joue collectif, résume Joel Goldstein,
ancien professeur à l’école de droit de l’Université de Saint Louis
(Missouri) et historien spécialiste de la vice-présidence. Le vice-
président travaille essentiellement en coulisses. Il conseille le
président loin des caméras. Il ne peut pas crier sur tous les toits
qu’il a aidé la Maison-Blanche à éviter de commettre une erreur
majeure ! C’est pour cela que le grand public a du mal à
mesurer l’efficacité de son action. »
À ses origines, en 1788, la fonction faisait figure de lot de
consolation. Elle revenait au candidat arrivé en deuxième place
dans le vote des grands électeurs lors de la présidentielle. Il faut
attendre la vice-présidence de Richard Nixon, dans les années
1950, pour que celle-ci prenne une autre envergure. « Avec
l’avènement de l’ère atomique, la guerre froide et la
décolonisation, le monde est devenu plus dangereux, poursuit
Joel Goldstein. L’identité de celui qui figure à un battement de
cœur de la présidence a commencé à susciter de l’intérêt. »
Pendant longtemps, le vice-président assurera la continuité des
affaires de l’État, sans que rien l’y oblige.
En 1967, l’adoption du Vingt-cinquième amendement
officialise ce rôle en l’inscrivant dans le marbre constitutionnel.
Ce n’est qu’en 1977, sous la présidence de Jimmy Carter, que la
fonction devient partie intégrante de l’exercice du pouvoir.
Producteur de cacahuètes au cœur de la Géorgie rurale, comme
son père, le locataire de la Maison-Blanche était partisan de
l’optimisation des ressources, y compris humaines. Il souhaitait
donc que son vice-président soit impliqué dans les affaires
courantes. D’autant que Carter lui-même connaissait mal
Washington et le Congrès. Dans cette perspective, il choisit
comme colistier le sénateur du Minnesota, Walter Mondale. Ce
dernier va façonner un nouveau rôle pour le « VP », celui d’un
« conseiller général » auprès du président. « Il lui importait
d’être présent dans la salle où se prenaient les décisions,
explique Joel Goldstein. Il voulait avoir l’oreille de Carter sur
l’ensemble des sujets. Il devait tout connaître des dossiers
importants, des positions des uns et des autres et devait avoir
accès au président pour être perçu comme influent. C’était
également important sur le plan international. En s’adressant à
Mondale, les leaders étrangers savaient qu’ils avaient
indirectement l’oreille de Carter. »
Attentif aux petits gestes qui font la différence, Walter
Mondale fait installer son bureau dans l’aile ouest, la West Wing
de la Maison-Blanche, près du Bureau ovale. Mais il choisit un
espace plus petit que celui du chef de cabinet du président,
histoire de ne pas lui faire de l’ombre. Afin de dissiper tout
malentendu, il fait aussi comprendre à Jimmy Carter qu’il
entend le seconder, non prendre sa place. « Il lui a signifié qu’il
comprenait que son destin politique était lié à celui du
président, précise le professeur Goldstein. Si ce dernier
échouait, Mondale ne serait jamais élu président lui-même. »
Les gouvernements successifs, démocrates comme républicains,
ont conservé ce modèle du vice-président « auxiliaire », chargé
de missions spécifiques.
À l’aube de son mandat, Kamala Harris doit vivre trois mois à
la Blair House, la résidence des invités du président, située en
face de la Maison-Blanche. Et pour cause : Number One
Observatory Circle, l’habitation officielle des vice-présidents au
cœur de Washington, est alors en travaux. Dommage, car ce
manoir est un véritable bijou. La bâtisse victorienne, à l’abri des
regards dans le parc de l’Observatoire naval des États-Unis1,
accueille les « deuxièmes familles » depuis le passage de Walter
Mondale – encore lui. Il se murmure que les occupants
successifs ont particulièrement apprécié le jardin, où Dan
Quayle, le quarante-quatrième vice-président, a fait installer une
piscine.
En entrant en fonction, Kamala Harris sait qu’elle aura plus de
pouvoir que nombre de ses prédécesseurs. Sur le plan
institutionnel d’abord : avec un Sénat où les deux partis
disposent depuis 2021 de cinquante sièges chacun, il revient au
vice-président d’apporter le vote décisif en cas d’égalité des voix
sur une proposition de loi. Entre janvier 2021 et août 2022, elle
a dû intervenir pas moins de vingt-six fois pour départager les
deux camps, se rapprochant du record de John C. Calhoun au
début du xixe siècle, avec trente et une interventions2. Certes,
une grande partie des votes de la vice-présidente ont porté sur
de simples mesures de procédure et des nominations à la tête
d’agences fédérales diverses, mais certaines étaient liées à des
promesses de campagne de Joe Biden. En août 2022, elle a
ainsi permis à la chambre haute d’adopter l’Inflation Reduction
Act, une loi qui débloque des investissements sans précédent
(près de 370 milliards de dollars) en vue de la réduction des
émissions de gaz à effet de serre et permet de baisser le prix
des médicaments pour les personnes âgées. Cela restera l’un
des succès législatifs majeurs du gouvernement démocrate.
Kamala Harris a une autre spécificité. Compte tenu de l’âge
de Joe Biden qui, à soixante-dix-huit ans lors de son élection en
2020, était le plus vieux président des États-Unis, il est plausible
qu’elle lui succède pendant son mandat. Et s’il ne se représente
pas en 2024, des primaires auraient lieu au sein du parti pour
désigner un nouveau candidat. Elle serait alors, naturellement,
la dauphine du président sortant. D’autant que ce dernier a
promis de passer le flambeau à des leaders plus jeunes, en
phase avec le visage actuel du parti. « Je me vois comme un
pont, rien d’autre, disait-il en 2020. Une génération entière de
dirigeants arrive derrière moi. Ils sont l’avenir de ce pays3. »
Mais la perspective de lui succéder dès 2024 ne va pas sans
complications pour son héritière. « Il est généralement attendu
que le président fasse deux mandats, rappelle Joel Goldstein. Ce
qui donne le temps à son vice-président de se préparer et de
démontrer qu’il a été un bon partenaire dans l’application du
programme présidentiel. Dans le cas de Kamala Harris, ce
calendrier est plus serré car il est question qu’elle se présente
sans attendre. Tout est vu à travers ce prisme-là. On se
demande si elle est prête à présider le pays. Les spéculations
autour de son avenir vont bon train… Ça n’avait pas été le cas
pour les autres vice-présidents : personne ne se demandait en
2016 si Mike Pence allait se présenter en 2020 pour prendre la
relève de Donald Trump. »

