De la distinction entre droits réels et droits personnels
I) Situation de la distinction
Afin de mieux cerner la distinction entre droits réels et droits personnels, il convient de remonter à la
notion de « droit subjectif ».
Classiquement le droit subjectif se définit comme la prérogative reconnue aux sujets de droits – par le
droit objectif – dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.
Il en existe deux catégories :
Les droits patrimoniaux
Les droits extrapatrimoniaux
==>Les droits extrapatrimoniaux
Notion
Les droits extrapatrimoniaux sont ceux qui n’ont pas de valeur pécuniaire.
Autrement dit, ils sont hors du commerce juridique. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’échanges.
Les droits extrapatrimoniaux sont strictement attachés à la personne de leur titulaire.
Ils relèvent en somme de l’être et non de l’avoir, contrairement aux droits patrimoniaux qui sont
attachés, non pas à la personne de leur titulaire, mais à son patrimoine.
Identification
On distingue trois sortes de droits extrapatrimoniaux :
Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à
la nationalité)
Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie
familiale)
Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)
Caractères
Les droits extrapatrimoniaux sont :
Incessibles
Intransmissibles
Insaisissables
Imprescriptibles
==>Les droits patrimoniaux
Notion
Les droits patrimoniaux sont les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur
pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet
d’opérations translatives.
Les droits patrimoniaux forment le patrimoine de leur titulaire
Ce patrimoine rassemble deux composantes qui constituent les deux faces d’une même pièce :
un actif
un passif
Identification
Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories
Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)
Ainsi, les droits réels et les droits personnels ont pour point commun d’être des droits patrimoniaux et
donc d’être appréciables en argent.
Caractères
Les droits patrimoniaux se distinguent fondamentalement des droits extrapatrimoniaux en ce qu’ils sont
:
Cessibles
Transmissibles
Saisissables
Prescriptibles (prescription acquisitive et extinctive
II) Principe de la distinction
A) Le droit réel
==>Notion
Il confère à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose.
Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce
le droit réel.
Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose.
Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise
d’un tiers.
Le propriétaire ou l’usufruitier jouit directement de la chose.
Le droit réel est celui qui naît de l’acquisition de la qualité de propriétaire.
==>Summa divisio
Il existe deux catégories de droits réels :
Les droits réels principaux
Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des
prérogatives attachées au droit de propriété
L’usufruit (usus et fructus)
L’abusus
La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit
fonds dominant).
Les droits réels accessoires
On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un
droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
Exemple : les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en
garantie d’une dette
Exemple : le gage, le nantissement, l’hypothèque
B) Le droit personnel
==>Notion
Il confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.
Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier,
d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.
Structurellement, le droit personnel suppose donc deux sujets, un créancier, le sujet actif du droit, et un
débiteur, le sujet passif du droit et un objet, la prestation convenue entre les parties.
À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une
chose mais entre deux personnes entre elles
Le droit personnel est celui qui naît de la conclusion d’une convention
==>Summa divisio
Le droit personnel est pourvu de deux facettes :
Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
Les droits personnels se classent en trois grandes catégories :
L’obligation de donner
L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est
titulaire
Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose
vendue
L’obligation de faire
L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert
d’un droit réel
Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble.
L’obligation de ne pas faire
L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une
action.
Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du
cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans
un temps et sur espace géographique déterminé
En résumé:
III) Critères de la distinction
==>Objet du droit
Le droit réel s’exerce sur une chose (« réel » vient du latin « res » : la chose)
L’étude des droits réels relève du droit des biens
Le droit personnel s’exerce contre une personne (« personnel » vient du latin « persona » : la personne)
L’étude des droits personnels relève du droit des obligations
Illustration : un locataire et un propriétaire habitent la même maison
Le propriétaire exerce un droit direct sur l’immeuble : il peut en user, en abuser et en percevoir les fruits
(les loyers)
Le locataire exerce un droit personnel, non pas sur la chose, mais contre le bailleur : il peut exiger de lui,
qu’il lui assure la jouissance paisible de l’immeuble loué
==>Contenu du droit
Les parties à un contrat peuvent créer des droits personnels en dehors de ceux déjà prévus par le
législateur, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 et 1102, al.
2 C. civ).
En matière de création de droits personnels règne ainsi le principe de la liberté contractuelle (art. 1102,
al. 1 C. civ.)
La création de droits réels relève de la compétence du seul législateur, contrairement aux droits
personnels
Autrement dit, la loi peut seule déterminer l’étendue des pouvoirs que détient une personne sur une
chose.
Les droits réels sont donc en nombre limité
==>Portée du droit
Les droits réels sont absolus en ce sens qu’ils peuvent être invoqués par leur titulaire à l’égard de toute
autre personne
Les droits personnels sont relatifs, en ce sens qu’ils ne créent un rapport qu’entre le créancier et le
débiteur.
