0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
140 vues36 pages

Bonus

Transféré par

assoumanenouhou05
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
140 vues36 pages

Bonus

Transféré par

assoumanenouhou05
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 36

Bertrand Seiller

Droit administratif
1. Les sources et le juge

9e édition
Dans la même collection
Clémence Barray et Pierre-Xavier Boyer, Contentieux admi-
nistratif.
Éric Canal-Forgues et Patrick Rambaud, Droit international
public, 3e édition.
Michel Clapié, Manuel d’institutions européennes, 3e édition.
Jean-Pierre Clavier et François-Xavier Lucas, Droit
commercial.
Emmanuel Dreyer, Droit pénal général.
Christophe de la Mardière, Droit fiscal général, 2e édition.
Rafael Encinas de Muñagorri, Introduction générale au droit,
5e édition.
Frédéric Rouvillois, Droit constitutionnel 1. Fondements et
pratiques, 7e édition.
Frédéric Rouvillois, Droit constitutionnel 2. La Ve Répu-
blique, 7e édition.
Frédéric Rouvillois, Libertés fondamentales, 3e édition.
Bertrand Seiller, Droit administratif 2. L’action administra-
tive, 8e édition.
Sylvain Soleil, Introduction historique aux institutions,
3e édition.
Jean-Louis Thireau, Introduction historique au droit,
3e édition.

Cet ouvrage est publié sous la direction de Frédéric Rouvillois.

© Flammarion, 2001 ; 2023 pour la présente édition.


ISBN : 978-2-0804-3137-0
À Jean
LISTE DES ABRÉVIATIONS

AJDA Actualité juridique – Droit administratif.


AJFP Actualité juridique – Fonction publique.
Al. alinéa.
Art. article.
Ass. assemblée du contentieux.
BJCP Bulletin juridique des contrats publics.
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation,
chambres civiles.
Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation,
chambre criminelle.
CAA cour administrative d’appel.
Cass.civ. arrêt de la Cour de cassation, chambre
civile.
Cass.com. arrêt de la Cour de cassation, chambre
commerciale.
Cass.crim. arrêt de la Cour de cassation, chambre
criminelle.
Cass. soc. arrêt de la Cour de cassation, chambre
sociale.
CC Conseil constitutionnel.
CE Conseil d’État.
CEDH Cour européenne des droits de l’homme.
CGCT Code général des collectivités territoriales.
Chr. chronique.
CJA Code de justice administrative.
CJCE Cour de justice des communautés euro-
péennes.
CJEG Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz.
Concl. conclusions.
10 DROIT ADMINISTRATIF

CRPA Code des relations entre le public et


l’administration.
D. Recueil Dalloz.
DA Droit administratif.
EDCE Études et documents du Conseil d’État.
Fasc. fascicule.
GAJA Les Grands Arrêts de la jurisprudence admi-
nistrative (23e édition).
Gaz. Pal. Gazette du Palais.
IR informations rapides.
J jurisprudence.
JCP Semaine juridique (ou Jurisclasseur pério-
dique).
JCPA Semaine juridique Administrations et collecti-
vités territoriales.
JO Journal officiel de la République française.
Juriscl. Jurisclasseur administratif.
Adm.
LGDJ Librairie générale de droit et de juris-
prudence.
LPA Les Petites Affiches.
Obs. observations.
p. page (indiquée directement : après une
décision d’une juridiction administrative
ou du Tribunal des conflits, elle renvoie au
Recueil Lebon de l’année considérée ;
après une décision du Conseil constitution-
nel ou de la Cour de justice des commu-
nautés européennes, elle renvoie aux
recueils de leurs décisions).
PUF Presses universitaires de France.
RA Revue administrative.
Rap. rapport.
RDP Revue du droit public et de la science politique.
Rép.D.Cont. Répertoire Dalloz de contentieux administratif.
Adm.
RFDA Revue française de droit administratif.
RFDC Revue française de droit constitutionnel.
LISTE DES ABRÉVIATIONS 11
RFSP Revue française de sciences politiques.
RISA Revue internationale des sciences adminis-
tratives.
RJEP Revue juridique de l’économie publique (ex
CJEG).
RPDA Revue pratique de droit administratif.
RTDE Revue trimestrielle de droit européen.
S. Recueil Sirey.
SC sommaires commentés.
Sect. section.
TA tribunal administratif.
TC Tribunal des conflits.
INTRODUCTION

Le droit administratif est l’une des principales


branches du droit public. Dans le cadre des études uni-
versitaires, son apprentissage intervient après celui du
droit constitutionnel, autre branche du droit public qui
s’intéresse aux fondements et à la structure de l’État
ainsi qu’à la distinction des différents pouvoirs qui le
composent (législatif, exécutif, juridictionnel).
Le droit administratif a un champ apparemment plus
limité puisqu’il examine « seulement », au sein du pou-
voir exécutif, ce qui traite de l’administration. Rentre
ainsi principalement, dans la sphère du droit adminis-
tratif, l’étude de l’organisation administrative de la
France, des activités des organes administratifs, des
moyens juridiques, humains et matériels dont ils dis-
posent ainsi que du contrôle juridictionnel auquel ils
sont soumis.
Le cours de droit administratif général enseigné en
deuxième année de Licence exclut traditionnellement
les développements relatifs aux moyens humains (droit
de la fonction publique), aux moyens matériels (droit
administratif des biens), présentés en troisième année.
Bien qu’un cours de contentieux administratif soit éga-
lement offert en troisième année, il est indispensable
d’en décrire les grandes lignes dès la deuxième année
en raison de l’origine essentiellement jurisprudentielle
de ce droit (voir infra, p. 30-31). En revanche, l’usage
s’étant établi de séparer l’enseignement des institutions
administratives, cet ouvrage n’inclut aucun exposé sys-
tématique de ces institutions et n’en traite qu’autant
14 DROIT ADMINISTRATIF