Des débuts mouvementés

Dès le début de son mandat, Kamala Harris s’emploie à


renouveler le bureau de la vice-présidence. Elle s’entoure
notamment d’une équipe de femmes de couleur, à l’image de la
diversité du gouvernement. Les équipes de Joe Biden veulent la
mettre en valeur. Elle est presque systématiquement présente
au côté du président lors de ses premières interventions. La
dénomination « Biden-Harris Administration » est préférée à
« Biden Administration », comme le voudrait la coutume. « Joe
Biden lui donne un accès similaire à celui dont il avait bénéficié
avec Barack Obama, explique Noah Bierman. Il est entouré de
collaborateurs qui travaillaient avec lui quand il était vice-
président. Ils comprennent ce que cela signifie de voir le monde
par les yeux d’un vice-président. La frustration est très forte
dans ce rôle. Si Joe Biden prend une mauvaise décision, cela
affectera aussi la popularité de son « VP ». Si le président
commet une erreur, il aura très vite une occasion de se
reprendre. Tel n’est pas le cas du vice-président. Il est comme
un goal de football : on se souvient moins des tirs qu’il a arrêtés
que de ceux qu’il a encaissés. »
Alors que l’afflux d’immigrés sans-papiers augmente à la
frontière sud, Joe Biden charge sa vice-présidente, en
mars 2021, de régler la question de l’immigration en provenance
du « Triangle du Nord4 ». Une tâche décrite par beaucoup
comme impossible, doublée d’un dossier très sensible sur le
plan politique. En effet, la porosité de la frontière est un sujet
toxique, que les républicains ont l’intention d’exploiter pour
accuser le nouveau gouvernement d’être trop laxiste envers les
clandestins et de jouer avec la sécurité des Américains. Ce
dossier glissant permet néanmoins à la nouvelle vice-présidente
de faire ses premiers pas sur la scène internationale. En juin,
elle se rend au Mexique et au Guatemala pour rencontrer des
représentants de la société civile et les présidents des deux
pays. Elle se familiarise à cette occasion avec les pressions
qu’impose sa fonction. Au Guatemala, elle, la fille d’immigrés,
encourage les candidats au départ à rester dans leur pays –
« Ne venez pas, ne venez pas5 » –, en dépit de la pauvreté et
de la violence qui y règnent. La députée démocrate de
New York Alexandria Ocasio-Cortez s’insurge contre ces
déclarations qu’elle juge proches de celles de Donald Trump.
« On ne peut pas contribuer à mettre le feu à la maison de
quelqu’un et lui reprocher de s’enfuir6 », dit-elle. Les
associations d’aide aux réfugiés ne décolèrent pas non plus. Au
Mexique, la vice-présidente donne une interview maladroite à la
chaîne américaine NBC pour répondre à ceux qui, y compris
dans son propre camp, lui reprochent de ne pas se rendre à la
frontière pour évaluer la situation. « Et je ne suis pas allée en
Europe non plus7 ! », lance-t-elle, visiblement agacée. Elle finira
par faire le déplacement fin juin, après que Donald Trump a fait
savoir qu’il irait.
Les polémiques la poursuivent à Washington. Certains
donateurs se plaignent de ne plus avoir de ses nouvelles. Des
élus de son parti ne sont pas contactés ou recontactés par son
bureau. Les journalistes lui reprochent de ne pas se rendre plus
disponible pour répondre à leurs questions. Pis : certains
seraient même placés sur une liste noire. Leur tort serait de ne
pas comprendre son « expérience de vie ». Ceux qui recourent
à des qualificatifs qu’elle n’apprécie guère, comme
« prudente8 », sont bannis. En outre, son début de mandat est
marqué par des problèmes de personnel. Après son
déplacement turbulent en Amérique centrale, deux employés de
son staff chargés de l’organisation des voyages ont rendu leur
tablier. Officiellement, leur départ était programmé depuis
longtemps ; mais certaines sources confient à Politico.com qu’au
moins l’un des deux a raccroché en raison de désaccords sur la
gestion des équipes. Les critiques ne mettent pas directement
en cause Kamala Harris, mais son ex-cheffe de cabinet, Hartina
Flournoy. Cette ancienne de l’administration Clinton gérerait le
personnel à la baguette. « À la différence de Joe Biden, elle n’a
pas pu compter sur un cercle stable. Cela rend plus difficile la
mise en œuvre de projets sur le long terme », estime Noah
Bierman.
Les problèmes de ressources humaines, qui se poursuivront
les mois suivants, plombent l’élue depuis le début de sa carrière
politique en Californie. « Il y a deux genres de personnes :
celles qui la suivront toute leur vie et celles qui se consument
rapidement, explique Brian Brokaw, l’un de ses anciens
collaborateurs. Comme beaucoup à ce niveau de
responsabilités, elle a des attentes très élevées. Elle travaille
très dur et attend que tout son entourage fasse de même. C’est
trop demander pour certains. » Il se souvient de réunions
subitement abrégées car la patronne estimait que « nous
n’avions pas fait notre travail ». « Plutôt que de perdre son
temps, elle nous disait : “On dirait que vous avez encore du
boulot. Revenez vers moi quand vous aurez trouvé la
solution”. »
Face à l’accumulation d’articles négatifs, en août 2021,
plusieurs de ses amies organisent un dîner pour réfléchir à la
meilleure manière de lui venir en aide9. Elles perçoivent dans
cette couverture médiatique le reflet d’un certain sexisme de la
presse, qui n’est pas sans rappeler le traitement subi par Hillary
Clinton durant la campagne de 2016. En novembre, CNN publie
un article au vitriol sur de prétendues tensions entre les équipes
de Kamala Harris et la Maison-Blanche. Les premières seraient
frustrées qu’elle ait été chargée du dossier migratoire, dont elle
ne voulait pas s’occuper, et contrariées que la présidence ne
vole pas davantage à son secours quand elle est la cible de
critiques. « [Son équipe] pense que Joe Biden ne la protège
pas, donnant la priorité à ses propres objectifs. Certains s’en
prennent à des membres spécifiques de la West Wing qui,
assurent-ils, voudraient la voir échouer », écrivent les
journalistes Edward-Isaac Dovere et Jasmine Wright10.
« D’autres encore craignent qu’elle se repose trop, comme elle
l’a toujours fait dans sa vie politique, sur sa sœur Maya, son
beau-frère Tony West et sa nièce Meena Harris » pour les
décisions de recrutement. « Il a fallu tenir la famille encore plus
à distance, mais peu de personnes s’attendent à ce que la
situation en reste là, surtout avec une vice-présidente qui se
sent isolée et qui est très regardante sur les personnes en qui
elle peut avoir confiance11. »
Elle se passerait bien de cette mauvaise presse. Car les
républicains sont bien décidés à exploiter le moindre de ses faux
pas pour tuer dans l’œuf sa candidature en 2024 ou 2028. Ils
vont jusqu’à l’accuser, à tort, d’avoir parlé avec un accent
français lors de sa visite à Paris en novembre 2021 et de s’être
montrée insensible au sort des ménages les moins fortunés en
achetant des ustensiles de cuisine pour 600 dollars dans un
magasin de la capitale ! « Cette virée shopping intervient alors
que les Américains souffrent de l’inflation la plus élevée en
trente ans, mettant sous pression les consommateurs et les
petits commerces. Le gouvernement Biden a insisté sur
l’importance d’acheter américain, appelant toute son
administration à soutenir la production dans notre pays », s’est
enflammé le site conservateur Washington Free Beacon12 en
révélant cette affaire.
Ces attaques – objectivement exagérées – ne sont pas les
plus violentes. Pendant la campagne de 2020, déjà, Donald
Trump et ses partisans ont remis en question l’éligibilité de
Kamala Harris, jetant le doute sur le statut migratoire de ses
parents au moment de sa naissance. Comme Barack Obama,
son nom est moqué pour mieux rappeler ses origines
étrangères. « Kamala-mala-mala, peu importe… », a ainsi
ironisé un candidat républicain lors du scrutin sénatorial de 2020
en Géorgie13, suscitant une vive indignation dans le camp
adverse. Avant la présidentielle, une étude14 avait démontré
qu’elle était la femme de couleur la plus attaquée sur le web
(78 % des posts), devant les députées Alexandria Ocasio-Cortez
et Ilhan Omar, qui est musulmane. « Harris pourrait bien être
l’élue la plus ciblée de l’Internet15 », a affirmé le Los Angeles
Times. Elle trouve du réconfort dans ses conversations privées
avec d’autres femmes de pouvoir, aussi bien Hillary Clinton ou
Condoleeza Rice – l’ex-secrétaire d’État noire de
George W. Bush – que l’ancienne chancelière allemande Angela
Merkel16. « Elle incarne les trois aspects que les partisans
trumpistes haïssent le plus : elle travaille sur le dossier de
l’immigration alors qu’ils détestent les migrants, elle est une
femme de pouvoir et, en plus, elle est noire et asiatique »,
résume Chet Whye, un consultant politique démocrate qui l’a
aidée lors de sa campagne présidentielle.
Dans l’opinion publique aussi, elle est à la peine. Après son
déplacement en Amérique centrale, la part des Américains qui
ont d’elle une opinion défavorable est devenue majoritaire17. En
août 2021, elle était plus populaire que ne l’était son
prédécesseur Mike Pence, mais beaucoup moins que les vice-
présidents Joe Biden ou Dick Cheney. Ce n’est guère surprenant.
Compte tenu de la polarisation croissante de la vie politique
américaine, les « VP » ne sont plus considérés comme des
personnalités fédératrices. Il n’empêche : si les sondages
restent bas, cela pourrait aiguiser les appétits de potentiels
rivaux pour les primaires de 2024 ou 2028. Les noms du jeune
ministre des Transports Pete Buttigieg et de la porte-drapeau
des droits civiques Stacey Abrams circulent déjà. Tout comme
celui de Gretchen Whitmer, ré-élue gouverneure du Michigan à
l’issue des midterms de 2022. « Je ne serais pas étonné
qu’émerge une autre personnalité qui marque davantage les
esprits, un sénateur ou un gouverneur. Elle ne remplacera pas
Joe Biden de manière automatique », avance Yann Coatanlem.
À mi-mandat, elle reste néanmoins en position de force du
fait de son avantage institutionnel et médiatique. En août 2022,
un sondage réalisé auprès des électeurs démocrates la désigne
comme la favorite dans le cadre d’hypothétiques primaires :
21 % la choisiraient, soit sept points de plus que le deuxième
du classement, Pete Buttigieg18. « Si Joe Biden décide de ne pas
retourner au charbon, nous, démocrates, devrons être prêts à la
soutenir avec la même ferveur que nous avions montrée en
2008 pour la candidature d’un sénateur noir inconnu de l’Illinois,
Barack Obama, indique Chet Whye. Rien ne sera facile. Mais
avec ses compétences et sa connaissance des dossiers, elle sera
une candidate difficile à battre. Les démocrates savent qu’ils ne
peuvent pas remporter la présidence sans le vote des femmes
noires. Par conséquent, il sera difficile de la mettre sur la
touche. Quiconque envisage de se présenter contre elle devra
prendre ce facteur en compte. »