Certains auteurs soutiennent que la distinction entre droits réels et droits personnels tiendrait à leur
opposabilité.
Les droits réels seraient opposables erga omnes.
Les droits personnels ne seraient opposables qu’au seul débiteur
Bien que séduisante en apparence, cette analyse est en réalité erronée. Il ne faut pas confondre
l’opposabilité et l’effet relatif :
Tant les droits personnels que les droits réels sont opposables au tiers, en ce sens que le titulaire du
droit est fondé à exiger des tiers qu’ils ne portent pas atteinte à son droit
Le droit personnel n’a, en revanche, qu’une portée relative, en ce sens que son titulaire, le créancier, ne
peut exiger que du seul débiteur l’exécution de la prestation qui lui est due.
==>Nature du droit
Le droit réel est toujours un droit actif, en ce sens qu’il n’a jamais pour effet de constituer une dette
dans le patrimoine de son titulaire
Le droit personnel est tantôt actif (lorsqu’il est exercé par le créancier contre le débiteur : la créance),
tantôt passif (lorsqu’il commande au débiteur d’exécuter une prestation : la dette).
==>Vigueur du droit
L’exercice d’un droit réel est garanti par le bénéfice de son titulaire d’un droit de suite et de préférence
Droit de suite : le titulaire d’un droit réel pourra revendiquer la propriété de son bien en quelque main
qu’il soit
Droit de préférence : le titulaire d’un droit réel sera toujours préféré aux autres créanciers dans
l’hypothèse où le bien convoité est détenu par le débiteur.
L’exécution du droit personnel dépend de la solvabilité du débiteur
Le créancier ne jouit que d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur (art. 1285 C. civ)
Il n’exerce aucun pouvoir sur un bien en particulier, sauf à être bénéficiaire d’une sûreté réelle
==>La transmission du droit
La transmission de droits réels s’opère sans qu’il soit besoin d’accomplir de formalités particulières,
exception faite de la vente de la transmission d’un bien immobilier
La transmission de droits personnels suppose de satisfaire répondre aux exigences de la cession de
créance, conformément aux articles 1321 et s. C. civ.
IV) Critiques de la distinction
Deux critiques majeures ont été formulées à l’endroit de la distinction entre les droits réels et les droits
personnels :
Une première critique tend à assimiler les droits réels à des droits personnels
La seconde critique a consisté à réduire les droits personnels à des droits réels
A) La thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels
==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels
PLANIOL a défendu l’idée que le droit réel ne pouvait pas consister en un lien entre une personne et une
chose dans la mesure où une chose n’est pas un sujet de droit. Elle ne peut donc pas en être le sujet
passif.
Pour cet auteur, un droit ne peut que créer un lien entre deux personnes ou plusieurs personnes.
Ainsi, les droits réels créent une obligation qu’il qualifie d’obligation passive universelle.
Dans ce schéma, le propriétaire de la chose s’apparente à un créancier. Tous ceux qui ne sont pas
titulaires d’un droit réel sur cette chose sont des débiteurs.
L’obligation qui leur échoit consiste à ne pas venir troubler la possession paisible de la chose.
Ainsi, il n’existe aucune différence de nature entre le droit réel et le droit personnel.
Il y a simplement une différence de degré :
Le droit réel constitue un droit personnel à sujet passif indéterminé
Le droit de créance constitue un droit personnel à sujet passif déterminé
==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels
L’obligation passive universelle ne vient nullement grever le patrimoine des débiteurs de cette
obligation. Et pour cause, dans la mesure où ils n’y ont pas consenti
Le droit de propriété consiste avant à exercer un pouvoir direct et immédiat sur une chose. Il y a donc
bien création d’un lien entre une personne et une chose
B) La thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels
==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels
GINOSSAR a défendu l’idée que les créances peuvent faire l’objet d’un droit de propriété. Autrement dit,
elles peuvent être qualifiées de biens
Selon lui, la créance revêt toutes les caractéristiques d’un bien (elle possède une valeur économique et
elle est transmissible)
Surtout, pour cet auteur, le droit de propriété ne serait autre qu’un moyen de s’approprier des choses.
Or parmi les choses, il y a les droits personnels. Les créances peuvent ainsi faire l’objet d’un droit de
propriété
==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels
Il s’agit là d’une vision purement comptable des opérations économiques
Cette thèse nie l’existence du rapport qui s’établit entre deux personnes dans le cadre de l’exercice d’un
droit personnel
L’exercice d’un droit réel sur une créance suppose que le propriétaire puisse modifier, à sa guise, le
contenu de la créance. Il est, en effet, censé pouvoir abuser de la chose qu’il détient. Cela est pourtant
impossible s’agissant d’une créance, car pour en abuser il doit nécessairement satisfaire aux exigences
du mutus dissensus.