qu’il est nécessaire pour la présentation des mécanismes


du droit administratif général.
Quelle qu’en soit la spécificité, chaque branche de
ce droit met en lumière les relations qu’entretiennent
l’administration et les individus. Ce droit a, dès lors,
la difficile fonction de concilier les pouvoirs puissants
accordés à l’administration pour l’accomplissement de
ses missions avec le respect des droits et libertés recon-
nus aux particuliers. Il est parfois présenté comme un
droit du déséquilibre ou inégalitaire. L’administration
jouit, en effet, de nombreux privilèges, au premier rang
desquels figure celui de bénéficier d’un droit particulier.
C’est oublier que, parmi les règles qui composent ce
droit, celles octroyant des prérogatives exorbitantes du
droit commun sont assorties de strictes limites et que
les autres constituent des sujétions tout aussi exorbi-
tantes (voir Exorbitance, p. 307). Le droit administratif
s’efforce, en réalité, de rééquilibrer les rapports structu-
rellement inégalitaires entre l’administration et les
administrés.
Avant d’étayer cette affirmation tout au long de cet
ouvrage, il convient de tenter de mieux comprendre ce
qu’est ce droit. Le droit administratif est un droit de
l’administration ; plus précisément, c’est le droit propre
à l’administration.

Section I
LE DROIT ADMINISTRATIF, UN DROIT
DE L’ADMINISTRATION

Pour comprendre ce que recouvre la soumission de


l’administration au droit, il convient préalablement
d’identifier l’administration.
INTRODUCTION 15
Sous-section 1
IDENTIFICATION DE L’ADMINISTRATION
Le mot administration est d’usage très courant, car il
n’est pas réservé à la science juridique. Loin d’en facili-
ter la compréhension, ce caractère est source de polysé-
mie, donc d’incertitudes. Force est de constater que le
terme peut désigner alternativement un organe ou une
activité.
Si l’on entend par organe « l’institution chargée de
faire fonctionner une catégorie de services 1 », l’Admi-
nistration – au sens organique, le mot comporte souvent
une majuscule – est composée de l’ensemble des institu-
tions publiques chargées de faire fonctionner des ser-
vices d’intérêt public. Une telle définition est
insuffisamment précise, puisque les institutions en
cause peuvent indifféremment dépendre des pouvoirs
législatif, juridictionnel et exécutif. Un premier affine-
ment résulte de l’article 20 de la Constitution du
4 octobre 1958, aux termes duquel « le Gouvernement
détermine et conduit la politique de la Nation. Il dis-
pose de l’administration et de la force armée ». Cette
disposition semble réserver la qualité d’administration
aux institutions dépendant du pouvoir exécutif. Par
extension, l’expression inclut toutefois également les
institutions administratives locales.
L’exclusion du Parlement de la notion se justifie aisé-
ment. Certes, cet organe vote des lois ayant trait à l’admi-
nistration ainsi que les lois de finances qui décident des
moyens attribués à celle-ci ; il contrôle également le gou-
vernement – notamment sa façon de gérer administrati-
vement le pays. Cependant, en exerçant ses pouvoirs
législatif, financier et politique, le Parlement n’intervient
qu’indirectement dans l’administration. Il n’est alors pas
lui-même un organe administratif.

1. H. Capitant, Vocabulaire juridique, 1936, V° « Organe ».


16 DROIT ADMINISTRATIF

Le constat est identique pour les organes juridiction-


nels. Les juges, qu’ils soient judiciaires ou administra-
tifs, interviennent pour trancher des litiges pouvant
impliquer l’administration. Ils ne participent pas pour
autant de celle-ci, contrairement à ce que la maxime
« juger l’administration, c’est encore administrer » pou-
vait faire croire au XIXe siècle.
L’Administration, au sens organique, ne vise donc que
l’ensemble des institutions qui composent le pouvoir
exécutif mais inclut chacune de ces institutions, quelle
que soit son activité. Il est également indifférent qu’elles
soient dotées de la personnalité morale.
Plus précise, cette définition demeure néanmoins
approximative. Le recours au second sens du mot, le
sens matériel, autorise un nouvel affinement.
L’examen des activités des différents pouvoirs consti-
tutionnels confirme, en premier lieu, l’exclusion de la
notion d’administration des pouvoirs législatif et judi-
ciaire. Le fait de légiférer, qui consiste à élaborer et à
édicter les règles générales régissant l’ensemble des acti-
vités publiques ou privées, diffère profondément de la
mission de faire fonctionner les services d’intérêt public.
De la même façon, le pouvoir de juger, c’est-à-dire
d’appliquer la règle de droit à des litiges et d’en énoncer
les conséquences, se distingue de la mission d’adminis-
trer, qui, également soumise au droit, y est soumise
comme à un cadre et non comme à un but.
Le sens matériel de ce mot autorise, en second lieu,
à distinguer entre les institutions dépendant du seul
pouvoir exécutif. Matériellement, les activités gouverne-
mentales sont multiples et ne semblent pas toutes se
rattacher à des tâches d’administration. Même si cette
opposition est excessive, il est classique de distinguer
entre gouverner, qui consiste à décider des grands choix
politiques, et administrer, qui se traduit par l’applica-
tion concrète de ces choix et ce, jusque dans leurs
plus infimes conséquences. Il est plus exact de constater
que l’exercice du gouvernement se décompose
INTRODUCTION 17
schématiquement en trois fonctions : d’abord, partici-
per au bon déroulement des rapports constitutionnels
entre les pouvoirs publics – par exemple, déposer un
projet de loi devant une chambre du Parlement –,
ensuite, conduire les relations diplomatiques, enfin,
assurer l’exécution des autres tâches d’intérêt public
incombant à l’exécutif. Les deux premières compo-
santes ne relèvent pas de l’administration, au sens maté-
riel. Elles sont régies par d’autres règles du droit public,
respectivement le droit constitutionnel et le droit inter-
national public.
Il reste alors à appréhender ce qui fait la spécificité
de l’activité administrative en la comparant à celle des
personnes privées. Ces dernières poursuivent le plus
souvent la satisfaction d’intérêts particuliers qui
peuvent être d’ordre financier, moral ou intellectuel.
Cette finalité n’exclut pas un bénéfice pour la collecti-
vité. Ainsi, le boulanger installé dans une petite com-
mune rurale, s’il cherche avant tout à vivre de son
activité, contribue indirectement, subsidiairement, à la
vie de son village.
Il en va autrement de l’activité administrative.
L’administration, au sens matériel, exclut la recherche
prioritaire du profit personnel : c’est une activité désin-
téressée, qui tend d’abord à la satisfaction de l’intérêt
général. Ce dernier est, selon le Conseil d’État,
« l’unique justification de l’action publique. Seule, en
effet, la poursuite d’un but d’intérêt général peut rendre
acceptable le monopole étatique de la contrainte légi-
time 1 ». Fondamentale, cette notion d’intérêt général
échappe pourtant à toute définition positive ; elle relève-
rait, selon certains, davantage de l’idéologie que de la
science juridique. L’intérêt général ne semble pouvoir
se comprendre que relativement : plus que la simple