L’apprentissage de la vice-présidence

Malgré ces débuts difficiles, Kamala Harris prend ses marques


au fil de ses missions. En novembre 2021, elle est envoyée en
France pour restaurer de meilleures relations avec cet allié
historique des États-Unis. Elles avaient été mises à mal par
l’annonce surprise d’un partenariat stratégique entre
Washington, le Royaume-Uni et l’Australie (Aukus) qui avait
conduit à l’annulation d’un important contrat de livraisons de
sous-marins par l’Hexagone à Canberra. À Paris, Kamala Harris
soigne ses hôtes. « L’alliance entre les États-Unis et la France
est la plus ancienne et figure parmi les plus fortes [pour notre
pays] », dit-elle dans un communiqué19. Elle profite de son
déplacement pour annoncer de nouveaux partenariats entre les
deux gouvernements dans le domaine de l’espace et de la
cybersécurité. En visite à l’Institut Pasteur, où des chercheurs
français et américains travaillent de concert sur la recherche
contre le Covid-19, elle évoque sa mère, une ancienne
spécialiste du cancer qui a collaboré de son vivant avec la
célèbre institution française.
Quelques mois plus tard, elle retournera en Europe, mais
dans des circonstances bien différentes. La guerre en Ukraine
fait rage. Elle multiplie les rencontres avec les chefs d’État et de
gouvernement des pays de l’Otan pour rechercher une solution
à la crise et s’assurer que l’alliance fasse bloc face à Vladimir
Poutine.
Au total, dans la première moitié de son mandat, elle a
rencontré une centaine de dirigeants politiques de toute la
planète – Premiers ministres, présidents, monarques… Signe de
la confiance que Joe Biden place en elle pour porter sa voix sur
la scène internationale.
Sur le front migratoire, elle annonce en 2022 la levée de
3,2 milliards de dollars auprès d’entreprises et de fondations
pour accroître les opportunités économiques en direction des
populations d’Amérique centrale et encourager la contribution
de grandes entreprises, telles Microsoft et Mastercard, à des
programmes de soutien pour l’emploi des femmes20. Cependant,
les républicains ne manquent pas d’exploiter son manque de
résultats : près de 2 millions d’interpellations ont lieu à la
frontière entre octobre 2021 et septembre 2022, un record. En
septembre, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a expédié des
bus de migrants arrivés dans son État jusqu’aux portes de la
résidence de la vice-présidente à Washington, après qu’elle eut
déclaré, dans une interview, que la frontière avec le Mexique
avait été « sécurisée21 ». « Le gouvernement Biden-Harris
continue d’ignorer la crise historique dans le sud du territoire,
qui a mis en danger les localités texanes depuis deux ans »,
affirme Abbott dans un communiqué22.
D’autres dossiers s’empilent sur son bureau. Elle devient
notamment la présidente du National Space Council23, un
organe chargé de soutenir les ambitions américaines dans le
domaine de l’espace. Un portefeuille au croisement de la
recherche, des nouvelles technologies, de l’industrie et du climat
qu’elle utilise pour créer des passerelles entre les entreprises
spatiales et les instituts de formation. Elle pilote également le
plan du gouvernement Biden sur le développement de l’accès à
l’Internet à haut débit, dont sont privés trente millions
d’Américains pauvres ou vivant dans des zones rurales. Elle
participe activement à la nomination de la juge Ketanji Brown
Jackson, première Afro-Américaine à siéger à la Cour suprême,
en passant des coups de fil aux sénateurs, chargés de valider
les candidatures de juristes dans les tribunaux fédéraux.
La « VP » demande aussi à s’investir dans le combat pour le
droit de vote, un sujet qu’elle affectionne particulièrement. Cette
lutte pourrait définir le mandat de Joe Biden, qui a fait de la
défense de la démocratie américaine l’une de ses priorités après
l’attaque du Capitole. Dans le sillage du « grand mensonge » de
Donald Trump sur le « vol » de l’élection présidentielle par les
démocrates, plusieurs États contrôlés par les républicains ont
restreint l’accès aux urnes. But affiché : préserver le système
électoral de la fraude. Les démocrates, eux, y voient surtout une
manœuvre pour exclure leurs électeurs, notamment ceux de
couleur, qui rencontraient déjà de nombreux obstacles
(transports, papiers d’identité expirés, manque d’information…)
sur le chemin de l’isoloir. La Géorgie et le Texas, deux États où
les démocrates ont progressé ces dernières années, sont les fers
de lance de ce mouvement.
Les pouvoirs du gouvernement Biden en la matière sont
limités : dans le système fédéral américain, les conditions
d’exercice du droit de vote sont déterminées par les États.
Même si les démocrates sont majoritaires à la Chambre des
représentants, leurs ambitions de mettre en place des garanties
au niveau national butent sur une obscure règle du Sénat,
le filibuster. Elle les contraint à obtenir au moins soixante voix
sur cent, soit un minimum de dix soutiens républicains, pour
faire adopter la plupart des textes de loi non budgétaires. Une
mission quasi impossible dans le climat de polarisation extrême
qui règne au Congrès, où les deux partis n’ont même pas pu se
mettre d’accord sur des mesures pour remédier à la pénurie de
lait pour nourrissons24 ! Du fait de cette réalité, les démocrates
ont dû faire une croix sur le John Lewis Voting Rights
Advancement Act, un texte majeur qui devait faciliter
l’intervention de l’État fédéral pour résoudre d’éventuelles
entraves au droit de vote.
Cette paralysie législative n’empêche pas la vice-présidente
d’agir avec les leviers qui sont les siens. En juillet 2021, elle
reçoit ainsi à la Maison-Blanche les élus de l’Assemblée
législative du Texas qui avaient décidé de quitter leur État avant
l’adoption de nouvelles limitations électorales, afin de priver la
chambre du quorum requis. Kamala Harris soigne aussi ses
contacts avec les militants, participant à un entretien sur
25
Instagram avec la fille de Martin Luther King Jr., Bernice, et
multipliant les tables rondes pour bâtir des coalitions de groupes
divers (politiques, religieux, pro-LGBT, handicapés, droits
reproductifs…). « Rassemblons les activistes qui travaillent sur le
mariage gay, sur le droit de vote et l’accès à l’avortement pour
voir ce qu’ils ont en commun […] car aujourd’hui les libertés
font l’objet d’une attaque frontale aux États-Unis », a-t-elle
déclaré26 en juin 2022. À la Maison-Blanche, elle reçoit des
personnalités issues de groupes peu représentés dans les
couloirs du pouvoir (femmes de couleur, jeunes…) pour les
écouter, les conseiller27 et recueillir leurs retours sur le
« terrain ». « En raison de ses origines et de son genre, elle est
plus en phase avec les communautés marginalisées », veut
croire Deborah Scott, dynamique présidente de Georgia
Stand Up28, une association non partisane qui défend les droits
économiques et civiques des populations défavorisées de
Géorgie. Cette Afro-Américaine a participé à l’une de ces
rencontres en présence d’une vingtaine d’autres femmes noires.
« Ce travail de dialogue et de constitution de coalitions
d’intérêts n’est pas très médiatique, mais il est essentiel »,
soutient-elle.
Cette volonté de se rapprocher des populations peu
entendues se retrouve dans ses choix de déplacements en
dehors de Washington. En effet, Kamala Harris multiplie les
visites de localités qui n’ont pas l’habitude de voir débarquer
des élus nationaux29. Depuis le début de son mandat, elle s’est
ainsi rendue à Greenville, une commune rurale de Caroline du
Sud, pour s’exprimer sur des mesures de développement
économique. Elle est aussi allée à Brandywine, une municipalité
majoritairement noire du Maryland, pour promouvoir le
développement de stations de chargement pour véhicules
électriques. À Sunset (Louisiane), commune de trois mille âmes,
elle a discuté de l’accès à l’Internet à haut débit hors des
centres urbains, l’un des grands projets de Joe Biden.
Le 24 juin 2022, alors qu’elle est en route pour l’Illinois à bord
de l’avion officiel Air Force 2, la vice-présidente apprend que la
Cour suprême des États-Unis, dominée par des juges
conservateurs, a révoqué l’arrêt Roe vs Wade, qui avait fait de
l’accès à l’avortement un droit constitutionnel en 1973.
Conséquence : il revient désormais aux États fédérés de fixer
leur propre politique en matière d’interruption volontaire de
grossesse. Treize d’entre eux mettent en application des
interdictions quasi totales de la pratique, souvent sans exception
pour les victimes de viol ou d’inceste. Une régression historique.
Jamais la haute cour, dont les jugements s’imposent à tout le
pays sans possibilité de recours, n’était revenue ainsi sur un
droit enraciné depuis des décennies. Kamala Harris sonne la
charge. Femme politique la plus puissante du pays, elle est dans
une position unique pour s’exprimer sur ce sujet. Ancienne
procureure, sénatrice de Californie puis candidate aux primaires
de la présidentielle, elle avait fait de la santé maternelle l’un de
ses chevaux de bataille. En 2019, elle avait notamment travaillé
sur le Black Maternal Health Momnibus30, une série de mesures
destinées à lutter contre la mortalité des mères noires,
lesquelles ont 3,5 fois plus de risque de succomber de
complications après l’accouchement que les blanches31, résultat
de disparités d’accès aux soins et d’une prise en charge
inadéquate par les médecins. Dans l’Amérique post-Roe, les
femmes noires seraient donc les plus fragilisées. D’autant
qu’elles recourent plus que tout autre groupe racial à l’IVG.
Les démocrates – et les républicains modérés – sont vent
debout contre ce retour en arrière. La protection de l’accès à
l’avortement est soudainement propulsée parmi les principaux
enjeux des élections de mi-mandat, au cours desquelles
l’intégralité de la Chambre des représentants (435 sièges) et
environ un tiers du Sénat (35) seront renouvelés. Discours,
tables rondes, déplacements, rencontre avec des élus pro-
avortement dans des États conservateurs et des praticiens…
Kamala Harris se jette de tout son poids dans la bataille. À la
grande satisfaction de ses partisans, qui voient enfin pour leur
championne une occasion de briller. Elle ne ménage pas sa
peine. Partout où elle va, elle critique le « militantisme » de la
Cour suprême et dénoncer l’extrémisme des élus républicains
qui veulent interdire l’IVG (interruption volontaire de grossesse).
Entre février et novembre, elle rencontre les leaders politiques
d’une quarantaine d’États américains. Elle multiplie les
interventions sur les campus universitaires et les participations à
des vidéos avec des « influenceurs » sur les réseaux Instagram
et TikTok, très prisés des adolescents, pour mobiliser la
jeunesse.
Ses efforts paient. À l’issue des midterms, les démocrates
parviennent, contre toute attente, à conserver leur majorité au
Sénat et à limiter leurs pertes de sièges à la Chambre des
représentants. La forte participation de la Génération Z, née
autour des années 2000, a contribué à ces bons résultats. « Si
le gouvernement veut encourager les populations vulnérables à
voter, il doit leur faire comprendre ce qui va changer pour elles.
Kamala Harris est capable de créer des liens avec ces
populations. Elles se reconnaissent en elle », poursuit Deborah
Scott.

