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CCI Décroissance Volumique

CCI Décroissance volumique janv 2025

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LA SOBRIÉTÉ par la

DÉCROISSANCE VOLUMIQUE
EnseignementsÉTUDE
desPROSPECTIVE
entreprises pionnières
- DÉCEMBRE 2024

Étude prospective - Janvier 2025


LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

En 2023, la Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France


publiait une étude inédite sur la manière dont la sobriété peut
s’appliquer sur les maillons de la chaîne de valeur des entreprises et
revisiter, le cas échéant, leur modèle d’affaires. Intitulée « La sobriété
au cœur des modèles d’affaires de demain », elle est une contribution
objective à la recherche de solutions pragmatiques par les entreprises
dans leur quête de sobriété et de rentabilité. Faisant le constat que les
modèles actuels sont souvent insuffisants, l’étude a recensé plusieurs
cas d’entreprises et montré combien la mise en oeuvre de la sobriété
peut recouvrir des réalités très diverses : modularité, réversibilité,
aérodynamisme, multifonctionnalité, production à la demande,
efficience matières, intensité d’usage, monitoring de l’utilisation,
« Low-Tech », pérennité programmée, etc. Enfin, une démarche de
sobriété nécessite l’adoption de nouveaux indicateurs de performance
pour développer des modèles économiques innovants alors que les
normes et les règles en vigueur sont conçues pour un monde sans
limites planétaires.

Auteur
Corinne VADCAR,
Analyste Senior
Département Prospective
Direction générale adjointe Services, Information
et Représentation des Entreprises

2
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

SOMMAIRE

INTRODUCTION
1. Où en est-on un an après ? ......................................................................................................... 4
2. Deux ou trois choses que l’on sait de la sobriété...................................................................7

PARTIE 1
Les entreprises sur la voie de la décroissance volumique.. ...................................... 10
1. Les actions de limitation ou de modération de la demande .......................................................... 11
.
Intemporalité de l’offre .............................................................................................................................11
.
Moduralité et multifonctionnalité de l’offre ................................................................................. 12
.
Réparabilité de l’offre ............................................................................................................................... 12
.
Marketing de la modération, voire de la suffisance ................................................................. 15

2. Les actions de réduction de la production....................................................................................................16


.
Réduction/limitation du nombre de gammes et de produits ............................................. 17
.
Ajustement de la production par un modèle de production « à la demande » ........ 19
.
Réduction du nombre de clients par limitation volontaire des marchés.......................20

PARTIE 2
Les enseignements des pratiques de décroissance volumique. . ...............................21
1. Des attitudes peu conventionnelles à l’égard de la croissance ...................................................22
2. Des questions systémiques qui restent en suspens ............................................................................ 24
3. Une exploration qui reste complexe pour les entreprises............................................................... 25
.
Les écueils à surmonter ..........................................................................................................................25
.
Les points forts des expériences observées.................................................................................. 27

CONCLUSION
Créer les « infrastructures de la sobriété » .. .............................................................31

ANNEXE
Pratiques de sobriété des moyens, des intrants et des biens finis ......................... 32

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................... 33

3
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

INTRODUCTION

Dans une étude publiée en 2023, « La sobriété au coeur des modèles d’affaires de demain »,
la Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France examinait comment les entreprises
mettent en œuvre la sobriété sur divers maillons de la chaîne de valeur (voir ci-contre). À
travers les expériences recensées, il est apparu qu’une variété de vocables et de concepts est
nécessaire pour identifier et appréhender l’effort de sobriété économique des entreprises.
En l’état actuel, il n’y a de sobriété que volontaire de la part des entreprises1. À l’échelle nationale,
une sobriété imposée voire incitative reste encore improbable sauf en cas de resserrement
brutal des conditions d’accès aux ressources.
L’argumentation en faveur de la sobriété n’en reste pas moins valide. Une nouvelle limite planétaire
- seuil que l’humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions de sa
survie - est sur le point d’être atteinte, et les efforts déployés par les entreprises en matière d’éco-
responsabilité ne permettent pas d’échapper à une dynamique de consommation continue2. À
modèle économique inchangé, les entreprises dites soutenables doivent continuer à accroître
leurs ventes pour rester compétitives. De plus, leur offre demeure largement méconnue et se
limite souvent à des marchés de niche3 inaccessibles en termes de prix. Aussi ne suffit-il pas
de produire des biens et des services durables, des changements de modèle sont également
nécessaires.
Ce nouveau panorama propose une approche resserrée de la sobriété : « c’est le chemin
du trop vers le suffisant (…) »4. Cela induit une limitation ou une décroissance des volumes
de production. Les premières expériences des entreprises montrent que la sobriété est non
seulement réalisable et rentable, mais représente aussi un puissant levier de transformation.
Cette étude examine des cas d’usage souvent méconnus en France et en Europe.

1|O
 ù en est-on un an après ?
•L
 a sobriété économique ne suscite toujours pas l’enthousiasme des entreprises, malgré
une certaine banalisation du concept. La campagne de l’Ademe, qui encourageait une
alternative à l’achat, a provoqué des réactions très opposées à l’idée d’un ralentissement
des flux marchands entre producteurs et consommateurs5. En effet, la consommation est
souvent perçue comme un moyen d’exprimer son identité, ses valeurs et son statut social
(sorte de langage)6, ce qui rend difficile l’acceptation d’une approche non consumériste.

1
 ombe, Emmanuel (2022), « Les quatre visages de la sobriété », Les Échos, 13 octobre. L’auteur recense quatre types de sobriété :
C
volontaire, imposée, défensive et incitative.
2
« Environnement : et si vous louiez votre smartphone au lieu de l’acheter », Les Échos, 13 décembre 2023.
3
Ainsi, 15 % seulement de la population connaît l’existence du modèle de location de vêtements pour le quotidien, constate Ralph
Mansour, CEO de Le Closet. Et seuls 2 % des consommateurs en France ont testé la location de vêtements.
4
Selon Alexis Nicolas lors de la Conférence Immobilier & Prospective : « Quelles sobriétés pour quel immobilier ? », Observatoire de
l’immobilier durable, 3 juillet 2024. Alexis Nicolas souligne que la sobriété est aussi le chemin du « du pas assez vers le suffisant » sachant
que de larges franges de population vivent en-dessous du seuil de pauvreté dans de nombreux pays. Cette question de la décence, par
opposition à la démesure, n’est pas abordée dans la présente étude.
5
Meyer, Morgan (2023), « Sobriété versus surconsommation : pourquoi les “dévendeurs” de l’Ademe sont polémiques », The Conversation,
3 décembre.
6
Selon Dominique Meda lors de la Conférence Immobilier & Prospective : « Quelles sobriétés pour quel immobilier ? », Observatoire de
l’immobilier durable, 3 juillet 2024.

4
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

• La surproduction est souvent considérée comme « le problème des autres » : d’autres
pays tels que la Chine et d’autres secteurs tels que la mode ou le B2C en général. Pourtant,
la croissance volumique est une caractéristique de toutes les économies. Il est rare de
trouver des entreprises qui échappent à cette dynamique, à moins d’être de très petite
taille ou d’être artisanale.
• Aucune transition significative vers une réduction volontaire des volumes de production
n’est observée : dans un monde aux ressources limitées, le modèle de production de masse
demeure prédominant. En revanche, les efforts de sobriété passant par la modération ou
la limitation de la consommation se multiplient. Ils permettent de tendre vers des modèles
de suffisance qui « assurent la durabilité en réduisant le débit absolu de matières et la
consommation d’énergie associée à la fourniture de biens et de services en modérant la
consommation des utilisateurs finaux, en encourageant les consommateurs à se contenter
de moins »7.

Le refus ou le renoncement, parent pauvre des 10 RE de l’économie circulaire


Dans les démarches de soutenabilité, « le premier des 10 RE, qui correspond à “refuser”
c’est-à-dire limiter la fabrication et la consommation – est presque absent des initiatives
d’économie circulaire »8. À la place, on privilégie la limitation du gaspillage de ressources en
optimisant l’efficacité des procédés (éco-efficacité de la production et diminution des intrants
en matières et en énergie).

Les 10 RE de l’économie circulaire


(par ordre d’importance)

Source : Amsterdam Economic Board, 2023

7
 ancy M.P. Bocken, and Samuel William Short (2016), “Towards a sufficiency-driven business model: Experiences and opportunities”,
N
Environmental Innovation and Societal Transitions, Vol. 18, March.
8
Robert, Isabelle et Maud Herbert (2024), « Un business model qui encouragerait à consommer moins de vêtements est-il possible ? »,
The Conversation, 30 janvier. Voir aussi : Source : Les 10 RE de l’économie circulaire - de Refuser à Récupérer, Swiss Recycle, 18 mars 2023.

5
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

•L
 es pratiques de sobriété se concentrent principalement sur l’énergie et les matières (voir
annexe) ou sur quelques maillons de la chaîne de valeur. Par exemple, certains secteurs
se focalisent sur l’emballage, comme dans le cas des cosmétiques, tandis que d’autres
travaillent sur la conception et le design. Enfin, d’autre encore privilégient la réparation
et la réutilisation, comme dans l’électroménager. D’une certaine manière, on peut parler
de changements par petites touches, car l’intention des acteurs n’est pas nécessairement
de transformer complètement leur modèle d’affaires9. Il conviendrait, au contraire, d’avoir
une vision élargie de la chaîne de valeur en s’attachant à tous les maillons de manière
à « remonter le chemin de la production depuis les matières premières – coton, maïs,
caoutchouc, cuir – pour le déconstruire »10.
•L
 a sobriété peine à fournir des exemples poussés et les cas d’usage sont peu connus. Les
cas d’usage sont d’autant plus nécessaires que plus les expériences se multiplieront, plus
ce chemin deviendra accessible11. Pour l’heure, les entreprises qui la pratiquent relèvent
largement du secteur de la mode/habillement, souvent critiqué pour sa surproduction. Par
ailleurs, il s’agit souvent d’entreprises déjà engagées dans une offre éthique et durable.
Enfin, il est généralement plus facile de créer une entreprise sobre ou frugale dès le départ
(« native ») que de se transformer comme telle. Pour élargir le répertoire d’exemples, cette
étude inclut donc des cas européens et nord-américains.
•M
 ême si le nombre d’entreprises adoptant des pratiques de sobriété augmentait, cela ne
saurait compenser le fait que de nombreux acteurs de grande taille persistent dans des
modèles de production de masse. Dans le secteur de la mode, ce sont principalement les
grandes enseignes de distribution qui vendent le plus grand nombre de vêtements chaque
année. En 2022, ces distributeurs représentaient 40 % des vêtements commercialisés en
France. Il est, par conséquent, crucial que des entreprises emblématiques incarnent cette
sobriété pour servir d’exemple.

Nombre de pièces vendues par an en France (2022)

Source : En Mode Climat, à partir des donnés Kantar 2022

9
 Modèles économiques non durables : vers une extinction programmée », Terra Matters Consulting, L’œil de Sophie, 15 mars 2024.
«
10
« Construire une industrie à impact positif : “va-t-on passer d’un monde de concurrence à un monde de coopérance” ? », L’ADN,
22 février 2023.
11
Godelnik, Raz (2022), “The biggest sustainability challenge: Creating successful degrowth business models”, Medium, August 24.

6
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

2 | Deux ou trois choses que l’on sait de la sobriété


Le terme « sobriété » a tendance à être dévoyé à l’instar d’autres concepts liés à la soutenabilité
environnementale. Il fait l’objet d’une mauvaise lecture ou d’erreurs d’interprétation,
conduisant les divers acteurs à de petits arrangements avec la sobriété.

La sobriété incombe (encore) largement au consommateur


La sobriété est souvent perçue comme une démarche qui incombe principalement au client
si bien que les « petits gestes » des consommateurs sont généralement mis en avant dans
le débat. En d’autres termes, la sobriété est étudiée et considérée comme un enjeu de
demande plutôt que d’offre12. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce prisme.
• Les bases théoriques du démarketing : celles-ci ont tendance à mettre l’accent sur le levier
de la demande en préconisant une modération de la consommation.
• L’inversion de responsabilité (« greenshifting ») : elle consiste à rejeter la faute sur le
consommateur en le rendant, en grande partie, responsable du dépassement des limites
planétaires13 en vue de tromper sur ses actions environnementales.
• La difficulté à envisager une autre trajectoire : lorsque le modèle dominant de
l’entreprise basé sur la vente de biens garantit succès et performance, il est difficile,
pour elle, d’imaginer et de mettre en place un modèle d’affaires qui redéfinit l’interaction
commerciale. Les autres façons de faire des affaires sont, somme toute, assez peu connues
des entreprises.

