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Introduction À La Science Po S1 Avec Exercises TD 2023 Sans NBP

introduction à la science po S1 avec exercises TD 2023 sans NBP fsjes agdale
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Tronc commun : filière de la licence dans les études

fondamentales en Droit

Introduction à la Science Politique

Année Universitaire 2023-2024

Professeur Abdelhamid Benkhattab

1
Introduction générale

La science politique comme discipline scientifique


§1. Définition de la science politique
1. Définition de la science
2. Définition de la politique
3. Définition de la science politique
§2. L’objet de la science politique
§3. L’évolution de la science politique
1. Naissance et évolution de la science politique en occident
2. Naissance et évolution de la science politique au Maroc
§4. La place de la science politique dans les sciences sociales
§5. Les Méthodes de la science politique

L’Etat comme objet de la science politique


§1. Naissance et évolution de l’Etat moderne
§2. Les fluctuations de l’Etat moderne

Le pouvoir comme objet de la science politique


1. La spécificité du pouvoir politique
2. Les mécanismes de l’exercice du pouvoir

Typologie des régimes politiques contemporains


1. Le régime démocratique
2. Le régime totalitaire
3. Le régime autoritaire

Chapitre 5 L’action politique publique


1. Les politiques publiques
2. La socialisation politique
3. La participation politique
4. La communication politique
5. Le comportement électoral

2
Introduction générale

Ce cours d’introduction à la science politique ambitionne de fournir aux


étudiants et aux initiés un aperçu relativement simplifié des différents
paradigmes et problématiques de la science politique contemporaine.

Il faut dire que si la science politique est une discipline scientifique


nouvelle, il n’en demeure pas moins que l’étude des phénomènes politiques
est assez ancienne. Elle a commencé à partir du moment où les hommes se
sont intéressés à la compréhension des phénomènes politiques, liés à leur
vie des en communautés organisées et hiérarchisées, ainsi qu’aux rapports
de force et de domination qui résultent de leur interactions permanentes.
De là, on peut facilement déceler des analyses approfondies des différents
phénomènes politiques chez les penseurs et philosophes grecques, romains,
arabes. Mais, ces analyses sont restées assez vagues et n’ont pas débouchés
sur la création d’une science politique au sens stricte du terme.

A priori, la science politique, en tant que discipline autonome, est née de


l’idée de la recherche et de l’étude des phénomènes politiques
indépendamment de la philosophie politique et de la morale qui l’avaient
jusque-là réduite { l’étude des meilleures formes de gouvernement, les plus
légitimes et les plus appropriées à la nature des hommes et à leur morale.

La discipline de la science politique avait dès ses débuts soulevé la question


de la légitimité de son autonomie en ce sens que les phénomènes politiques
(Etat, partis politiques, pouvoir, domination, institutions) qu’elle prétend
analyser, sont aussi étudiés par d’autres disciplines des sciences sociales
(sociologie, géographie, histoire, philosophie).

C’est ainsi que se pose la question de la valeur ajoutée d’une telle discipline
en comparaison avec les autres disciplines qui l’avaient précédée dans
l’étude des phénomènes politiques. Cette question est d’autant plus

3
problématique compte tenu de la difficulté apparente rencontrée par la
science politique contemporaine pour définir et circonscrire
rigoureusement son objet d’étude de telle sorte { pouvoir défendre son
Independence et justifier la légitimité des méthodes et procédés d’analyse
des phénomènes qualifiés de politiques. Dans ce cadre, il faut noter que la
détermination rigoureuse de l’objet d’étude demeure un critère
fondamental pour qualifier toute discipline de scientifique. Car on ne peut
défendre l’existence d’une discipline scientifique qu’{ partir du moment où
elle arrive à déterminer rigoureusement le champ et les limites de son objet
d’analyse par rapport aux autres disciplines scientifiques qui partagent ou
disputent les mêmes paradigmes et méthodes avec elle.

C’est dans cette perspective que se pose la problématique de la


détermination rigoureuse du concept même de la politique, ainsi que des
concepts qui gravitent autour d’elle comme : le pouvoir, la domination, le
conflit, l’Etat, les mouvements collectifs…etc.

Faut-il admettre que la politique est un phénomène lié { l’Etat, en tant


qu’épicentre du pouvoir politique organisé et des phénomènes qui s’y
rattachent ? Ou bien faut-il y voir un phénomène lié à la société toute
entière où existe une lutte permanente pour le pouvoir entre les individus
et entre les groupes en cherchant à imposer leur reconnaissance, leur
domination et leur influence sur les autres en conformité avec à leurs
intérêts, leurs croyances et leurs ambitions.

A ce titre, Il faut noter que la détermination de l’objet de la science politique


avait longtemps dominé les débats entre les politistes contemporains. Car la
détermination rigoureuse de l’objet de cette discipline se fait à travers la
construction de ses problématiques centrales, ainsi que par le

4
perfectionnement de ses méthodes et techniques d’analyse et
d’investigation.

Il n’est donc pas surprenant de constater que la science politique est une
discipline qui a construit son identité scientifique sur la base de son objet
(la politique) plutôt que sur la base de ses méthodes. Partant de là, se pose
la question de l’utilité de cette discipline qui prétend analyser les
phénomènes politiques { partir de l’utilisation des méthodes et techniques
qui sont produites et utilisées par d’autres disciplines des sciences sociales
et exactes. Mieux encore, le débat s’est élargi pour savoir quelle est la
valeur ajoutée d’une telle discipline qui éprouve une grande difficulté pour
prévenir et anticiper les phénomènes politiques de manière à lui permettre
de justifier sa raison d’être et son indépendance.

Il va de soi que, cette introduction est conçue pour l’initiation des étudiants
et de tous ceux qui s’intéressent { ce champ disciplinaire (journalistes,
fonctionnaires, politiciens…) aux grandes problématiques et concepts de la
science politique contemporaine. Elle ambitionne de ce fait, les initier à
faire usage des concepts de la science politique pour mieux comprendre et
analyser la vie politique et ses implications sociales immédiates et
lointaines.

Chapitre I. La science politique comme discipline scientifique


La discipline de la science politique acquiert son caractère de scientificité à
partir de sa capacité { s’identifier comme une science sociale d’abord, ayant
p un objet et un champ d’analyse propre { elle, ayant acquis une certaine
maturation tout au long de son évolution historique qui lui permet de
défendre son autonomie disciplinaire au sein des sciences sociales et
capable enfin de produire et d’utiliser ses propres méthodes d’investigation
et d’analyse.

5
§1. Définition de la science politique
Malgré son caractère hautement polysémique (qui présente plusieurs sens
et définitions), la science politique ne livre pleinement son contenu qu’à
partir du moment où l’on arrive à préciser clairement ce qu’on entend par
ses deux concepts constitutifs qui sont : la science et la politique.

A. Définition du concept de la science


Durant son histoire, le concept de la science a supporté plusieurs
définitions et connotations, au point de qualifier de telle toute activité
humaine visant à produire un savoir aussi élémentaire soit-il. Toutefois, la
définition qui semble plus ou moins assurer une certaine acceptation parmi
les chercheurs est celle qui considère la science comme un ensemble de
propos, savoirs, théories et règles, cohérents qui permettent, à travers
l’observation, l’expérimentation et la falsification, de produire des vérités
logiques et rationnelles sur un phénomène donné. La rationalité du savoir
produit s’explique par les relations de causalité entre les phénomènes et
leurs éléments explicatifs.
Partant de là, la science politique ne désigne plus la recherche exclusive
des vérités absolues qui résident dans l’essence et la finalité des choses
politiques, ainsi que de la meilleure forme du gouvernement pour l’homme.
Elle est plutôt une science qui tente, à travers ses propos et généralisations,
de chercher les causes logiques pouvant expliquer les phénomènes
politiques de telle sorte qu’ils deviennent compréhensibles.
1. La science politique et le savoir politique. La science politique diffère
du concept du savoir politique, en ce sens que ce dernier renvoie à un
ensemble de propos et de généralisations sur les phénomènes politiques
qui n’obéissent pas nécessairement { la rigueur scientifique.
2. La science politique et la culture politique. La science politique diffère
également du concept de culture politique dans la mesure où cette

6
dernière renvoie aux différentes croyances, sens, symboles et
comportements politiques qui ont été produits par la société afin de
servir de référence et de matrice aux interactions entre les acteurs
sociaux individuels ou collectifs. La culture politique devient de ce fait,
un ensemble de valeurs et normes politiques, qui instituent (établissent)
et structurent les comportements politiques des acteurs sociaux, alors
qu’elles étaient-elles mêmes instituées et structurées collectivement par
ces mêmes acteurs { un moment de l’histoire. Ces valeurs et normes, qui
au début étaient créés par les acteurs sociaux, deviennent et se
transforment avec le temps en un ordre et une vérité déterminante et
contraignante pour les comportements politiques des acteurs.

3. La science politique et l’art politique. La science politique diffère aussi


de l’art politique en ce sens que ce dernier constitue le comportement
rationnel, qui peut être spontané ou calculé des acteurs politiques, qui
ne requiert pas nécessairement un savoir ou une connaissance politique
préalables. L’art politique est plus tôt ce qui se dégage de l’action
politique quotidienne des acteurs sociaux, ainsi que de leurs interactions
immédiates et spontanées entre eux, et avec leur environnement.

4. La science politique et la philosophie politique

Bien que la philosophie politique trouve ses origines dans l’antiquité,


alors que la science politique est une discipline jeune qui n’a été
officiellement reconnue comme telle que depuis la deuxième guerre
mondiale, on constate la persistance de l’amalgame entre les deux
disciplines.

Une des conséquences fâcheuses de cette ambigüité, est qu’on s’imagine


faire de la science politique quand on fait de la philosophie politique, ou
inversement. Un exemple en est le domaine appelé «théorie

7
démocratique » qui, loin d’être une théorie bien définie et achevée sur la
manière dont les systèmes démocratiques fonctionnent ou peuvent
fonctionner, ou devraient, celle-ci est constituée plutôt d’un mélange
plutôt curieux d’études historiques sur l’évolution des institutions
démocratiques, d’études empiriques et quantitatives sur les
hypothétiques conditions préalables de la démocratie, ainsi que des
explications et des commentaires apportés aux idées des grands
penseurs politiques ( Platon, Aristote, Hobbes, Rousseau, Montesquieu,
de Tocqueville, Arendt, Carl Shmitt, Kelsen, Weber, Sartori, Tilly...).

En fait, la distinction entre les deux disciplines peut s’identifier { travers


leur rapport à la morale et aux valeurs. La philosophie politique a
toujours eu traditionnellement un projet normatif. Elle cherche a
différencier le Bien et le Mal, du Juste et de l'Injuste; elle s’efforce
également de trouver un sens a l'Homme ou a l'Histoire. La science
politique quant à elle a des ambitions beaucoup plus modestes qui se
rattachent à l’explication et { la compréhension de la réalité politique en
dehors de tout cadre normatif ou moral. Exemple :

L’analyse de la violence politique sera analysée du point de vue de la


philosophie politique { partir d’un positionnement normatif et
axiologique préalable, pour ou contre elle, c’est-à-dire { partir d’un
positionnement contre elle, comme comportement inhumain et immoral,
que l’homme civilisé doit bannir peut import sa justification. En
revanche, Du point de vue de la science politique, la violence serait
analysée comme un phénomène d’échange social neutre, qui se
reproduit dans toutes les sociétés et qui se justifie uniquement par la
volonté de ceux qui l’exercent. Cela implique que la violence politique

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n’est ni bonne ni mauvaise en soi, elle fait tout simplement partie de la
réalité politique.

Les différents rapports à la science politique

Savants Spécialistes des affaires Praticiens


politiques
 Fonctionnaires et agents des
 Théoriciens politiques
 Experts (connaisseurs, institutions politiques
 Universitaires acteurs expérimentés…)  Politiciens (parlementaires,
militants partisans et acteurs
 Chercheurs  Consultants politiques)
 Analystes politiques  Journalistes politiques

Rapport basé sur les Rapport basé sur les Rapport basé sur l’action, l’intuition
connaissances scientifiques connaissances scientifiques et le bon sens des acteurs politiques
acquises dans les universités pratiques et l’expérience
et sanctionnées par un acquise
diplôme reconnu par la
communauté de la science
politique.

Production de la science Production du savoir Production de l’art politique et de la


politique et des vérités politique et de l’expertise. connaissance politiques pratique
scientifiques rigoureuses.

9
Exercice de TD N°1 :

1. Quelle est la différence entre la science politique et les autres


savoirs sur la politique ?

2. Quels sont les rapports qu’entretient la science politique avec la


philosophie politique ?

5. Les fondements de la science politique

La science politique justifie son autonomie disciplinaire grâce à plusieurs


mécanismes épistémologiques :

a) Les théories politiques :


La théorie politique peut être définie comme un ensemble de propositions,
d’hypothèses, et de principes, ayant un caractère généralisant et cohérent,
qui tend à expliquer et à rendre compréhensible des phénomènes
politiques qui sont en principe logiquement observables et falsifiables. En
d’autres termes elle est une représentation simplifiée de la réalité politique.
Elle vise de ce fait, la reconstruction (artificielle) des faits et des
comportements politiques { travers l’utilisation d’un langage conceptuel et
symbolique, caractérisé par un haut degré de spécialisation, d’abstraction et
de généralisation, de la sorte à permettre leur transmission et leur
enseignement ultérieurs.
Evidement entre théorie politique et idéologie politique une distinction
substantielle s’impose en ce sens que
Les théories politiques diffèrent selon leur caractère général ou partiel.
C’est { dire, selon leur ambition { généraliser leurs concepts et hypothèses
aux phénomènes politiques quelques soient leurs contextes historiques et

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sociologiques. Cela se passe comme si les hypothèses qu’elles dégagent et
les typologies qu’elles avancent au sujet d’un phénomène qu’elles
observent, sont valables pour tous les temps et toutes les sociétés.
(Exemple : la théorie de l’Etat, la théorie de la démocratie, la théorie des
partis politiques, la théorie des organisations, la théorie de l’action sociales,
la théorie la modernisation politique, …etc.). Les théories partielles quant à
elles, tendent à contextualiser leurs hypothèses et généralisations de telle
manière { ce qu’elles n’englobent que les phénomènes observés dans une
société, { un moment donné de l’histoire et { un aspect particulier du
phénomène exemple : la théorie de la participation politique dans les
régimes autoritaires, ou la théorie de la communication politique dans les
régimes démocratique, ou même la théorie de la transition politique en
Afrique…etc.

b. Les concepts politiques


Les concepts politiques sont un ensemble de notions et de noms qui se
caractérisent par un haut degré d’abstraction (distanciation avec la réalité)
permettant de construire une représentation (image) mentale et langagière
des choses et des phénomènes politiques. Ils jouent une fonction
d’identification, de nomination, de représentation et de condensation des
aspects complexes des phénomènes politiques. Les concepts politiques
assurent ainsi une représentation langagière (avec des mots) et mentale
(images) simplifiées d’une réalité politique beaucoup plus complexe.
Les concepts renvoient à trois dimensions du phénomène politique :
- C : qui permet de nommer et d’identifier le phénomène politique concerné ;
- Une dimension cognitive : qui permet de comprendre et de simplifier les
choses politiques ;

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- Une dimension de généralisation : qui nous permet d’assurer la
classification et la typification de plusieurs phénomènes politiques
identiques en dehors des changements des contextes temporels et spatiaux.
Exemple : la démocratie ; la domination ; l’Etat ; le pouvoir ; les institutions,
les couches sociales ; les jeunes ; la participation politique ; l’identité ; le
genre ; l’exclusion ; les mouvements sociaux ; le changement politique ; la
modernité, …etc.
Il s’ensuit que les concepts politiques renvoient à des représentations
langagières et cognitives simplifiées et catégorisées qui permettent
d’identifier des choses, des situations et des contextes politiques, malgré
leur fluctuation et dynamisme.

Exercice de TD N°2

1) A quoi sert une théorie politique ?

2) Quel est le rôle des concepts politiques dans le savoir scientifique sur
la politique ?