« Joe »

La marge de manœuvre de tout vice-président dépend en


grande partie du chef de l’État. Le cas d’école en la matière est
Nelson Rockefeller. Cantonné à un rôle purement cérémonial par
le président Gerald Ford (1974-1977), il avait laissé transparaître
sa frustration en expliquant son travail de la façon suivante :
« J’assiste à des funérailles, je me rends sur des tremblements
de terre. » À l’inverse, Dick Cheney avait perfidement exploité le
manque d’intérêt de George W. Bush (2001-2009) pour les
détails et les rouages de la bureaucratie, afin d’accroître les
pouvoirs de l’exécutif et façonner la réponse américaine aux
attentats du 11 Septembre. Son influence lui valut le surnom de
« président de l’ombre ».
À première vue, le tandem que la Californienne forme avec le
vétéran de Washington peut paraître déséquilibré.
Contrairement à son patron, qui a passé trente ans sur les
bancs du Sénat, elle n’a pas tissé de relations durables avec les
sénateurs de l’opposition, au premier rang desquels leur chef
tout-puissant, Mitch McConnell32, malgré quatre années passées
à le côtoyer dans la chambre haute. Elle n’a pas non plus établi
de liens avec certains piliers démocrates. C’est ainsi qu’en
décembre 2021, après avoir dû courtiser le sénateur centriste
de Virginie-Occidentale, Joe Manchin, dont la voix était
nécessaire au passage d’une importante réforme sociale et
environnementale, Joe Biden a simplement demandé à la « VP »
de passer saluer l’invité dans le Bureau ovale, sans assister aux
discussions33. « C’est la première fois dans l’histoire récente
qu’un président s’entoure d’un vice-président qui a moins
d’expérience de Washington que lui », rappelle Noah Bierman,
du Los Angeles Times. Ce dernier a observé que les déjeuners
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German professor with his two assistants lived there and watched
the firmament. Letitia had often asked to see the observatory, but
Stephen had always refused to let her visit it. Now she intended to
make it the scene of her meeting with Friedrich Pestel. She yearned
for a long talk with him.
To use an observatory as a refuge for forlorn lovers—it was a notion
that delighted Letitia and made her ready to run any risk. The day
and the hour were set, and all circumstances were favourable.
Riccardo and Paolo had gone hunting; Demetrios had been sent by
his father to a farm far to the north; the old people slept. Esmeralda
alone had to be deceived. Fortunately the girl had a headache, and
Letitia persuaded her to go to bed. When twilight approached, Letitia
put on a bright, airy frock in which she could ride. She did not
hesitate in spite of her pregnancy. Then, as though taking a
harmless walk, she left the house and proceeded to the avenue of
palms, where the Indian boy awaited her with two ponies.
It was beautiful to ride out freely into the endless plain. In the west
there still shone a reddish glow, into which projected in lacy outline
the chain of mountains. The earth suffered from drought; it had not
rained for long, and crooked fissures split the ground. Hundreds of
grasshopper traps were set up in the fields, and the pits behind
them, which were from two to three metres deep, were filled with
the insects.
When she reached the observatory, it was dark. The building was
like an oriental house of prayer. From a low structure of brick arose
the mighty iron dome, the upper part of which rotated on a movable
axis. The shutters of the windows were closed, and there was no
light to be seen. Friedrich Pestel waited at the gate; he had tethered
his horse to a post. He told her that the professor and his two
assistants had been absent for a week. She and he, he added, could
enter the building nevertheless. The caretaker, an old, fever-stricken
mulatto, had given him the key.
The Indian boy lit the lantern that he had carried tied to his saddle.
Pestel took it, and preceded Letitia through a desolate brick hallway,
then up a wooden and finally up a spiral iron stairway. “Fortune is
kind to us,” he said. “Next week there’s going to be an eclipse of the
sun, and astronomers are arriving in Buenos Ayres from Europe. The
professor and his assistants have gone to receive them.”
Letitia’s heart beat very fast. In the high vault of the observatory, the
little light of the lantern made only the faintest impression. The great
telescope was a terrifying shadow; the drawing instruments and the
photographic apparatus on its stand looked like the skeletons of
animals; the charts on the wall, with their strange dots and lines,
reminded her of black magic. The whole room seemed to her like
the cave of a wizard.
Yet there was a smile of childlike curiosity and satisfaction on
Letitia’s lips. Her famished imagination needed such an hour as this.
She forgot Stephen and his jealousy, the eternally quarrelling
brothers, the wicked old man, the shrewish Doña Barbara, the
treacherous Esmeralda, the house in which she lived like a prisoner
—she forgot all that completely in this room with its magic
implements, in this darkness lit only by the dim flicker of the lantern,
beside this charming young man who would soon kiss her. At least,
she hoped he would.
But Pestel was timid. He went up to the telescope, unscrewed the
gleaming brass cover, and said: “Let us take a look at the stars.” He
looked in. Then he asked Letitia to do the same. Letitia saw a milky
mist and flashing, leaping fires. “Are those the stars?” she asked,
with a coquettish melancholy in her voice.
Then Pestel told her about the stars. She listened with radiant eyes,
although it didn’t in the least interest her to know how many millions
of miles distant from the earth either Sirius or Aldebaran happened
to be, and what precisely was the mystery which puzzled scientists
in regard to the southern heavens.
“Ah,” she breathed, and there was indulgence and a dreamy
scepticism in that sound.
The lieutenant, abandoning the cosmos and its infinities, talked
about himself and his life, of Letitia and of the impression she had
made on him, and of the fact that he thought only of her by day and
by night.
Letitia remained very, very still in order not to turn his thoughts in
another direction and thus disturb the sweet suspense of her mood.
As befitted a man with a highly developed conscience, Pestel had
definitely laid his plans for the future. When he returned at the end
of six months, ways and means were to be found for Letitia’s divorce
from Stephen and her remarriage to him. He thought of flight only
as an extreme measure.
He told her that he was poor. Only a very small capital was
deposited in his name in Stuttgart. He was a Suabian—simple-
hearted, sober, and accurate.
“Ah,” Letitia sighed again, half-astonished and half-saddened. “It
doesn’t matter,” she said with determination. “I’m rich. I own a great
tract of forest land. My aunt, the Countess Brainitz, gave it to me as
a wedding present.”
“A forest? Where?” Pestel asked, and smiled.
“In Germany. Near Heiligenkreuz in the Rhön region. It’s as big as a
city, and when it’s sold it will bring a lot of money. I’ve never been
there, but I’ve been told that it contains large deposits of some ore.
That would have to be found and exploited. Then I’d be even richer
than if I sold the forest.” These facts had grown in Letitia’s
imagination; they were the children of the dreams and wishes she
had harboured since her slavery in this strange land. She was not
lying; she had quite forgotten that she had invented it all. She
wished this thing to be so, and it had taken on reality in her mind.
“It’s too good, altogether too good to be true,” Pestel commented
thoughtfully.
His words moved Letitia. She began to sob and threw herself on his
breast. Her young life seemed hard to her and ugly and surrounded
by dangers. Nothing she had hoped for had become reality. All her
pretty soap-bubbles had burst in the wind. Her tears sprang from
her deep realization of this fact and out of her fear of men and of
her fate. She yearned for a pair of strong arms to give her protection
and security.
Pestel was also moved. He put his arms about her and ventured to
kiss her forehead. She sobbed more pitifully, and so he kissed her
mouth. Then she smiled. He said that he would love her until he
died, that no woman had ever inspired such feelings in him.
She confessed to him that she was with child by the unloved
husband to whom she was chained. Pestel pressed her to his bosom,
and said: “The child is blood of your blood, and I shall regard it as
my own.”
The time was speeding dangerously. Holding each other’s hands
they went down the stairs. They parted with the promise to write
each other daily.
“When he returns from Africa I’ll flee with him on his ship,” Letitia
determined, as she rode home slowly across the dark plain.
Everything else seemed ugly and a bore to her. “Oh, if only it were
to be soon,” she thought in her anxiety and heart-ache. And curiosity
stirred in her to know how Pestel would behave and master the
dangers and the difficulties involved. She believed in him, and gave
herself up to tender and tempting dreams of the future.
In the house her absence had finally been noticed, and servants had
been sent out to look for her. She slipped into the house by obscure
paths, and then emerged from her room with an air of innocence.