Le concept est loin d’être stabilisé14


La notion de sobriété reste au cœur d’une lutte entre deux référentiels15.
• L e premier référentiel construit la sobriété comme un outil d’efficacité (sobriété entendue
comme construction de la juste mesure dans l’usage d’un produit). Il est préféré par les
acteurs politiques et économiques et soutenu tacitement par les consommateurs ; être
sobre consisterait alors à diminuer les déchets et les emballages, à optimiser la durée de
vie des biens, etc.
Il consiste aussi à « réduire la demande de produits et services, en redonnant une place
importante à “l’économie de la fonctionnalité et de la réparation” »16. Cependant, se limiter
à l’économie de l’usage risque d’être insuffisant. Les exemples dans des secteurs tels que
la mode ou l’équipement industriel montrent que ces approches abordent encore trop peu
la question de la production elle-même.
• L e second référentiel inscrit la sobriété comme moyen de s’ajuster aux limites planétaires
et de concevoir l’offre dans ces limites. Ce second référentiel n’est pas aujourd’hui
prédominant. Et il est plus documenté au plan théorique qu’au plan pratique.
Par ailleurs, la notion de sobriété est souvent confondue avec d’autres démarches. Bon
nombre d’initiatives relèvent, en réalité, de la durabilité au sens de remplacement de certains
matériaux par des alternatives plus écologiques. Pour paraphraser une célèbre publicité des
années 1970, « ça a la couleur de la sobriété, le goût de la sobriété… mais ce n’est pas de la
sobriété » !

12
 obert, Isabelle et Maud Herbert (2024), « Un business model qui encouragerait à consommer moins de vêtements est-il possible ? »,
R
The Conversation, 30 janvier.
13
Selon Planet Tracker cité in : « Greenhushing, greenshifting, greencrowding... : 6 nuances de greenwashing », L’ADN, 15 février 2024.
En outre, de nombreuses entreprises dépensent plus pour communiquer sur leur durabilité que pour agir en faveur de la durabilité ; les
entreprises silencieuses sur leur durabilité sont aussi de plus en plus nombreuses (« greenhushing »).
14
Welté, Jean-Baptiste et Isabelle Dabadie (sous la dir. de) (2024) , « Le marketing à l’ère de la sobriété », Éditions EMS, mars.
15
Villalba, Bruno (2024), « Conflits de sobriété », Administration, 2024/2, n° 282.
16
Mateus, Quentin et Martina Knoop (2023), « Quelle place pour le low-tech dans la société de demain ? », Polytechnique Insights,
13 septembre.

7
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Pratiques s’apparentant à la sobriété sans en avoir les qualités


• Compenser : « le « compenser » (…) apparaît comme la rédemption suprême, l’achat de
bonne conscience, un dédommagement dérisoire à l’environnement qui ne répare rien, car
un foisonnement de vie détruit est par définition irremplaçable »*
• Éviter les impacts négatifs de certains biens ou services : « “éviter” ne signifie en aucun cas
renoncer et surtout pas au non essentiel ; il consiste à éviter certains impacts négatifs en les
déplaçant ailleurs ou par un moyen de substitution du moindre mal »*
• Substituer un matériau plus soutenable (alternative verte) afin de consommer moins
d’énergie et de matières premières en phase de fabrication ; dans l’agro-alimentaire, il s’agit
de proposer des produits à base végétale pouvant même renverser la norme dominante
(produits à base animale)
• Réparer, recycler les biens finis, produire avec des matériaux durables (recyclés, naturels)

* Bonnifet, Fabrice (2024), « L’entreprise à visée régénérative, le nouvel oxymore de l’économie ? »,


TF1 Info, 26 août

Cette dilution du concept de sobriété dans un ensemble de pratiques souvent éloignées


de l’idée de limitation ou de réduction de la production de biens et de services n’est pas
propre à la France. En Europe, les stratégies dites de suffisance (« sufficiency ») - terme plus
souvent utilisé dans le monde anglo-saxon au sens de situation qui suffit (à la subsistance)
alors que la sobriété est de l’ordre de la modération17 - sont entendues bien en-deçà de
l’autolimitation.

Fréquence des stratégies adoptées au nom de la suffisance


(sur 105 entreprises interrogées)*

Source : Niessen, Laura, and Nancy M.P. Bocken (2021), “How can businesses drive sufficiency? The business
for sufficiency framework”, Sustainable Production and Consumption, Vol. 28, pp 1090-1103
* Échantillon d’entreprises au titre du Business for Sufficiency (BfS) framework

Ainsi, une stratégie de suffisance est généralement interprétée comme le fait de proposer
des biens durables ou des alternatives écologiques. En revanche, encourager une production
« à la demande » ou inciter à modérer les ventes sont des stratégies bien moins fréquentes,
comme le montre le graphique ci-dessus.

17
Sur des éléments de sémantique autour des termes de suffisance et de sobriété, voir : Nicolas, Alexis (2024), Dessiner des horizons de
« sobriété désirable » entre limitations et émancipations, Master of Science Strategy & Design for the Anthropocene, commande de
Virage Énergie, septembre.

8
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

L’importance de clarifier sans relâche


Ce dévoiement, volontaire ou involontaire, de la notion de sobriété souligne l’importance
de la réexpliquer et de l’illustrer constamment. On observe le même besoin pour d’autres
concepts, parfois sensibles, comme celui de faibles technologies (« low-tech »). Quand
on apporte de la pédagogie et de l’expertise, les acteurs sont totalement convaincus et
s’approprient pleinement la démarche18.
C’est uniquement par une explication patiente et continue que la sobriété peut être adoptée
à grande échelle. « Parler de décroissance à quelqu’un qui n’en est qu’au début de la prise
de conscience, c’est prématuré et contre-productif. On peut déclencher des réactions de
rejet »19. Il en va de même, semble-t-il, pour la sobriété.

De quoi parle-t-on ?

Pratiques de soutenabilité Pratiques de sobriété

Production volumique Limitation / modération de la demande


Pratiques visant à limiter la croissance des ventes de biens
Pratiques visant à diminuer la (effet de limitation/ modération)
croissance des ventes de biens non-
durables au profit de biens durables Marketing de la
(effet de substitution) Intemporalité Réparabilité Modularité
modération /
de l’offre de l’offre de l’offre
suffisance
• Produire avec des matériaux
durables (substitution de matériaux) Limitation / modération de l’offre
• Recycler, surcycler
• Améliorer l’efficacité des procédés Pratiques visant à diminuer la croissance des ventes de biens durables
• Intensifier l’utilisation d’un bien et non durables (effet de réduction/suppression)
(efficience)
• Adopter une logique de valeur Réduction du Limitation de
au lieu d’une logique de volume Production
nombre de gammes l’expansion des
(qualité vs. quantité), etc. à la demande
et/ou produits marchés

Pratiques de sobriété « ressources et matières »

Sobriété des moyens et des intrants Sobriété des produits finis

Intensité en flux physiques et en eau Intensité en matières Aspects de finition

• Réduction de l’intensité énergétique • Réduction de l’intensité en matières • Minimalisme (sobriété


(sobriété énergétique)* premières minérales et métalliques des d’esthétisme)
• Réduction de l’intensité en eau biens (sobriété minérale ou métallique) • Réduction du nombre de couleurs
(sobriété hydrique) • Réduction de l’intensité en technologie • Réduction des emballages
• Réduction du nombre d’étapes de (« low-tech », sobriété numérique) • Suppression de tout élément non
transformation des produits • Réduction du nombre d’étapes de indispensable à l’usage du bien
• Réduction de la vitesse transformation des produits et qui n’obère pas la satisfaction
• Transformation des process • Réduction du trajet des intrants finale essentielle
industriels • Réduction des emballages

* « Aujourd’hui, l’énergie incorporée dans chaque objet devient bien supérieure à l’énergie d’usage ; ainsi, la part de l’énergie
consommée par et pour un smartphone avant toute utilisation est de l’ordre de 90 % ».
Source : « Le chemin vers la sobriété de masse reste à inventer », Metis, 22 avril 2024

18
Selon Anne-Charlotte Bonjean citée in : « Low-tech : « Je pense qu’on a une bonne fenêtre de tir », L’ADN, 20 juin 2023.
19
 édric Ringenbach cité in : Coupet, Bertrand (2023), « Imaginer le futur quand il ne donne pas envie », Newsletter Bee Impact,
C
29 novembre.

9
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Partie 1

Les entreprises sur la voie


de la décroissance volumique

10
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Des entreprises commencent à interroger les volumes de production soit de manière indirecte en
travaillant sur la demande, soit de manière directe en travaillant sur l’offre. La première approche
consiste à agir sur les maillons en amont ou en aval de la production pour prolonger la durée
de vie des biens vendus et limiter la consommation. Elle pose les jalons de modèles d’affaires
qui encouragent à moins consommer (1). La seconde approche consiste à agir directement sur
la fabrication en diminuant les volumes ou les gammes de produits, voire le nombre de clients.
Elle pose les jalons de modèles d’affaires qui encouragent à moins produire (2).

1|L
 es actions de limitation ou de modération de la demande
Une première approche consiste à décourager la surconsommation voire la consommation
et d’inciter les clients à passer « du trop vers le suffisant ». Il s’agit de vendre des biens
ou des services pour lesquels le client va perdre l’envie de renouveler, de consommer ou
d’acheter du neuf. Il s’agit aussi de ne pas entretenir le désir, de répondre aux besoins réels
au lieu de créer des envies.
Les entreprises travaillent sur quatre axes : l’intemporalité, la modularité, la réparabilité et
le marketing de la modération, voire de la suffisance.

Intemporalité de l’offre
De plus en plus d’entreprises comprennent l’intérêt d’exonérer leur offre des tendances en
vue de réduire la consommation.
Dans la mode, concevoir des vêtements intemporels (libérés des tendances), sans
saisonnalité et de longue durée est une tendance forte, à rebours de l’hyper-nouveauté.
En France, Inspyrations propose des vestes multi-saisons à emmener sur tous les terrains
et pour toutes les pratiques. Early Majority, lancé à Paris à partir des États-Unis, crée des
silhouettes intemporelles en s’appuyant sur les attentes des femmes en extérieur. Les
vêtements existants sont optimisés et les nouveaux produits n’en sont que des itérations.

Intemporalité de l’offre : exemples venus de marques européennes


• About Companions (Allemagne) et Aiayu (Danemark) parient sur l’intemporalité
• ArtKnit Studios (Italie) ne propose pas de collections saisonnières. De même, Benetton
(Italie) s’est repositionné, au fil des années, sur des pièces intemporelles et dites essentielles
• Asket (Suède) a renouvelé son engagement envers une collection permanente de vêtements
sans saison, conçus pour durer : « nous ne concevons pas pour les saisons, nous créons pour
toujours », affiche le site de la marque
• Mud Jeans (Pays-Bas) mise sur des produits intemporels pour réduire la pression sur la
production et la consommation plutôt que d’introduire de nouvelles collections chaque
saison

Dans les jeux vidéo, la surproduction conduit certains « leaders » à faire durer plus longtemps
leurs meilleures ventes en ajoutant de façon continuelle des contenus. « Le modèle qui a
longtemps été de sortir toujours plus de jeux pour faire toujours plus de chiffre d’affaires a
vécu »20. Le jeu vidéo se transforme, désormais, en services (« game as a service ») jouables
et monétisables sur de longues années à l’instar de Take Two avec son GTA V. Mais l’IA
pourrait de nouveau doper la production !

20
« L’industrie du jeu vidéo face au dilemme de la surproduction », Les Échos, 26 septembre 2024.

11
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Le design des objets joue ici un rôle crucial, non seulement en termes de durabilité, mais
aussi dans la capacité à résister aux tendances du moment. Enfin, l’intemporalité de biens
ne réside pas seulement dans leur capacité à transcender les effets de mode ; elle réside
également dans leur simplicité et dans leur résilience. Certains designs de meubles ont
conservé une beauté et une intemporalité grâce à leur résistance et à leur transportabilité.
Enfin, la création en « open source », passant notamment par la fourniture de plans
d’impression 3D pour les pièces de rechange, est considérée comme une des clefs. Riversimple
veut que les normes qu’il a développées sur son modèle de véhicule à hydrogène (Rasa)
deviennent dominantes. Par conséquent, Rasa est un véhicule à code source ouvert.