B. Définition du concept de la politique


La définition de la politique demeure une opération aventureuse et risquée,
en raison de sa multiplicité, de son floue et de son incapacité à dégager
rigoureusement une essence qui lui est propre et qui perdure dans le temps
et dans l’espace. En revanche on peut distinguer deux grands types de
définitions :
1. Les définitions du sens commun
La difficulté d’une définition rigoureuse de la politique s’amplifie
considérablement avec le règne d’une certaine perception populaire et
profane de cette dernière, qui y voit plutôt « un art du mensonge » ou même
« l’art du possible » ou alors « l’art de gouverner les autres » ou enfin un

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simple jeu collectif qui vise la réalisation, par tous les moyens, des
ambitions individuelles de gloire, de pouvoir et de fortune au détriment des
autres1. Un politicien est souvent perçu par les gens ordinaires comme un
individu avide de pouvoir et de gloire, prêt à utiliser tous les moyens
moraux, et même immoraux (Ruse, mensonge, chantage…) pour accéder au
pouvoir (poste au gouvernement, ou dans les institutions supérieures de
l’Etat, ou même un mandat représentatif au sein du parlement ou au sein
des d’autres institutions représentatives…) et le maintenir autant que
possible.
Evidemment, cette manière de voir la politique repose essentiellement sur
certaines perceptions que se font les individus à travers les médias, les
expériences personnelles et les stéréotypes populaires en vogue. Cette
conception négative de la politique est défendue par la majorité des gens
qui se targuent de ne pas s’intéresser { la politique, puisque cette dernière
est immorale et manque du sérieux et d’honnêteté.
Bien qu’une telle conception de la politique ne soit pas entièrement fausse
et recèle une part de vérité, en ce sens que la lutte pour le pouvoir demeure
souvent une lutte immorale et sollicite toute l’intelligence et la ruse des
acteurs, elle est loin de constituer une définition scientifique, basée sur
l’observation et l’expérimentation rigoureuse de la matière politique.
2. Les définitions scientifiques
Au sein de cette catégorie de définitions on peut déceler deux grandes
familles :
a. Les définitions idéalistes
 Platon considère dans son œuvre, la République, que le but ultime de
toute politique ne peut être que la réalisation de la justice. La politique,
n’est alors que l’art d’élever et de conduire le troupeau, constitué de
bêtes bipèdes sans cornes ni plumes que sont les êtres humains. Cet art

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ne fait pas usage de la force qui est réservée à la tyrannie, mais à
l’éducation et { la persuasion qui sont maitrisées uniquement par les
philosophes et les sages.
 Aristote définit la politique comme l’art de la conduite collective des
hommes afin de les rendre vertueux. Dans cette optique, la politique et la
morale sont indissociables. L’objectif majeur de tout gouvernement est
d’éduquer les femmes et les hommes dans le but de les rendre vertueux.
Le but réel de la politique n’est ni la conquête du pouvoir, ni
l’enrichissement individuel ou collectif, mais la recherche de la vertu.
C’est { dire le bonheur collectif des citoyens. L’homme n’étant qu’un
animal civil qui vit nécessairement dans la cité (l’Etat) est voué {
s’intéresser aux affaires de cette dernière, ce qui fait de lui un citoyen au
sens propre du terme, c’est { dire un individu libre qui participe dans la
gestion des affaires publiques de sa cité (Etat).
Cette définition moralisante de la politique trouve un prolongement et un
écho dans la pensée politique contemporaine.

La philosophe allemande Hanna Arendt perçoit la politique comme un


phénomène qui repose sur un fait essentiel qui est la pluralité de l’Homme.
La politique traite dès lors de la communauté et de la réciprocité d’êtres
différents. L’homme est par nature apolitique. « La politique prend
naissance dans l’espace-qui-est-entre-les hommes … il n’existe donc pas
une substance véritablement politique. La politique prend naissance
dans l’espace intermédiaire et elle se constitue comme relation. » . Dans
cette perspective, la politique n’a d’autres objectifs que la recherche d’un
but suprême qui est la liberté, laquelle ne se réalise qu’en reconnaissant la
pluralité et la diversité des hommes dans la cité. Cela suppose qu’elle
« organise d'emblée des êtres absolument différents en considérant leur
égalité relative et en faisant abstraction de leur diversité relative". Etant

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ainsi, elle est avant tout un moyen et non une fin en soi. Et c’est pour cette
raison que toute forme de régime politique autre que démocratique :
totalitaire ou tyrannique, constitue en soi la dénégation même de la
politique .

Cette vision de la politique et partagée aussi de manière philosophique avec


Jürgen Habermas, selon lequel la raison d’être de toute connaissance, y
compris la connaissance politique, gravite autour de l’émancipation des
individus.

Exercice de TD N°3

1) Quelles sont les définitions populaires de la politique ?

2) Quelles sont les définitions scientifiques de la politique et en quoi


elles diffèrent des définitions profanes ?

a. Les définitions réalistes

Déj{ en 1936 le politiste Américaine Harold Lasswell résume l’activité


politiques dans l’expression suivante : « qui obtient quoi, quand et
comment ? » (who gets what, when, and how). En règle générale, la
politique revoie aux différents processus politiques qui structurent et
façonnent les sociétés, en ce sens qu’ils définissent les modalités de la
concurrence pour l’accès au pouvoir politique, de la transmission de ce
dernier, de son exercice et de la résistance à laquelle il est soumis de la part
des acteurs sociaux.
Les processus politiques qui constituent l’objet de la politique sont assez
complexes et variés. Ils impliquent, entre autres, les individus pris comme
tels ou comme des personnes agissantes politiquement (dirigeants

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politiques, députés, membres du gouvernement, membres des partis
politiques, électeurs, protestataires, citoyens. Ces processus impliquent
également, des acteurs institutionnels comme les organisations partisanes,
l’Etat, le gouvernement, les mouvements sociaux, les organisations de la
société civile… De plus, les institutions normatives qui déterminent les
règles de l’activité politique comme les lois, la constitution, les coutumes,
les traditions, les arrangements et les conventions font partie de ces
processus que l’on nomme communément politiques. A cela s’ajoute un
facteur décisif de tout processus politique, qu’il soit individuel, groupal ou
institutionnel, lié aux valeurs et représentations culturelles, symboliques,
religieuses et idéologiques des acteurs qui constituent le cadre référentiel
de l’action. Exemple : le vote d’un citoyen est largement déterminé par le
système de valeur qu’il porte et qui lui permet d’expliquer le monde ou il se
trouve (Amis/ ennemis ; nous/ autres, bon/ mauvais, bien/ mal…) et la
place qu’il y occupe.
Du coup, l’analyse scientifique des processus politiques prend en
considération l’interdépendance de tous ces éléments (individus,
organisations, normes et valeurs pour déterminer le poids de chacun dans
toute action politique.
D’autres considèrent de manière extensive que la politique consiste en la
résolution des conflits l{ ou l’interaction des humains les produisent
(famille, usine, école, rue…)
Toutefois, le concept de la politique renvoie à la traduction du concept
grecque de Polis qui signifie la cité ou l’Etat tel, qu’il était conçu { Athènes.
Ce concept renvoie lui-même à cette association de citoyens libres qui
participent librement à la gestion des affaires publiques de leur cité.
Toutefois, il semble que le terme politique prend une autre signification
dans la langue anglaise, dans la mesure où il renvoie à ce champ de

16
compétition entre les individus et les groupes pour conquérir le pouvoir ;
pour l’exercer, pour le maintenir ou pour l’influencer.
Le politique quant à lui, signifie cette organisation, dans une société, du
processus de prise de décisions ayant un caractère obligatoire pour toute la
collectivité nationale. C’est { dire, cet espace social de lutte pour le pouvoir
où intervient en permanence une institution qui monopolise le pouvoir de
la coercition pour l’organiser et le réguler.
Cette manière de voir la politique se base sur les postulats de la lutte pour
le pouvoir et l’organisation coercitive de cette lutte. En d’autres termes,
l’intervention de l’Etat, en tant qu’organisation qui monopolise la violence
légitime ({ travers la loi, la sanction et la persuasion…), pour solutionner et
organiser les conflits d’intérêts qui naissent de la lutte pour le pouvoir
politique devient capitale.
 David Easton était plus explicite en proposant une définition théorique
de ce que serait la politique par rapport { d’autres sphères de la vie
sociale. Elle serait dès lors un ensemble d’interactions par lesquelles les
objets matériels et symboliques, ayant une valeur aux yeux de la société
(pouvoir, prestige, les biens matériels…) sont autoritairement répartis
dans la société.
 Plus sceptique, Pierre Bourdieu, estime que le champ politique est un
espace de force et de lutte visant à transformer les rapports de force
politiques { un moment donné de l’histoire. C’est { dire, qu’il est le lieu
ou les acteurs politiques en compétition pour le pouvoir, créent et
échangent les programmes politiques, les idées, les positions et les
évènements politiques qui sont consommés par les citoyens ordinaires.
En d’autres termes, la politique serait ce champ de lutte pour le pouvoir
qui se réalise à travers le monopole du droit de parler (produire le

17
discours politique) et { travers l’action au nom de toute ou d’une partie
de la société.
A ce stade, force est de constater que la langue anglaise semble avancer la
meilleure et la plus pertinente formulation du concept de la politique, en ce
sens qu’elle distingue entre trois niveaux d’analyse bien différents l’un de
l’autre : Politics ; Policies et Polity.
C. The Politics, signifie la politique, ou ce champ social où luttent les différents
acteurs sociaux en vue d’accéder au pouvoir. Elle est étudiée par la
sociologie politique.
D. The Policies : les politiques, c’est { dire toutes les orientations et les actions
publiques (de l’Etat) en vue d'attribuer autoritairement les ressources
matérielles et symboliques dans une collectivité politique ; elles sont
analysées par les politiques publiques.
E. The Polity : qui est d’abord, un ensemble de choix collectifs liant des
acteurs sociaux soumis { la règle de "l'appartenance obligatoire” ; ensuite
elle un Etat qui monopolise la violence légitime et une identité liant les
acteurs sociaux, en leur fournissant une identification de soi et du monde et
en leur justifiant leur vivre ensemble. C’est { dire le système politique.
1. Le sociologue allemand Max Weber nous donne une définition bien précise
de ce que c’est que la politique, qui est avant tout l’administration de cette
organisation que nous appelons communément l’Etat, ainsi que les
différentes formes d’influences qui s’exercent sur lui.
Malgré sa pertinence, une telle définition réduite fâcheusement la politique
{ la gestion de l’Etat, comme centre unique du pouvoir politique et sa forme
institutionnelle la plus achevée, qui correspond étrangement { l’Etat
allemande du début du XXème siècle. Cela s’oppose avec le concept plus
large de la politique qui la perçoit comme ce réseau de relations
autoritaires qui se dégage dans et par l’interaction sociale des individus et

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des groupes. Ce qui suppose que le lieu de la politique déborde largement
l’Etat pour englober tous les groupements humains.

C. Définition de la science politique


A partir de ces différentes perspectives conceptuelles de la science et de
la politique, les définitions de la science politique se sont variées et
multipliées selon les positions épistémologiques et référentielles des
chercheurs :
1. Raymond Aron estime que la science de la politique renvoie à l’analyse
de tout ce qui a un rapport avec le gouvernement des sociétés et les
rapports de pouvoir entre les individus et les groupes. Mieux encore, elle
renvoie { l’analyse des stratifications et des hiérarchies sociales qui
s’établissent dans les sociétés humaines complexes. Autrement dit, la
science politique serait une science qui étudie et analyse les différentes
formes de conflits sur le pouvoir, en tant que variable explicative de
l’ensemble de la société et les phénomènes qui s’y produisent.
2. Georges Burdeau, ne partageant pas cet avis, considère la science
politique comme une simple méthode appropriée pour l’analyse
approfondie du Droit constitutionnel et une perspective plus large pour
l’étude des différentes problématiques classiques constituant le Droit
public. En d’autres termes, la science politique serait, selon Burdeau, une
simple branche du Droit public et du Droit constitutionnel, ne possédant
aucun objet d’étude propre { elle ni aucune indépendance, si ce n’est
expliquer, comprendre et unifier l’objet du phénomène juridique. Il en
résulte que la science politique ne serait être plus qu’une science de
l’Etat, de ses institutions et des lois qui les régissent. Or le Droit
constitutionnel lui-même nous nous enseigne comment est-ce que les
constitutions peuvent être imprécises en tant que carte du pouvoir

19
politique, en ce sens qu’elles ne reflètent pas nécessairement la réalité
du pouvoir politique en place ou que cette dernière à fortement évoluée
par rapport { la constitution, ou encore qu’elle soient simplement
« fictives » puisqu’elles ne disent rien sur les détenteurs réels du pouvoir
politique, comme c’est le cas des constitutions des Etats autoritaires,
Soviétiques, chinoise, algérienne ou le véritables détenteurs du pouvoirs
politiques ne
3. Maurice Duverger, quant à lui voulant dépasser cette explication
« juridiste », avance que la science politique est une science qui
s’intéresse { l’étude des phénomènes du pouvoir et du gouvernement
dans toutes les sociétés humaines là où elles se trouvent. Le pouvoir
politique serait alors ce pouvoir organisé et institutionnalisé au sein des
collectivités humaines nationales ou extranationales. Cette manière de
définir la politique { l’avantage de permettre une analyse comparative
de l’organisation du pouvoir politique de l’Etat et des autres
groupements humains.
4. Philippe Braud, va dans la même direction en suggérant que la science
politique est cette science qui analyse la scène où s’affrontent les
individus et les groupes pour conquérir et contrôler le pouvoir de l’Etat
et de ses institutions, ou pour les influencer directement.
5. David Easton pour sa part croit pouvoir dépasser les difficultés liées à la
définition de la science politique en arguant que cette dernière est une
discipline qui s’intéresse { l’étude des différents processus par lesquels
les ressources matérielles et symboliques sont allouées (réparties) au
sein d’une société donnée. Cette définition part du postulat de base qu’il
existe dans toutes les sociétés une certaine compétition pour s’accaparer
individuellement ou collectivement des ressources matérielles et
symbolique (argent, pâturages, eau, bêtes, influence…etc.) { cause de

20
leur rareté et du nombre croissant des acteurs qui les cherchent. Cela
suppose l’intervention d’une institution ou d’un organisme pour
partager ces ressources de manière acceptée par tout le monde, ou par la
force. Est c’est de cela que née la fonction distributive du système
politique.

De manière générale, on peut avancer que la science politique


contemporaine avait pu construire son identité disciplinaire et son
autonomie scientifique à partir de trois concepts fondamentaux qui sont :
L’Etat, le pouvoir, et les rapports sociaux de domination et de subordination
qui en découlent.
Cela suppose que la science politique, en tant que discipline, renvoie à
l’étude :
 Des acteurs sociaux individuels ou collectifs ;
 Des différentes structures politiques, économiques, culturelles et
environnementales qui conditionnent leur comportement politique ;
 Et aux différents processus d’interaction individuels ou collectifs
instituant et construisant le sens et la signification de tout ce qui est
politique, dans un contexte social et historique déterminé.
Partant de là, on peut supposer que la politique nait avec la naissance même
de la vie sociale des individus. C’est { dire, dans et par leur interaction avec
leurs semblables, qui leur procurent le désire et la volonté d’influencer les
autres, de se différencier par rapport { eux et de s’identifier en même temps
avec eux. De ce fait, les individus produisent et subissent la politique, dans
et par leur action sociale quotidienne. Ils produisent la politique lorsqu’ils
agissent par le désire d’influencer les autres, alors qu’ils la subissent quand
ils acceptent l’influence et le pouvoir des autres.

21
Il faut dire que Le concept de politique a différentes significations. Il peut
être considéré comme un art (Jeu ou passion); une activité (faire de la
politique dans son quartier, dans son association, dans son parti); une
profession (les entrepreneurs de la politiques qui vivent de leur travail
politique).

Exercice de TD N°4

1) Quelles sont les définitions modernes de la science politique ?

2) Quelle est la différence entre Politics ; Policies et Polty ?