XVIII
Stettner had returned to Hamburg. His ship was to sail on that very
evening. He had several errands in the city, and Christian and
Crammon waited for him in order to accompany him to the pier.
Crammon said: “A captain of Hussars who suddenly turns up in mufti
—I can’t help it, there’s something desperate about it to me. I feel
as though I were on a perpetual visit of condolence. After all, he’s
déclassé, and I don’t like people in that situation. Social classes are
a divine institution; a man who interferes with them wounds his own
character. One doesn’t throw up one’s profession the way one tosses
aside a rotten apple. These are delicate and difficult matters.
Common sense may disregard them; the higher intelligence
reverences them. What is he going to do among the Yankees? What
good can come of it?”
“He’s a chemist by inclination, and scholarly in his line,” Christian
answered. “That will help.”
“What do the Yankees care about that? He’s more likely to catch
consumption and be trodden under. He’ll be stripped of pride and
dignity. It’s a country for thieves, waiters, and renegades. Did he
have to go as far as all this?”
“Yes,” Christian answered, “I believe he did.”
An hour later they and Stettner arrived at the harbour. Cargoes and
luggage were still being stowed, and they strolled, Stettner between
Crammon and Christian, up and down a narrow alley lined with
cotton-bales, boxes, barrels, and baskets. The arc lamps cast radiant
light from the tall masts, and a tumult of carts and cranes, motors
and bells, criers and whistles rolled through the fog. The asphalt was
wet; there was no sky to be seen.
“Don’t forget me wholly here in the old land,” said Stettner. A silence
followed.
“I don’t know whether we shall be as well off in the old country in
the future as we have been in the past,” said Crammon, who
occasionally had pessimistic attacks and forebodings. “Hitherto we
haven’t suffered. Our larders and cellars have been well-stocked, nor
have the higher needs been neglected. But times are getting worse,
and, unless I mistake, clouds are gathering on the political horizon.
So I can’t call it a bad idea, my dear Stettner, to slip away quietly
and amiably. I only hope that you’ll find some secure position over
there from which you may calmly watch the spectacle of our
débâcle. And when the waves rise very high, you might think of us
and have a mass said for us, that is for me, because Christian has
been expelled from the bosom of Holy Church.”
Stettner smiled at this speech. But he became serious again at once.
“It seems to me too that, in a sense, we’re all trapped here. Yet I
have never felt myself so deeply and devotedly a German as at this
moment when I am probably leaving my fatherland forever. But in
that feeling there is a stab of pain. It seems to me as though I
should hurry from one to another and sound a warning. But what to
warn them of, or why warn them at all—I don’t know.”
Crammon answered weightily. “My dear old Aglaia wrote me the
other day that she had dreamed of black cats all night long. She is
deep, she has a prophetic soul, and dreams like that are of evil
presage. I may enter a monastery. It is actually within the realm of
the possible. Don’t laugh, Christian; don’t laugh, my dearest boy!
You don’t know all my possibilities.”
It had not occurred to Christian to laugh.
Stettner stopped and gave his hands to his friends. “Good-bye,
Crammon,” he said cordially. “I’m grateful that you accompanied me.
Good-bye, dear Christian, good-bye.” He pressed Christian’s hand
long and firmly. Then he tore himself away, hastened toward the
gang-plank, and was lost in the crowd.
“A nice fellow,” Crammon murmured. “A very nice fellow. What a
pity!”
When the car met them Christian said: “I’d like to walk a bit, either
back to the hotel or somewhere else. Will you come, Bernard?”
“If you want me, yes. Toddling along is my portion.”
Christian dismissed his car. He had a strange foreboding, as though
something fateful were lying in wait for him.
“Ariel’s days here are numbered,” said Crammon. “Duty calls me
away. I must look after my two old ladies. Then I must join Franz
Lothar in Styria. We’ll hunt heath-cocks. After that I’ve agreed to
meet young Sinsheim in St. Moritz. What are your plans, my dear
boy?”
“I leave for Berlin to-morrow or the day after.”
“And what in God’s name are you going to do there?”
“I’m going to work.”
Crammon stopped, and opened his mouth very wide. “Work?” he
gasped, quite beside himself. “What at? What for, O misguided one?”
“I’m going to take courses at the university, under the faculty of
medicine.”
Horrified, Crammon shook his head. “Work ... courses ... medicine....
Merciful Providence, what does this mean? Is there not enough
sweat in the world, not enough bungling and half-wisdom and ugly
ambition and useless turmoil? You’re not serious.”
“You exaggerate as usual, Bernard,” Christian answered, with a
smile. “Don’t always be a Jeremiah. What I’m going to do is
something quite simple and conventional. And I’m only going to try.
I may not even succeed; but I must try it. So much is sure.”
Crammon raised his hand, lifted a warning index finger, and said
with great solemnity: “You are upon an evil path, Christian, upon a
path of destruction. For many, many days I have had a presentiment
of terrible things. The sleep of my nights has been embittered; a
sorrow gnaws at me and my peace has flown. How am I to hunt in
the mountains when I know you to be among the Pharisees? How
shall I cast my line into clear streams when my inner eye sees you
bending over greasy volumes or handling diseased bodies? No wine
will glitter beautifully in my glass, no girl’s eyes seem friendly any
more, no pear yield me its delicate flavour!”
“Oh, yes, they will,” Christian said, laughing. “More than that: I hope
you’ll come to see me from time to time, to convince yourself that
you needn’t cast me off entirely.”
Crammon sighed. “Indeed I shall come. I must come and soon, else
the spirit of evil will get entire control of you. Which may God
forbid!”