Modularité et multifonctionnalité de l’offre


Dans les vêtements d’extérieur (« outdoor »), Early Majority propose une collection de
neuf pièces modulables et combinables. Les systèmes de vêtements sont conçus pour être
superposés. Le design polyvalent est même au cœur de la stratégie de la marque21. Les
vêtements peuvent être adaptés et superposés pour toutes les situations. Ainsi, le système
de glissière de la cape permet également à une femme enceinte de porter leur modèle. Au
Royaume-Uni, Deploy conçoit des articles polyvalents pouvant être transformés en différents
vêtements.
Dans les biens d’équipement pour particuliers, des offres modulaires se développent.

Modularité des biens : exemples venus d’ailleurs


• AIAIAI (Danemark) conçoit et fabrique des casques audio modulaires de haute qualité, pensés
pour une longue durée de vie et une réparation facile ; ces produits sont faciles à démonter
et à adapter
• Denby (Royaume-Uni) produit des céramiques et des ustensiles de cuisine destinés à durer
longtemps ; ils sont polyvalents et multifonctionnels pour différentes utilisations dans la
maison
• Framework (États-Unis) propose un ordinateur portable modulaire et évolutif conçu pour être
réparable
• Gerrard Street Repeat (Pays-Bas) a conçu un casque entièrement modulaire pour une
réparation facile

Dans l’industrie B2B, le groupe Serge Ferrari dédie sa technologie de toile composite à des
solutions pour l’eau mais aussi pour la couverture des glaciers. La multifonctionnalité a de
beaux jours devant elle.

Réparabilité de l’offre
Si une première démarche consiste à proposer des guides de réparation aux clients, on
s’oriente, désormais, vers des solutions de réparabilité plus large qui revisitent la place de
la réparation dans l’offre. « Créer des produits durables est futile sans les systèmes en place
pour s’assurer que ces produits restent en usage »22.

21
L ’entreprise a été fondée par Joy Howard, ancienne Vice-Présidente de Patagonia.
22
« Rebecka Sancho, directrice de la durabilité de G-Star, sur l’importance de l’unité dans l’économie circulaire », Fashion United,
27 juillet 2022.

12
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Dans l’« outdoor », Lafuma propose, désormais, la réparation gratuite et à vie de ses vêtements.
Early Majority propose aussi une garantie à vie sur ses produits d’extérieur, accompagnée
de réparations gratuites pour assurer leur longévité. « Réparer ou faire réparer son tee-shirt
deviendra-t-il plus tendance qu’en acheter un issu de la fast-fashion ? »23. C‘est une question
que l’on peut légitimement se poser.
Dans la mode, des entreprises proposent de nouvelles modalités ou une garantie à vie qui
contribuent à éduquer le consommateur mais il faudra vraisemblablement aller plus loin
pour l’embarquer dans une expérience nouvelle.

Réparabilité de l’offre : une tendance qui s’accélère en Europe et aux états-Unis


• About Companions (Allemagne) offre une réparation gratuite à vie pendant la durée du
vêtement
• Aiayu (Danemark) offre un service de réparation de vêtements qui peut être gratuit pendant
2 à 5 ans en fonction de l’article
• Anne James New York (États-Unis) propose une garantie à vie pour les vêtements sur-mesure,
y compris le redimensionnement, la réparation et le recyclage
• Blackhorse Lane Atelier (Royaume-Uni) offre des réparations gratuites pour les jeans qu’il
fabrique ; l’enseigne fournit aussi un kit de réparation et propose des ateliers de réparation
pour se former
• Clothes Doctor (Royaume-Uni) propose des cours de couture, des tutoriels de réparation, des
sessions privées en ligne et des kits de raccommodage
• Darn Tough Socks (États-Unis) offre une garantie inconditionnelle à vie sur les chaussettes
• G Star (Pays-Bas) a mis en place un programme de réparation et de recyclage « Certified
Tailors » permettant aux clients de bénéficier de réparations gratuites pour leurs jeans
• Patagonia (États-Unis), avec son programme de réparation « Worn Wear », encourage les
clients à réparer plutôt qu’à remplacer leurs vêtements
• Toast (Royaume-Uni) propose un service de réparation gratuit « Renewal » pour donner une
nouvelle vie aux vêtements usés

Dans la maroquinerie, le malletier allemand Rimowa (racheté par LVMH) a développé, à l’été
2022, le service « Recrafted » afin de remettre à neuf chaque valise. Il propose aussi une
garantie à vie pour les valises achetées après juillet 2022.
Dans l’électroménager, Fnac Darty veut devenir « leader » du recyclage et de la réparation
des produits techniques et informatiques. Préférant la sobriété heureuse à la stimulation
perpétuelle des besoins de la consommation de masse issue des années 1970, l’enseigne
propose « une troisième voie entre hyperconsommation et déconsommation » en faisant
de la réparation un axe stratégique. Les fabricants sont incités à conserver des pièces de
rechange.
L’abonnement Darty Max, qui a dépassé le million d’abonnés, ainsi que l’abonnement FNAC
Vie Digitale, qui accompagne la pratique informatique, sont les leviers de cette stratégie. En
devenant « leader » des services d’assistance à la maison, Fnac Darty pourrait changer la
nature de ses revenus sachant que ses marchés de prédilection sont en déclin structurel24.
Au Royaume-Uni, le détaillant spécialisé en équipements durables, BuyMeOnce, veut rompre
le cycle d’achat de produits à court terme. Nombre de ces derniers bénéficient d’une garantie
à vie ou d’un service de réparation.
En outre, les entreprises sensibilisent de plus en plus leurs clients par des instructions de
bon usage des biens (entretien et lavage). Cela conduit à donner aux usagers de nouvelles
compétences pour fabriquer eux-mêmes et s’émanciper du modèle imposé.

23
 elon Grégory Delamarre cité in : « Prêt-à-porter, tout se transforme (ou presque) », Be a Boss, 21 août 2024.
S
24
« “La sobriété heureuse” » : l’étonnant plaidoyer du patron de FNAC Darty », Les Échos, 20 juin 2024.

13
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Dans le mobilier pour particuliers, l’entreprise britannique Goldfinger propose des cours sur
la fabrication de meubles et d’accessoires.
Dans les ustensiles de cuisine, diverses marques françaises souvent historiques appartenant
aux « arts de la table » proposent des produits durables et réparables à vie : Cristel,
Le Creuset, etc. Au Royaume-Uni, Denby propose des garanties sur ses produits pouvant
aller de dix ans jusqu’à une garantie à vie pour certains articles.
Dans l’automobile, Riversimple, équipementier britannique ayant conçu un véhicule à
hydrogène (Rasa), ne met pas l’accent sur la production de nombreux véhicules mais sur
l’utilisation plus longue d’une seule unité. Il a profité d’un changement de technologie
associée à un véhicule pour proposer un modèle alternatif dans l’automobile : la souscription
plutôt que l’achat. Le besoin de remplacement et d’amélioration continue de la voiture est
réduit de manière à contribuer à la réduction de la consommation et de la production25.

Marketing de la modération, voire de la suffisance


Les fonctions de marketing sont traditionnellement tournées vers la conquête de nouveaux
marchés. En outre, « le monde industriel préfère souvent investir dans un marketing vert que
dans la transformation des modes de production »26. Mais des pratiques de marketing visant
la sobriété de la consommation existent aussi. On peut en citer ici deux.
•P
 remière pratique : la dénonciation de la surconsommation par le marketing. Les
entreprises réussissent ici le pari de raconter une autre histoire, un contre-récit. Elles
démontrent qu’il est souvent plus satisfaisant d’éduquer que de promouvoir27 et qu’il est
possible de concilier deux notions apparemment incompatibles : sobriété et marketing. On
se rapproche ici du démarketing sociétal défini comme l’« aspect du marketing qui cherche
à décourager les consommateurs en général, ou une certaine classe de consommateurs en
particulier, de manière temporaire ou permanente »28.

La notion de démarketing n’est pas nouvelle mais l’enjeu environnemental est venu
revisiter la pratique29. Nombre d’entreprises connues la pratiquent déjà : Interbev avec sa
campagne sur le régime flexitarien (« Aimez la viande, mangez-en mieux »), La Marque en
moins qui incite à se concentrer sur l’essentiel pour consommer mieux et Loom qui, avec
sa devise « moins mais mieux », n’a pas de budget marketing.
Dans la mode, plusieurs marques communiquent sur la nécessité de ne pas surconsommer
ou bien renoncent aux remises ou aux soldes ; à ces initiatives individuelles, s’ajoute le
mouvement « Make Friday Green Again », lancé en 2019, qui ne fait aucune solde pendant
le « Black Friday »30.

25
 andevoort, Margot (2018), Degrowth: A Viable Business Model?, Master of Science in Business Economics: Corporate Finance.
V
26
« Low-tech : Je pense qu’on a une bonne fenêtre de tir », L’ADN, 20 juin 2023.
27
“Early Majority : Fashion’s first degrowth brand”, Vogue Business, May 4, 2022.
28
Kotler, Philip, and Sidney J. Levy (1971), “Demarketing, yes, demarketing”, Harvard Business Review, 79.
29
Voir Yohan Bernard, Laurent Bertrandias et Leïla Elgaaied-Gambier, « Le démarketing sociétal : levier de sobriété ou simple outil
stratégique au service de la gestion de la marque » in : Welté, Jean-Baptiste et Isabelle Dabadie (sous la dir. de) (2024) , « Le marketing
à l’ère de la sobriété », Éditions EMS, mars. Ces auteurs ont réactualisé le concept de « démarketing » et proposé une classification
des pratiques de « green demarketing » en fonction des motivations poursuivies et du degré d’intégration de ce démarketing dans la
stratégie de l’organisation qui les sous-tend.
30
« Black for Good, Green Friday… Des startups à l’assaut de la surconsommation », Les Échos Start, 25 novembre 2019.

14
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Marketing de la modération : marques de mode européennes et américaines


• Anekdot (Allemagne) met en évidence les impacts de la surconsommation ; l’entreprise fait
don d’une partie de ses recettes lors du « Black Friday » par exemple
• Asket (Suède), à l’origine de la fresque « Fuck Fast Fashion » à Stockholm, soutient un véritable
plaidoyer contre la consommation ; l‘entreprise ne propose pas de rabais et de réductions
de prix
• Bellamy Gallery (Royaume-Uni) a limité les ventes et les réductions de prix, à l’exception des
magasins qui disposent de stocks post-Covid
• Brothers We Stand (Royaume-Uni) ferme ses magasins le jour du « Black Friday » et met en
évidence les impacts négatifs de la surconsommation
• Maison Standards (France) veut éduquer le consommateur à acheter au juste prix, celui qui
est le « bon compromis entre la durabilité, la qualité, et le respect des gens qui conçoivent
le produit »31
• The Bradery (France), site de ventes éphémères, a pris la décision de ne faire aucune solde
pendant le « Black Friday »
• Typology (France) a décidé, en 2019, de ne pas faire de réduction pendant les trois jours
promotionnels du « Black Friday » ou du « Cyber Monday » de manière à ne pas soutenir
l’industrie des biens de consommation aux dépens de l’environnement

Dans l’« outdoor », des marques comme Devold (Norvège), Burton Snowboard (États-Unis),
Fjällräven (Suède), Patagonia (États-Unis) et Vaude (Allemagne) publient aussi un ensemble
de posts/messages sur la suffisance ou la modération via des réseaux sociaux tel Instagram32.
À titre d’exemple, Patagonia a renoncé à certaines pratiques agressives de marketing,
choisissant de ne pas encourager la surconsommation. Elle a lancé des campagnes comme
« Don’t Buy This Jacket » (« N’achetez pas cette veste ») pour décourager les achats impulsifs
et promouvoir la réparation et la réutilisation. Elle a aussi refusé de co-marquer ses vêtements.
Dans l’agro-alimentaire, Bio Company, entreprise allemande, communique sur la nécessaire
modération avec des campagnes de type « Vendre moins » (« Buy Less »). De même, Premium
Cola, fabricant allemand de colas biologique à partir de sureau, a supprimé les remises sur
les volumes commandés et a instauré une remise anti-volume : plus la commande est
volumineuse, plus le prix unitaire augmente33. Cet exemple va à l’encontre de la baisse des
coûts unitaires proportionnelle au volume qui prévaut dans nos systèmes.
Dans la distribution en ligne, le détaillant américain Toward limite à 12 le nombre de
commandes que les clients peuvent passer par an au motif que l’achat le plus durable est
l’absence d’achat. Les acteurs de l’e-commerce entreront dans une logique de modération
quand ils feront payer le client pour les retours d’articles afin de limiter les achats
compulsifs ou inutiles ou pour la livraison d’articles afin de réduire la consommation.
Au demeurant, certaines démarches ne s’accompagnent pas toujours d’une transformation
des autres mix du marketing34 : ainsi, des promotions peuvent avoir lieu à certains moments,
les livraisons restent gratuites, etc., ce qui continue de porter une logique promotionnelle.
Pour être véritablement dans le démarketing sociétal, il faudrait aller au-delà du marketing.