§2. L’objet de la science politique

On peut suggérer avec Pierre Favre que la science politique dispose de plus
qu’un objet d’étude. Elle a des objets qui ne lui appartiennent pas
exclusivement, En ce sens qu’elle les partage avec d’autres disciplines des
sciences sociales. Ces objets sont justement devenus centraux dans la
science politique grâce une longue tradition académique et institutionnelle.
De ce point de vu, la question de l’objet central et exclusif de la science
politique devient sans aucun sens, étant donné qu’il n’existe aucune
frontière précise et limitée entre les objets traités par les sciences sociales.

Il va de soi que l’objet ou le les objets de la science politique ne sont autres


que ceux qui ont été admis comme tels, par la communauté des politistes et
leurs institutions pour devenir les objets de la science politique à un
moment donné de l’histoire, et qui sont par la suite consacrés par l’Etat et
érigés en objets et sujets officiellement intégrés dans les programmes
d’enseignement de la science politique. Cela suppose que les objets de la
science politique ne sont autres qu’une construction théorique et
représentative de certains phénomènes sociaux, sur lesquels un accord

22
s’était dégagé pour les considérer comme politiques. En d’autres termes, les
phénomènes considérés actuellement comme faisant partie de l’objet de la
science politique, ne l’étaient pas dans le passé étant donné qu’ils n’étaient
pas politisés, et par la même occasion considérée comme politiques. Les
problématiques de la pauvreté, de la participation politique des jeunes, des
femmes et des étrangers, du chômage, du logement… n’étaient pas perçues
comme des questions politiques, en ce sens que l’Etat n’avait { intervenir
dans ces domaines jugés particuliers et non publics. Leur politisation n’est
advenue qu’ultérieurement avec l’avènement de l’Etat providence en
occident.

En 1950 l’UNESCO avait approuvé quatre grands axes et problématiques


constituants la science politique :

1. La théorie politique (l’histoire des idées politiques, la philosophie


politique).
2. Les institutions politiques (la constitution ; le gouvernement central ;
le gouvernement régional et local ; l’administration publique ; les
fonctions économiques et sociales du gouvernement ; les institutions
politiques comparées…).
3. Les Partis politiques, les Groupes et l’opinion publique : (les partis
politiques ; les syndicats ; les groupes d’intérêts et les associations ; la
participation des citoyens au gouvernement et a l’administration ;
l’opinion publique…)
4. Les relations internationales : (l’organisation et l’administration
internationales, le Droit international, les relations entre les acteurs
internationaux…).

Et si l’on veut arrêter une liste des sujets qui sont supposés faire l’objet
de la science politique contemporaine on peut évoquer :

23
 Les acteurs politiques : les institutions ; les groupes organisés, les
individus, les mouvements sociaux…
 Les processus politiques : les politiques publiques ; la socialisation
politiques, les opérations électorales, l’action politiques collective, les
conflits politiques, …
 Les comportements politiques : le vote, l’opinion publique, la
participation politique…
 Les idées politiques : idéologies, courants politiques, sensibilités
politiques, orientations politiques, idéaux politiques (justice, liberté,
égalité, reconnaissance, identité…)

Pierre Favre, voulant dépasser le débat stérile de la détermination


précise de l’objet de la science politique, estime qu’en dépit de tous les
écrits et les efforts colossaux consacrés à cette tâche, ce sujet reste
toujours d’actualité et ne cesse de susciter les divergences entre les
chercheurs. D’où, la question de l’objet de la science politique n’a plus de
sens, étant donné que cette dernière possède plusieurs objets de
recherche partagés avec d’autres disciplines et qui se livrent mal à toute
délimitation rigoureuse.

En conséquence, le débat autour de l’objet de la science politique reste


toujours d’actualité, en ce sens que certains chercheurs considèrent que
la politique est présente dans tous les domaines et que par conséquent la
science politique ne peut, { elle seule, prétendre monopoliser l’analyse
des phénomènes politiques. Alors même que d’autres estiment que la
politique ne peut guère être présente partout, dans la mesure celle-ci
reste intimement liée au processus de politisation de l’action des acteurs
sociaux. C’est { dire, aux actions sociales des acteurs qui sont perçues
comme politiques, aussi bien par d’autres que par eux même. Dans cette

24
perspective, on ne saurait admettre que le vivre en commun des
individus et des groupes est en soi un acte politique, puisqu’ils
possèdent aussi en commun d’autres choses comme l’aire, le territoire…
sans que cela ne soi qualifier de politique. Du coup, parler de la politique
ou participer à une manifestation politique sans le savoir, ou sans que
cette participation ne soit qualifiée de telle par d’autres, ne saurait être
interprétée en soi comme un acte politique, pas plus que la découverte
en laboratoire d’une substance dangereuse, sans que celle-ci ne soit
utilisée par ceux qui l’ont découvert ou par d’autres, dans un but
strictement politique.

Exercice de TD N°5

1) Quels sont les domaines de la science politiques selon


l’UNESCO ?

2) Existe-t-il encore un sens au débat sur l’objet de la science


politique ?

§3. L’évolution de la science politique

a. Naissance et évolution de la science politique en occident

Si la science politique est une science qualifiée d’occidentale et même


d’anglo-saxonne, c’est parce qu’elle est d’abord une discipline jeune qui a vu
le jour en occident après la seconde guerre mondiale.

En dépit de l’ancienneté des phénomènes politiques, et de la pensée et de la


philosophie politiques, la science politique, en tant que discipline
scientifique autonome, demeure une science très jeune qui date de la fin de

25
la deuxième guerre mondiale. Il faut dire que depuis la fin du 19eme siècle
jusqu’{ cette date, cette discipline était enseignée, comme branche du Droit
Public, notamment du Droit constitutionnel et du Droit administratif, au
sein des facultés de Droit. Avant cela, la science politique faisait partie de la
philosophie politique, qui elle était très ancienne autant que l’étaient la
pensée humaine et son intérêt pour la société et les rapports de pouvoir et
de domination qui s’y produisent.

Quoi qu’il en soit, les premières prémices de cette discipline qui traite
essentiellement des sujets de l’Etat, du pouvoir politique, ainsi que des
individus et des institutions qui s’en chargent, avaient commencé déj{ avec
les écrits de Machiavel, Alexis de Tocqueville, Montesquieu, John lock, jean
jacques Rousseau, John Stuart Mill, …et autres. En revanche, force est de
noter que bien qu’elles aient contribué { la construction d’une véritable
connaissance politique, ces prémices étaient loin de constituer une science
rigoureuse de la politique, à cause notamment de leur liaison étroite avec la
philosophie, la morale et le Droit. Du coup, la connaissance scientifique
produite durant des siècles était davantage axée sur ce que doit être le
régime politique et sur le mode de gouvernement, au lieu d’être axé sur leur
réalité telle qu’elle se présente { eux. Cette vision finaliste et moralisante
de la politique avait longtemps entravé toute évolution de la connaissance
politique vers une science politique autonome de la religion, de la
philosophie et du Droit. A ce titre, malgré son ancienneté et sa richesse ainsi
que l’accumulation des connaissances, qu’elle avait elle-même empruntée
aux autres sciences sociales, la science politique était incapable de s’élever
au rang du positivisme de ces dernières qui était basé sur la neutralité
axiologique et morale de l’expérimentation et de l’observation. En fait, cela
ne lui était possible qu’avec l’avènement de la sociologie positiviste
d’Auguste compte (1798–1857) et d’Emile Durkheim (1858 – 1917) à la fin

26
du 19eme siècle, ainsi qu’avec le développement de la sociologie cognitive
(compréhensive ou sociologie de la connaissance) dont Max Weber (1864-
1920), Alfred Schutz (1899-1959) et Aaron Cicourel (1928) sont les
pionniers au début du XXème siècle.

Il faut noter qu’Auguste Compte et Emile Durkheim, qui étaient les


précurseurs des sciences sociales modernes, n’ont reconnu aucune
légitimité ni autonomie scientifique { la science politique, qu’ils
considéraient comme un simple prolongement de la connaissance
sociologique et juridique. Mais cela n’a pas empêché Emile Boutmy de créer,
à Paris en 1872 la première Ecole libre des sciences politiques, qui se
voulait être une institution de formation des cadres de l’Etat, d’un côté, et
des citoyens exemplaires en une démocratie, à travers leur rapprochement
des hommes d’Etat et de sciences. L’enseignement dispensé par cette école
était polyvalent et encyclopédique en ce sens qu’il se basait sur la
philosophie, la sociologie, le Droit, l’histoire, l’économie….
Au demeurant, il faut noter que le débat épistémologique suscité par la
création d’une telle école, n’avait nullement infléchi les détracteurs de
l’autonomie de la science politique qui avaient pu empêcher toute insertion
de cette dernière dans les cursus universitaires de l’époque.
Il a fallu attendre la nationalisation de l’école libre des sciences politiques
en 1945 et sa refondation sous une nouvelle appellation « l’institut des
études politiques ». Cet institut fut le berceau de la science politique
française et européenne moderne et avait pour mission de défendre
l’autonomie de la discipline par rapport aux autres sciences sociales,
laquelle fut consacrée officiellement par les pouvoirs publics aussi bien sur
le plan matériel qu’organisationnel.
Cette naissance tardive et pénible de la science politique, n’avait nullement
entravé sa marche vers l’autonomie. Mieux encore cette science s’est

27
montrée en mesure de concurrencer d’autres disciplines des sciences
sociales plus ancienne qu’elle, d’autant plus qu’elle était enseignée au sein
des facultés de Droit, en France, en Allemagne et en Grande Bretagne, dans
le cadre du Droit public, notamment avec le Droit constitutionnel et le Droit
administratif. Cette satellisation au Droit public s’explique par le fait que la
majorité des chercheurs y voient uniquement une branche de Droit public
dont l’objet est l’étude juridique et institutionnelle des phénomènes
politiques qui se concentrent exclusivement dans l’Etat et ses institutions
constitutionnelles et administratives. Force est de noter dans ce cadre
qu’Emile Boutmy s’était longtemps insurgé contre une telle perception de la
science politique qui se basait, selon lui, principalement sur une analyse
historique et sociologique et accessoirement sur une analyse juridique de
ces phénomènes.
Partant de l{, les difficultés liées { la naissance et { l’autonomie de cette
discipline avaient poussé un certain nombre de chercheurs de par le monde
à créer des organismes et des institutions scientifiques, nationaux et
internationaux dans le but de défendre et de promouvoir la recherche en la
matière dans la perspective de construire une identité scientifique de la
science politique, autonome par rapport aux autres disciplines des sciences
sociales. De cette manière, la première association de science politique dans
le monde a été créée en 1903 aux Etats-Unis d’Amérique. Dix ans plus tard
en 1913, l’association canadienne de science politique a été créée. En 1935
l’association finlandaise de science politique a vu le jour, suivie de
l’association chinoise de science politique en 1932, de l’association
indienne de science politique en 1938, de l’association japonaise de science
politique en 1948, de l’association française de science politique en 1949 et
enfin l’association internationale de science politique la même année.

28
En définitive, la science politique était restée enclavée au sein du Droit
public jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, et précisément en
1946, lorsque l’UNESCO avait proposé un projet international d’unification
des sciences sociales, comme première étape dans l’édification de la
démocratie, de la paix et du rapprochement entre les peuples et les
cultures. L’idée d’unification des efforts internationaux en matière de
science politique et de ses concepts et théories avait vu le jour en 1950,
lorsque l’UNESCO avait approuvé la publication d’un ouvrage collectif,
comportant plus de cinquante études scientifiques de nationalités
différentes, sur l’objet et les méthodes de la science politique.
Il va de soi que l’un des obstacles majeurs qui se posaient devant
l’autonomie et l’unification de la science politique était, l’hétérogénéité
frappante de la communauté académique chargée de l’enseignement de la
discipline. Parmi les caractéristiques de cette communauté on peut citer :
a. L’hétérogénéité notoire du corps enseignant qui se composait
essentiellement de personnes et de spécialistes de tous les horizons :
politiciens, journalistes, écrivains, philosophes…)
b. L’objectif de l’enseignement académique de la science politique était
focalisé sur la formation pluridisciplinaire des citoyens éclairés et des
cadres supérieurs de l’administration.

c. La science politique était dominée par deux courants méthodologiques :


l’histoire et analyse formelle-légale de Etat qui insiste sur ses
dimensions institutionnelles et comparatives.

d. Cette discipline était souvent marquée par la place centrale donnée aux
politiciens et aux hauts fonctionnaires en leur qualité d’acteurs et de
membres légitimes de la communauté scientifique.

29
A fortiori la science politique avait pu bénéficier d’une reconnaissance de
plus en plus grandissante depuis les années soixante du XXème siècle.
Désormais, cette discipline est enseignée dans toutes les universités, en
tant que discipline scientifique { part entière, bénéficiant d’une
crédibilité et d’une place de choix au sein des sciences sociales.
Toutefois, la science politique connaitra un essor particulier aux Etats-
Unis ou il a acquis une réputation et une crédibilité qui a parfois même
dépassé d’autres sciences sociales. Ce succès était basé sur quatre
facteurs essentiels :
- Le professionnalisme ; c’est { dire la possibilité pour les chercheurs
professionnels (politiste) de vivre de leur métier. Chose qui leur a
permis par la suite de s’autonomiser par rapport aux autres professions
comme le journalisme, l’écriture, l’administration…
- La spécialisation, qui implique le travail sur des problématiques
spécifiques préalablement définies par les communautés scientifiques
spécialisées (Associations et organismes professionnels de la science
politique)
- L’institutionnalisation et l’organisation des processus de la recherche au
sein des universités et des centres de recherches ou même au sein des
programmes et projets de recherche collectifs et de longue durée.
- L’universalisation, est cette orientation de plus en plus grandissante vers
l’internationalisation de la discipline { travers les processus de
coopération multilatéraux en matière de science politique qui
regroupent une multitude de chercheurs et de centres de recherches de
par le monde entier. Or, une telle universalisation reste intimement liée
{ l’universalisation même du modèle civilisationnel et politique
occidental qui est fondamentalement un modèle ethnocentrique et
égocentrique.