XIX
Johanna told Eva, whom she adored, about her life. Eva thus
received an unexpected insight into the grey depths of middle-class
existence. The account sounded repulsive. But it was stimulating to
offer a spiritual refuge to so much thirst and flight.
She herself often seemed to her own soul like one in flight. But she
had her bulwarks. The wind of time seemed cold to her, and when
she felt a horror of the busy marionettes whose strings were in her
hands, she felt herself growing harder. The friendship which she
gave to this devoted girl seemed to her a rest in the mad race of her
fate.
They were so intimate that Susan Rappard complained. The latter
opened her eyes wide and her jealousy led her to become a spy. She
became aware of the relations that had developed between Johanna
and Christian.
At dinner there had been much merriment. Johanna had bought a
number of peaked, woollen caps. She had wrapped them carefully in
white paper, written some witty verses on each bundle, and
distributed them as favours to Eva’s guests. No one had been vexed.
For despite her mockery and gentle eccentricity, there was a charm
about her that disarmed every one.
“How gay you are to-day, Rumpelstilzkin,” Eva said. She, too, used
that nickname. The word, which she pronounced with some
difficulty, had a peculiar charm upon her lips.
“It is the gaiety that precedes tears,” Johanna answered, and yielded
as entirely to her superstitious terror as she had to her jesting mood.
A wealthy ship-owner had invited Eva to view his private picture
gallery. His house was in the suburbs. She drove there with Johanna.
Arm in arm they stood before the paintings. And in that absorbed
union there was something purifying. Johanna loved it as she loved
their common reading of poetry, when they would sit with their
cheeks almost touching. Extinguished in her selfless adoration, she
forgot what lay behind her—the anxious, sticky, unworthily ambitious
life of her family of brokers; she forgot what lay before her—
oppression and force, an inevitable and appointed way.
Her gestures revealed a gentle glow of tenderness.
On their way back she seemed pale. “You are cold,” Eva said, and
wrapped the robe more firmly about her friend.
Johanna squeezed Eva’s hand gratefully. “How dear of you! I shall
always need some one to tell me when I’m hot or cold.”
This melancholy jest moved Eva deeply. “Why do you act so
humble?” she cried. “Why do you shrink and hide and turn your
vision away from yourself? Why do you not dare to be happy?”
Johanna answered: “Do you not know that I am a Jewess?”
“Well?” Eva asked in her turn. “I know some very extraordinary
people who are Jews—some of the proudest, wisest, most
impassioned in the world.”
Johanna shook her head. “In the Middle Ages the Jews were forced
to wear yellow badges on their garments,” she said. “I wear the
yellow badge upon my soul.”
Eva was putting on a tea gown. Susan Rappard was helping her.
“What’s new with us, Susan?” Eva asked, and took the clasps out of
her hair.
Susan answered: “What is good is not new, and what is new is not
good. Your ugly little court fool is having an affair with M.
Wahnschaffe. They are very secretive, but there are whispers. I
don’t understand him. He is easily and quickly consoled. I have
always said that he has neither a mind nor a heart. Now it is plain
that he has no eyes either.”
Eva had flushed very dark. Now she became very pale. “It is a lie,”
she said.
Susan’s voice was quite dry. “It is the truth. Ask her. I don’t think
she’ll deny it.”
Shortly thereafter Johanna slipped into the room. She had on a
dress of simple, black velvet which set off her figure charmingly. Eva
sat before the mirror. Susan was arranging her hair. She had a book
in her hand and read without looking up.
On a chair near the dressing-table lay an open jewel case. Johanna
stood before it, smiled timidly, and took out of it a beautifully cut
cameo, which she playfully fastened to her bosom; she looked
admiringly at a diadem and put it in her hair; she slipped on a few
rings and a pearl bracelet over her sleeve. Thus adorned she went,
half hesitatingly, half with an air of self-mockery, up to Eva.
Slowly Eva lifted her eyes from the book, looked at Johanna, and
asked: “Is it true?” She let a few seconds pass, and then with wider
open eyes she asked once more: “Is it true?”
Johanna drew back, and the colour left her cheeks. She suspected
and knew and began to tremble.
Then Eva arose and went close up to her and stripped the cameo
from the girl’s bosom, the diadem from her hair, the rings from her
fingers, the bracelet from her arm, and threw the things back into
the case. Then she sat down again, took up her book, and said:
“Hurry, Susan! I want to rest a little.”
Johanna’s breath failed her. She looked like one who has been
struck. A tender blossom in her heart was crushed forever, and from
its sudden withering arose a subtle miasma. Almost on the point of
fainting she left the room.
As though to seal the end of a period in her life and warn her of evil
things to come, she received within two hours a telegram from her
mother which informed her of a catastrophe and urgently
summoned her home. Fräulein Grabmeier began packing at once.
They were to catch the train at five o’clock in the morning.
From midnight on Johanna sat waiting in Christian’s room. She lit no
light. In the darkness she sat beside a table, resting her head in her
hands. She did not move, and her eyes were fixed on vacancy.