31
 Soldes : ces marques et multimarques qui refusent la période de rabais », Fashion Network, 8 janvier 2024.
«
32
Gossen Maike, and Maren Ingrid Kropfeld (2022), “Choose nature. Buy less. Exploring sufficiency-oriented marketing and consumption
practices in the outdoor industry”, Sustainable Production and Consumption, Vol. 30.
33
Froese, Tobias (2021), “Business for degrowth: a flip in perspective for truly sustainable development?”, ESCP Business School,
The Choice, 14 October.
34
Yohan Bernard, Laurent Bertrandias et Leïla Elgaaied-Gambier (2024), op. cit.

15
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Dans le tourisme, le Parc national des Calanques communique pour dissuader les touristes
de visiter le site et met aussi en place des mesures pour rendre ce dernier moins accessible.
La Mairie d’Étretat a intégré la Fodor’s No List, liste de l’éditeur américain de guides
touristiques, qui indique les endroits à ne pas visiter dans le monde ; elle n’a pas renoncé
aux campagnes de promotion au motif que la ville a besoin des touristes mais entend
mieux réguler leur venue et les répartir tout au long de l’année sur l’ensemble du territoire.
•D
 euxième pratique : le marketing de la suffisance (« sufficiency-oriented marketing »).
Celui-ci consiste à aider le consommateur à consommer autrement, avec suffisance et
autolimitation, en l’aidant à devenir responsable et autonome pour satisfaire les besoins
qu’il juge utiles35. De fait, « si une entreprise veut vraiment être sobre, elle ne fait pas
de publicité »36. Un cas typique du marketing de la suffisance est celui des produits
monastiques : la communication commerciale de Monastic, réseau de monastères petits
producteurs, est quasi-inexistante.

Dans la mode, des marques ont développé, souvent dès leur origine (démarketing natif),
une démarche différente consistant à ne pas promouvoir leur offre. Veja (France), fabricant
de chaussures, a tranché en faveur de la non-publicité depuis sa création. The Row (États-
Unis), marque de prêt-à-porter haut de gamme, a opté pour la discrétion en matière de
communication en conformité avec son offre de luxe minimaliste. Asket (Suède), dans le
cadre de sa démarche « Pursuit of Less » a décidé de ne faire connaître aucun nouveau
vêtement les trois mois suivant une collection.
Dans l’automobile, Riversimple refuse d’utiliser le pouvoir des matériaux pour montrer le
prestige et le statut lié à un véhicule automobile. « Même s’il existe un désir explicite de
croissance, l’approche de l’entreprise favorise la suffisance et s’inscrit donc en partie dans
la décroissance »37.
Ces initiatives discrètes remettent en question les pratiques et théories du « storytelling » ; les
marques n’ont pas toujours besoin de raconter une histoire et s’incarner auprès du client38.

2 | Les actions de réduction de la production volumique


D’autres entreprises – moins nombreuses – agissent directement sur les volumes de
production. Elles renoncent à une croissance volumique en diminuant la quantité de biens
conçus et commercialisés dans un modèle de production standard ou bien adoptent un
modèle de production à la demande. Par ailleurs, une restriction de l’expansion géographique
peut contribuer à la décroissance volumique en réduisant la croissance du nombre de clients.
Le volume des biens produits et commercialisés soulève la question de leur utilité ou, du
moins, de leur caractère essentiel. « La sobriété est une utilisation raisonnée des matières
existantes. Il faut également que cette production ait une utilité (…) »39. Cela suppose de
se réapproprier collectivement le thème des besoins pour se demander ensemble ce qui
est réellement utile ou pas40. Cette question de l’utilité demeure largement inexplorée et
documentée à ce jour.

35
 uillard, Valérie (2021), Comment consommer avec sobriété, De Boeck Supérieur.
G
36
Selon Martin Clamart cité in : « Comment apporter de la sobriété au secteur du marketing ? », E-marketing, 16 mai 2023.
37
Vandevoort, Margot (2018), Degrowth: A Viable Business Model?, Master of Science in Business Economics: Corporate Finance.
38
« Produits monastiques : une communication qui repose sur la discrétion », The Conversation, 13 décembre 2022.
39
Lénaïc Pineau citée in : « Comment apporter de la sobriété au secteur du marketing ? », E-marketing, 16 mai 2023.
40
Mateus, Quentin et Martina Knoop (2023), « Quelle place pour le low-tech dans la société de demain ? », Polytechnique Insights,
13 septembre. Voir aussi les travaux de Pierre Veltz qui, à travers le concept d’activités humano-centrées, interrogent le quoi produire ou
encore ceux de Robert Costanza qui promeuvent une politique de bien-être durable en réorientant les investissements vers des activités
qui assurent le bien-être des populations (infrastructures, éducation et santé).

16
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Réduction/limitation du nombre de gammes et de produits


Actuellement, le nombre de références de produits est souvent excessif par rapport aux
besoins, comme l’illustre le volume des invendus dans certains secteurs. Par exemple, dans
celui de la mode, il existe suffisamment de vêtements pour habiller la planète jusqu’en 2100.
Réduire la production et la largeur de la gamme apparaît pertinent aux plans environnemental
et économique.
Dans la mode/habillement, Hoopal s’est recentré sur des vêtements essentiels, fabriqués
en Europe à partir de matières 100 % recyclées, afin d’inciter les acheteurs à réduire leur
consommation. Leur gamme se compose, désormais, d’un pantalon, d’un short, de 2 tee-
shirts, d’une veste et d’un sweater. Avant, « on avait sept modèles de chemises pour
homme ! On était arrivés à environ 200 références sur notre site »41.
La nouvelle direction de Kaporal, marque de prêt-à-porter, cherche à réduire le nombre de
références et à se concentrer sur le denim. Loom, autre marque de prêt-à-porter, limite sa
production à 10 000 pièces par an depuis son lancement en 2019. De même, Veja, reconnue
pour ses sneakers éco-conçues, restreint volontairement sa production à 200 000 paires par
an, mettant l’accent sur la qualité et la durabilité plutôt que sur le renouvellement constant.
Enfin, Les Trois Tricoteurs s’engagent à ne pas surproduire ni surstocker, à valoriser la
production locale et à encourager une consommation réfléchie. Les entreprises qui proposent
des collections capsules sont aussi dans cette logique de réduction des gammes de produits.

La réduction du nombre de produits chez les marques européennes


• Asket (Suède), dans le cadre de sa démarche « Pursuit of Less », a décidé de ne sortir aucun
nouveau vêtement trois mois suivant sa nouvelle collection.
• Fjällräven (Suède) produit uniquement ce qui est nécessaire pour éviter les excédents et se
concentre sur la durabilité des produits
• Gucci Vault (France) a associé des articles vintage au soutien de créateurs émergents pour
alléger la pression sur Gucci en matière de production de nouveaux produits
• Mud Jeans (Pays-Bas), marque de jeans éco-responsables, a délibérément réduit son catalogue
de produits pour se concentrer sur quelques modèles de jeans classiques et durables
• Selfridges (Royaume-Uni) a fixé des objectifs concrets de déconnexion entre croissance
financière et utilisation de ressources dans le cadre de son programme de soutenabilité
« Project Earth »
• Toast (Royaume-Uni) a, dans le cadre de son initiative « Toast Circle », réduit le nombre de
ses collections annuelles de six à trois

En outre, The Fashion ReModel, initiative portée par la Fondation Ellen MacArthur, aide les
marques à gagner de l’argent sans fabriquer de nouveaux modèles. Des marques comme
Arc’teryx, H&M, Primark, Reformation ou Zalando ont rejoint cette initiative en s’engageant à
consacrer une part croissante de leurs revenus à des modèles commerciaux alternatifs à la
production. Mais d’autres peinent à reconnaître leur taux élevé de surproduction : 88 % des
marques refuseraient ainsi de rendre publics leurs volumes de production42.

41
 Ces marques de vêtements qui refusent la fast fashion », Reporterre, 5 janvier 2024.
«
42
Fashion Revolution’s 2023 Transparency Index cité : “Is fashion finally ready to cut overproduction?”, Vogue Business, 21 May 2024.

17
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Dans le secteur des articles et vêtements de sport, Decathlon a décidé de réduire le nombre
de ses marques de 80 à 13. De plus, entre 10 et 15 % des 15 000 références – principalement
des modèles en double – ont récemment été supprimées afin d’offrir une sélection plus
cohérente. De son côté, Patagonia a mis en place des mesures pour éliminer les produits ne
répondant pas à ses normes strictes de durabilité et, surtout, supprimer ceux qui ne sont
pas essentiels, entraînant une réduction de sa gamme globale. Early Majority a, pour sa part,
simplifié la palette de couleurs ; son modèle de cape est entièrement proposé en noir pour
éviter de suivre les tendances.
Dans l’édition, le nombre de nouveautés a baissé pour la troisième année consécutive :
459 sorties de romans en 2024 contre 490 en 2022 et 521 en 202143. Gallimard a décidé de
limiter le nombre de nouveaux livres à 12 par rentrée littéraire. Calmann-Lévy ne publie
qu’un seul premier roman à la rentrée depuis trois ans. Et les éditeurs constatent que leur
chiffre d’affaires reste identique en publiant moins.
Dans l’agro-alimentaire, au lieu de se diversifier à outrance, Alter Eco préfère maintenir une
gamme limitée et maîtrisée de produits tels que le chocolat, le café, le riz et le thé, issus de
l’agriculture biologique et de filières équitables. Cette approche lui permet de garantir une
traçabilité stricte et de promouvoir un modèle de consommation plus raisonnée, en évitant
la surabondance de produits sur le marché44.
Dans le mobilier de bureau, Herman Miller, fabricant américain, a procédé à une réduction de
sa gamme de produits en renonçant à utiliser certains matériaux et méthodes de production
non durables. Vitsœ, fabricant allemand, a choisi de se concentrer presque exclusivement
sur un produit-phare, le système d’étagères modulaires 606, conçu par le designer industriel
allemand, Dieter Rams. Au lieu de développer de nouvelles gammes chaque année, Vitsœ
met l’accent sur l’amélioration et la durabilité de ce produit45.
Dans l’éducation à la nature, Nature & Découvertes s’est recentré sur les articles répondant
aux besoins essentiels ou en phase avec ses valeurs : bien-être et connexion avec la nature.
90 % de l’empreinte carbone totale de l’entreprise provient de ses produits46.
Dans l’agro-alimentaire, la moindre transformation des ressources ou, à tout le moins, la
baisse du nombre d’étapes de fabrication, permettrait de gagner en sobriété et en qualité.
L’offre alimentaire est, en effet, aujourd’hui dominée par des produits ultra-transformés ; ces
derniers représentaient, en 2018, près de 50 % des produits vendus en grandes surfaces47.
De même, l’essor des produits « sans » sert souvent de prétexte à la création d’une
nouvelle gamme de produits alors que des alternatives naturelles ou peu transformées déjà
disponibles devraient être encouragées48. Cela est particulièrement visible dans l’industrie
alimentaire où des produits sans lactose, sans gluten ou sans viande sont souvent
davantage transformés, contiennent plus d’additifs et sont vendus à un prix plus élevé que
les alternatives naturelles.
Dans l’automobile, Riversimple se veut le seul constructeur automobile qui espère ne jamais
vendre de voiture. Il entend réduire le nombre de véhicules nécessaires pour assurer le
même niveau de mobilité. Il tente de supprimer l’élément de mode des nouveaux modèles
pour se concentrer sur l’essentiel : fournir une mobilité personnelle selon le modèle serviciel
(« mobilité en tant que service »). Dans sa politique d’approvisionnement, il s’emploie
également à louer les technologies dont il a besoin sur sa chaîne de valeur plutôt qu’à les
acheter.

43
L ivre Hebdo cité in : « Pour la rentrée littéraire, les éditeurs jouent encore la carte de la sobriété », Les Échos, 22 août 2024.
44
Site Internet d’AlterEco, page d’accueil.
45
Ovell, Sophie (2024), Dieter Rams: As little design as possible, Phaidon, octobre.
46
Natures et découvertes, Rapport de mission 2024,
47
Selon Anthony Fardet cité par France Info, 4 janvier 2018.
48
Pingeot, Mazarine (2024), « Vivre sans : pourquoi le manque (existentiel) nous est indispensable », The Conversation, 30 janvier.