1. Conseil d’État, Rapport public 1999, La Documentation fran-


çaise, 1999, p. 272.
18 DROIT ADMINISTRATIF

somme des intérêts particuliers, il les transcende pour


promouvoir l’unité de la société.
L’administration, au sens matériel, désigne ainsi
l’activité, exercée par n’importe quel organe, recher-
chant prioritairement la satisfaction de l’intérêt général.
L’examen des sens organique et matériel du mot
administration révèle donc l’existence de quatre hypo-
thèses théoriques.
Une Administration (sens organique) peut exercer
une activité d’administration (sens matériel). Il en va
ainsi, notamment, lorsqu’un préfet délivre un permis
de conduire.
Une Administration peut également avoir une activité
extra-administrative. C’est le cas lorsqu’un maire assure
l’entretien d’une forêt communale : l’intérêt patrimonial
de la commune est alors prioritairement protégé.
Une personne n’appartenant pas à l’Administration
peut remplir une mission relevant de l’administration
au sens matériel. Ainsi de l’entreprise privée assurant
un service de transport urbain de personnes.
Enfin, une personne échappant à l’Administration
peut exercer une activité ne participant pas de l’admi-
nistration. Tel est le cas de n’importe quelle entreprise
recherchant son seul profit personnel.
Si le droit administratif est un droit de l’administra-
tion, lato sensu, il ne saurait régir la dernière hypothèse :
ni l’Administration au sens organique ni l’administra-
tion au sens matériel n’y sont en cause.
Quel que soit, cependant, le champ d’application
du droit administratif, les hypothèses précédentes
conduisent à s’interroger sur la soumission de l’admi-
nistration au droit.
INTRODUCTION 19
Sous-section 2
LA SOUMISSION DE L’ADMINISTRATION
AU DROIT

« L’existence même d’un droit administratif relève en


quelque sorte du miracle 1. » Il n’est, en effet, pas évi-
dent que l’État accepte spontanément de se considérer
comme tenu au respect du droit. La logique de la souve-
raineté devrait plutôt l’inciter à se croire libre de toute
contrainte juridique, capable de décider discrétionnaire-
ment. C’est déjà l’encadrer que de lui assigner pour
mission, comme nous l’avons fait précédemment, de
promouvoir l’intérêt général et non son intérêt particu-
lier. Il est encore moins naturel que l’État, consentant
à se conformer au droit, accepte de se soumettre au
contrôle de juridictions. « L’État peut, en théorie du
moins, mettre fin, quand il le désire, à l’autolimitation
qu’il a consentie 2. »
Ces rapports de l’État, envisagé ici sous les traits de
l’administration, et du droit appellent quelques déve-
loppements.
Il est manifeste que l’administration, comme toute
institution, doit, dans son propre intérêt, s’organiser,
répartir en son sein les fonctions, s’imposer à elle-même
le processus des décisions. Cela ne se traduit cependant
pas nécessairement par l’élaboration de règles invo-
cables par les tiers. L’ordre qui doit régner au sein de
l’administration ne protège pas les administrés de l’arbi-
traire. À l’égard de ces derniers, l’administration reste
libre d’appliquer « toutes les mesures dont elle juge utile
de prendre par elle-même l’initiative en vue […]
d’atteindre à chaque moment les fins qu’elle se pro-
pose 3 ». Le droit existe donc bien dans cette forme