XX
In the course of their talk Christian and Crammon had wandered
farther and farther into the tangled alleys around the harbour. “Let
us turn back and seek a way out,” Crammon suggested. “It isn’t very
nice here. A damnable neighbourhood, in fact.”
He peered about, and Christian too looked around. When they had
gone a few steps farther, they came upon a man lying flat on his
belly on the pavement. He struggled convulsively, croaked obscene
curses, and shook his fist threateningly toward a red-curtained,
brightly lit door.
Suddenly the door opened, and a second man flew out. A paper box,
an umbrella, and a derby hat were pitched out after him. He
stumbled down the steps with outstretched arms, fell beside the first
man, and remained sitting there with heavy eyes.
Christian and Crammon looked in through the open door. In the
smoky light twenty or thirty people were crouching. The monotonous
crying of a woman became audible. At times it became shriller.
The glass door was flung shut.
“I shall see what goes on in there,” said Christian, and mounted the
steps to the door. Crammon had only time to utter a horrified
warning. But he followed. The reek of cheap whiskey struck him as
he entered the room behind Christian.
Beside tables and on the floor crouched men and women. In every
corner lay people, sleeping or drunk. The eyes which were turned
toward the newcomers were glassy. The faces here looked like lumps
of earth. The room, with its dirty tables, glasses, and bottles had a
colour-scheme of scarlet and yellow. Two sturdy fellows stood
behind the bar.
The woman whose crying had penetrated to the street sat on a
bench beside the wall. Blood was streaming down her face, and she
continued to utter her monotonous and almost bestial whine. In
front of her, trying hard to keep erect on legs stretched far apart,
stood the huge fellow whom Christian had observed at the public
funeral of the murdered harlot. In a hoarse voice, in the extreme
jargon of the Berlin populace, he was shouting: “Yuh gonna git
what’s comin’ to yuh! I’ll show yuh what’s what! I’ll blow off yer
dam’ head-piece’n yuh cin go fetch it in the moon!”
On the threshold of an open door in the rear stood a stout man with
innumerable watch-charms dangling across his checked waistcoat. A
fat cigar was held between his yellow teeth. He regarded the scene
with a superior calm. It was the proprietor of the place. When he
saw the two strangers his brows went up. He first took them to be
detectives, and hastened to meet them. Then he saw his mistake
and was the more amazed. “Come into my office, gentlemen,” he
said in a greasy voice, and without removing the cigar. “Come back
there, and I’ll give you a drink of something good.” He drew
Christian along by the arm. A woman with a yellow head-kerchief
arose from the floor, stretched out her arms toward Christian, and
begged for ten pfennigs. Christian drew back as from a worm.
An old man tried to prevent the gigantic lout from maltreating the
bleeding woman any more. He called him Mesecke and fawned upon
him. But Mesecke gave him a blow under the chin that sent him
spinning and moaning. Murmurs of protest sounded, but no one
dared to offend the giant. The proprietor whispered to Christian:
“What he wants is brass; wants her to go on the street again and
earn a little. Nothing to be done right now.”
He grasped Crammon by the sleeve too, and drew them both
through the door into a dark hall. “I suppose you gentlemen are
interested in my establishment?” he asked anxiously. He opened a
door and forced them to enter. The room into which they came
showed a tasteless attempt at such luxury as is represented by red
plush and gilt frames. The place was small, and the furniture stood
huddled together. Crossed swords hung above a bunch of peacock
feathers, and above the swords the gay cap of a student fraternity.
Between two windows stood a slanting desk covered with ledgers.
An emaciated man with a yellowish face sat at the desk and made
entries in a book. He quivered when the proprietor entered the
room, and bent more zealously over his work.
The proprietor said: “I’ve got to take care of you gents or something
might happen. When that son of a gun is quiet you can go back and
look the place over. I guess you’re strangers here, eh?” From a shelf
he took down a bottle. “Brandy,” he whispered. “Prime stuff. You
must try it. I sell it by the bottle and by the case. A number one!
Here you are!” Crammon regarded Christian, whose face was
without any sign of disquiet. With a sombre expression he went to
the table and, as though unseeing, touched his lips to the glass
which the proprietor had filled. It was a momentary refuge, at all
events.
In the meantime a frightful noise penetrated from the outer room.
“Fighting again,” said the proprietor, listened for a moment, and then
disappeared. The noise increased furiously for a moment. Then
silence fell. The book-keeper, without raising his waxy face, said:
“Nobody can stand that. It’s that way every night. And the books
here show the profits. That man Hillebohm is a millionaire, and he
rakes in more and more money without mercy, without compassion.
Nobody can stand that.”
The words sounded like those of a madman.
“Are we going to permit ourselves to be locked up here?” Crammon
asked indignantly. “It’s rank impudence.”
Christian opened the door, and Crammon drew from his back pocket
the Browning revolver that was his constant companion. They
passed through the hall and stopped on the threshold of the outer
room. Mesecke had vanished. Many arms had finally expelled him.
The woman from whom he had been trying to get money was
washing the blood from her face. The old man who had been beaten
when he had pleaded for her said consolingly: “Don’t yuh howl,
Karen. Things’ll get better. Keep up, says I!” The woman hardly
listened. She looked treacherous and angry.
A tangle of yellow hair flamed on her head, high as a helmet and
unkempt. While she was bleeding she had wiped the blood with her
naked hand, and then stained her hair with it.
“You go home now,” the proprietor commanded. “Wash your paws
and give our regards to God if you see him. Hurry up, or your
sweetheart’ll be back and give you a little more.”
She did not move. “Well, how about it, Karen,” a woman shrilled.
“Hurry. D’yuh want some more beating?”
But the woman did not stir. She breathed heavily, and suddenly
looked at Christian.
“Come with us,” Christian said unexpectedly. The bar-tenders roared
with laughter. Crammon laid a hand of desperate warning on
Christian’s shoulder.
“Come with us,” Christian repeated calmly. “We will take you home.”
A dozen glassy eyes stared their mockery. A voice brayed: “Hell, hell,
but you’re gettin’ somethin’ elegant.” Another hummed as though
scanning verses: “If that don’t kill the bedbugs dead, I dunno what’ll
do instead! Don’t yuh be scared, Karen. Hurry! Use your legs!”
Karen got up. She had not taken her shy and sombre eyes from
Christian. His beauty overwhelmed her. A crooked, frightened,
cynical smile glided over her full lips.
She was rather tall. She had fine shoulders and a well-developed
bosom. She was with child—perhaps five months; it was obvious
when she stood. She wore a dark green dress with iridescent
buttons, and at her neck a flaming red riband fastened by a brooch
that represented in silver, set with garnets, a Venetian gondola, and
bore the inscription: Ricordo di Venezia. Her shoes were clumsy and
muddy. Her hat—made of imitation kid and trimmed with cherries of
rubber—lay beside her on the bench. She grasped it with a strange
ferocity.
Christian looked at the riband and at the silver brooch with its
inscription: Ricordo di Venezia.
Crammon sought to protect their backs. For new guests were
coming in—fellows with dangerous faces. He had simply yielded to
the inevitable and incomprehensible, and determined to give a good
account of himself. He gritted his teeth over the absence of proper
police protection, and said to himself: “We won’t get out of this hole
alive, old boy.” And he thought of his comfortable hotel-bed, his
delicious, fragrant bath, his excellent breakfast, and of the box of
chocolates on his table. He thought of young girls who exhaled the
fresh sweetness of linen, of all pleasant fragrances, of Ariel’s smile
and Rumpelstilzkin’s gaiety, and of the express train that was to have
taken him to Vienna. He thought of all these things as though his
last hour had come.
Two sailors came in dragging between them a girl who was pale and
stiff with drunkenness. Roughly they threw her on the floor. The
creature moaned, and had an expression of ghastly voluptuousness,
of strange lasciviousness on her face. She lay there stiff as a board.
The sailors, with a challenge in their voices, asked after Mesecke. He
had evidently met them and complained to them. They wanted to
get even with the proprietor. One of them had a scarlet scratch
across his forehead; the other’s arms were naked up to his shoulders
and tattooed until they were blue all over. The tattooing represented
a snake, a winged wheel, an anchor, a skull, a phallus, a scale, a
fish, and many other objects.
Both sailors measured Christian and Crammon with impudent
glances. The one with the tattooed arms pointed to the revolver in
Crammon’s hand, and said: “If you don’t put up that there pistol I’ll
make you, by God!”
The other went up to Christian and stood so close to him that he
turned pale. Vulgarity had never yet touched him, nor had the
obscene things of the gutter splashed his garments. Contempt and
disgust arose hotly in him. These might force him to abandon his
new road; for they were more terrible than the vision of evil he had
had in the house of Szilaghin.
But when he looked into the man’s eyes, he became aware of the
fact that the latter could not endure his glance. Those eyes twitched
and flickered and fled. And this perception gave Christian courage
and a feeling of inner power, the full effectiveness of which was still
uncertain.
“Quiet there!” the proprietor roared at the two sailors. “I want order.
You want to get the police here, do you? That’d be fine for us all,
eh? You’re a bit crazy, eh? The girl can go with the gentlemen, if
they’ll pay her score. Two glasses champagne—that’s one mark fifty.
And that ends it.”
Crammon laid a two-mark piece on the table. Karen Engelschall had
put on her hat, and turned toward the door. Christian and Crammon
followed her, and the proprietor followed them with sarcastic
courtesy, while the two sturdy bar-tenders formed an additional
bodyguard. A few half-drunken men sent the strains of a jeering
song behind them.
The street was empty. Karen gazed up and down it, and seemed
uncertain in which direction she should go. Crammon asked her
where she lived. She answered harshly that she didn’t want to go
home. “Then where shall we take you?” Crammon asked, forcing
himself to be patient and considerate. She shrugged her shoulders.
“It don’t matter,” she said. Then, after a while, she added defiantly.
“I don’t need you.”
They went toward the harbour, Karen between the two men. For a
moment she stopped and murmured with a shudder of fear: “But I
mustn’t run into him. No, I mustn’t.”
“Will you suggest something then?” Crammon said to her. His
impulse was simply to decamp, but for Christian’s sake, and in the
hope of saving him uninjured from this mesh of adventures, he
played the part of interest and compassion.
Karen Engelschall did not answer, but hurried more swiftly as she
caught sight of a figure in the light of a street lamp. Until she was
beyond its vision she gasped with terror.
“Shall we give you money?” Crammon asked again.
She answered furiously: “I don’t need your money. I want no
money.” Surreptitiously she gazed at Christian, and her face grew
malicious and stubborn.
Crammon went over beside Christian, and spoke to him in French.
“The best thing would be to take her to an inn where she can get a
room and a bed. We can deposit a sum of money there, so that she
is sheltered for a while. Then she can help herself.”
“Quite right. That will be best,” Christian replied. And, as though he
could not bear to address her, he added: “Tell her that.”
Karen stopped. She lifted her shoulders as though she were cold,
and said in a hoarse voice: “Leave me alone. What are you two
talking about? I won’t walk another step. I’m tired. Don’t pay no
attention to me!” She leaned against the wall of a house, and her
hat was pushed forward over her forehead. She was as sorry and
dissipated a looking object as one could possibly imagine.
“Isn’t that the sign of an inn?” Crammon asked and pointed to an
illuminated sign at the far end of the street.
Christian, who had very keen eyes, looked and answered: “Yes. It
says ‘King of Greece.’ Do go and inquire.”
“A lovely neighbourhood and a lovely errand,” Crammon said
plaintively. “I am paying for my sins.” But he went.
Christian remained with the woman, who looked down silently and
angrily. Her fingers scratched at her riband. Christian listened to the
beating of the tower-clock. It struck two. At last Crammon
reappeared. He beckoned from a distance and cried: “Ready.”
Christian addressed the girl for the first time. “We’ve found a shelter
for you,” he said, a little throatily, and, quite contrary to his wont,
blinked his eyes. His own voice sounded disagreeably in his ears.
“You can stay there for some days.”
She looked at him with eyes that glowed with hatred. An
indescribable but evil curiosity burned in her glance. Then she
lowered her eyes again. Christian was forced to speak again: “I think
you will be safe from that man there. Try to rest. Perhaps you are ill.
We could summon a physician.”
She laughed a soft, sarcastic laugh. Her breath smelt of whiskey.
Crammon called out again.
“Come on then,” Christian said, mastering his aversion with difficulty.
His voice and his words made the same overwhelming impression on
her that his appearance had done. She started to go as though she
were being propelled from behind.
A sleepy porter in slippers stood at the door of the inn. His servile
courtesy proved that Crammon had known how to treat him.
“Number 14 on the second floor is vacant,” he said.
“Send some one to your lodgings to-morrow for your things,”
Crammon advised the girl.
She did not seem to hear him. Without a word of thanks or greeting
she followed the porter up the soiled red carpet of the stairs. The
rubber cherries tapped audibly against the brim of her hat. Her
clumsy form disappeared in the blackness.
Crammon breathed a sigh of relief. “My kingdom for a four-wheeler,”
he moaned. At a nearby corner they found a cab.
XXI
When Christian entered his room and switched on the electric light,
he was surprised to find Johanna sitting at the table. She shaded her
eyes from the sudden glare. He remained at the door. His frown
disappeared when he saw the deadly pallor of the girl’s face.
“I must leave,” Johanna breathed. “I’ve received a telegram and I
must start for Vienna at once.”
“I am about to leave, too,” Christian answered.
For a while there was silence. Then Johanna said: “Shall I see you
again? Will you want me to? Dare I?” Her timid questions showed
the old division of her soul. She smiled a smile of patience and
renunciation.
“I shall be in Berlin,” Christian answered. “I don’t know yet where I
shall live. But whenever you want to know, ask Crammon. He is
easily reached. His two old ladies send him all letters.”
“If you desire it, I can come to Berlin,” Johanna said with the same
patient and resigned smile. “I have relatives there. But I don’t think
that you do desire it.” Then, after a pause, during which her gentle
eyes wandered aimlessly, she said: “Then is this to be the end?” She
held her breath; she was taut as a bow-string.
Christian went up to the table and rested the index finger of one
hand on its top. With lowered head he said slowly: “Don’t demand a
decision of me. I cannot make one. I should hate to hurt you. I don’t
want something to happen again that has happened so often before
in my life. If you feel impelled to come—come! Don’t consider me.
Don’t think, above all, that I would then leave you in the lurch. But
just now is a critical time in my life. More I cannot say.”
Johanna could gather nothing but what was hopeless for herself
from these words. Yet through them there sounded a note that
softened their merely selfish regretfulness. With a characteristically
pliant gesture, she stretched out her arm to Christian. Her pose was
formal and her smile faint, as she said: “Then, au revoir—perhaps!”