30
En conséquence, la science politique ne peut prétendre l’universalité en ce
sens qu’elle est focalisée quasi exclusivement sur les phénomènes
politiques existant au sein de l’espace civilisationnel occidental.
Il en découle une évolution sans précédente de la science politique
partout dans le monde. Actuellement, ses paradigmes et problématiques
sont enseignés non seulement au sein des facultés de Droit, mais aussi
au sein d’innombrables universités et instituts dans tous les domaines.
Seulement, des inquiétudes commencent { apparaitre quant { l’unicité
de la discipline, notamment à la lumière de ce foisonnement alarmant
des branches et des spécialités qui se réclament de la science politique.
De toute manière la science politique se sectionne en trois grands axes
qui étaient jusqu’{ un passé proche non liés :
a. L’Histoire des idées et la philosophie politiques ;
b. Les institutions et l’histoire politiques ;
c. La sociologie politique.

b. Naissance et évolution de la science politique au Maroc


La science politique Marocaine a éprouvé les mêmes difficultés de
naissance qu’en occident. Sa naissance correspond { la naissance de l’Etat
marocain moderne postcolonial. Cependant cette naissance tardive n’exclut
pas totalement l’existence d’une certaine science politique exercée par des
étrangers au Maroc avant l’indépendance. Il va sans dire que le Maroc avait
connu, durant la période coloniale, le développement d’une science
politique, qu’on peut qualifier de coloniale » durant la première moitié du
XXème siècle, sous l’impulsion des auteurs tels Michaux- Bellaire, Robert
Montagne, et autres. Evidemment le savoir scientifique politique durant
cette époque était intimement lié { l’évolution des évènements militaires
liés { la pacification coloniale du Maroc. Toutefois, après l’indépendance la

31
science politique s’orientera davantage vers l’étude et l’analyse des faits et
des évènements politiques ainsi que des acteurs et institutions politiques
existants.
Dans ce cadre, certains chercheurs, avancent que malgré l’existence d’un
certain nombre de politistes et de chercheurs qui travaillent dans le
domaine de la science politique, le champ politique marocain est caractérisé
par une absence notoire d’une science politique nationale en tant que
champs scientifique institutionnalisé et structuré. De cette manière elle
constitue un champ scientifique qui se caractérise par l’existence de
certaines contributions scientifiques individuelles qui se rattachent à
l’effort personnel de leur auteur plutôt qu’{ une structure institutionnalisée
de recherche visant à créer une certaine accumulation scientifique dans le
domaine. Une telle situation laisse apparaitre une question cruciale, quant
{ l’existence même d’un champ politique au sens propre du terme qui
pourrait servir de noyau dur du phénomène politique au Maroc, sachant
bien que ce dernier trouve ses origines profondes dans la religion.
De toute manière, comparée avec les autres Etats de la région Arabe, il
semble que la science politique au Maroc a connu une évolution manifeste,
grâce { l’accumulation qui s’y est produite et { l’étendu et la profondeur de
ses problématiques. Cela s’explique par l’ouverture et la tolérance relative
du système politique national et par la tradition de recherche et
d’investigation dans le domaine politique, héritée de la période coloniale.
Une telle évolution allait se consacrer en raison de l’intérêt crucial que
revêtait la société marocaine pour les sciences sociales contemporaines, et
notamment pour, la sociologie ; l’anthropologie, l’ethnographie et la science
politique. Cette dernière offrait aux chercheurs un terrain d’investigation et
de recherche quasi vierges, en raison de la non contamination d’un nombre
important de tribus et de leur valeur sociale, au nord, en Atlas et au sud par

32
la modernisation occidentale (les Zaouïas ; les tributs ; les souks ; les
Moussems ; l’honneur ; la baraka ; la violence…). Et c’est dans cette
perspective qu’un nombre important de chercheurs ont faits du Maroc ; de
ses habitants et de leurs valeurs un objet de leur étude. Parmi ces
chercheurs on peut citer : Ernest Gellner ; Clifford Geertz ; William
Zartman ; David Montgomry Hart ; Douglas Aschford ; Jaques Berque ; Jhon
Waterbury ; Rémy leveau ; Raymond Jamous …
Cet intérêt scientifique grandissant pour la société marocaine et ses
phénomènes politiques allait indéniablement influencer les chercheurs
marocains, qui se sont efforcés de comprendre et d’analyser la société
nationale d’une part, et de critiquer la littérature sociologique et politique
coloniale qui leurs paraissait { la fois dépassée et loin d’être neutre d’autre
part. A ce titre, les travaux de Abdellah Laroui, Paul Pascon, Abdelkebir
Khatibi, Germain Ayach, et autres… ont constitué une étape décisive dans le
sens de la construction d’une science politique nationale qui se présente à
la fois comme un prolongement de cette sociologie politique coloniale et
comme une rupture avec ses stéréotypes et démarches axiologiques taxées
de simplicité et d’ethnocentrisme occidental. Cette posture épistémologique
s’est reflétée immanquablement dans les démarches théoriques et
méthodologiques adoptées par les chercheurs marocains pour analyser
l’Etat, ses institutions et leurs rapports avec la société. Dans cette optique
l’Etat marocain n’est que l’aboutissement historique logique d’une
dynamique sociale, culturelle et anthropologique propre à la société
marocaine. De ce fait, cet Etat ne peut être taxé d’extériorité par rapport {
son environnement sociétal. Il est plutôt caractérisé par une profondeur et
une épaisseur sociologique et historique qui ne se présente que pour les
Etats qualifiés d’historiques, comme la Chine, l’Inde, le Japon, l’Egypte…Cela
ne peut { leurs yeux qu’infirmer les thèses occidentales selon lesquelles

33
l’Etat au Maroc est extérieur et indépendant par rapport à la société, et que
la nation Marocaine n’est pas une donnée historique et qu’elle est en
devenir.
Sur le fond du paradigme de l’extériorité, de la profondeur et de l’épaisseur
de l’Etat Marocain, la science politique nationale, a continué d’accumuler les
connaissances scientifiques, notamment avec l’avènement de jeunes
chercheurs, qui se sont relativement distanciés par rapport aux
problématiques et aux méthodes classiques. Désormais, cette discipline
essaie de se distancier par rapport aux approches juridistes et descriptives
des phénomènes politiques. Alors que ces méthodes d’analyse se sont
graduellement perfectionnées pour dépasser le marxisme et le
segmentarisme, pour se focaliser davantage sur les études ethnographiques
orientées vers le terrain et l’étude des cas.
Toutefois, cette évolution n’a pas empêché la science politique marocaine
de souffrir, comme c’est le cas dans les pays africains et en France, de
l’hégémonie des approches juridistes qui font d’elle une discipline réservée
{ l’étude juridique et normative de l’Etat, de ses institutions et du système
juridique qui les façonnent. Cette situation est toujours d’actualité, vu le
grand nombre d’études et de monographies qui traitent la politique selon
une optique purement juridique et institutionnelle, aussi bien { l’université
que dans les centres et instituts de recherche. Cela s’est répercuté
directement sur les méthodes et sur les cadres et les références théoriques
et conceptuels structurante de la recherche en science politique au Maroc.
Les approches historicistes, comparatives, et l’analyse documentaire…
semblent avoir un sucées remarquable dans ce contexte par rapport aux
approches sociologiques, historiques et anthropologiques. A cela on peut
remarquer une faiblesse, sinon une absence, notoire de référentiel
théorique et conceptuel capable d’encadrer les différentes recherches.

34
Dans cette perspective, force est de noter que la science politique
marocaine a connu, depuis les années soixante-dix, une accumulation
théorique et conceptuelle assez importante qui lui permis d’approcher les
phénomènes, les institutions et les acteurs nationaux politiques de manière
assez profonde. Les thématiques étudiées varient entre : l’histoire politique,
l’histoire des idées politiques, monographie des institutions politiques, les
finances publiques, les partis politiques, les organisations de la société
civile, les élections…
Toutefois, la richesse et la profondeur des recherches politiques effectuées
cachent mal la dépendance de la science politique nationale aux
représentations et problématiques officielles de l’Etat et de ses institutions,
au point de la taxer par certains chercheurs de science politique camérale,
orientée vers l’étude de l’Etat et de ses institutions telle que ces derniers se
les représentent.
Dans ce cadre, la création de l’Association marocaine de sciences politiques
en 1997, constitue une étape importante dans le processus
d’institutionnalisation et d’implantation de cette discipline dans l’arène
académique et universitaire nationales. Mieux encore cette Association est
sensée assurer son indépendance par rapport { l’Etat et ses problématiques
officielles. Cet objectif semble se concrétiser avec l’avènement du premier
numéro de la Revue Marocaine de science politique en décembre 2010.
Mais, il semble que cette revue penne toujours à assurer sa continuité,
puisque seuls deux numéros ont paru jusqu’{ ce jours-là. Le troisième et le
quatrième numéro sont toujours en cours de publication.
En définitive l’indépendance et l’institutionnalisation de la science politique
marocaine restent tributaires de la réussite et de la continuité de cette
expérience, qui semble être réalisable en dépit de toutes les difficultés
matérielles, humaines et institutionnelles.

35
Exercice de TD N°6

1) Décrivez { l’aide d’une introduction et d’un plan en deux parties, la


naissance et l’évolution de la science politique.

2) Comment la science politique contemporaine s’est universalisée ?

§4. La place de la science politique dans les sciences sociales


Manifestement, depuis les années soixante du XXème siècle, la science
politique a réussi à trouver une place de choix parmi les sciences sociales
contemporaines. Mieux encore, elle a pu grâce à sa position privilégiée dans
un grand nombre d’institutions académiques et universitaires, au nombre
impressionnant de publications et d’études et au nombre sans cesse en
augmentation des étudiants et des institutions qui s’intéressent { lui,
d’acquérir une notoriété scientifique aussi importantes que les sciences
sociales classiques.
La notoriété scientifique de la science politique était souvent attachée à sa
capacité, réelle ou hypothétique, à prédire avec une certaine précision les
comportements des acteurs politiques, et par la même occasion à
maximiser l’efficacité des décisions politiques et à assurer un
fonctionnement optimum des institutions politiques. Toutefois ces attentes
se sont avérées irréelles en raison des facteurs suivants :
 La science politique n’est pas une science de la politique, mais une
science des phénomènes politiques. la politique n’est pas une réalité
concrète dont on peut déterminer la substance. Elle est plutôt une
réalité relationnelle liquide basée sur les interactions des acteurs et sur
les représentations et visions qu’ils ont de leurs actions politiques.

36
 Les phénomènes et les faits politiques n’ont aucune existence objective
dissociable des acteurs qui en sont responsables ainsi que de leurs
interactions sociales.
 Les phénomènes politiques sont de ce fait liés aux acteurs politiques
eux-mêmes et non à un contexte politique et social objectif. Cela
implique qu’il n’y a pas de politique en dehors de ce que ces acteurs
considèrent comme politique.
 Il ne peut y avoir une quelconque connaissance politique achevée étant
donné que les phénomènes politiques sont eux même en situation
constante d’advenir et d’évolution. La connaissance politique est de ce
faite inachevé et tend à prendre forme à partir de la subjectivité, de la
conscience et des représentations que les chercheurs en ont. (Pauvreté,
démocratie, liberté, justice sociale… sont des concepts qui n’ont aucune
existence réelle en dehors de notre propre conscience et représentations
que nous avons d’eux).
 En effet, la science politique est désormais au cœur des sciences sociales
contemporaines dont l’influence est réciproque.
 Il faut noter que cette discipline avait emprunté un nombre important de
ses concepts fondamentaux d’analyse des autres sciences sociales.
 Elle a emprunté de la sociologie des concepts comme :
l’Accommodation ; l’agrégation ; légitimation ; masse media ;
nationalisme, hiérarchie, individualisme, ségrégation ; classes sociales ;
intégration sociale ; contrôle social ; socialisation, militarisme …
 De la psychologie elle a emprunté : affinité ; aliénation ; ambivalence ;
aspiration, attitude ; dépendance ; empathie ; comportement ;
mouvement social ; stéréotypes ; personnalité…
 De l’économie elle a pris des concepts tels : allocation des ressources ;
industrialisation ; libéralisme ; sous-développement…

37
 De la philosophie elle a pris les concepts : anarchie, aristocratie ;
démocratie ; liberté ; volonté générale, monarchie ; oligarchie ;
pluralisme ; tyrannie ; valeurs….
 De l’anthropologie elle a emprunté : acculturation ; caste ; népotisme ;
patriarchie ; rituels…
 De la théologie : le Charisme ; la loi divine…
 Du journalisme et du langage politicien : impérialisme ;
internationalisme ; lobbying ; neutralisme ; nihilisme, négationnisme ;
plébiscite ; propagande ; socialisme ; syndicalisme…
Ce brassage conceptuel et méthodologique avait pour résultat la
consécration de l’interdisciplinarité de la science politique, en ce sens
qu’elle emprunte ses outilles d’analyse et ses concepts de toutes les
sciences sociales et même des sciences dites exactes. De ce fait, la science
politique contemporaine est une science carrefour ou se recoupent et se
côtoient tous les concepts et méthodes des autres disciplines (l’histoire,
l’économie, la sociologie, la psychologie, l’anthropologie, les statistiques, les
mathématiques…).

§5. Les Méthodes de la science politique


La question des méthodes adoptées par la science politique revêt une
importance capitale, en raison de leur impact décisif sur son contenu et sur
ses dimensions scientifiques et cognitives.
Historiquement, le domaine de la science politique a été divisé en trois
grandes traditions méthodologiques : le traditionalisme, le
comportementalisme (Behaviorisme) et le post-comportementalisme. Le
traditionalisme repose largement sur des évaluations normatives.
Les traditionalistes cherchent de savoir si les individus au sein des
institutions gouvernementales (comme le parlement) agissent comme ils

38
"devraient le faire". Ils cherchent ainsi à examiner les pouvoirs accordés au
parlement à travers une combinaison d'histoire, de Droit et de philosophie
pour savoir si sa composition actuelle est conforme { l’esprit de la loi. De ce
fait ils recherchent des jugements de valeur dans leurs résultats, qui sont en
grande partie non mesurables.
Les tenants du courant comportementaliste, cherchent de leur côté, le
comportement réel des acteurs qui participent au processus politique et
emploient une approche empirique basée sur la collecte et la mesure des
données. Pour ce faire, ils utilisent massivement les modèles
mathématiques ou statistiques pour expliquer différents types de
comportement politique et social. Ils essaient ainsi de comprendre la
corrélation entre certains facteurs pour explique le comportement politique
des acteurs.
Le post-comportementalisme constitue une synthèse des deux courants
précédents. Comme les comportementalistes qui ont critiqué les
traditionalistes pour leur excès de moralisme et de juridisme dans leurs
analyses, les post-comportementaux ont critiqué les behavioristes pour leur
scientifisme amoral. De là ils ont appelé les politologues qu’au-delà de
mener des expériences ou de collecter des données et de les modéliser, ils
doivent répondre aux questions importantes touchant les citoyens, les États
et le monde qui les entoure.

A. Le courant positiviste
Ce courant défendait l’idée selon laquelle les phénomènes sociaux et
politiques sont des choses objectives ayant une existence propre et
indépendante des hommes. Cela implique qu’ils obéissent dans leur
fonctionnement à des lois objectives, comparables aux lois de la physique,
qu’il incombe aux chercheurs de découvrir.

39
Ce courant ne considère comme scientifique que les domaines de
connaissance auxquels on peut appliquer la méthode positive laquelle est
considérée comme l’unique méthode scientifique. Cette dernière se base
essentiellement l’observation, directe ou indirecte, des faits politiques
concrets et réels, pour ensuite pour en découvrir les lois objectives et
stables capables d’expliquer comment ils opèrent. Le positivisme politique
cherche ainsi à expliquer comment fonctionnent les phénomènes politiques
au lieu chercher pourquoi ils fonctionnent.
Le positivisme en tant qu’approche scientifique se base essentiellement sur
l’observation, la formulation d’hypothèses, l’expérimentation et la
généralisation des propositions et des résultats obtenus. Cette démarche ne
peut aboutir que si l’on considère que les phénomènes politiques ont une
existence objective dissociée des acteurs politiques et des chercheurs eux-
mêmes. Dans ces conditions, les méthodes et approches analytiques
utilisées par les sciences exactes semblent être appropriées pour l’analyse
des phénomènes politiques et sociaux, si l’on veut accéder { la même
rigueur scientifique.
Les méthodes d’analyse statistiques, expérimentales, comparatives et
mathématiques, qui ont fait preuve de leur efficacité dans les sciences
naturelles semblent être aussi efficaces en science politique. Car leur
objectif reste la découverte des mécanismes de fonctionnement de ces
phénomènes. Cela ne peut se réaliser qu’{ la condition d’assurer une
distanciation nette entre le chercheur et l’objet de son étude, comme le
ferait un biologiste avec les animaux qu’il étudie ou un physicien avec la
gravité et sa mécanique.
Il faut noter que depuis la fin du XIXème siècle jusqu’{ la fin des années
cinquante, la science politique, tout comme la sociologie et les autres
disciplines des sciences sociales, était profondément imprégnée par le

40
positivisme. La réussite de ce courant se justifie par son optimisme et sa
prétention de découvrir les lois régissant les phénomènes politiques de la
sorte à pouvoir prédire leur déroulement et leur fonctionnement et
permettre de proposer les scénarios comportementaux possibles des
acteurs. Cet optimisme était renforcé par cette attitude positive du grand
public et des hommes d’Etat quant à la capacité de la science politique
positiviste { améliorer le fonctionnement des institutions politiques d’un
côté, et { permettre une meilleure l’information et l’encadrement de ceux
qui prennent les décisions politiques.
Et puisque l’expérimentation n’est d’aucune utilité pour la compréhension
des phénomènes politiques, qui ne peuvent se reproduire dans les
laboratoires pour permettre de les observer de manière prolongée et
répétée, les adeptes du positivisme méthodologique se basent sur
l’observation distancée des phénomènes politiques dans le but de ramasser
le maximum d’informations objectives capables de les expliquer et de
justifier leur cause directe. Dans cette perspective, les données statistiques
et mathématiques semblent permettre de dégager la pluralité des
dimensions des phénomènes politiques, de les mesurer et de les catégoriser
afin d’émettre des généralisations et des théorisations valables pour tous
les contextes historiques et géographiques, comme il est d’usage en
sciences exactes.
Ce faisant la mesure statistique et mathématique des phénomènes
politiques devient le principal critère pour la connaissance scientifique en
la matière. Dans ces conditions, la prévision et la prédiction des
évènements et des comportements politiques deviennent un des objectifs
majeurs de la science politique en raison de sa prétendue capacitée à
prévoir et à découvrir les lois et les causes objectives des comportements
politiques individuels et collectifs des acteurs sociaux.