1. P. Weil et D. Pouyaud, Le Droit administratif, PUF, 2017, p. 3.


2. Ibid., p. 6.
3. R. Carré de Malberg, Théorie générale de l’État, Sirey, 1920,
t. 1, p. 488.
20 DROIT ADMINISTRATIF

primitive, mais il est instrumentalisé, entièrement


maîtrisé par l’Administration dont il exprime la toute-
puissance 1. Il s’agit là de ce que les auteurs allemands
ont proposé de qualifier d’État de police (Polizeistaat) et
que l’histoire française a connu sous l’Ancien Régime.
Malgré la consécration postérieure de l’État de droit
(Rechtsstaat), le système administratif français en
conserve inévitablement des traces : le juge adminis-
tratif admet l’existence, au profit de l’administration,
d’un pouvoir discrétionnaire et d’un ordre intérieur dont il
s’interdit de connaître.
Au stade ultérieur, l’État, et donc l’Administration,
est toujours le producteur des règles juridiques, mais il
accepte de se les voir opposées et d’être contraint de les
respecter. « L’administration doit obéir aux normes qui
constituent à la fois le fondement, le cadre et les limites
de son action, et cette soumission doit être garantie par
l’existence d’un contrôle juridictionnel 2. » L’État de
droit est, pour simplifier, une illustration de l’adage
latin tu patere legem quam ipse fecisti (« soumets-toi à la
loi que tu as posée »).
Le passage de l’État de police à l’État de droit relève
véritablement du miracle. À tel point que les fonde-
ments de la soumission de l’État et de l’administration
au droit restent encore à déterminer. Plusieurs raisons
– dont aucune n’est suffisante – peuvent être avancées :
l’intérêt de l’État à montrer l’exemple du respect du
droit, la pression sociale hostile à l’arbitraire antérieur,
l’existence de juridictions administratives ayant su
s’imposer en construisant un système adapté au rapport
original de l’État au droit.
Il ne suffit pas, en effet, de soumettre l’administration
au droit pour qu’il existe un droit administratif. Le droit

1. J. Chevallier, L’État de droit, Montchrestien, « Clefs », 2017,


p. 16.
2. J. Chevallier, op. cit., p. 13.
INTRODUCTION 21
applicable à l’administration peut être conçu très diver-
sement.
Il peut n’avoir aucune originalité, être identique à
celui auquel sont soumis les individus ; il ne mérite alors
même pas le nom de droit privé. C’est le droit commun,
la Common Law en vigueur au Royaume-Uni, où
l’administration est soumise, en principe, au même
droit et aux mêmes juridictions que les particuliers.
Le droit de l’administration peut, inversement, être
uniquement constitué de règles propres, inconnues du
droit privé, appliquées par des juridictions chargées de
trancher, selon des droits différents, les litiges mettant
en cause les administrés entre eux ou dans leurs rela-
tions avec les administrations.
Le droit de l’administration peut, enfin, combiner un
droit spécifique et le droit commun, selon les nécessités
de l’action publique. C’est alors au juge de déterminer
la frontière entre les activités relevant du droit spéci-
fique à l’administration et celles pouvant être examinées
au regard du droit commun. Une telle dualité du droit
applicable se rencontre en France, où l’administration
est depuis toujours partiellement soumise au droit privé,
et même au Royaume-Uni, où se constitue progressive-
ment un ensemble de règles dérogatoires à la Common
Law.
Le droit administratif est-il alors uniquement le droit
spécifique à l’administration ou bien l’ensemble des
règles juridiques, spécifiques ou non, éventuellement
applicables à celle-ci ?

Section II
LE DROIT ADMINISTRATIF, DROIT
SPÉCIFIQUE À L’ADMINISTRATION

S’il existe, le droit administratif ne peut être que le


droit spécifique à l’administration. Une délimitation
22 DROIT ADMINISTRATIF

s’impose pour comprendre cette affirmation. Permet-


tant de mieux cerner la notion, elle conduit à détermi-
ner les origines de ce droit et ses caractères.

Sous-section 1
LE CHAMP DU DROIT ADMINISTRATIF
Le droit administratif n’est pas le droit de l’adminis-
tration lato sensu : il est le droit de l’administration au
sens matériel précédemment défini. Pour autant, il n’est
pas le seul droit applicable à celle-ci : il est le droit spéci-
fique applicable à l’administration au sens matériel.
Le droit administratif ne régit que les activités admi-
nistratives, quel que soit l’organe qui les exerce. Il
concerne logiquement l’Administration (au sens orga-
nique) agissant dans un but d’intérêt général – ce qui
caractérise l’administration au sens matériel. Y sera sou-
mise la commune assurant un service public de garderie
de jeunes enfants. Pareillement, s’exerce dans le respect
de ce droit une activité d’intérêt général, même lors-
qu’elle est le fait d’une personne ne participant pas de
l’Administration mais qui est habilitée à agir par une
personne publique. L’hypothèse en cause vise toute per-
sonne privée chargée d’une mission de service public
par l’Administration.
En revanche, est soustraite à ce droit l’Administration
qui n’effectue pas de l’administration au sens matériel.
Ainsi de la collectivité publique qui gère son patrimoine
forestier comme le fait un propriétaire ordinaire : c’est
au droit civil qu’il appartient principalement de régir ce
genre d’hypothèses.
Applicable aux seules activités matériellement admi-
nistratives, le droit administratif n’est pourtant pas le
seul droit les encadrant.
Nous parvenons ici au point le plus précis que l’ana-
lyse abstraite permet d’atteindre quant aux champs res-
pectifs du droit administratif et du droit privé. Si le droit
INTRODUCTION 23
administratif est le droit spécifique à l’administration au
sens matériel, il n’en est pas le droit exclusif. Le droit
privé est parfois sollicité alors même que sont en cause
des activités matériellement administratives comme, par
exemple, pour des services publics ressemblant forte-
ment aux activités industrielles et commerciales des per-
sonnes privées. Bien que s’appliquant alors à de
l’administration au sens matériel, le droit privé ne
change pas de nature. En conséquence, dans l’ensemble
des droits régissant les activités administratives, mérite
seul la qualité de droit administratif le droit spécifique,
irréductible au droit privé.
Il semble impossible aujourd’hui de dépasser ce stade
de l’analyse et, notamment, d’établir rationnellement ce
qui justifie l’application du droit privé ou du droit admi-
nistratif à des activités administratives. La frontière
entre les champs des deux droits obéit certes à des
règles, qui seront étudiées dans cet ouvrage, mais celles-
ci ne se ramènent pas à un principe unique de dis-
tinction.