XXII
When the girl had gone, Christian lay down on the sofa and folded
his hands beneath his head. Thus he lay until dawn. He neither
switched off the light nor did he close his eyes.
He saw the paintless stairs that led to the den where he had been
and the red carpet of the inn soiled by many feet; he saw the lamp
in the desolate street and the watch charms on the proprietor’s
waistcoat; he saw the brandy bottle on the shelf, and the green
shawl of one of the drunken women, and the tattooed symbols on
the sailor’s naked arm: the anchor, the winged wheel, the phallus,
the fish, the snake; he saw the rubber cherries on the prostitute’s
hat and the silver brooch with the garnets and the foolish motto:
Ricordo di Venezia.
And more and more as he thought of these things they awakened in
him an ever surer feeling of freedom and of liberation, and seemed
to release him from other things that he had hitherto loved, the rare
and precious things that he had loved so exclusively and fruitlessly.
And they seemed to release him likewise from men and women
whose friendship or love had been sterile in the end.
As he lay there and gazed into space, he lived in these poor and
mean things, and all fruitless occupations and human relationships
lost their importance; and even the thought of Eva ceased to
torment him and betray him into fruitless humiliation.
That radiant and regal creature allured him no more, when he
thought of the blood-stained face of the harlot. For the latter
aroused in him a feeling akin to curiosity that gradually filled his soul
so entirely that it left room for nothing else.
Toward dawn he slumbered for an hour. Then he arose, and bathed
his face in cold water, left the hotel, hired a cab, and drove to the
inn called “The King of Greece.”
The nightwatchman was still at his post. He recognized this early
guest and guided him with disagreeable eagerness up two flights of
stairs to the room of Karen Engelschall.
Christian knocked. There was no answer. “You just go in, sir,” said
the porter. “There ain’t no key and the latch don’t work. All kinds of
things will happen, and it’s better for us to have the doors unlocked.”
Christian entered. It was a room with ugly brown furnishings, a dark-
red plush sofa, a round mirror with a crack across its middle, an
electric bulb at the end of a naked wire, and a chromo-lithograph of
the emperor. Everything was dusty, worn, shabby, used-up, poor and
mean.
Karen Engelschall lay in the bed asleep. She was on her back, and
her dishevelled hair looked like a bundle of straw; her face was pale
and a little puffy. Recent scars showed on her forehead and right
cheek. Her full but flaccid breasts protruded above the coverings.
His old and violent dislike of sleeping people stirred in Christian, but
he mastered it and regarded her face. He wondered from what
social class she had come, whether she was a sailor’s or a
fisherman’s daughter, a girl of the lower middle-classes, of the
proletariat or the peasantry. Thus his curiosity employed his mind for
a while until he became fully aware of the indescribable perturbation
of that face. It was as void of evil as of good; but as it lay there it
seemed distraught by the unheard of torment of its dreams. Then
Christian thought of the carnelian on Mesecke’s hand, and the
repulsively red stone which was like a beetle or a piece of raw flesh
became extraordinarily vivid to him.
He made a movement and knocked against a chair; the noise
awakened Karen Engelschall. She opened her lids, and fear and
horror burned in her eyes when she observed a figure in her room;
her features became distorted with fury, and her mouth rounded
itself for a cry. Then she saw who the intruder was, and with a sigh
of relief slid back among the pillows. Her face reassumed its
expression of stubbornness and of enforced yielding. She watched,
not knowing what to make of this visit, and seemed to wonder and
reflect. She drew the covers up under her chin, and smiled a
shallow, flattered smile.
Involuntarily Christian’s eyes looked for the red riband and the silver
brooch. The girl’s garments had been flung pell-mell on a chair. The
hat with the rubber cherries lay on the table.
“Why do you stand?” Karen Engelschall asked in a cheerful voice.
“Sit down.” Again, as in the night, his splendour and distinction
overwhelmed her. Smiling her empty smile, she wondered whether
he was a baron or a count. She had slept soundly and felt refreshed.
“You cannot stay in this house very long,” Christian said courteously.
“I have considered what had better be done for you. Your condition
requires care. You must not expose yourself to the brutality of that
man. It would be best if you left the city.”
Karen Engelschall laughed a harsh laugh. “Leave the city? How’s that
going to be done? Girls like me have to stay where they are.”
“Has any one a special claim on you?” Christian asked.
“Claim? Why? How do you mean? Oh, I see. No, no. It’s the way
things are in our business. The feller to whom you give your money,
he protects you, and the others mind him. If he’s strong and has
many friends you’re safe. They’re all rotten, but you got no choice.
You get no rest day or night, and your flesh gets tired, I can tell
you.”
“I can imagine that,” Christian replied, and for a second looked into
Karen’s round and lightless eyes, “and for that reason I wanted to
put myself at your disposal. I shall leave Hamburg either to-day or
to-morrow, and probably stay in Berlin for some months. I am ready
to take you with me. But you must not delay your decision, because
I have not yet any address in Berlin, I don’t know yet where I shall
live, and if a plan like this is delayed it is usually not carried out at
all. At the moment you have eluded your pursuer, and so the
opportunity to escape is good. You don’t need to send for your
things. I can get you whatever you need when we arrive.”
Those words, spoken with real friendliness, did not have the effect
which Christian expected. Karen Engelschall could not realize the
simplicity and frankness of their intention. A mocking suspicion arose
in her mind. She knew of Vice Crusaders and Preachers of Salvation;
and these men her world as a rule fears as much as it does the
emissaries of the police. But she looked at Christian more sharply,
and an instinct told her that she was on the wrong track. Clumsily
considering, she drifted to other suppositions that had a tinge of
cheap romance. She thought of plots and kidnapping and a possible
fate more terrible than that under the heel of her old tormentor. She
brooded over these thoughts in haste and rage, with convulsed
features and clenched fist, passing from fear to hope and from hope
to distrust, and yet, even as on the day before, compelled by
something irresistible, a force from which she could not withdraw
and which made her struggles futile.
“What do you want to do with me?” she asked, and gave him a
penetrating glance.
Christian considered in order to weigh his answer carefully. “Nothing
but what I have told you.”
She became silent and stared at her hands. “My mother lives in
Berlin,” she murmured. “Maybe you’d want me to go back to her. I
don’t want to.”
“You are to go with me.” Christian’s tone was firm and almost hard.
His chest filled with breath and exhaled the air painfully. The final
word had been spoken.
Karen looked at him again. But now her eyes were serious and
awake to reality. “And what shall I do when I’m with you?”
Christian answered hesitatingly: “I’ve come to no decision about
that. I must think it over.”
Karen folded her hands. “But I’ve got to know who you are.”
He spoke his name.
“I am a pregnant woman,” she said with a sombre look, and for the
first time her voice trembled, “a street-walker who’s pregnant. Do
you know that? I’m the lowest and vilest thing in the whole world!
Do you know that?”
“I know it,” said Christian, and cast down his eyes.
“Well, what does a fine gentleman like you want to do with me? Why
do you take such an interest in me?”
“I can’t explain that to you at the moment,” Christian answered
diffidently.
“What am I to do? Go with you? Right away?”
“If you are willing, I shall call for you at two, and we can drive to the
station.”
“And you won’t be ashamed of me?”
“No, I shall not be ashamed.”
“You know how I look? Suppose people point their fingers at the
whore travelling with such an elegant gentleman?”
“It does not matter what people do.”
“All right. I’ll wait for you.” She crossed her arms over her breast and
stared at the ceiling and did not stir. Christian arose and nodded and
went out. Nor did Karen move when he was gone. A deep furrow
appeared on her forehead, the fresh scars gleamed like burns upon
her earthy skin, a dull and primitive amazement turned her eyes to
stone.

XXIII

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