41
En définitive on peut avancer avec Yves schemeil, que la science politique
construit sa méthode sur la base de sept étapes :
a. La problématisation ;
b. L’observation ;
c. La classification ;
d. La modélisation ;
e. La comparaison ;
f. L’expérimentation ;
g. La codification, le calcul et la cartographie (usage des techniques
quantitatives et qualitatives.
De manière générale, ce courant n’est pas homogène en ce sens qu’il
englobe en son sein un nombre important de démarches et de méthodes de
recherche telles : le fonctionnalisme, le structuralisme, le systèmisme, et le
matérialisme historique. Ces démarches méthodologiques s’accordent
toutes sur l’hypothèse selon laquelle : les structures socioéconomiques et
politiques déterminent toujours, en premier lieu, les représentations et les
comportements des acteurs politiques. Une telle hypothèse suppose que les
individus n’ont aucune liberté d’action et qu’ils sont amenés { subir les lois
objectives des structures auxquelles ils appartiennent.
En définitive, le courant positiviste construit son argumentation sur les
postulats suivants :

1. Entre la science de la societe et la science de la nature, il n’existe qu’une


faible distinction, en ce sens que la société comme la nature fonctionnent
comme des machines indépendantes aux hommes.
2. la realite peut etre perçue telle qu’elle est parce que elle est
connaissable { travers l’observation de ses lois et de ces manifestations.

42
3. Ces observations peuvent conduire a l’elaboration d’hypotheses, a la
determination de liens de causalite entre les phenomenes observes, et
même de lois empiriques.
4. Il est possible de mesurer la realite observee. Il suffit d’inventer des
instruments méthodologiques sophistiques.
5. A l’aune du positivisme, l’objectif de la science est de produire un savoir
falsifiable.

B. Le courant cognitif (science politique compréhensive)


Ce courant cognitif (symbolique/ culturaliste) défendait quant { lui l’idée
selon laquelle les phénomènes sociopolitiques (vote, violence, participation,
protestation, politisation, socialisation) n’ont aucune existence physique,
indépendante des représentations, des connaissances et des
comportements des acteurs résultant de leur interaction avec leur milieux,
humain, institutionnel, culturel, économique, écologique… De l{ on suppose
que ces phénomènes ne peuvent être dissociés de la conscience et des
systèmes de valeurs des acteurs qui déterminent leur agir et leur
comportement. Il en résulte que les phénomènes de l’Etat, le pouvoir, la
liberté, la démocratie, la domination, en tant que phénomènes immatériels
supposent l’usage de certaines méthodes et approches d’analyse cognitives
qui dépassent le positivisme classique.
Par ailleurs, il semble que la jeunesse de la science politique, la nature des
phénomènes politiques qui impose aux chercheurs d’être { la fois juge et
partie, et l’absence de tout compromis entre les scientifiques sur un certain
nombre de concepts fondateurs, ne constitue pas nécessairement un
obstacle insurmontable pour la construction de son objectivité scientifique.
En dehors de ces deux grands courants méthodologiques, il faut noter que
la science politique construit ses démarches d’investigation sur cinq
approches épistémologiques essentielles :

43
1. Les approches centrées sur l’individu et ses capacités { déterminer les
institutions et les structures politiques ou il agit. Ces approches se
divisent en deux groupes :
a. Les approches individualistes rationnelles comme : l’individualisme
méthodologique ; l’analyse stratégique et la théorie du choix rationnel des
acteurs (théorie du jeu).
Les approches individualistes cognitives (basées sur l’apprentissage, les
valeurs, les connaissances et les représentations. Elles se veulent comme
une critique des approches rationalistes. Ces approches sont l’analyse
cognitive et l’analyse comportementale.
2. L’Holisme ou les approches qui défendent le principe de la
détermination des comportements des acteurs politiques par les
institutions (structures ou systèmes).
Le holisme méthodologique est constitué de quatre approches essentielles :
- Le matérialisme (marxisme) ;
- Le fonctionnalisme ;
- Le structuralisme ;
- Le systèmisme.
3. L’interactionnisme qui est un courant méthodologique qui cherche à
concilier le déterminisme individuel avec le déterminisme structurel en
ce sens que ce n’est ni l’individu ni la structure ne déterminent les
comportements politiques des acteurs et des institutions mais plutôt
l’interaction des uns et des autres. L’interactionnisme désigne en général
ce courant sociologique d'origine américaine (école de Chicago) qui part
du postulat de bas que les sociétés sont essentiellement les produits des
interactions entre les individus parmi ces démarches on peut citer :
a. L’interactionnisme symbolique, selon cette approche, les individus
produisent eux-mêmes leur propre comportement et la signification

44
qu’il recèle. Dans le même cadre social, chaque individus ou groupe
social donne un sens précis à son action, selon les circonstances, les
objets et les situations qu’ils affrontent.
b. L’interactionnisme stratégique, c’est { dire l’approche qui conçoit que les
individus produisent les choses politiques (institutions, idées, programmes,
idéologies, discours…) { travers leur interaction orientée vers la recherche
de buts et de finalités personnels et égoïste.
c. L’approche pragmatique est ce courant qui défend l’hypothèse selon
laquelle, les individus et les acteurs politiques disposent, lors de leurs
interactions sociales et politiques d’une grande capacité { s’adapter et
répondre aux différentes situations qui les affrontent à moment donné.
4. Les approches historicistes
a. L’histoire régressive : c’est une méthode qui consiste à étudier un
phénomène politique en le comparant avec d’autres phénomènes de la
même nature { des époques différentes. Le principe est de partir d’une
situation récente pour arriver à la plus ancienne en ce sens que les
situations récentes conservent des traces du passé.

b. La sociohistoire : cette approche s’est développée depuis les années


quatre-vingt-dix en France { partir d’une hybridation méthodologique
entre l’Histoire, la sociologie et la science politique dans le but de rejeter
toute forme de déterminisme et d’évolutionnisme historique. Son
objectif est d’étudier l’origine des phénomènes sociaux et politiques,
selon une optique conflictuelle qui tente de reconstruire les rapports de
forces entre les individus et les groupes. Son hypothèse part du postulat
que tous les phénomènes politiques qui paraissent aujourd’hui comme
des allant de soi (élections, Etat, nationalisme, institutions politiques...)
étaient le fruit, non pas d’un déterminisme quelconque, mais d’une lutte
acharnée entre des individus et des groupes d’individus réels qu’il s’agit

45
de reconstituer.

c. Sociologie historique comparative, cette démarche méthodologique


insiste sur une lecture historique de longue durée des changements
politiques et institutionnels survenus dans plusieurs pays, pour pouvoir
dégager des informations scientifiques stables et fiables (Etudes
comparatives des révolutions française et Américaine, française et
bolchévique, études des mouvements sociaux en France et en Grande
Bretagne....)

5. Les approches identitaires sont ces approches méthodologiques qui


partent de l’hypothèse selon laquelle toute action politique (guerre,
lutte, alliance, domination, soumission, vote, communication...) se bas
essentiellement sur une représentation (image) préalable de soi et du
monde. C’est { dire, sur l’idée que se font les acteurs d’eux-mêmes et du
monde qui les entourent. Parmi ces courants qui adoptent une telle
hypothèse on retrouve :

a. Le constructivisme n’est pas une théorie composée d'une série


d'hypothèses, mais une simple démarche méthodologique qui étudie les
discours et les perceptions des acteurs politiques pour analyser les
phénomènes politique. Cette perspective a gagné du terrain après la
publication en 1966 de Peter Berger et Thomas Luckmann de leur
ouvrage devenu classique de la construction sociale de la réalité. Le
postulat de base de cette démarche est que les phénomènes politiques et
sociaux n’ont aucune existence physique dans la nature, mais ils sont
socialement et collectivement construits. Cela implique que leur
signification et leurs portées réelles sont intimement liées aux valeurs,
identité, représentations et du discours (langage) de ceux qui les avaient
construits. L’Etat, la société, les partis politiques, la démocratie, la liberté,

46
le droit ne sont que des constructions artificielles, mais obéissant à la
logique rationnelle propre des acteurs sociaux.

Les défenseurs du courant constructiviste partent du postulat de base que «


…ce qu’on suppose découvert est en fait une invention, mais l’inventeur
n’étant pas conscient de son acte d’invention, il la considère comme
existant indépendamment de lui. L’invention devient alors la base de sa
conception du monde et de ses actions. »

Les tenants de courant aussi hétérogène, supposent que la connaissance


scientifique des phénomènes politiques demeure impossible. Le discours
scientifique n’est qu’une construction de second degré, entièrement
fabriquée par les chercheurs eux même { partir des éléments qu’ils
considèrent comme vrais et réels. En d’autres termes. La réalité scientifique
du politique n’est que la représentation de ce que les chercheurs croient
être comme telle.

Tableau 1.2 : Les différents constructivismes – objectifs, position ontologique et épistémologique

Le courant moderniste
ou dominant Le courant radical Le courant critique
du constructivisme
Expliquer et comprendre ; Comprendre ;
Emancipation de la
Objectifs Découvrir des Démarche
societe
mécanismes causaux interprétative
La realite est
Le monde est en
intersubjective Les idées Ignore la réalité
Position construction et les
et les intérêts matérielle Intérêt
ontologique théories participent
des acteurs sont pour le discours
a ce processus
largement construits
Post-positiviste :
Positiviste : il est possible Post-positiviste :
Il n’existe pas de
d’établir des relations de Critique contre toute
Position théorie en soi. « La
cause a effet dans la tentative d’etablir
épistémologique théorie est toujours
comprehension de la des liens de
pour quelqu’un et
realite causalite
pour quelque chose »

47
Yves Chemeil estime qu’on pourrait décrire ce courant complexe et
hétéroclite en deux phrases : d’abords les acteurs politiques construisent
leurs propres mondes, tandis que les chercheurs le déconstruisent pour le
remplacer par un autre (théorique) qu’ils jugent plus proche de la réalité.
Ensuite, la société n’a aucune existence propre { elle, mais elle est
construite par ceux (les entrepreneurs de la morale) qui imposent à la
société leur propre version et vision de la réalité et lui disent ce qu’elle doit
croire ou penser.

b. Le postmodernisme est un courant d’idées philosophique très


hétérogène dont les défenseurs se positionnent comme des
contestataires. Il est apparu en occident depuis la deuxième guerre
mondiale. Il se positionne contre toute forme de déterminisme ou de
positivisme dans l’étude des phénomènes politiques. Il regroupe de ce
fait toute sorte d’idées qui critiquent l’ordre social traditionnel est toute
forme de sacralisation ou de mystification de l’autorité et du pouvoir
dans la société. L’hypothèse de base de cette démarche se centre sur la
fragmentation monde et du savoir qui mène à le comprendre ; sur la
relativité absolue de toute forme de savoir politique, sur l’absence de
toute forme de sacralité ou de déterminisme de la société et du pouvoir ;
sur le triomphe de l’Homme individué, et de l’individu humanisé ; sur les
identités sexuées des individus, sur le rejet de la guerre et de la
destruction de l’environnement ; sur la défense des minorités....

C. Le comparatisme en science politique

La comparaison entre les choses, les événements, les faits…etc., fait partie
des activités quotidiennes à peine remarquable du cerveau humain.
L’homme compare chaque chose, chaque événement, ou phénomène avec
ce qu’il connait déj{ comme tel. La comparaison lui permet de projeter une

48
image, des informations ou une idée, déj{ vécues, vues ou sues sur d’autres
qui se présentent devant lui pour la première fois. Cette démarche lui
permet de déceler les ressemblances et les dissemblances entre eux.
De ce fait, chaque fois que l’homme compare entre deux phénomènes ou
modèles, il le fait en se référant à un modèle ou plutôt à un supermodèle
qu’il considère préalablement comme idéal.
En science politique, cela veut dire se référer à un idéaltype, au sens
wébérien du terme qui signifie à un modèle conceptuel théoriquement
préconstruit, dont la tâche est de simplifier et expliquer la complexité de la
réalité observée.
Le comparatisme est plus qu’une méthode de la science politique, il est un
mode de questionnement de tous les phénomènes politiques pour en
déceler les particularités ainsi que les variations qui peuvent les entacher.
1. L’histoire du comparatisme
Le comparatisme politique résulte d’une longue tradition scientifique qui
remonte aux grecques.
Déj{ Platon, compare dans son œuvre majeur, la République, entre
plusieurs formes successives de gouvernement :
L’oligarchie, le gouvernement du petit nombre d’individu ;
La démocratie, le gouvernement du plus grand nombre ;
La monarchie, le gouvernement d’un seul.
Aristote, de sa part établie une typologie des régimes politiques similaire en
distinguant six formes de gouvernement, dont trois sont des formes
déviées:
Le gouvernement monarchique, c’est-à-dire d’un seul au profit de tous ; la
tyrannie constitue sa forme déviée,
L’aristocratie, c’est-à-dire le gouvernement d’une élite constituée des
meilleurs qui peut dévier en oligarchie constituée de riche ;

49
La République, c’est-à-dire le gouvernement de la masse dont la forme
déviée est la démocratie.
Durant des siècles la typologie d’Aristote servira de grille référentielle
d’analyse et de classification des régimes politiques.
Montesquieu, fidèle à la logique aristotélicienne, distingue entre trois types
de gouvernements :
Le gouvernement républicain, dans lequel le peuple, ou une partie de lui,
détient la souveraineté (deux formes de république : aristocratique et
démocratique).
Le gouvernement monarchique ou un seul homme possède la souveraineté
(meilleur Gv puisqu’il dépend des autres pouvoirs).
le gouvernement despotique ou un seul gouverne de manière arbitraire et
sans règles.
Alexis de Tocqueville consacre toute son œuvre politique (De la démocratie
en Amérique 1835-1840) à établir une science politique comparative. Sa
réflexion porte essentiellement sur la compréhension de la genèse du
régime politique démocratique dans un pays. Il conclut que l’absence d’une
aristocratie, et donc d’une révolution { la française en Amérique, avait fait
que les colons se sentaient égaux les uns aux autres. Cela était de nature à
favoriser l’ancrage des valeurs démocratiques dans ce pays en ce sens
qu’elles étaient collectivement construites.

Il faut noter que le comparatisme politique connaitra une vraie révolution


dans les années cinquante, avec le triomphe du courant scientiste appelé
communément le behaviorisme (comportemental) aux EUA. Ce courant,
avait tenté de faire de la science politique une science aussi exacte que la
physique ou la biologie. Le comparatisme quantitatif entre plusieurs

50
modèles politiques était censé apporter une connaissance pertinente de la
science politique.
Depuis, un certain nombre de cadres théoriques ont dominé le
comparatisme politique contemporain comme : le fonctionnalisme, le
structurofonctionnalisme, le systèmisme, la sociologie historique, le
marxisme, le constructivisme. Évidemment, ces cadres avaient servi de
référentiel pour les différentes approches théoriques en science politique
comparée comme : le développementalisme, le culturalisme, la dépendance,
l’institutionnalisme, le néoinstitutionnalisme (dans ses trois versions :
sociologique, historique et le choix rationnel), théorie de modernisation ;
etc.).
En fait, il existe un profond désaccord parmi les chercheurs sur ce que la
politique comparée est ou devrait être. Néanmoins, en se basant quelques
dénominateurs communs, la politique comparée peut être définie à la fois
comme un sujet de recherche et une méthode d'analyse.