Sous-section 2
LES ORIGINES DU DROIT ADMINISTRATIF
L’impossibilité de définir plus précisément que nous
ne l’avons fait le droit administratif découle de ses ori-
gines historiques (voir Origines, p. 322). Elles seules
permettent de comprendre l’embarras des auteurs à
isoler un concept fondateur de ce droit spécifique.
Des études historiques établissent aujourd’hui que
des éléments de droit administratif existaient déjà au
Moyen Âge 1 ; elles ne remettent cependant pas en
cause l’idée selon laquelle la consécration du principe
de séparation des autorités administratives et judiciaires

1. J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français,


PUF, 1985.
24 DROIT ADMINISTRATIF

a largement contribué à l’essor du droit administratif.


Ce principe, illustrant la « conception française » de la
séparation des pouvoirs (CC 86-224 DC du 23 janvier
1987, p. 8 ; GAJA, no 80), a été consacré sous la Révo-
lution pour éviter que ne se reproduisent les empiéte-
ments des parlements d’Ancien Régime sur l’action
administrative. Les textes fondateurs, toujours en
vigueur, en sont l’article 13 de la loi d’organisation judi-
ciaire adoptée par la Constituante les 16-24 août 1790
– « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeure-
ront toujours séparées des fonctions administratives.
Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de
quelque manière que ce soit les opérations des corps
administratifs » – et l’article unique du décret du
16 fructidor an III, qui réaffirme solennellement cette
interdiction.
Littéralement, ces textes n’impliquaient pas l’élabora-
tion d’un droit administratif. Leur objectif était seule-
ment, en effet, d’interdire aux tribunaux civils de
connaître des actes administratifs. Leur portée va
cependant être radicalisée par des textes postérieurs
attribuant la connaissance de certains litiges administra-
tifs à des autorités administratives, locales et nationales,
qui deviendront respectivement, en l’an VIII, les
conseils de préfecture et le Conseil d’État. Il s’agit alors
d’autorités administratives dotées de pouvoirs juridic-
tionnels. Elles concrétisent le système de l’administrateur-
juge, qui s’appliquera notamment aux ministres – théorie
du ministre-juge – jusqu’à la toute fin du XIXe siècle
(CE 13 décembre 1889, Cadot, p. 1148, concl.
Jagerschmidt ; GAJA, no 5), bien après que le Conseil
d’État a bénéficié de la justice déléguée en vertu de la
loi du 24 mai 1872.
Une juridiction administrative est ainsi apparue peu à
peu à partir de textes qui ne la créaient pas initialement.
La dualité de juridiction a précédé la dualité des ordres
juridiques : de la définition de la compétence des juridic-
tions administratives est née l’idée que la spécialité des
INTRODUCTION 25
litiges devait être prolongée par celle du droit applicable
à leur résolution.
Le fameux arrêt Blanco (TC 8 février 1873, 1er suppl.,
p. 61, concl. David ; GAJA, no 1), longtemps ignoré puis
trop sollicité, résume parfaitement cette évolution à
propos de la responsabilité de l’État du fait des personnes
qu’il emploie dans les services publics. Cette responsabi-
lité « ne peut être régie par les principes qui sont établis
dans le Code civil, pour les rapports de particulier à parti-
culier ; [elle] n’est ni générale ni absolue ; elle a ses règles
spéciales qui varient suivant les besoins du service et la
nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits
privés ». Ce n’est qu’au prix d’un renversement de la
logique historique que le Tribunal des conflits en déduit
que « dès lors […] l’autorité administrative est seule com-
pétente pour en connaître », posant de la sorte le principe
selon lequel la compétence suit le fond.
L’apparition d’un droit administratif, spécifique par
rapport au droit civil, résulte ainsi d’une spécialisation
juridictionnelle ayant elle-même provoqué une spéciali-
sation juridique. Il ne faut pas croire pourtant qu’il en
résulte une totale étanchéité entre les deux ordres de
juridiction et leurs ordres juridiques : le juge adminis-
tratif utilise ou s’inspire parfois des règles du droit civil
(enrichissement sans cause, responsabilité décennale
des constructeurs…). Il est ainsi des cas marginaux de
distorsion entre le droit applicable et le juge chargé de
l’appliquer.
Le caractère très circonstanciel de l’apparition du
droit administratif ne pouvait satisfaire les esprits carté-
siens, avides de classifications et de principes explicatifs.
Nombreuses ont donc été les tentatives de justification
théorique de ce droit.
Compte tenu des origines historiques du droit admi-
nistratif, la recherche d’un critère unique pour en
rendre compte s’est fondée pour l’essentiel sur la com-
pétence des juridictions administratives. La doctrine a
considéré cette compétence comme un indice de la
26 DROIT ADMINISTRATIF