18
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Enfin, dans l’immobilier, le nombre de bureaux disponibles - avec un taux de vacance très
élevé en Île-de-France - risque d’éroder la valeur des bureaux ; cette dernière devrait, en
effet, baisser de €800 milliards dans les grandes villes du monde d’ici la fin de la décennie49.
Mais elle pose aussi la question de la décroissance des programmes de construction d’autant
que le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) prévu à la Loi Climat et Résilience impose la sobriété
foncière.

Ajustement de la production par un modèle de production « à la demande »


Les systèmes industriels nécessaires à la fabrication des biens et de services et les modèles
d’affaires qui sous-tendent leur commercialisation peuvent avoir un impact sur les modes de
consommation. Pour contribuer à la décroissance volumique, la production à la demande,
personnalisée ou sur-mesure - qui est généralement la norme dans l’industrie B2B - se
développe un peu plus significativement dans d’autres secteurs. Ces modalités de fabrication
permettent une meilleure adéquation entre offre et demande.
Dans le prêt-à-porter féminin, Promod et dans le prêt-à-porter masculin, Asphalte ou
The French Tailor sont relativement connus pour avoir adopté ce modèle50. D’autres
entreprises peuvent être citées : Basus produit un éventail de tailles à la demande pour plus
d’inclusivité ; cela « permet de ne pas avoir de stocks restants de pièces en petites tailles ou
en XXL, qu’on aura du mal à écouler »51. De même, tous les produits du bar-atelier créé il y a
trois ans à Roubaix, Les Trois Tricoteurs, sont tricotés intégralement à la demande.

Production à la demande par les marques de mode britanniques


• Rapanui utilise un modèle de production à la demande, permettant de ne produire que ce qui
est commandé et réduisant excédents et déchets
• Stella McCartney ajuste sa production en fonction des ventes réelles
• Toast pratique la fabrication à la demande avec sa ligne « Made to Order » dans le cadre
de son initiative « Toast Circle » ; l’entreprise entend ainsi minimiser le gaspillage sur les
modèles sans saison

Dans l’édition, des maisons d’édition adoptent l’impression à la demande pour lutter contre
la surproduction et éviter les retours d’invendus. Elles ajustent les tirages au plus près et
développent des technologies d’impression numériques pour de petits tirages à la demande.
Interforum veut ainsi éviter l’impression inutile de cinq millions de livres par an52.
Enfin, l’intelligence artificielle (IA) pourrait venir en aide à la lutte contre le gaspillage mais
aussi à une production plus raisonnée, en adéquation avec les besoins réels. Ainsi, dans la
mode, 25 % de ce qui est produit n’est pas vendu et 40 % de ce qui est vendu ne l’est pas au
prix fort53. « L’intelligence artificielle (IA) (...) maîtrise des ficelles qui pourraient bien rectifier
le tir, en faveur d’une production modesque plus pondérée et de facto, plus durable »54.

49
 cKinsey Global Institute (2023), Empty spaces and hybrid places: The pandemic’s lasting impact on real estate, Report, July 13.
M
50
Moatti, Valérie (2019), « Mode : la fabrication à la demande, tendance de demain », 15 septembre.
51
Stanislas Desmarty cité in : « Soldes : ces marques et multimarques qui refusent la période de rabais », Fashion Network, 8 janvier 2024.
52
« L’édition à la demande en plein boom », Les Échos, 17 septembre 2019.
53
“The State of the Fashion 2024 - Finding pockets of growth as uncertainty reigns”, Business of Fashion (BoF) and Mc Kinsey, 2024.
54
« Comment l’intelligence artificielle va limiter le gaspillage des vêtements ? », Vogue, 9 mai 2024.

19
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Réduction du nombre de clients par limitation volontaire des marchés


Une autre démarche consiste à ne pas chercher à se développer (davantage) sur les marchés
nationaux ou étrangers. Dans la mode, l’exemple le plus connu est l’entreprise de jeans
1083 qui a souhaité ne pas vendre au-delà de 1 083 kilomètres. Des groupes mondiaux
s’interrogent aussi sur leur stratégie de développement international : « grandir, ce n’est pas
ouvrir des boutiques en rafales »55.
Dans l’industrie, le groupe Nexans (transmission par câble) a décidé de réduire, outre le
nombre de produits et de gammes, le nombre de clients de 17 000 à 4 000 lesquels permettent
de réaliser le même chiffre d’affaires et d’accroître le retour de capitaux employés (ROCE)
de 9 à 29 %. Il a, en effet, identifié les clients les plus stratégiques (« platinium ») afin de
supprimer, avec la pandémie, 76 % de sa clientèle. L’indicateur de performance n’est pas le
« toujours plus » mais les clients les plus attractifs pour une vision de long terme56.
Dans l’alimentaire, le traiteur Zingerman’s s’est développé, aux États-Unis, dans la ville de
Ann Arbor (Michigan) en refusant, depuis sa création en 1982, l’expansion de son modèle de
franchise dans d’autres villes ou États américains, préférant le développement d’activités
locales complémentaires à son activité initiale57.
Dans l’énergie, Vandebron, fournisseur néerlandais d’énergie renouvelable, a opté pour
une croissance mesurée au lieu d’une expansion rapide. Il se concentre sur un modèle qui
privilégie, outre la sobriété énergétique, la réduction de la consommation d’énergie plutôt
que l’acquisition rapide de nouveaux clients.

55
 Grandir, ce n’est pas ouvrir des boutiques en rafales : les leçons de Tadashi Yanai, fondateur d’Uniqlo », Les Échos, 30 septembre 2024.
«
56
« Modèle E3 : trouver sa boussole organisationnelle dans un monde en permacrise », Maddyness, 21 juillet 2023.
57
Richard, Annabelle et Patricia Cortijo (2023), « L’(hyper) local, l’avenir de la ville », L’ADN, 25 septembre.

20
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Partie 2

Les enseignements des pratiques


de décroissance volumique

21
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

« Le chemin vers la sobriété de masse reste à inventer »58. Cependant, les premières expériences
nous livrent quelques enseignements. Au demeurant, il faut comprendre la sobriété comme une
trajectoire, non pas comme une destination ou un objectif en soi.

1|D
 es attitudes peu conventionnelles à l’égard de la croissance
Tout d’abord, de nombreuses entreprises remettent en question le dogme de la croissance
infinie59. Comme souligné dans les précédents travaux, les entreprises ne recherchent pas
la croissance à tout prix. En l’espèce, elles visent plutôt la stabilité ou la prospérité au
sens de rentabilité sans croissance. Plusieurs déclarations de dirigeants des entreprises
précédemment citées illustrent cette aspiration à un état non croissant voire stationnaire60.

La rentabilité, pas la croissance


• « Les entreprises n’ont pas forcément besoin de croissance pour vivre (…). Une fois que Loom
aura atteint sa taille optimale, le seul objectif sera de rester rentable », selon Julia Faure, co-
fondatrice de Loom. L’objectif de Loom est de « vivre dignement de son travail grâce à une
taille raisonnable tout en ayant un impact positif sur la société et l’environnement », non pas
de devenir la plus grosse marque de vêtements au monde
• « La croissance n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’avoir plus d’impact positif », selon
le co-fondateur de Veja qui a fait de la décroissance un élément central de sa stratégie
• « La croissance n’est pas l’objectif, car il n’y a pas assez de ressources pour que tout le monde
sur Terre consomme comme un Américain », selon Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia
• L’équipementier automobile allemand Allsafe et la boulangerie bio BioKaiser « s’abstiennent
de toute croissance axée sur le profit et ont en même temps des systèmes de partage des
bénéfices qui, selon l’entreprise, distribuent équitablement les bénéfices générés aux employés,
aux fournisseurs et/ou aux projets environnementaux et sociaux »

Sources : « Ces marques de vêtements qui refusent la fast fashion », Reporterre, 5 janvier 2024 -
« Décroissance : nouveau modèle économique durable ? », IG Conseils, Blog - Froese, Tobias (2021),
“Business for degrowth: A flip in perspective for truly sustainable development?”, ESCP Business School,
The Choice, 14 October

Les entreprises ne recherchent pas la croissance et visent un état stationnaire, une fois atteint
une certaine taille, permettant la viabilité et la rentabilité. Mais on ne saurait, pour autant,
parler d’entreprises décroissantes au sens d’une réduction planifiée de la consommation
d’énergie et de ressources conçue pour rétablir l’équilibre entre l’économie et le monde
vivant de manière à réduire les inégalités et à améliorer le bien-être humain61. On reste
largement dans des pratiques de sobriété visant à limiter ou à réduire la surconsommation.

58
Selon Pierre Veltz in : « Le chemin vers la sobriété de masse reste à inventer », Metis, 22 avril 2024.
59
 Décroissance : nouveau modèle économique durable ? », IG Conseils, Blog.
«
60
L’état stationnaire peut être considéré comme un état où la croissance d’une entreprise ou d’une économie donnée est nulle. À partir
de ce concept de modèle à croissance nulle (“steady-state economy”), l’économiste Herman Daly a conceptualisé le modèle d’affaires
stationnaire (“steady-state business model”). Les travaux de Tim Jackson sur la prospérité s’inscrivent dans sa lignée.
61
Hickel, Jason (2020), “What does degrowth mean? A few points of clarification”, Globalizations, 18(7).

22
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Certaines entreprises se présentent comme décroissantes. Mais leur développement repose


davantage sur une forme de dématérialisation de la croissance (s’appuyant moins sur les
ressources naturelles). Ainsi, Early Majority revendique le fait de moins utiliser le capital
naturel : « ce que nous devons faire, c’est réfléchir à la façon dont nous nous développons,
dématérialiser la croissance et créer des entreprises qui utilisent moins le capital naturel
»62. Quant à Patagonia (« outdoor ») l’entreprise fait la distinction entre une bonne et une
mauvaise croissance : la première consiste à acheter des produits qui durent plus longtemps
; la seconde se produit « lorsque les gens s’engagent dans une consommation continue sans
attacher de valeur à la durée de vie d’un produit ou à la façon dont il est fabriqué »63.
Voilà qui est, somme toute, assez éloigné d’une réduction planifiée de la production
volumique. Du reste, Patagonia n’est pas considéré par les chercheurs comme un modèle
décroissant. « En fin de compte, [l’entreprise] n’encourage pas les gens à vivre avec moins.
Elle continue de vendre ses produits, et elle les vend à des prix élevés, même si elle suggère
parfois aux gens de ne pas acheter ses produits »64.
Certaines entreprises font aussi de la sobriété ou de la décroissance volumique un levier
de différenciation ou de performance. Nexans (transmission par câble) en fait ainsi un
moteur de performance qui accroît la rentabilité sans faire le choix de la croissance. Early
Majority (« outdoor ») souhaite que ses principes de décroissance constituent un avantage
concurrentiel.
Enfin, au-delà de ces pratiques de limitation ou de décroissance volumique, on trouve rarement
des entreprises qui se repensent ou se reconvertissent. Bien souvent, les entreprises ont
tendance à substituer quelque chose d’autre au produit auquel elles renoncent. Même en cas
de pénurie ou de raréfaction des ressources, elles pensent davantage à substituer d’autres
matériaux qu’à repenser l’usage final des biens et des services qu’elles commercialisent ou
à renoncer à leur commercialisation. Contrairement à la Suède par exemple, il n’existe pas,
en France, d’incitation à changer d’activité, à se reconvertir65.

Cadre de mise en œuvre de la suffisance

REPENSER RÉDUIRE REFUSER


Consommer différemment Consommer moins Ne plus (sur)consommer

Moins d’encombrement  as de propriété


•P • L ocation - partage avec  odération des ventes
•M
 roduction personnalisée
•P incitation par les prix  uestionnement de la
•Q
Plus simple
 lternatives vertes/durables
•A • S ervice de réduction de la consommation
et moins de quantité demande

 éutilisation
•R • S ervice de prolongation de  uestionnement de la
•Q
Moins de vitesse  roduction personnalisée
•P la durée de vie consommation
Plus lent et plus fiable  lternatives vertes
•A  aranties de longue durée
•G
sur les produits

Moins de distance  lternatives vertes


•A  romotion de la courte
•P  uestionnement de la
•Q
Régional et dissocié distance consommation

Moins de marché • C réation en « open source » • S outien à la réparation et • S outien à l’auto-suffisance


•P lateformes d’échange à la réutilisation
Au-delà du commerce

Source : How can businesses drive sufficiency? The business for sufficiency framework, 2021

62
Joy Howard citée in : “Early Majority: Fashion’s first degrowth brand“, Vogue Business, May 4, 2022.
63
“The more Patagonia rejects consumerism, the more the brand sells“, The Correspondent, 28 April 2020.
64
Khmara, Yaryna, and Jakub Kronenberg (2018), “Degrowth in business: An oxymoron or a viable business model for sustainability?“, Journal
of Cleaner Production, Vol. 177, March.
65
Interview de Bruno Palier, « En finir avec le travail “low cost“ », Nouveau Départ, 6 juin 2024.