2. Le comparatisme en science politique comme méthode


d’analyse
L’analyse comparative s’impose en science politique, comme dans d’autres
sciences sociales, { partir du moment où l’expérimentation devient
impossible. Les événements et les phénomènes politiques ne peuvent certes
en aucun cas être reproduits en laboratoires comme c’est le cas dans les
sciences exactes. Les comparatistes étudient ainsi des phénomènes aussi
différents que les opinions et les comportements des acteurs politiques
comme : les citoyens, les élites politiques, les mouvements sociaux et les
groupes d'intérêt ; les politiques publiques (les politiques climatiques, le
changement constitutionnel, la politique étrangère ; la fonctionnement des
institutions politiques (les parlements, les exécutifs et les tribunaux) ; les

51
actions des organisations non étatiques ( les organisations non
gouvernementales, les organisations terroristes, l'église…, et bien d'autres
sujets.
De plus le comparatisme n’est pas à confondre avec les relations
internationales en ce sens qu’il ne s’intéresse pas aux relations
interétatiques, mais aux phénomènes politiques interétatiques qui se
déroulent { l’intérieur des Etats.
Par ailleurs, le comparatisme est aussi une méthode d’analyse pertinentes
pour analyser les similitudes et les différences existant entre les différents
systèmes politiques, ce qui implique qu’il est une discipline essentiellement
empirique.
Du coup le comparatisme en science politique diverge de la théorie
politique qui pose des questions normatives, sur ce qui doit être juste, bon
équitable comme par exemple : est-il juste de nier le droit de vote aux
enfants et aux adolescents ? Ou Est-il équitable d’écarter les femmes des
hautes responsabilités politiques ? ou même est-il bon d’établir un quota
pour les femmes aux seins des instances représentatives ( parlements,
conseils territoriaux…) et au sein des postes de responsabilité politique ?
Au lieu de poser ce genre de questions normatives, les comparatistes vont
plutôt chercher pourquoi est-ce que le droit de vote était accordé aux
jeunes de 16 ans au Brésil, en Argentine et en Equateur ? pourquoi les
autres pays comme le Chile, l’Uruguay et d’autres pays n’ont pas faits de
même ? et quelles sont les conséquences possibles de ce vote sur la vie
politique aux seins de pays l’ont adopté ? De plus pour la représentativité
politique des femmes au sein des postes de responsabilité politique, les
comparatistes vont s’intéresser particulièrement aux conséquences
politiques du quota féminin sur l’amélioration de la condition politique et

52
sociale des femmes. Ils vont également s’intéresser { mesurer les écarts et
les similitudes entre les Etats ayants adopté ces mesures.
La comparaison sert aussi à surmonter, dans beaucoup de cas, le manque
crucial d’informations historiques autour d’un phénomène étudié. Ainsi, en
l’absence de données précises sur l’origine du pouvoir politique, de l’État,
des systèmes politiques…etc., l’approche comparative permet de les
comprendre mieux en procurant des informations immédiates et
observables autour de leur fonctionnement.
Il faut noter que l’analyse comparative en science politique doit prendre en
considération le caractère non universel, c’est-à-dire lié à des cotextes
sociopolitiques nationaux des phénomènes politique observés. Et
l’expérience de la science politique américaine en est révélatrice, en ce sens
que les politistes américains avaient longtemps cru voir dans leur modèle
politique national un idéal type universel explicatif de tous les modèles
politiques dans le monde. Cela comme si le modèles politique en question
était, de par son universalité, facilement transposable dans le monde et
interchangeable avec d’autres modèles politiques quelques soient leurs
référentiels culturels et axiologiques. Exemple : le modèle polyarchique de
Robert Dahl ; le modèle systémique de David Easton ; le modèle structuro-
fonctionnaliste de Gabriel Almond…etc.
C’est justement pour cette raison que l’analyse comparative en science
politique était assimilée à une analyse universelle des systèmes politiques
en ce sens que ces derniers avaient toujours leurs semblables, achevés ou
en voie d’achèvement, dans le monde. Cela revient { dire, d’une manière
indirecte, que les systèmes politiques démocratiques sont partout
identiques en ce qui concerne leurs principes fondateurs, mais que le
modèle américain et accessoirement les modèles politiques démocratiques

53
occidentaux constituent le ou les modèles à suivre pour les États
nouvellement indépendants.
La même chose peut être avancée pour ce qui est des systèmes politiques
totalitaires et autoritaires, en ce sens que leur principe de base sont
universels, mais que leur degré de développement diffère selon le fait qu’on
est devant un système achevé ou en devenir.
Jean Leca estime dans ce cadre que l’analyse comparative est, en premier
lieu, une analyse des systèmes politiques puisque « L'objet d'une recherche
comparative devrait donc concerner les systèmes politiques globaux, c'est-
à-dire l'ensemble des normes, mécanismes et institutions attribuant
l'autorité, désignant les leaders, réglant les conflits et définissant les
principes d'allocation de ressources aux différents secteurs de la société. »
On considère ici le comparatisme non comme une méthode spécifique,
mais comme une dimension de l'analyse politique elle-même, permettant
de mieux utiliser des concepts qui sont supposés être universels tels les
formes de gouvernement, les formes de sociabilité ou les types de
légitimité, les modèles de socialisation politique….»
De ce fait, il incombe de noter que « La politique comparée … est aussi et
surtout un mode de questionnement de l’ensemble des phénomènes
politiques […] qui est capable de mettre en relief la spécificité de chacun
d’eux ... ».
On peut dès lors avancer que la Politique comparée est une branche de la
science politique qui tente de tirer des conclusions descriptives au sujet des
phénomènes politiques sur la base de preuves observables dans l’immédiat.
En résumé, la politique comparée s’occupe plus particulièrement de l’étude
de certains objets tels que l’État, les régimes politiques, les comportements
politiques, la culture politique, les institutions, les partis politiques, les
changements politiques…etc. Elle contribue également { forger des

54
techniques de recherche plus rigoureuses et à construire des cadres
théoriques utiles à tous les politologues.
Le comparatisme se base ainsi sur trois démarches essentielles à savoir :
Répertorier et classer les phénomènes politiques à comparer,
Interpréter les ressemblances et les dissemblances qui existent entre eux,
Construire des typologies et des modèles généraux.

3. Les limites du comparatisme


L’acte de comparer les phénomènes politiques n’a rien de naturel, ni
d’universel en ce sens qu’il se réfère préalablement aux phénomènes déj{
vécus et expérimentés par ses auteurs. En d’autres termes, on prend son
propre contexte politique et institutionnel comme point de départ pour
classifier et interpréter ceux des autres (la gastronomie marocaine
devienne la gastronomie tout courte ; la culture politique américaine
devienne la culture politique, la démocratie française devient la
démocratie…). Cela revient à dire, ça se passe comme ça chez nous, donc ça
doit être pareil chez eux.
En conséquence, la recherche d’un modèle politique général et universel
(de démocratie, de développement, de constitution, de séparation des
pouvoirs, de parlementarisme, de régionalisation, de participation
politique, de parité, des élection…etc.), n’est en fin de compte que la
projection très subjective de son propre modèle -ou de ceux qu’on connait
déjà- sur les autres, comme étant le modèle parfait et donc universel. Exp :
la démocratie ne doit pas être différente de celle pratiquée dans mon pays
ou dans ceux que je considère comme modèles USA, GB, France…etc.
D’ailleurs, rare sont les comparatistes qui arrivent { échapper au piège de
l’ethnocentrisme politique. La classification des systèmes politiques se fait
souvent en référence au système politique américain, Anglais ou français
qui sont devenus des modèles référentiels.

55
Une autre critique peut être adressée au comparatisme politique en ce
sense qu’il suppose l’interchangeabilité des phénomènes politiques,
abstraction faite du contexte sociopolitique dans lequel ils évoluent.
Exemple 1 : le parlement marocain serait identique au parlement français ;
la constitution marocaine serait comparable à la constitution tunisienne,
française ou espagnole. Exemple: la monarchie marocaine serait
comparable dans sa structure, ses fonctions et sa légitimité aux monarchies
espagnole, suédoise, Jordanienne ou saoudienne …etc.,
De plus, le comparatisme suppose que les concepts et les mots ont le même
sens partout dans le monde. Exemple : le territoire (Occident vs islam), la
nation (anglo-saxonne vs francophone), libéralisme, classes sociales
(bourgeoisie, classes moyenne…), jeunes, liberté, justice, pauvreté,
égalité…etc.
Il faut noter que ce piège de langage conduit souvent à des erreurs
méthodologiques insurmontables. Exemple : si on veut établir une typologie
des classes sociales, on ne sait pas exactement ou commenceraient-elles et
ou se termineraient-elles. La même chose peut être dite de la pauvreté, de
la jeunesse, du libéralisme…etc.

Exercice de TD N°7

Faites un résumé { l’aide d’une introduction et d’un plan en deux


parties des différentes méthodes de la science politique.

56
Chapitre 2. L’Etat comme objet de la science politique
L’Etat constitue une des thématiques essentielles de la science politique en
ce sens que cette entité représente la meilleure et la plus achevée des
formes d’organisation, de rationalisation et d’institutionnalisation du
pouvoir dans la société humaine. Certes, l’Etat, bien qu’il monopolise la
violence légitime selon l’acception Wébérienne, ou la violence matérielle et
symbolique légitimes selon l’acception Bourdieusienne, n’est pas le seul lieu
de production et d’exercice du pouvoir, dans la société.

§1. Qu’est-ce que l’Etat ?


§2. Sociogenèse de l’Etat moderne
Bien que l’Etat incarne l’organisation et l’institution du pouvoir politique, il
n’en demeure pas moins vrai que l’origine de l’organisation du pouvoir
politique remonte { l’aube de la civilisation humaine en Chine,
Mésopotamie, Inde, Egypte, Mexique et plus tard en Grèce, Empires romain
et Arabes, … partant de ce constat on ne peut dire que l’Etat moderne est le
fruit d’un processus historique exclusivement européen, mais le résultat
d’un processus historique universel qui déborde de loin le continent
Européen.
Il faut dire qu’il existe plusieurs formes de production et d’exercice du
pouvoir au sein des sociétés humaines, qui s’apparentent beaucoup avec
celles des sociétés animales telles que les mammifères, (félins, éléphants,
primates, …) fourmilles, abeilles,. Toutefois, l’Etat en tant que forme
supérieure d’organisation et de rationalisation du pouvoir reste l’apanage
des sociétés humaines prédisposées { un degré plus élevé d’abstraction et
de rationalisation que les sociétés animales. En d’autres termes, si le
pouvoir est un phénomène naturel partagé entre les sociétés humaines et

57
animales, l’Etat reste quant { lui un phénomène culturel spécifique {
l’homme.

L’Etat serait dès lors une « … réalité en acte de la volonté substantielle,


réalité qu’elle reçoit dans la conscience de soi universalisée, est le
rationnel en soi et pour soi ; cette unité substantielle est un but propre,
absolu, immobile, dans lequel la liberté obtient sa valeur suprême, et
ainsi ce but final a un droit souverain vis-à-vis des individus dont le plus
haut devoir est d’être membres de l'État. ». Cela implique que l’Etat
constitue l’incarnation de la raison humaine et l’espace institutionnel dans
lequel et par lequel la liberté des hommes acquiert sa pleine signification.
Mieux encore, Hegel considère que « l'État, … n'est pas un contrat, et son
essence substantielle n'est pas si exclusivement la protection et la
sécurité de la vie et de la propriété des individus isolés. Il est plutôt la
réalité supérieure et même il revendique cette vie et cette propriété et
réclame qu'on les sacrifie ». Il s’en suit logiquement que si l’Etat constitue
le lieu de la raison et l’espace où se réalise la liberté des hommes, ces
derniers lui doivent d’être dévoués, au point de se sacrifier pour sa
pérennité et de sacrifier leurs biens les plus chers pour lui.

Alexis de Tocqueville voyait dans l’Etat une sorte de puissance paternaliste


qui, tout en cherchant à protéger les individus, cherche à devenir leur
unique tutélaire. « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le
despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule
innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos
sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils
emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré { l’écart, est comme étranger
{ la destinée de tous les autres. […] Au-dessus de ceux-l{ s’élève un
pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur
jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier,

58
prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme
elle, il avait pour objet de préparer les hommes { l’âge viril ; mais il ne
cherche, au contraire, qu’{ les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il
aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’{ se
réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être
l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit { leur sécurité, prévoit et
assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales
affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs
héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la
peine de vivre ? »

Selon Pierre Rosanvallon, que « L’État n’est pas seulement un appareil


administratif, il est également une figure politique abstraite, en tant
qu’il incarne le principe de souveraineté ».
Au-del{ de toute abstraction, l’Etat serait, selon les propos de Dietrich
Rueschemeyer, et Peter Evans « … un ensemble d’organisations investies
de l’autorité pour prendre des décisions contraignantes pour les
personnes et les organisations juridiquement situées sur un territoire
particulier et d’appliquer ces décisions en utilisant, si nécessaire, la
force ». Il s’ensuit que cette institution que l’on qualifie communément Etat,
comme s’il s’agit d’une seule personne transcendante dotée d’une volonté et
d’une conscience de soi et du monde, ne peut être réduit ni { une simple
fiction juridique, ni { l’agrégat des institutions formant les organes de
commandement de la collectivité nationale ou plus précisément le
gouvernement. Il est plus que cela, en ce sens qu’il recèle bien plus
d’institutions et d’acteurs loin d’être homogènes et cohérents, comme les
institutions administratives, centrales et territoriales, le système judiciaire,
les différents organes de l’ordre et de répression ( police, gendarmerie,
armée, administration pénitentiaire,…), ainsi que tout un réseau enchevêtré

59
d’infrastructures socioéconomique et culturel de tout genre qui permet non
seulement de structurer les rapports entre la société civile et les autorités
publiques, mais aussi de façonner les différentes relations au sein même de
cette société civile.
De ce fait, L’État nation moderne n’est ni un phénomène naturel (il existe
des sociétés sans États) ni une donnée stable de l’histoire des sociétés.
Ainsi, historiquement, L’Etat n’a jamais été le seul moyen d’organiser le
pouvoir politique dans la société humaine. La parenté, le patrimonialisme,
les cités-États et les empires ont été également des formes non moins
importantes de l’organisation et de l’institutionnalisation du pouvoir
politique.
Le processus de sa formation et de sa généralisation peut être
géographiquement et historiquement situé en Europe occidentale entre le
XVIème et le XXème siècle.
En réalité, l’État n’est pas une création institutionnelle qui aurait vu le jour
de manière ex nihilo au XVIème siècle, il est plutôt l’aboutissement d’un
long processus (remontant au 12ème siècle) de concentration des
différentes espèces de capital, capital de force physique ou d’instruments
de coercition (armée, police), capital économique, capital culturel ou,
mieux, informationnel el du capital symbolique. Ce processus a commencé
entre 1180 et 1223 avec le règne du Roi Philippe Auguste, qui est le
premier roi à essayer de dépasser le système féodal reposant sur la
fragmentation du pouvoir politique et économique. Cette fragmentation a
commencé à partir du moment où les Rois (Angleterre, France…)
concédaient des terres et les bénéfices qui en découlent aux nobles en
contrepartie de leur fidélité en temps de guerre. Ce roi avait ainsi tenté de
soumettre par la force toutes les suzerainetés à son autorité.

60
C’est de cette guerre d’intégration que l’État moderne est né en Europe
occidentale.

Dans ce contexte, l’État s’est cristallisé { partir d’un double processus de


concentration de la violence légitime (coercition et guerre) et de la collecte
des impôts. Max weber estime que l’État moderne est né en occident à
partir d’un long processus de concentration et de rationalisation du pouvoir
politique. Cette rationalisation apparait dès lors que l’État arrive { assujettir
les individus et les groupes sans recours { la violence. C’est-à-dire par la
socialisation politique qui engendre une intériorisation de la contrainte
grâce { sa légitimation et { son acceptation volontaire. L’État moderne
repose ainsi sur une légitimité bureaucratique qui n’est que l’incarnation de
la rationalité étatique.

Weber estime que : « Partout le développement de l'État moderne a pour


point de départ la volonté du prince d'exproprier les puissances «
privées » indépendantes qui, à côté de lui, détiennent un pouvoir
administratif, c'est-à-dire tous ceux qui sont propriétaires de moyens de
gestion, de moyens militaires, des moyens financiers et de toutes les
sortes de biens susceptibles d'être utilisés politiquement. Ce processus
s'accomplit en parfait parallèle avec le développement de l'entreprise
capitaliste expropriant petit à petit les producteurs indépendants. Et
finalement on voit que dans l'État moderne le pouvoir qui dispose de la
totalité des moyens de gestion politiques tend à se ramasser en une
seule main ; aucun des fonctionnaires ne reste plus propriétaire
personnel de l'argent qu'il dépense ou des bâtiments, des stocks et des
machines de guerre qu'il contrôle… ».