nature particulière du droit administratif. Une lecture


littérale des textes fondant la séparation des autorités
conduisit initialement à retenir un critère purement
organique. Réduisant à l’excès la compétence des juri-
dictions judiciaires et recréant un privilège de juridic-
tion aboli par la Révolution, cette première tentative
échoua. Elle fut relayée, au milieu du XIXe siècle, par
des réflexions faisant prévaloir un critère matériel issu
du constat que l’administration peut alternativement
agir comme un simple particulier ou selon des procédés
originaux. Le pouvoir de commandement, attribut
essentiel des autorités publiques, ne saurait relever du
droit commun. En revanche, lorsqu’elle renonce à
recourir à l’acte d’autorité, l’administration ne se dis-
tingue plus des simples particuliers et ne doit bénéficier
ni d’un droit spécifique ni de juridictions spéciales. Fut
ainsi élaborée la distinction, reprise en jurisprudence,
entre les actes de gestion et les actes d’autorité.
Bien qu’intéressante, cette théorie était néanmoins
peu opératoire et avait comme inconvénient notable de
réduire exagérément le champ du droit administratif.
Elle se révéla impuissante à justifier la compétence des
juridictions administratives à l’égard des activités maté-
rielles de plus en plus fréquemment assurées par les col-
lectivités publiques au tournant du siècle. Elle avait
également pour défaut de n’assigner ni finalité ni limite
à l’action étatique.
Deux théories, qui divisèrent la doctrine de l’époque
en deux « écoles », se proposèrent alors, au début du
XXe siècle, de refonder le droit administratif sur de nou-
veaux critères.
L’une était issue de la théorie des actes d’autorité,
dont elle affine l’analyse, en mettant en valeur les attri-
buts de la puissance publique. Symbolisée plus que diri-
gée par Maurice Hauriou (voir Hauriou, p. 313), doyen
de la faculté de droit de Toulouse, cette école s’intéresse
aux moyens mis en œuvre par l’administration : si ces
moyens traduisent la puissance publique, le droit admi-
INTRODUCTION 27
nistratif doit s’appliquer, quelle que soit l’activité à
propos de laquelle ils sont utilisés. La notion de puis-
sance publique est ainsi placée au cœur du droit admi-
nistratif dont elle contribue à déterminer chacun des
grands principes. Conscient cependant de la nécessité
d’assigner une fin à ces moyens exorbitants, Hauriou
fit une place, dans ses derniers écrits, à la notion de
service public.
C’était reconnaître une part de vérité aux démonstra-
tions des auteurs de la seconde école, avec à leur tête
Léon Duguit, contemporain d’Hauriou et doyen de la
faculté de droit de Bordeaux (voir Duguit, p. 303).
Moins nuancé que son contradicteur, car désireux de
bâtir un système global et cohérent auquel le droit posi-
tif devrait au besoin se plier, Duguit ramène tout le
droit public au concept de service public. « L’État n’est
pas […] une puissance qui commande, une souverai-
neté ; il est une coopération de services publics, organi-
sés et contrôlés par des gouvernants 1. » La principale
qualité du critère proposé par Duguit est de tracer les
limites de l’action étatique tout en justifiant l’octroi de
prérogatives de puissance publique aux autorités
publiques. L’État ne saurait agir pour autre chose que
la satisfaction des besoins sociaux mais doit bénéficier
pour parvenir à celle-ci, de pouvoirs exorbitants du
droit commun. L’édifice ambitieux construit par les
auteurs de cette école ne trouva cependant qu’un très
faible et éphémère écho en jurisprudence en raison de
sa trop grande rigidité dans une époque de profondes
mutations. Dès 1921, la création des services publics
industriels et commerciaux, soumis au droit privé,
démontra que le régime juridique du service public
déborde du champ du droit administratif.
Les tentatives de conceptualisation du droit adminis-
tratif se firent alors plus rares et plus réalistes. Il en va

1. L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, de Boccard, t. 2, 1928,


p. 59.
28 DROIT ADMINISTRATIF

ainsi de la théorie des bases constitutionnelles du droit


administratif élaborée par le doyen Georges Vedel 1,
dans laquelle, après une désormais classique délimita-
tion à partir des sens organique et matériel du mot
administration, le droit administratif est défini comme
le droit applicable « à l’ensemble des activités du gou-
vernement et des autorités décentralisées étrangères à la
conduite des relations internationales ou aux rapports
entre les pouvoirs publics et s’exerçant sous un régime
de puissance publique 2 ». Négligeant la finalité de
l’action étatique, le doyen Georges Vedel prolonge la
pensée d’Hauriou en mettant l’accent sur la spécificité
du régime applicable, conséquence des procédés exorbi-
tants utilisés.
L’ultime réflexion, en forme de synthèse, fut celle du
professeur René Chapus qui démontra que, schémati-
quement, le droit de l’administration – et non le droit
administratif stricto sensu – est le droit du service public
et le contentieux administratif, le contentieux de la
puissance publique 3.
Consciente de l’impossibilité de définir exactement le
droit administratif par une ou même deux notions, la
doctrine contemporaine, sans pour autant céder à
l’« existentialisme juridique 4 », préfère s’en tenir à des
approximations – notamment avec la distinction des
gestions publique et privée. Tout au plus s’accorde-t-
elle sur les principaux caractères de ce droit.

1. EDCE, no 8, p. 21, ou G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administra-


tif, PUF, 1992, p. 25.
2. G. Vedel et P. Delvolvé, op. cit., p. 76.
3. R. Chapus, « Le service public et la puissance publique », RDP
1968, p. 235.
4. B. Chenot, « L’existentialisme et le droit », RFSP 1953, p. 57.
INTRODUCTION 29
Sous-section 3
LES CARACTÈRES DU DROIT
ADMINISTRATIF

Outre les conditions historiques d’apparition de ce


droit, ses caractères expliquent la difficulté à le réduire à
un concept fondateur. Profondément différent du droit
privé car construit par un juge spécial, le droit adminis-
tratif est autonome et essentiellement jurisprudentiel.
La question de l’autonomie ou de la dérogation du
droit administratif par rapport au droit privé est aussi
ancienne que fondamentale (voir Exorbitance, p. 307).
Considérer ce droit comme dérogatoire signifie qu’il est
une exception à un droit commun qui, par ailleurs,
demeure. Sauf texte ou nécessité imposant l’application
du droit administratif, le droit commun, c’est-à-dire le
droit privé, doit donc l’emporter. Mais une telle présen-
tation est exagérément restrictive pour le droit adminis-
tratif, réduit à n’être qu’un droit subsidiaire. Elle
correspond au système britannique actuel où, à côté de
la Common Law, s’élabore peu à peu un droit propre
à l’administration. Telle était également la conception
initiale en France, où le droit privé était souvent défini
en jurisprudence comme le droit commun.
Présenter le droit administratif comme autonome,
c’est souligner l’originalité de ce droit, élaboré sans réfé-
rence à un autre, et affirmer l’existence de deux droits
communs, régissant l’un les rapports entre particuliers,
l’autre les rapports entre ces derniers et l’administra-
tion. Charles Eisenmann a dénoncé cette conception en
affirmant que le droit administratif est l’ensemble des
règles de droit dont l’administration est le sujet actif ou
passif 1. La critique ne vaut que dans la mesure où l’on
accepte sa définition du droit administratif. Conçu ici