23
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

2 | Des questions systémiques qui restent en suspens


Comme souligné dans l’étude précédente de la CCI Paris Ile-de-France, les entreprises
explorent des voies de sobriété qui se révèlent souvent anachroniques par rapport aux
conditions macro-économiques dominantes. Comment faire en sorte que l’entreprise qui
s’engage dans cette logique ne soit pas désavantagée par rapport à d’autres qui restent dans
une logique volumique ?
Que l’on soit en présence d’une politique d’offre qui incite à développer la production de
biens et de services ou d’une politique de demande qui entend stimuler la consommation
par l’intervention de l’État, l’objectif qui sous-tend ces politiques économiques est le
« toujours plus ».
Dans une logique de sobriété, il faudrait repenser les politiques pour qu’elles puissent inciter
à diminuer la production volumique, s’assurer de l’accès des moins aisés au « suffisant » et
réorienter le tissu productif, à la fois, vers l’essentiel mais aussi vers des modalités d’affaires
qui délaissent le transactionnel au profit du relationnel. Pas simple ! On est au cœur des
tensions entre croissance économique et engagements climatiques.
Faut-il passer par une pensée économique plus audacieuse ? Le philosophe Gaspard
Koenig s’interroge ainsi : « Entre [croissance et décroissance], est-il permis d’espérer une
place pour une écologie des Lumières, une écologie sérieuse, profonde, holiste, revenue du
dogme productiviste, mais tentant de maintenir le fil ténu de l’humanité ? »66. L’économiste
Olivier Passet observe que la pensée économique peine « à bâtir un corpus cohérent et
désirable »67. La pensée écologique semble aussi largement conçue comme punitive au lieu
d’inciter la transformation par la gratification des comportements vertueux. Une pensée
systémique serait, enfin, nécessaire pour remplacer l’approche traditionnelle par une
approche offrant de meilleurs avantages partagés.
L’on observe aussi que les comportements et pratiques des producteurs et des consommateurs
sont souvent verrouillés par des acteurs en amont et en aval de la chaîne de valeur. On
le voit dans l’agro-alimentaire avec plusieurs verrous systémiques. Le changement de
paradigme est compliqué par la dépendance des agriculteurs à divers marchés ou acteurs :
sélectionneurs sur les ressources génétiques, acteurs du négoce international de matières
premières et plateformes numériques pour connecter les machines agricoles68. Il n’est guère
aisé pour un acteur seul de changer de modèle.
Plus largement, les entreprises qui tentent de limiter leur croissance volumique se heurtent
aux injonctions contradictoires. Le ton optimiste des campagnes de marketing mais aussi
des discours sur la croissance incitent l’entreprise à produire plus et l’individu à consommer
davantage. On touche ici à la question des préférences collectives et aux systèmes de valeurs
qui les sous-tendent. Comment transformer ces valeurs, comment s’éloigner des normes
dominantes ? Comment revisiter les normes et constructions sociales ? Cela implique une
organisation collective qui permette une sobriété plus structurelle mais dont les leviers
restent à imaginer.
Enfin, les pratiques de sobriété se heurtent aux biais comportementaux. Dans la vie
quotidienne, on voit combien notre envie de contribuer à la lutte contre le réchauffement
climatique est contrecarrée ou balayée au moment de passer à l’action. En outre, les petits
gestes demandés aux Français sont, parfois, en contradiction avec des actions à l’échelle
plus large telles que la poursuite d’importations de produits en provenance de pays éloignés
qui contribuent fortement à l’empreinte carbone de la France. Toute la question est de savoir
comment réduire la différence entre velléité et action69. C’est ce qui pousse un économiste
comme Tim Jackson à considérer comme insuffisante une macro-économie écologique.
66
Koenig, Gaspard (2024), « Pourquoi l’extrême droite est devenue technophile », Les Échos, 11 octobre.
67
 asset, Olivier (2024), « L’incapacité de l’écologie politique à élaborer une réflexion économique cohérente », Xerfi Canal, 19 juin.
P
68
Duru, Michel (2024), « Alimentation saine et durable : des verrous systémiques mais des solutions locales », The Conversation, 7 février.
Voir aussi : Raffray, Marine (2021), « Bertrand Valiorgue - Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène », Économie rurale, 2021/3,
n° 377, pp. 143-146.
69
Voir, à ce propos, les travaux du Groupe international d’experts sur les changements de comportement (GIECO) issu de l’International
Panel on Behavior Change (IPBC), https://www.ipbc.science/

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LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

3 | Une exploration qui reste complexe pour les entreprises


La sobriété par la limitation ou la réduction de la production volumique est une démarche
particulièrement transformative au contraire d’autres modèles qui perpétuent le « business
as usual ». Pour la traduire concrètement, il est indispensable de sensibiliser les entreprises
aux enjeux qu’elles doivent intégrer et aux équations qu’elles doivent résoudre.

Les écueils à surmonter


Plusieurs problématiques se posent, en effet, aux entreprises qui entrent dans une logique
de limitation ou de réduction de leurs volumes de production et de vente.
• F aire baisser les volumes sans entacher la prospérité d’une entreprise : a priori, moins les
clients consomment, moins il y a de revenus. Il faut alors chercher la recette d’un modèle
qui n’entretienne pas le désir. Il est difficile, pour l’entreprise, de trouver le ticket gagnant
en s’engageant dans une démarche de sobriété. Nexans accroît ses profits sans croissance
et en utilisant moins de ressources. On observe aussi que « les entreprises qui ne se
concentrent pas sur la croissance surpassent de plus en plus les autres sur le plan financier et
environnemental »70. En outre, il apparaît que la participation des salariés à la gouvernance
de l’entreprise peut avoir un impact sur les résultats de l’entreprise, à la fois en termes de
performance financière et extra-financière71.
L’expression « décroissance prospère » commence à apparaître mais elle repose sur des
cas limités ; les modèles de revenus expérimentés rencontrent un succès encore tout relatif.
Ils ne sont pas non plus adaptés à tous les secteurs et à toutes les entreprises. En outre, les
modèles alternatifs ont tendance à substituer la vente de services à la vente de biens, ce
qui contribue à une forme de dématérialisation mais ne répond pas toujours entièrement
à l’enjeu de sobriété.
Enfin, ce sont des modèles qui reposent largement sur le principe de la « captivité » du
client à l’instar des modèles d’adhésion. Or, le client a été largement habitué, ces derniers
années, à une forme de liberté. Toute la question est de le réengager dans une relation
de fidélité avec une marque dont les produits tiennent leurs promesses et qui lui apporte
quelque chose de plus fort que la relation d’échange commercial. Les modèles expérimentés
ont aussi besoin de données pour saisir les usages et les attentes des clients à partir d’un
volume significatif de flux, ce qui est contradictoire avec la sobriété.

•É
 laborer des modèles de tarification sans exclure des franges de population. Actuellement,
les entreprises qui adoptent des stratégies de décroissance de la production sont ou
se positionnent principalement sur des segments premium ou luxe comme on peut le
voir dans l’encadré ci-dessous ; les prix pratiqués ne sont accessibles qu’à une partie de
la population, ce qui freine l’adoption à grande échelle. Il est crucial de développer un
modèle qui maintienne l’accessibilité des biens pour les classes moyennes ou modestes.
« Dans un contexte de crise climatique, le prix devient donc un marqueur des disparités de
consommation responsable [entre ménages aisés et ménages non aisés] »72. Les mécanismes
qui font dépendre les revenus des entreprises de la réduction de la consommation (voir
infra) semblent plus intéressants de ce point de vue. La tarification progressive – faible en
cas de consommation basse, élevée en cas de consommation plus élevée73 – peut aussi
décourager la consommation et assurer des revenus à l’entreprise.

70
Selon Donnie Maclurcan cité in : “Degrowth: The future that fashion has been looking for?”, Paris Good Fashion, #330, 2 August 2022.
71
 rifo, Patricia (2023), « Comment concilier impact social et enjeux environnementaux ? », Polytechnique Insights, 3 octobre.
C
72
Bœuf, Benjamin (2024), « Consommation responsable : trop cher pour les pauvres, pas assez pour les riches », The Conversation,
22 octobre.
73
Sous réserve d’une pondération selon la taille des foyers ou des clients professionnels.

25
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Modèles de tarification et degré d’accessibilité


Un premier système de tarification réside dans l’adhésion ou souscription qui permet
de fidéliser les clients. C’est ce que l’on voit notamment dans la mode, l’univers du luxe
fonctionnant depuis longtemps sur ces modèles d’exclusivité donnant accès à des offres
privilégiées (« membership »)
• Early Majority a mis en place un modèle d’adhésion à vie : pour les membres qui développent
une affinité et une communauté avec la marque, les produits sont vendus entre 196 et 930 $,
ce qui correspond à la moyenne des vêtements techniques d’extérieur performants. À long
terme, l’objectif est que les frais d’adhésion (cotisations des membres) contribuent davantage
que la vente de produits aux revenus de l’entreprise
Un second système de tarification réside dans la rémunération sur la baisse de la consommation
des clients ou des fournisseurs. Sobriété énergétique oblige, les fournisseurs d’électricité et de
gaz ont été pionniers dans ce format de revenus qui invite le client à baisser sa consommation.
L’idée de rémunérer les clients pour qu’ils réduisent leur consommation s’inscrit dans une
forme d’écologie incitative. Mais les formules d’incitation restent encore largement à trouver.
Des entreprises réfléchissent à des bonus : « les consommateurs les plus vertueux se verraient
attribuer un bonus et, par la suite, nous pourrions imaginer une bourse entre particuliers où
les plus économes en carbone pourraient en revendre aux plus dépensiers »74. La rémunération
des fournisseurs pour qu’ils n’accroissent pas leur ponction sur les ressources naturelles
trouve son origine dans le commerce équitable qui consiste à rémunérer les producteurs à des
prix justes, indépendants du marché
• Poiscaille, qui commercialise des paniers de produits de la mer, rémunère mieux les pêcheurs
pour qu’ils ne ponctionnent pas excessivement les ressources de la mer
• Eau de Paris a mis en place un dispositif inédit : le paiement pour services environnementaux.
Cette démarche préventive, qui consiste à payer les agriculteurs pour qu’ils utilisent moins
de pesticides et d’engrais, vise à limiter la pollution de l’eau en Île-de-France plutôt que de
la traiter75. Les agriculteurs dans les bassins sources sont rémunérés pour leurs efforts à
hauteur de 220 euros l’hectare

•T
 rouver des investisseurs qui comprennent les logiques du modèle : une difficulté majeure
réside dans la recherche d’investisseurs prêts à financer des entreprises explorant des
modèles économiques encore inédits76. Certaines entreprises adoptant une stratégie de
décroissance volumique s’appuient sur des investisseurs « patients ». Par ailleurs, l’idée
de créer un mouvement D Corp, inspiré du modèle B Corp qui labellise les entreprises
répondant à des critères sociétaux, environnementaux, de gouvernance et de transparence,
a été proposée pour renforcer l’intérêt des financeurs envers les entreprises décroissantes77.

On voit, à travers ces questionnements, qu’il faut trouver un modèle économique qui aille
au-delà du simple fait de privilégier la qualité, la durabilité et la réduction de l’empreinte
carbone. Est-ce à dire, pour autant, que la modélisation de la sobriété est impossible ? La
recherche académique a commencé à poser les fondamentaux de ces modèles78. Par leur
exploration, les entreprises en affinent les modalités.