Et weber conclu que « L’État moderne est un groupement de domination


de caractère institutionnel qui a cherché (avec succès) à monopoliser,

61
dans les limites d'un territoire, la violence physique légitime comme
moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des
dirigeants les moyens matériels de gestion. Ce qui veut dire qu'il en a
exproprié tous les fonctionnaires qui, suivant le principe des « états »,
en disposaient autrefois de leur propre droit et qu'il s'est substitué à
eux, même au sommet de la hiérarchie ».

En fait la rationalisation du pouvoir politique de l’État repose sur le


développement et l’institutionnalisation de la bureaucratie qui renvoie à
quatre principes fondamentaux :
a. La procéduralisation de l’action des agents de l’État (codes, droit, règles
générales organisant le travail de l’administration ;
b. La séparation stricte entre les fonctions bureaucratiques et les
bureaucrates qui en sont chargés ; (le roi n’est pas la Royauté, le premier
ministre n’est pas l’institution de la primature, le ministre n’est pas le
ministère…)
c. La hiérarchisation des institutions impliquant l’exercice permanant du
contrôle sur les services et les actes de l’administration.
d. La spécialisation et l’anonymat des agents bureaucratiques. (Concours,
diplômes, égalité de chances…)

Par ailleurs, Norbert Elias nous livre une analyse identique de la genèse de
l’Etat moderne. « Le processus d'unification de seigneuries territoriales
voisines se déroule, schématiquement, d'une manière analogue à celle
qui conduit, à l'intérieur d'un territoire consolidé, à la prédominance
d'un seigneur féodal ou d'un chevalier qui a pu instaurer une
domination plus solide dans le cadre de ses domaines [Effet de domino].
De même qu'à un moment donné de l'évolution, plusieurs seigneurs
territoriaux se trouvaient en concurrence, ainsi, dans la phase suivante,
plusieurs unités seigneuriales d'un ordre de grandeur supérieur, duchés

62
ou comtés, se voyaient obligés par les nécessités de la compétition de
s'étendre pour empêcher d'être vaincus ou asservis par
l'expansionnisme d'un voisin. L'accroissement de la population, la
consolidation de la propriété terrienne et les difficultés de l'expansion
extérieure aboutirent à un renforcement de la compétition pour le sol à
l'intérieur. Le désir de s'emparer de nouvelles terres répondait chez les
chevaliers peu fortunés au simple besoin de vivre selon leur rang, chez
ceux appartenant aux classes supérieures et riches au besoin d’ «
agrandir » leurs possessions territoriales. Car dans une société engagée
dans un processus concurrentiel de ce genre, celui qui n’« agrandit pas
ses domaines s'expose automatiquement à les voir diminuer », si ses
ambitions se limitent à « conserver » ce qu'il possède. Une fois de plus on
note les effets de la pression à laquelle cette société est exposée à tous
les niveaux : elle pousse les seigneurs territoriaux les uns contre les
autres et déclenche le mécanisme monopoliste. Au début le faible écart
des moyens d'action permet à un nombre relativement important de
seigneurs territoriaux de se mesurer avec leurs égaux. Mais après
beaucoup de victoires et de défaites, quelques concurrents se sont
renforcés, d'autres ont quitté l'arène. Ces derniers cessent d'être des
figures de premier rang dans la lutte pour l'hégémonie. Les autres, plus
clairsemés, continuent de combattre et le processus d'élimination se
répète jusqu'à ce qu'à la fin il ne reste que deux seigneurs territoriaux
rendus puissants par leurs victoires ou le ralliement libre ou forcé
d'autres seigneurs : tous les autres, qu'ils aient participé à la lutte ou
qu'ils soient restés neutres, n'occupent plus, du fait de la croissance et
de la puissance des deux concurrents principaux, qu'une position de
deuxième ou de troisième rang, tout en conservant un certain poids
social. Quant aux deux vainqueurs, ils approchent déjà d'une position

63
monopoliste : ils ont dépassé le niveau concurrentiel des autres
seigneurs engagés dans la compétition et c'est entre eux que se
déroulera la lutte décisive. »

Ainsi, les éléments explicatifs de la naissance de l’État moderne sont selon


Norbert Elias :
a. La compétition des seigneurs ;
b. La peur d’être assujetti et vaincu par les autres,
c. L'accroissement de la population,
d. La consolidation de la propriété terrienne,
e. Les difficultés de l'expansion extérieure.

De ce fait, Elias considère que « La société que nous appelons société


moderne est caractérisée, surtout en Europe occidentale, par un niveau
bien déterminé de la monopolisation. La libre disposition des moyens
militaires est retirée au particulier et réservée au pouvoir central, quelle
que soit la forme qu'elle revête ; la levée des impôts sur les revenus et les
avoirs est également du domaine exclusif du pouvoir central. Les moyens
financiers qui se déversent ainsi dans les caisses de ce pouvoir central
permettent de maintenir le monopole militaire et policier qui, de son
côté, est le garant du monopole fiscal. Les deux monopoles se tiennent la
balance, l'un étant inconcevable sans l'autre. À la vérité, il s'agit tout
simplement de deux aspects différents de la même position monopoliste.
Si l'un disparaît l'autre disparaît du même coup, même s'il est vrai que le
monopole du pouvoir peut être menacé parfois d'un côté plus que de
l'autre.
Certaines préfigurations de la monopolisation des ressources
financières et militaires d'un territoire relativement étendu s'observent
déjà dans quelques sociétés où la division des fonctions est peu
développée, notamment à la suite des grandes guerres de conquête. Mais

64
ce qui est caractéristique des seules sociétés fondées sur une division très
poussée des fonctions, c'est l'existence d'un appareil administratif
permanent et spécialisé chargé de la gestion de ces monopoles. C'est
précisément la mise en place d'un appareil de domination différencié qui
garantit la pleine efficacité du monopole militaire et financier, qui en fait
une institution durable. Dorénavant, les luttes sociales n'ont plus pour
objectif l'abolition du monopole de la domination, mais l'accès à la
disposition de l'appareil administratif du monopole et la répartition de
ses charges et profits. C'est à la suite de la formation progressive de ce
monopole permanent du pouvoir central et d'un appareil de domination
spécialisé que les unités de domination prennent le caractère d'États.
Dans les États on assiste à la cristallisation de ces deux monopoles,
auxquels viennent s'en ajouter d'autres : mais les deux monopoles
mentionnés ci-dessus sont des monopoles clefs. S'ils dépérissent, tous les

autres monopoles dépérissent, et l’« État » se délabre. »

Michel Foucault, quant à lui, développe une autre version de la naissance de


l’État moderne « … pendant tout le Moyen Âge, au fond, la croissance du
pouvoir royal, (…) s'est faite { partir … de l’armée (et) { partir des
institutions judiciaires. C'est comme clé de voûte d'un État de justice,
d'un système de justice, doublé d'un système armé, que le roi avait peu à
peu limité et réduit les jeux complexes des pouvoirs féodaux. »
Pour Foucault, durant le moyen âge la pratique judicaire avait servi de
multiplicateur des pouvoirs des Rois, mais { partir du XVIème siècle c’est
l’inverse qui se produira. Le droit servira de soustracteur des pouvoirs des
Rois. La raison de la centralité de loi résidait dans l’idée que cette dernière
était faite pour protéger les plus faibles contre l’injustice des plus forts.

65
En fait, on assiste en Europe { un renforcement des pouvoirs de l’État entre
le XVème et le XVIIIème siècle. Ce renforcement s’explique par la nécessité
d’intervention étatique pour gérer, aussi bien sur le plan économique que
sécuritaire, trois phénomènes majeurs : l’urbanisation, la famine et les
épidémies. Et c’est { partir de l{ que le paradigme du pouvoir politique
classique était renversé en ce sens que le souverain et l’État n’ont plus le
droit et le pouvoir de faire mourir et de laisser vivre les individus, mais le
pouvoir de faire vivre et de rejeter dans la mort. L’État moderne intervient
en principe pour gérer la vie des gens, leur corps (machine productrice/
espèce vivante) et leur bien-être, ce qui rend naturellement son droit de
prélever la vie de plus en plus inacceptable.

Edgar Morin explique la naissance de l’Etat en France comme étant le fruit


de la surimposition d’une culture, notamment francienne sur les autres
cultures pour construire la France. « "La nation allemande s'est faite en
unifiant des territoires germaniques. L'Italie s'est faite en rassemblant
des populations qui, pour la plupart, se sentaient italiennes. La France
s'est faite, à partir des rois capétiens, en francisant des populations non
franciennes : le francien était le dialecte d'oïl de l'Île de France et de
l'Orléanais qui, en s'imposant et se surimposant sur les multiples
dialectes d'oïl et d'oc, est devenu le français. C'est dire que la France
s'est constituée par francisation de peuples et d'ethnies extrêmement
divers. Le multiséculaire processus de francisation ne s'est pas effectué
seulement en douceur, mais il ne s'est pas effectué seulement par la
force. Il y a eu brassages et intégration dans la grande nation, sans que
se perdent toutefois des identités devenues provinciales [...] La culture
française est très forte. C'est une culture de villes, et qui comporte un
système éducatif généralisé et puissant. C'est une culture publique et
civique de caractère laïque, et c'est cette laïcité qui seule est capable

66
d'intégrer politiquement et intellectuellement, donc alors d'accepter et
d'accueillir les diversités ethniques. « C'est la culture laïque qui
constitue à la fois un des caractères les plus originaux de la France et la
condition sine qua non de l'intégration de l'étranger ». [...] J'en témoigne
: fils d'immigré, c'est { l'école et { travers l’histoire de France que s'est
effectué en moi un processus d'identification mentale. Je me suis
identifié à la personne France, j'ai souffert de ses souffrances
historiques, j'ai joui de ses victoires, j'ai adoré ses héros, j'ai assimilé
cette substance qui me permettait d'être en elle, à elle, parce qu'elle
intégrait à soi non seulement ce qui est divers et étranger, mais ce qui
est universel. Dans ce sens, le « nos ancêtres les Gaulois » que l'on a fait
ânonner aux petits Africains ne doit pas être vu seulement dans sa
stupidité. Ces Gaulois mythiques sont des hommes libres qui résistent à
l'invasion romaine, mais qui acceptent la culturisation dans un Empire
devenu universaliste après l'édit de Caracalla. Dans la francisation, les
enfants reçoivent de bons ancêtres, qui leur parlent de liberté et
d'intégration, c'est-à-dire de leur devenir de citoyens français [...] 75 Des
nations à la Nation. Apprendre et conceptualiser L'originalité française
demeurera, puisque, répétons-le l’histoire de France se confond avec
l'histoire de la francisation. "

Rappelons-nous qu’avant le XVIème siècle le concept de l’État n’avait


aucune signification précise dans le langage politique. On utilisait plutôt des
notions comme la république, la couronne, l’empire, le règne pour désigner
un État. Lorsque l’État fut introduit dans le lexique politique au XVIème
siècle, il désignait vaguement le rang social comme l’indique son synonyme
latin Status. Et c’est { partir du XVIIème siècle que sa signification évoluera
pour designer cette forme impersonnelle et souveraine d’organisation de la
collectivité politique.

67
Charles Tilly nous propose une analyse historique et comparative de la
formation de l’État moderne en Europe qui s’étend sur 1000 ans, de 990 {
1990. Pour ce faire, il commence par comparer les organisations
criminelles, pour la plupart basée sur le « racket », une sorte de rançonnage,
des populations sous leur « contrôle » en échange d’une protection, et le
système de formation des États, par l’emploi de la force contre tout
concurrent interne et externe. L’accumulation et la centralisation des
moyens de coercition et de guerre, associée avec l’accumulation du capital
par le prélèvement fiscal, constituent l’élément explicatif essentiel de la
genèse de l’État en Europe. Il s’ensuit que : « La poursuite de la guerre par
les détenteurs du pouvoir les a entraînés, bon gré ou mal gré, afin de
pouvoir faire la guerre, à prélever des ressources sur les populations
qu'ils dirigeaient et à encourager l'accumulation du capital chez ceux
qui pouvaient les aider à emprunter et à acheter. L'interaction de la
guerre, du prélèvement de ressources et de l'accumulation du capital a
influé sur la construction de l'État européen. Les détenteurs du pouvoir
ne se sont pas livrés à ces trois activités capitales avec l'intention de
créer des États-nations - des organisations politiques étendues,
autonomes, différenciées et centralisées. La plupart du temps, ils
n'avaient pas non plus prévu que la guerre, le prélèvement de
ressources et l'accumulation du capital feraient émerger des États-
nations.

En fait, les individus qui contrôlaient les États européens et les États en
construction faisaient la guerre afin de freiner ou de dominer leurs
concurrents et de profiter des avantages du pouvoir sur un territoire
aux frontières sûrement établies ou encore plus étendues. Pour
accroître l'efficacité de la guerre, ils ont essayé de trouver plus de
capital. A court terme, ils pouvaient acquérir ce capital par la conquête,

68
en vendant leurs avoirs ou bien en contraignant ou en dépossédant ceux
qui accumulaient du capital. Sur le long terme, cette quête les a
inévitablement amenés à établir une relation régulière avec des
capitalistes susceptibles de leur apporter des crédits. Ils ont dû aussi
imposer une forme de taxation régulière des personnes et des activités à
l'intérieur des territoires sur lesquels ils exerçaient leur autorité. Au
cours de ce processus, ceux qui ont édifié les États ont développé un
intérêt durable pour l'organisation de l'accumulation du capital. Les
différences dans la difficulté pour collecter les impôts, dans les coûts des
forces armées utilisées, dans l'importance des guerres à mener pour
repousser les concurrents, expliquent les principales variations dans la
forme des États européens. Mais tout a commencé, pour les détenteurs
de pouvoir, par la tentative de monopoliser les moyens de contrainte à
l'intérieur d'un territoire délimité ».

Hans Kelsen propose une définition foncièrement différente de l’Etat,


puisque ce dernier demeure avant tout, et contrairement à la perception
sociologique de Max weber, un ordre de contrainte réglant la conduite des
hommes dans une société donnée. Cela fait de lui un ordre juridique
centralisé. De ce fait, la distinction de l’Etat et du droit n’a plus aucun sens.
L’Etat ne peut dans cette perspective qu’être un Etat de droit. Cela signifie
que l’Etat est un ordre de contrainte relativement centralisé qui compte
certaines garanties institutionnelles spécifiques pour assurer la légalité des
actes d'application du droit et la liberté individuelle des sujets soumis au
droit. Hans Kelsen formule ce postulat comme suit « L'État est donc un
ordre juridique, mais tout ordre juridique n'est pas un État. Ii ne le
devient qu'au moment où il établit certains organes spécialisés pour la
création et l'application des normes qui le constituent. Il faut par
conséquent qu'il ait atteint un certain degré de centralisation ». De

69
cette manière l’Etat devient « un ordre juridique d'une espèce
particulière… toute son activité se présente nécessairement sous la
forme d'actes juridiques, d'actes créant ou appliquant des normes
juridiques ».

Selon la théorie pure de droit de Hans Kelsen, les actes de l’Etat, en tant
que personne de droit, ne peuvent être que des actes humains qui sont
attribués à l'Etat, personne morale. Autrement dit, ils sont des actes qui
reviennent à cette institution supposée constituée la personnification de
l'ordre juridique. Du coup, le dualisme de l'Etat et du droit ne repose sur
aucune connaissance scientifique, mais une simple hypothèse ayant une
fonction essentiellement politique. Kelsen estime que « En tant
qu’organisation politique, l’État est un ordre juridique. Mais tout
ordre juridique n’est pas un État ; ni l’ordre juridique pré-étatique des
sociétés primitives, ni l’ordre juridique international, supra-étatique
ou inter étatique ne représente un État. Pour être un Etat, il faut que
l’ordre juridique ait le caractère d’une organisation au sens le plus
étroit et le plus spécifique de ce mot, c’est-à-dire qu’il institue pour la
création et l’application des normes qui le constituent des organes
spécialisés ; il faut qu’il présente un certain degré de centralisation.
L’État est un ordre juridique relativement centralisé (…) Le problème
de la qualité de personne juridique de l’État [est celui de] sa qualité de
sujet agissant et de sujet d’obligations et de droits (…) »

Ainsi, l’identification de l’Etat au droit permet de concevoir « …le droit


comme une technique d’organisation du pouvoir dans lequel une
autorite supérieure délègue des compétences { des autorités
subordonnées tout en leur donnant des directives relatives au contenu
des décisions qu’elles doivent prendre » . Vu de cet angle « l’Etat n’est

70
pas autre chose que le nom que l’on donne au pouvoir politique lorsqu’il
s’exerce dans une certaine forme, la forme juridique ».