1. C. Eisenmann, « Définition et structure du droit administratif »,


Cours de DES 1951-1952, LGDJ, 1982, t. 1, p. 98.
30 DROIT ADMINISTRATIF

comme le droit spécifique applicable à l’administration


au sens matériel, il ne peut être qu’autonome, même
lorsque le juge administratif s’inspire volontairement
des règles du droit privé.
Le second caractère du droit administratif est d’être
essentiellement jurisprudentiel. Des textes de plus en
plus nombreux, d’origine interne ou internationale,
traitent certes de matières administratives ; mais ils ne
visent le plus souvent que des aspects techniques (com-
pétences, procédures, formes…) en renvoyant implicite-
ment aux notions de base du droit administratif (acte
unilatéral, contrat administratif, agent public, domaine
public…) qui, elles, ont été forgées par le juge adminis-
tratif. La compréhension et la maîtrise du droit adminis-
tratif sont donc impossibles à qui ne s’intéresse qu’aux
textes. Le processus d’intense codification entamé ces
dernières années n’y changera rien. La tâche en serait
d’ailleurs impossible tant les règles qui se dégagent de
la jurisprudence sont subtiles et nuancées. Les juges ne
pouvant procéder par arrêts de règlement, ce droit n’a pu
en effet être formulé qu’au gré des litiges. Il est, en
conséquence, d’accès difficile, puisque contenu dans
deux siècles de jugements des juridictions administra-
tives. Les règles du droit administratif y gagnent en sou-
plesse. Elles épousent les évolutions de la société, tant
il est vrai que ce droit est « l’ombre de l’État éclairé par
la lumière du siècle 1 ».
Les conséquences du caractère essentiellement juris-
prudentiel de ce droit se prolongent jusque dans sa pré-
sentation pédagogique : il n’y a pas, au fond, de
première étape ni de terme assigné. Par quelque point
que l’on engage sa présentation, des anticipations et des
renvois seront nécessaires tant les notions qui le consti-
tuent sont étroitement liées. Un souci pédagogique
nous conduira cependant à examiner successivement

1. J. Boulouis, « Supprimer le droit administratif ? », Pouvoirs,


no 46, p. 12.
INTRODUCTION 31
dans ce premier tome les sources de ce droit (première
partie), l’ordre juridictionnel administratif (deuxième
partie) et la compétence de cet ordre (troisième partie).
Le second tome sera consacré à l’étude des fins, des
moyens puis des limites de l’action administrative.
Première partie
LES SOURCES DU DROIT
ADMINISTRATIF

Le caractère essentiellement jurisprudentiel du droit


administratif souligné en introduction ne signifie pas
qu’il est exclusivement issu de l’œuvre prétorienne.
Celle-ci n’est, quantitativement, qu’une source parmi
d’autres, même si, qualitativement, elle a fourni à ce
droit ses structures fondamentales. S’il importe donc de
n’en négliger aucune, l’étude ne peut néanmoins porter
que sur les sources formelles, au détriment des sources
réelles ou matérielles. Certes, ces dernières sont fort
intéressantes du point de vue de la « génétique » du
droit 1, parce qu’elles conduisent à prendre en considé-
ration les éléments physiques, psychologiques, sociolo-
giques, philosophiques, politiques, économiques ou
historiques qui influent sur l’élaboration comme sur
l’application de tout système juridique. Mais une telle
étude ne saurait trouver sa place dans un manuel des-
tiné à présenter le programme de deuxième année. Elle
ne peut d’ailleurs être menée à bien par le seul juriste
et suppose, en tout état de cause, de maîtriser les
concepts et les méthodes du raisonnement juridique.
C’est pourquoi les développements suivants ne s’inté-
ressent qu’aux sources dites formelles. Il s’agit de pré-
senter les formes sous l’action desquelles la règle naît
au droit, le moule officiel qui préside, positivement, à

1. G. Ripert, Les Forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, p. 80.


34 DROIT ADMINISTRATIF

l’élaboration, à l’énoncé et à l’adoption d’une règle de


droit 1.
Il existe ainsi principalement quatre sources formelles
du droit administratif, dont la valeur juridique va
décroissant 2, et dont les plus hautes ont été affermies
au détriment d’autres, affaiblies par les évolutions
récentes.

1. G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 2018, V° « Source ».


2. D. de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions
normatives de l’État, Economica, « Droit public positif », 1996.
Chapitre I
LES SOURCES AFFERMIES

Paradoxalement, les deux sources les plus hautes


dans notre ordre juridique, la Constitution et les traités
internationaux, n’ont pendant longtemps pu déployer
toute leur autorité en droit administratif. Un regard sur
la jeune histoire du droit administratif moderne fait
apparaître que les juridictions administratives, dans leur
préoccupation de mieux soumettre l’administration au
droit, ont procédé par étapes. Cela s’est traduit d’abord
par l’affirmation de l’existence d’une hiérarchie, au sein
de la structure administrative, entre les différents éche-
lons de décision. Les régimes autoritaires que connut
la France durant les deux tiers du XIXe siècle et qui
privilégiaient le pouvoir exécutif au détriment du pou-
voir législatif ont justifié cette première phase de la juris-
prudence. Puis, avec les progrès de la démocratie et
l’avènement de régimes parlementaires, le juge s’est
efforcé d’assujettir l’administration au respect de
l’expression de la volonté générale, au respect de la loi.
La IIIe République, dont bien des grands textes
inspirent encore notre système juridique, a marqué net-
tement cet élargissement et ce rehaussement du bloc de
légalité. Par la suite, définitivement accepté tant par les
justiciables que par l’administration, le juge administra-
tif a cherché à suppléer les lacunes du droit écrit en
consacrant par lui-même divers principes généraux du
droit, parfois fondamentaux.
En revanche, la Constitution et les traités internatio-
naux, sans être absolument ignorés, ne furent jusqu’au
36 DROIT ADMINISTRATIF