74
Enrique Martinez cité in : « La sobriété heureuse » : l’étonnant plaidoyer du patron de FNAC Darty », Les Échos, 24 juin 2024.
75
 Pollution de l’eau : ces agriculteurs payés pour réduire les pesticides », Reporterre, 26 septembre 2024. Toutefois, la mesure a un coût
«
(€47 millions sur 12 ans, pris en charge à 80 % par l’Agence de l’eau Seine Normandie et à 20 % par Eau de Paris).
76
Emmanuelle Ledoux citée in : « Économie circulaire : “on peine à trouver des modèles économiques” », L’ADN, 12 février 2024.
77
Godelnik, Raz (2022), “The biggest sustainability challenge: Creating successful degrowth business models”, Medium, August 24.
78
Il existe des travaux sur les indicateurs de modèles de décroissance. Voir : Khmara, Yaryna, and Jakub Kronenberg (2018), “Degrowth
in business: An oxymoron or a viable business model for sustainability?”, Journal of Cleaner Production, Vol. 177, March.

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LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

Les points forts des expériences observées


Les expériences sont plurielles – chaque entreprise opérant selon son histoire, sa culture, ses
valeurs –, mais des clefs communes se dégagent et sont autant d’atouts dans la construction
de ces modèles.
Les modèles dits de décroissance volumique mettent surtout l’accent sur l’allongement
de la durée de vie car l’exercice apparaît plus simple. Il importe d’aller vers des modèles
d’affaires plus audacieux grâce à des « “dirigeants-architectes”, capables de bâtir un modèle
d’entreprise sur un temps long, de réconcilier l’irréconciliable »79. Le changement rapide des
usages et des besoins et la fragilisation des systèmes par les crises climatiques montrent
que des modèles d’affaires plus agiles sont aussi impératifs pour gagner en résilience. La
disruption viendra de l’entreprise qui trouvera LE nouveau modèle d’affaires.
•P
 rivilégier l’approche relationnelle sur l’approche transactionnelle (consistant à mettre
l’accent sur la vente de produits), autrement dit travailler la relation-client et les besoins
du client pour réduire son envie de consommer. Sur ce point, des solutions peuvent être
empruntées aux entreprises qui ont adopté un modèle serviciel basé sur la vente du
résultat d’usage et dans lequel la satisfaction du client est assurée par une optimisation
du service. En outre, ce modèle privilégie le lien plutôt que l’accumulation matérielle. Dans
un modèle relationnel, on privilégiera également des indicateurs de rentabilité basés sur
un compte d’exploitation client au lieu d’un compte d’exploitation produit80.
Dans une logique relationnelle, il s’agit aussi de revisiter les modalités d’attachement
émotionnel entre l’offreur et le client. On est ici sur le terrain de l’expérience, toujours
améliorée. Or, un bien d’expérience est un bien dont les consommateurs ne connaissent
la valeur qu’après en avoir fait l’expérience directe et dont les producteurs n’évaluent
pleinement la valeur qu’une fois celui-ci mis sur le marché et testé par les clients81. C’est
une problématique bien connue des industries culturelles et créatives (ICC).
•Ê
 tre levier de développement du C2C (« Consumer to Consumer ») : par sa propre entreprise,
on peut permettre aux clients de revendre leurs biens. C’est une piste intéressante sachant
que les consommateurs sont prêts à payer 5 % de plus pour les produits qu’ils peuvent
revendre par l’intermédiaire de la marque82 (seconde main). On a pu observer, sur les
vêtements et autres articles de mode, l’attractivité que représentait la possibilité de revente
via des plateformes de location83. C’est, en effet, une source de revenus complémentaires
pour les clients. L’échange de vêtements d’occasion par les clients-membres puis leur
revente sont des options envisagées par Early Majority. Des échanges de vêtements
en magasin sont aussi proposés par Toast. Le C2C est, en outre, le moyen d’animer une
communauté.

79
 hristopher Guérin cité in : « Modèle E3 : trouver sa boussole organisationnelle dans un monde en permacrise », Maddyness, 21 juillet
C
2023.
80
« Comment la location et l’abonnement peuvent-ils concilier croissance de volumes d’affaires, fidélisation client et enjeux RSE ? », Livre
blanc de l’économie d’usage en B2B et en B2C, Simple.
81
Nelson, Philip (1970), “Information and Consumer Behavior”, Journal of Political Economy,
82
Raphaël Estripeau cité in : “Early Majority : Fashion’s first degrowth brand”, Vogue Business, May 4, 2022.
83
La plateforme de location d’articles de mode Les Cachotières composait, lors de sa création, avec deux modèles économiques :
un modèle C2C et un modèle B2C. Elle a disparu en 2023.

27
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

• F aire du client un « producteur » : dans l’énergie, le fournisseur allemand EWS Schönau


a transformé ses clients en non-clients afin de favoriser la décentralisation et la
démocratisation du marché des énergies renouvelables ; les tarifs qu’il a mis en place
comprennent un volet de subvention qui permet aux clients de devenir eux-mêmes
producteurs d’énergie renouvelable84. On peut aussi associer le client via le codesign. On
se rapproche ici des modèles « Faire soi-même » et « Faire ensemble »85.

• Dans la mode, les consommateurs peuvent collaborer avec les créateurs pour concevoir
des vêtements personnalisés à partir de matériaux existants ou régénératifs, ajustés à leurs
goûts : couleur spécifique ou fermeture magnétique pour plus d’adaptabilité. Reture, place de
marché de mode soutenable, met en relation les particuliers avec des créateurs internationaux
capables de recycler des vêtements usagés pour en faire des trésors uniques
• Dans l’électroménager ou dans la téléphonie, le fait de proposer des guides de réparation
ou bien des pièces détachées est un moyen de rendre le client acteur de l’augmentation de
la durée de vie d’un bien et de la déconsommation de produits neufs. C’est la proposition
également faite par des fabricants de « smartphones » (Shift, Fairphone, etc.)
• Dans l’automobile, Riversimple a invité un large éventail d’utilisateurs à tester et à évaluer la
voiture pour obtenir le plus de retours possible à partir d’un seul essai en vue de répondre,
de façon poussée, aux besoins et créer plus de valeur avec un seul produit

•A
 voir une vision holistique sur la nature, la société et l’entreprise : cette vision, qui
relativise la place de l’entreprise dans l’écosystème du vivant – humain et non-humain
– implique d’associer toutes les parties prenantes en lien avec la société et la nature.
Dans une entreprise comme Norsys, la Nature siège ainsi au Conseil d’administration. Dans
d’autres, des communautés locales peuvent devenir des parties prenantes. L’information
omniscience – grâce au rapprochement avec les chercheurs – est, par ailleurs, essentielle
pour s’assurer, du point de vue anthropologique et sociologique, que l’on répond à des
besoins essentiels et qu’on ne génère pas de nouveaux impacts négatifs sur la planète.
•E
 ntrer dans une collaboration écosystémique : la sobriété implique de penser en termes
d’écosystème et non de compétitivité. La valeur est, en effet, créée par l’interaction avec
les différents acteurs et la valeur-client se trouve étendue aux parties prenantes86. Cette
logique écosystémique implique également de la coopétition (contraction de coopération et
compétition) et non de la concurrence, en faisant en sorte que son propre développement
serve l’autre. Dès lors, « la contribution à l’émergence de nouvelles relations de solidarité
et de collaboration peut devenir l’un des objectifs (…) des business models vertueux de
demain »87. À titre d’exemple, le mouvement Buy Nothing offre aux particuliers un moyen
de donner et de recevoir, de partager, de prêter et d’exprimer leur gratitude par le biais
d’un réseau mondial d’économie du don dans lequel la véritable richesse est le réseau de
connexions formé entre les personnes. En s’appuyant sur des communautés locales, on
encourage une forme de décentralisation d’autant plus importante que la sobriété doit
être différente partout où elle est mise en œuvre en raison de territoires multiples88. Les
communautés locales cocréent leurs propres écosystèmes et permettent ainsi de gagner
en résilience.

84
Froese, Tobias (2021), “Business for degrowth: A flip in perspective for truly sustainable development?“, ESCP Business School,
The Choice, 14 October.
85
Robert, Isabelle et Maud Herbert (2023), « Des business models sobres pour encourager à “moins consommer“ : tentative de
catégorisation par les nouveaux Business Models de l’économie circulaire », 18ème Congrès du RIODD, Université de Lille, octobre.
Cette étude a identifié 4 catégories de modèles d’affaires qui participent à éveiller, favoriser et soutenir une sobriété dans la
consommation de vêtements : modèle activiste, modèle du « produire moins », modèle écosystémique territorial et modèle DIY-DIT
(“Do iI Yourself, Do It Together“).
86
Maillefert, Muriel et Isabelle Robert (2017), « Nouveaux modèles économiques et création de valeur territoriale autour de l’économie
circulaire, de l’économie de la fonctionnalité et de l’écologie industrielle », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, Décembre (5).
87
Kolar, Jan (2022), Nouveau cadre relationnel, nouveaux enjeux de business model », L’ADN, 4 juin.
88
Sandra Niessen citée in : “Degrowth: The future that fashion has been looking for?“, Paris Good Fashion, #330, 2 August 2022.

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LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

•A
 voir une approche innovante et agile en termes de pilotage de la performance : le câblier
français Nexans a testé une approche de la rentabilité par la sobriété via un nouveau
modèle dit 3E (Économie, Environnement et Engagement). Ayant permis de réduire
l’empreinte carbone de 28 %, ce modèle se veut un puissant moteur de transformation
sans croissance volumique et sans plan social. La nouvelle matrice de pilotage de Nexans
porte sur : 1) le ROCE (retour sur le capital employé) au cube (valeur générée en termes
d’innovation, de compétitivité, etc.), 2) le retour sur le carbone employé (prix interne du
carbone client par client et unité par unité) et 3) le retour sur la compétence engagée (taux
d’engagement des salariés) .
• Développer des activités humano-centrées90 : il y a un potentiel de prospérité à partir du
moment où l’on met l’accent sur les équipements et systèmes nécessaires pour restaurer
et repenser l’habitabilité de la planète mais aussi sur les « capabilités d’épanouissement
garanties aux individus »91 : être convenablement nourri, logé, chauffé, soigné, éduqué,
sécurisé, diverti, etc., autrement dit réduire sa consommation de biens matériels au profit
de services fondamentaux qui n’en procurent pas moins bien-être, plaisir et bonheur. Les
entreprises peuvent participer à la construction d’une offre qui reflète mieux ces usages
essentiels ou qui participent à un basculement vers d’autres formes d’épanouissement
des individus et des sociétés. Elles peuvent, enfin, – certaines le font déjà – répondre à nos
vulnérabilités sachant que le vieillissement de la population, les évolutions sociologiques
en plus du dépassement des limites planétaires les accroissent92 .
La sobriété, c’est surtout se repenser !

89
 hristopher Guérin cité in : « Modèle E3 : trouver sa boussole organisationnelle dans un monde en permacrise », Maddyness, 21 juillet
C
2023.
90
Veltz, Pierre (2024), « Quoi produire ? Les secteurs vedettes dans une économie humano-centrée », Xerfi Canal, 23 octobre.
91
Semal, Luc (2011), « Tim Jackson, Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable, De Boeck-Etopia, 2010,
247 pages », Notes de lectures, Développement durable et territoires, Vol. 2, n° 1, mars.
92
Le chausseur français Eram a travaillé, il y a quelques années, sur le suivi, à titre préventif, de l’équilibre de la marche
avec l’École de Design de Nantes-Atlantique. Quelques mois plus tard, l’entreprise a créé une société de chaussures
connectées (E-Vone) qui détectent les pertes d’équilibre, problématique liée notamment au vieillissement de la population.
Voir aussi : Durroux, Christine (2024), « Et si les vulnérabilités étaient source d’innovation ? », Les Échos, 1er novembre.

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LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

CONCLUSION
Créer les « infrastructures de la sobriété »

L’exploration d’un nouveau modèle soutenable, rentable et à rebours des fondamentaux


économiques dominants soulève la question des leviers pertinents. Les entreprises qui
s’engagent vers le moins produire ont besoin d’être suivies par de plus grandes et de plus
emblématiques encore. Mais un ensemble de changements plus larges leur est aussi nécessaire.
Cela questionne le rôle des acteurs pertinents pour passer à l’échelle.
Les avis sont largement tranchés entre ceux qui estiment que des réglementations sont
impératives sous prétexte que la société ne change que par l’initiative politique et ceux qui
estiment que le cadre réglementaire ne peut produire d’effets concrets.

• Selon l’économiste Olivier Passet, la transition climatique doit être envisagée de manière impérative,
impliquant un cadre réglementaire et coercitif, une intervention accrue de l’État dans la régulation
de la finance de marché, une remise en cause du modèle de gouvernance axé sur les actionnaires
des entreprises et un soutien social93
• Bernard Christophe, professeur émérite en sciences de gestion, partage cette approche : « il n’y a pas
d’autre solution qu’une intervention de l’État. L’entreprise, avec toute sa bonne volonté, a ses limites.
Si vous voulez inciter à décroître, il faut à la fois penser à l’indemnisation des salariés mais aussi, si
on reste dans un système d’économie de marché, aux actionnaires »94.
• Chaque fois qu’il y a eu un changement de paradigme, le rôle de l’État a été essentiel, observe
l’économiste Pierre Veltz qui se demande, en citant William James, philosophe pragmatiste,
« quel pourrait être l’équivalent moral de la guerre pour refocaliser la société vers d’autres
objectifs ? »95
• Selon le Professeur de stratégie Philippe Silberzahn, le changement provient généralement de la
société civile, en particulier des entrepreneurs, les responsables politiques se contentant souvent
de valider ces transformations, tout en cherchant à s’en attribuer le mérite96

On se gardera bien de prendre ici parti ou de trancher ces différents points de vue, si ce n’est
pour souligner la nécessité d’un rattrapage des politiques sur les évolutions des entreprises. Les
entreprises ont, en effet, besoin de plusieurs avancées d’ordre systémique.
• Un environnement capacitant : pour que les pionniers de la sobriété ne soient pas les
derniers, il convient, certes, d’augmenter la désirabilité de la sobriété mais il importe
surtout de créer l’environnement facilitant. On touche ici aux « infrastructures de la
sobriété »97 , notamment à la manière de répartir des activités sur un territoire (sobriété
structurelle) ; une logique de sobriété implique de réorienter les organisations publiques autour
de missions ambitieuses ou d’activités essentielles au lieu de se focaliser sur des objectifs de
croissance qui risquent d’être limités dans un monde sujet à des crises à répétition98.

93
 asset, Olivier (2024), « La transition climatique sera autoritaire (ou ne sera pas !) », Xerfi Canal, 14 février.
P
94
Bernard Christophe cité in : « Ces marques de vêtements qui refusent la fast fashion », Reporterre, 5 janvier 2024.
95
Interview de Pierre Veltz (2024), « Réinventer la société industrielle par l’écologie : pour une bifurcation », Xerfi Canal, 30 septembre.
96
Silberzahn, Philippe (2024), « Survivre au naufrage politique français: Et si la société civile reprenait la main ? », Blog, 8 juillet.
Voir aussi : Silberzahn, Philippe (2023), « La (vraie) source du changement est rarement politique », Blog, 3 juillet.
97
Pour reprendre l’expression de Dominique Meda lors de la Conférence Immobilier & Prospective : « Quelles sobriétés pour quel
immobilier ? », Observatoire de l’immobilier durable, 3 juillet 2024.
98
Mariana Mazzucato, “Rethinking Growth and Revisiting the Entrepreneurial State“, Project Syndicate, August 28, 2023.

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LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

• Le déverrouillage de certains systèmes : les actions de sobriété se heurtent à des verrous
systémiques qu’il faut libérer (voir supra) ; au demeurant, l’exercice est devenu encore plus
difficile sachant que « les maîtres des nouvelles fonctionnalités sont aujourd’hui d’abord et
avant tout les Gafam, qui façonnent nos usages, avec très peu d’échappatoires possibles (…) »99.
• Des mesures en faveur d’une sobriété collective : les modes d’organisation de la société
influencent les préférences mais l’État peut aussi conduire à des changements d’usage comme
on le voit dans certains pays européens (voir encadré) pour autant que cette sobriété reste
accessible ; sur ce dernier point, les politiques publiques peuvent « jouer un rôle en rendant
plus visibles les coûts sociaux et environnementaux des produits onéreux, réduisant ainsi
l’attrait de la consommation ostentatoire »100.

Les pouvoirs publics en chef d’orchestre de la sobriété : exemples européens


• En Allemagne, des interdictions de circulation automobile sont envisagées à l’échelle nationale et
pendant les week-ends par le Ministère des transports afin de respecter les objectifs climatiques
actuels101
• Au Danemark, la mise en place d’une taxe carbone sur l’élevage a été annoncée en juin 2024 ; si elle
est adoptée par le Parlement, elle entrera en vigueur en 2030
• En France, une proposition de loi visant à démoder la mode éphémère (« ultra fast-fashion ») a
été déposée ; le texte prévoit un malus jusqu’à 10 euros sur les produits et une interdiction de la
publicité par les enseignes de « fast fashion » et les influenceurs commerciaux pour la mode à prix
cassés
• Aux Pays-Bas, la ville de La Haye a interdit, aux acteurs publics et privés, toute publicité faisant la
promotion, dans les rues de la ville, des combustibles fossiles, des voitures à essence, des voyages
en avion et des bateaux de croisière à partir de 2025 ; depuis 2023, la ville de Haarlem a interdit la
publicité de produits carnés sur ses bus, abris et écrans publics
• En Grande-Bretagne, le gouvernement a jugé irresponsable au plan environnemental et interdit une
publicité de Toyota pour le pick-up Hilux

• La sensibilisation et l’accompagnement à la transformation : de nombreux collectifs incitent


aujourd’hui les entreprises à adopter des pratiques circulaires, voire de nouveaux modèles
d’affaires (fonctionnalité, à impact positif, régénératif, etc.). Mais il apparaît qu’une grande part
de la sensibilisation peut se faire via les fédérations professionnelles non pas tant en montrant
du doigt les entreprises qui ont des modèles passés ou passéistes qu’en mettant en avant les
entreprises qui transforment leur modèle d’affaires.
Enfin, le territoire apparaît comme l’échelle pertinente pour mettre en œuvre cette sobriété
collective en raison des disparités entre régions102 mais aussi pour créer des synergies.
Les entreprises peuvent, en outre, recevoir, dans ce cadre, de la sensibilisation et de
l’accompagnement car rien n’est plus difficile qu’abandonner. Il faut aider à développer des
compétences dans la création mais aussi dans l’abandon de produits103.

99
 asset, Olivier (2024), La transition climatique sera autoritaire (ou ne sera pas !), Xerfi Canal, 14 février.
P
100
Bœuf, Benjamin (2024), « Consommation responsable : trop cher pour les pauvres, pas assez pour les riches », The Conversation,
22 octobre.
101
Selon les données de l’UBA (Office fédéral de l’environnement), le secteur allemand des transports a émis 146 millions de tonnes
d’équivalents CO2 en 2023, représentant 22 % des émissions totales et dépassant de 13 millions de tonnes les prévisions établies par
la loi sur le climat.
102
Valérie Guillard cité in : « La sobriété n’est pas une norme à négocier », Reporterre, 4 avril 2023.
103
Voir le discours de l’inauguration du centre de formation populaire à l’artisanat de Châteauroux par exemple.

31
LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

ANNEXE
Pratiques de sobriété des moyens, des intrants
et des biens finis

Sobriété des moyens et des intrants Sobriété des biens finis


Sobriété aquifère Sobriété esthétique

Dans la mode/habillement, sachant que la réduction de la consommation de ressources Dans la mode, la sobriété devient
par les marques est indispensable, la marque de prêt-à-porter Kaporal s’est donnée des tendance depuis quelques temps.
objectifs de réduction de la consommation d’eau (-30 à 40 % en deux ans) et d’énergie. Durant l’hiver 2024-2025, « les
« Même si 70 % de ce que nous produisons est éco-conçu, ça ne suffit pas pour hommes joueront la carte de la
rentrer dans les accords de Paris, nous devons ajouter à cela une baisse de notre sobriété, à travers un vestiaire
consommation »104 dénué de toute fioriture »108.
Dans les transports, l’opérateur de transports urbains RATP, bien que non-contraint par le Plusieurs collections printemps-été
Plan Eau du gouvernement, a décidé d’être proactif sur la gestion de ses consommations 2025 de marques de mode féminine
de ressources. Diverses pistes en faveur de la sobriété hydrique se dessinent : travail sur la ont mis l’accent sur la sobriété
connaissance et le comptage de ses consommations, utilisation des eaux d’exhaure (eaux Le « Quiet Luxury » ou luxe
provenant de phénomènes naturels) pour les usages hors-sanitaire (maintenance, lavage, minimaliste désignant des articles
arrosage), etc. de mode d’une valeur et d’une
qualité élevées et à l’esthétique
Réduction des emballages intemporelle se trouve ainsi
conforté. « Fini les sacs à logos
hurlants, les bijoux ostentatoires,
Dans les cosmétiques, de nombreux acteurs mettent l’accent sur la réduction de plastiques
et les robes de bal à volants
dans les emballages. C’est une pratique adoptée par 87,5 % des entreprises sondées105. Yves
dramatiques : désormais, la mode
Rocher a ainsi présenté un programme de dix actions « Act Beautiful » pour avancer avec
redéfinit les codes des “ultra
les partenaires et les consommateurs vers une beauté plus responsable. Un des axes est la
riches” et prône la simplicité et
réduction des emballages. La marque cosmétique a supprimé tous les cellophanes autour
le minimalisme aux antipodes de
des « packagings », soit un gain de 49 tonnes de plastiques par an. Le consortium Pulp in
l’esthétique tape à l’œil »109
Action entend aussi développer des solutions d’emballage en fibres cellulosiques, adaptées
aux exigences des produits cosmétiques106. Chez Aroma Zone, cela va plus loin encore puisque Dans la lignée des sœurs Olsen avec
96 % des produits ne disposent pas d’emballages secondaires. Lush, entreprise britannique, leur marque The Row, les marques
a supprimé les emballages non essentiels et s’est concentré sur les produits solides (sans de mode comme Proenza Schouler
emballage) comme les shampooings et les savons de manière à réduire drastiquement sa ou le maroquinier Bottega Veneta
gamme de produits contenant du plastique. Avril a lancé une gamme de pastilles à diluer opèrent un retour aux fondamentaux
pour reconstituer du shampooing, du dentifrice, de l’eau micellaire, du démaquillant pour les (coupes impeccables, teintes
yeux, du gel nettoyant, du gel douche ou du savon liquide, réduisant ainsi l’usage de flacons épurées, prédominance du noir
et tubes en plastique et le transport de produits lourds et du blanc, détails discrets, etc.).
« L’horlogerie connaît également un
Dans les produits d’hygiène et de propreté, 900.care, qui a formulé une douzaine de catégories
retour au source avec les cadrans
de produits essentiels dans les cuisines et salle de bains, de façon solide, a mis sur pied le
épurés lancés au début du siècle
concept de « tiny usine » qui utilise moins d’énergie pour le chauffage ou la climatisation du
dernier »110
bâtiment destiné à la production de produits solides107
Dans la mesure où il s’agit d’une
tendance, celle-ci est évidemment
Réduction des matériaux réversible. Il faudrait que des
mannequins, des créateurs ou des
Chez Riversimple, chaque pièce de la voiture Rasa est conçue pour être très légère et pour acteurs de cinéma apparaissent
transporter deux personnes, ce qui est souvent la norme. La voiture est construite à partir plusieurs fois avec la même tenue
d’une structure légère en plastique renforcé de fibres de carbone qui est rigide et sûre. Il pour que l’on puisse y voir un signal
en résulte un véhicule qui ne pèse que 580 kg, ce qui contribue non seulement à réduire la plus significatif
quantité de matériaux nécessaires, mais surtout à diminuer l’énergie requise. C’est le poids du
véhicule qui augmente sa consommation d’énergie, et non pas celui des occupants

104
Guillaume Ruby cité in « Quand sobriété rime avec désirabilité », E-Marketing, 3 avril 2023.
105
 Des promesses au passage à l’action : les entreprises de la beauté jouent collectif pour la planète », Challenges, 10 juin 2024.
«
106
Le consortium, lancé en 2022, réunit 14 entreprises cosmétiques dont L’Oréal, Chanel, Sephora ou Nocibé. À ce jour, 51 projets pilotes
ont été lancés dont 20 sont en cours sur des lignes industrielles. Source : « Onze grandes entreprises de la cosmétique explorent le
réemploi », L’Usine Nouvelle, 24 janvier 2024.
107
« Moins d’eau, moins de plastique : la start-up 900.care réduit les cosmétiques en poudre », Les Échos, 21 février 2024.
108
« Les 14 tendances mode homme de l’automne-hiver 2024-2025 décryptées », Vogue, 30 janvier 2024.
109
« Pourquoi les stars succombent toutes à la tendance quiet luxury ? », Vogue, 12 juin 2023.
110
« Quiet Luxury : ces montres intemporelles sont à garder toute une vie… Et les experts le confirment », Vogue, 23 août 2024.

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LA SOBRIÉTÉ PAR LA DÉCROISSANCE VOLUMIQUE - Enseignements des entreprises pionnières

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