dernier tiers du XXe siècle que des sources subsidiaires


du droit administratif. Le bloc de légalité « classique »
suffisait à résoudre l’immense majorité des litiges sans
qu’il soit besoin de se tourner vers ces deux sources à
l’autorité impressionnante mais à la normativité incer-
taine. Le mouvement de promotion des sources du
droit administratif, constaté depuis le début du
XIXe siècle et sans doute lié tant à l’élargissement des
activités administratives qu’à la prise de conscience de
l’unité de l’ordre juridique, s’est toutefois poursuivi. Les
réticences du juge administratif à l’égard des normes
constitutionnelles et internationales ont ainsi progressi-
vement disparu. Il en résulte un affermissement, certes
variable, de ces deux sources formelles 1, pour le plus
grand profit des plaideurs dont l’argumentation s’est
considérablement enrichie.

Section I
LES NORMES CONSTITUTIONNELLES

En mettant en lumière les bases constitutionnelles du


droit administratif, le doyen Vedel a proposé de définir
celui-ci en le rattachant, dans son fondement même, à
la Constitution 2. Attaché à présenter le droit adminis-
tratif comme le droit de la puissance publique, il a été
le premier à souligner la nécessité d’intégrer au bloc de
légalité des normes de rang constitutionnel, tant pour
mieux asseoir la légitimité de l’action administrative que
pour soumettre celle-ci à leur respect. Élaborée sur la
base des Constitutions des IIIe et IVe Républiques, puis

1. R. Chapus, « L’administration et son juge. Ce qui change »,


EDCE 1992, no 43, spéc. p. 271.
2. G. Vedel, « Les bases constitutionnelles du droit administratif »,
EDCE, no 8, p. 21, et G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif,
op. cit., p. 25.
LES SOURCES DU DROIT ADMINISTRATIF 37
corrigée pour tenir compte des évolutions impliquées
par notre loi fondamentale actuelle 1, sa démonstration
s’appuie sur certaines prescriptions constitutionnelles
relatives aux activités du gouvernement (au sein des-
quelles doit être distinguée l’administration proprement
dite), à la répartition des compétences au sein du pou-
voir exécutif ou à l’étendue des domaines respectifs de
la loi et du règlement. Il est manifeste que notre ordre
constitutionnel concerne bien des éléments du droit
administratif, ce qui conduit à s’interroger sur les moda-
lités du respect des normes constitutionnelles en droit
administratif.

Sous-section 1
LES NORMES CONSTITUTIONNELLES
DE DROIT ADMINISTRATIF

Sans pour autant s’en désintéresser, le corps même


de la Constitution du 4 octobre 1958 n’est pas parti-
culièrement riche en dispositions intéressant directe-
ment le droit administratif. Il renferme néanmoins
d’indispensables indications sur la répartition des com-
pétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir régle-
mentaire : les articles 34 et 37 alinéa 1er répartissent les
domaines de l’activité normative étatique entre ces deux
pouvoirs tandis que les articles 37 alinéa 2, 38 et 41
prévoient un certain nombre de procédures garantissant
le respect de cette répartition (CE 1er décembre 1997,
CPAM de la Sarthe, RFDA 1998, p. 215 ; voir infra,
chap. II). D’autres dispositions constitutionnelles, les
articles 13 et 21, distribuent entre les deux autorités
composant le pouvoir exécutif, le Président de la Répu-
blique et le Premier ministre, l’exercice du pouvoir
réglementaire soumis, à ce niveau-là, à des exigences de

1. C. Eisenmann, « La théorie des bases constitutionnelles du droit


administratif français », RDP 1972, p. 1345.
38 DROIT ADMINISTRATIF

contreseing (articles 19 et 22). Le Conseil d’État est par


ailleurs mentionné dans le texte constitutionnel au sujet
de ses attributions tant juridictionnelles (articles 61-1 et
74 alinéa 3) que consultatives (notamment aux
articles 37 alinéa 2, 38 alinéa 2, 39 alinéas 2 et 5, 74-1
alinéa 2 et 76 alinéa 3).
Outre ces divers éléments d’ordre institutionnel, la
Constitution contient quelques principes de fond
s’imposant, directement ou indirectement, à l’action
administrative. Les principes d’égalité devant la loi
(article 1), d’universalité, d’égalité et de secret du suf-
frage (article 3 ; CE Ass. 13 novembre 1998, Le Déaut,
p. 396, RFDA 1999, p. 826, concl. Touvet), de libre
administration des collectivités locales, d’exercice par le
représentant de l’État d’un contrôle administratif
(articles 34 et 72 ; CE Sect. 28 février 1997, Commune
du Port, p. 61) ou de supériorité des traités internatio-
naux sur les lois (article 55, voir infra, section II)
illustrent cette catégorie.
Il convient de reconnaître cependant que le préam-
bule de l’actuelle Constitution, bien que très bref, est
beaucoup plus fécond. Cela tient au fait que le peuple
français y « proclame solennellement son attachement
aux droits de l’homme et aux principes de la souverai-
neté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclara-
tion de 1789, confirmés et complétés par le préambule
de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et
devoirs définis dans la Charte de l’environnement de
2004 ». Le renvoi ainsi opéré au profit de ces déclara-
tions de droits a permis d’étoffer la catégorie des
normes constitutionnelles touchant au droit administra-
tif. C’était à la condition, néanmoins, que soient recon-
nues la valeur juridique des dispositions auxquelles il
est ainsi renvoyé, et donc leur effectivité en tant que
sources du droit administratif.

Vous aimerez peut-être aussi