Michel Troper reprend cette approche juridique de l’Etat en supposant que


l’Etat de droit est un type particulier d’organisation du pouvoir politique
dans lequel existe une hiérarchie des normes.

Cette perception de l’Etat permet ainsi de rompre avec le débat classique


autour de la question du rapport de l’Etat au droit, puisque l’un est l’autre
n’est qu’une seule chose, et que la limitation de l’Etat par le droit n’est pas
fondée. Dans cette perspective, l’Etat n’est qu’un pouvoir organisé, et le
droit n’est qu’une technique parmi d’autre d’exercice du pouvoir politique,
c’est { dire de l’Etat.

A cette enseigne, Il faut noter que l’Etat n’est plus considéré comme une
institution monolithique doté d’une conscience singulière de lui-même et
de son monde, mais comme une méga institution qui comprend des
ensembles hétérogènes, perméables et parfois partiellement incohérents
d'organisations et d'arrangements. L'État est multiple dans ces aspects et
dimensions. Il renvoie à cette mégainstitution polycentrique et polyvalente
qui domine, traverse et pénètre l’ensemble de l’espace social et territorial
qui lui est soumis. Il peut adopter des positions contradictoires, comme
lorsqu’il essaie de défendre l’émancipation de la femme toute en
maintenant un enseignement conservateur et religieux qui refuse à celle-ci
toute égalité avec l’homme et toute possibilité de disposer de son corps ; ou
lorsqu’il cherche { adopter des politiques qui visent { réduire les émissions
de Gazes à effet de serre toute en encourageant des industries et des
agricultures très énergivores et polluantes.

§2. Les fluctuations de l’Etat moderne

71
Rappelons-nous qu’avant le XVIème siècle le concept de l’État n’avait
aucune signification précise dans le langage politique. On utilisait plutôt des
notions comme la république, la couronne, l’empire, le règne pour désigner
un État. Lorsque l’État fut introduit dans le lexique politique au XVIème
siècle, il désignait vaguement le rang social comme l’indique son synonyme
latin Status. Et c’est { partir du XVIIème siècle que sa signification évoluera
pour designer cette forme impersonnelle et souveraine d’organisation de la
collectivité politique.

Il faut reconnaitre que la genèse l’État nation en Europe n’explique pas


comment cet État qui au départ un État situé en occident s’est universalisé
pour devenir l’État, comme s’il était la seule forme d’organisation politique
du pouvoir dans le monde moderne.

Durant les deux derniers siècles, l’État s'est donc diffusée { partir l’Europe {
l'ensemble de la planète en plusieurs phases successives. Il s’est imposé
d’abord au début du XIXème siècle en Amérique Latine, puis en Europe avec
l’éclatement des grands empires (ottoman, russe, austro-hongrois).

Dans la même période, il s’est exporté au Japon, en Chine et en Turquie,


comme aboutissement logique de l’occidentalisation de l’économie
internationale.

Enfin, le processus de décolonisation après la Seconde Guerre mondiale va


amener les mouvements d'indépendance nationaux à choisir le modèle
d'organisation politique occidental, soit par mimétisme lié { l’imitation de
la rationalité bureaucratique occidentale soit par pragmatisme politique qui
implique la récupération d’un modèle d’organisation politique moderne et
efficace déjà en place.

Toutefois, l’importation de l’État par les pays du tiers monde s’est


accompagnée par une importation massive des procèdes et des institutions

72
liées aux fonctions de représentation et de fonctionnement de l’État lui-
même (partis politiques, constitution, parlement, administration, Droit…).
Cela avait pour corolaire l’acclimations de l’État et ses instances avec la
nature et les valeurs des sociétés d’accueil. Le résultat fut que l’État
occidental, grâce à son élasticité institutionnelle et ses prétentions
universalistes, avait pu s’implanter dans tous les pays et s’adapter avec
toutes les cultures et las civilisations. Or c’est justement cette inadéquation
(extranéité) entre la forme de l’État et les valeurs sociétales qui a été la
source des tensions et de la fragilité des constructions étatiques en zones
extra-occidentales. Les acteurs sociaux refusent souvent de donner une
quelconque légitimité aux institutions politiques et au jeu politique ce qui
entraine une contestation permanente de l’ordre institutionnel établie qui {
son tour se répercute négativement sur la stabilité politique de ces pays.

Et si les États nations occidentaux avaient pu naitre et évoluer en l’absence


d’un modèle contraignant, les États du tiers monde, en Asie, en Afrique et
en Amérique latine, sont nés d’une manière forcée { cause notamment de la
mondialisation de l’économie capitaliste et du colonialisme, qui avaient
obligés les sociétés non occidentales à se doter dans les plus brefs délais de
structures Étatiques nationales pour faire leur entrée dans la scène
internationale. En ce faisant elles ont été amenées à subir un long processus
de déstructuration sociale qui avait entrainé l’effondrement des structures
politiques traditionnelles sans pour autant que cela ne favorise
l’implantation et l’enracinement des structures et des rôles politiques
modernes. La déstructuration de la tribu, des zaouïas, des chefferies
traditionnelles, de la famille et des clans, qui jouaient un rôle primordial
dans la socialisation politique des individus n’a pas été palliée par le
renforcement des structures de socialisation politique moderne comme, les
partis politiques, les médias, l’école, l’entreprise…etc. le résultat était

73
l’édification des États sans support sociologique et économique de sa
stabilité.

En définitive, les États nations modernes se situent nécessairement aux


intersections entre les ordres sociopolitiques nationaux et les relations
transnationales au sein desquelles ils doivent lutter pour survivre et
obtenir des avantages par rapport aux autres États.

Exercice de TD N° 8

Décrivez brièvement comment l’Etat nation moderne est né et comment


il s’est universalisé ?

Décrivez brièvement, en vous appuyant sur une introduction et un plan


en deux parties, les différentes méthodes de la science politique
contemporaine.

Chapitre 3. Le pouvoir comme objet de la science politique


Le concept du pouvoir occupe une place importante dans la science
politique, au point que certains l’on qualifié de science du pouvoir. Et
comme le pouvoir n’a aucune substance physique propre { lui dans la
nature, sa définition ne peut alors toucher que ses manifestations sociales
logiquement observables. En d’autres termes, aucune définition
substantialiste ne peut rendre compte scientifiquement de ce phénomène.
La raison est qu’il n’est pas une chose mais une situation qui prend
naissance et forme dans les relations des hommes. De ce fait, on peut
avancer avec Max weber qu’il est « toute chance de faire triompher au
sein d'une relation sociale sa propre volonté, même contre des
résistances, peu importe sur quoi repose cette chance. ». On peut aussi
suggérer avec Robert Dahl que le pouvoir est une relation interindividuelle

74
asymétrique entre des individus qui présentent une inégalité de ressources
ou de capacités : "le pouvoir d’une personne A sur une personne B, c’est
la capacité de A d’obtenir que B fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas
fait sans l’intervention de A".

En fait, il serait faux de réduire le pouvoir en son aspect négatif, c’est { dire
comme un système de règles et de principes prohibitifs, qui tend à limiter la
liberté des individus et des groupes, ou comme mécanisme oppressant.

Il serait également abusif de considérer le pouvoir comme l’apanage de


l’Etat et de ses institutions répressives. Il est partout et traverse toute la
société de haut en bas et peut prendre une multitude de formes et de
manifestations si l’on admet la proposition de Michel Foucault selon
laquelle, le pouvoir ne s’exerce pas uniquement par la violence ou la
prohibition, ou même par l’obligation faite { ceux qui ne le possèdent pas,
« … il les investit, passe par eux et à travers eux, il prend appui sur eux. »

Sur le plan constitutionnel cette assertion trouve sa justification dans le fait


que les limites au pouvoir que les constitutions imposent à ceux qui
gouvernent comme à ceux qui sont gouvernés au lieu de les priver de leur
liberté d’action créent de nouvelles perspectives et opportunité de
coopération entre eux et de là de nouvelles libertés.

Le pouvoir, selon Norbert Elias, « n’est pas une amulette que l’un possède
et l’autre non », mais « une particularité structurelle des relations
humaines de toutes les relations humaines ».

Cette maniere de voir implique que les phenomenes de domination


occupent une place importante dans les rapports humains. Il s’ensuit que la
societe n’est pas necessairement une entité intégrée, elle n’est ni
homogène, ni harmonieuse. Cette approche du pouvoir permet de vérifier

75
les rapports et les clivages entre les différents groupes sociaux dans
plusieurs contextes sociopolitiques (groupes au pouvoir, groupes
marginaux, groupes prétendants …). Pour N. Elias, la pacification des
rapports sociaux passe d’abord par l’individuation du pouvoir social, c’est-
à-dire par l’inculcation aux individus d’intérioriser les différentes
contraintes légales, qui prend la forme de l’autocontrôle de leurs pulsions
sexuelles, alimentaires, belliqueuses et de leurs passions. Au point où le
corps des individus se transforme lui-même en un outil de contrôle
politique pour le bien-être et la survie de toute la société. Du coup,
l’éducation et le contrôle de soi ainsi que l’intériorisation de la discipline
sociale constituent la source même de tout pouvoir politique. Ce dernier
devient en quelque sorte le pouvoir sur le corps des individus. La
disciplines des corps est, de ce fait l{, { l’origine du processus de la
pacification des meurs sociales.

Le mot pouvoir est souvent utilisé comme pour se référer à un objet isolé
dans un état statique et immuable. Or, le pouvoir exprime une relation
entre deux ou plusieurs hommes, ou peut-être même entre des hommes et
des objets naturels, il est plutôt une caractéristique des relations entre les
individus. Du coup, Il renvoie à des situations extrêmement changeantes, au
point même où il est devenu imprécis. Elias préfère employer à sa place les
termes « potentiel de puissance » ou « potentiel de puissance relative ». De
ce fait, le pouvoir est avant tout une relation et non une possession. Il est
continuellement changeant selon le changement de l’équilibre des rapports
des acteurs sociaux dans la durée.

Autrement dit, le pouvoir ne se possède pas, mais il s’exerce par une


quantité de stratégies et de techniques qui ne sont pas toutes monopolisées
par l’Etat. De ce fait, il est judicieux de voir qu’est ce qui rend le pouvoir

76
politique si spécifique par rapport aux autres formes du pouvoir.

Le pouvoir se distingue de l'autorité en ce sens que cette dernière repose


sur la persuasion et l’acceptation de ceux qui le subissent, alors que le
pouvoir est exercé par des pressions sociales intenses qui peuvent aller de
la simple manipulation à la coercition.

Hanna Arendt avance une autre conception du pouvoir politique qui se


démarque foncièrement par rapport à la majorité des philosophes
politiques. Pour elle, définir le pouvoir comme un rapport de domination
de l’homme sur l’homme serait une erreur de jugement sur la nature
intrinsèque de la politique. Car, cela suppose que la violence serait au cœur
même de toute forme de pouvoir de la politique. Or, bien que pouvoir et
violence soient souvent associées et ont des manifestations communes,
cette dernière n’est en réalité qu’un des instruments que le pouvoir utilise
pour s’assoir. Ainsi, penser le pouvoir en termes de commandements et
d’obéissance, ne se justifie que devant en est une des manifestations
caractéristiques, c’est à dire le pouvoir du gouvernement, Comme si la
violence constitue la condition indispensable du pouvoir. De cette manière,
on peut dire que l’assimilation courante du pouvoir et de la violence vient
du fait que le gouvernement est lui-même défini par la domination de
l’homme sur l’homme par la violence.

Hanna Arendt souligne qu’historiquement, il n’y a jamais eu de


gouvernement qui soit exclusivement fondé sur l’emploi de la violence. Cela
dit, le pouvoir constitue l’élément essentiel de toute forme de
gouvernement, puisque ce dernier n’est en définitive qu’un pouvoir
organisé et institutionnalisé.

Cette conception arendtienne suppose que le pouvoir peut être toujours

77
détruit par la violence et que si cette dernière ne peut en constituer la
source, bien qu’elle le serve, car le règne de la pure violence ne peut
s’établir qu’à partir du moment où le pouvoir commence à se perdre. En
fait, « le pouvoir et la violence s’opposent par leur nature même ; lorsque
l’un des deux prédomine, l’autre est éliminé. » Cela implique que la
violence peut détruire le pouvoir, mais elle est parfaitement incapable de le
créer.

Dans cette perspective, Hanna Arendt conclut qu’il faut exclure cette
confusion entre le pouvoir et la violence ou la domination qui est nait sur la
base d’un préjugé plutôt que d’une réalité expérimentée. Du coup, ce qui est
central dans la politique n’est ni le pouvoir ni la domination, mais l’autorité
qui semble disparaitre avec les désastres de la violence des mouvements
totalitaires et des guerres qu’ils ont causés. Il s’ensuit que la question de
l’autorité revêt une importance cruciale en politique puisqu’elle repose sur
deux caractéristiques essentielles qui la différencient du pouvoir à savoir :
l’obéissance et la non-violence. « Puisque l'autorité requiert toujours
l'obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de
violence. Pourtant l'autorité exclut l'usage de moyens extérieurs de
coercition ; là où la force est employée, l'autorité proprement dite a
échoué. L'autorité, d'autre part, est incompatible avec la persuasion qui
présuppose l'égalité et opère par un processus d'argumentation. Là où
on a recours à des arguments, l'autorité est laissée de côté. Face à
l'ordre égalitaire de la persuasion, se tient l'ordre autoritaire, qui est
toujours hiérarchique. S'il faut vraiment définir l'autorité, alors ce doit
être en l'opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion
par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et
celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune ni sur le pouvoir de
celui qui commande ; ce qu'ils ont en commun, c'est la hiérarchie elle-

78
même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux
ont d'avance leur place fixée. »

1. La spécificité du pouvoir politique

De tous les pouvoirs sociaux, le pouvoir politique se distingue par sa


territorialisation, c’est { dire par le fait qu’il s’exerce { l’intérieur d’un
territoire géographiquement déterminé par l’application et la menace d’une
contrainte physique (violence) de la part de cette organisation qui
monopolise la violence légitime qu’on dénomme communément l’Etat.
Autrement dit, le pouvoir politique se définit par l’exercice et le monopole
dévolus { l’Etat et { ses institutions de la violence légitime sur un territoire
donné, c’est-à-dire, de cette violence jugée par la population comme
indispensable pour le bon fonctionnement de toute la société. A ce titre, le
pouvoir politique implique toute forme de pouvoir émanant de l’Etat ou
de ses institutions qui vise à commander et orienter une population
donnée sur un territoire donné dans le but de répartir autoritairement
les ressources matérielles et symboliques ayants une valeur au sein
d’une société. En fait, le qualificatif politique du pouvoir, renvoie
directement { son caractère étatique et public. C’est-à-dire à son émanation
de l’Etat et de ses institutions.

Dans ce cadre, il faut noter que le pouvoir politique désigne en général soit
la capacité d’agir, ou le droit d’agir de l’Etat, sur la collectivité nationale en
vue d’obtenir d’elle un comportement ou une action qui serait difficile ou
impossible { obtenir autrement. L’Etat, ayant la capacité matérielle,
technique et humaine pour faire exécuter ses décisions, agit
autoritairement sur le comportement des individus et des groupes. On
parle alors d’un pouvoir d’agir de l’Etat qui est latent. Mais, il se peut que
l’Etat agisse sur les individus et les groupes, justement parce que le Droit (la

79
constitution, les lois..) le lui permettent. On parle alors d’un pouvoir et
d’une contrainte politique légitime.

A l’origine, c’est Max weber qui a pu nous fournir la définition la plus


pertinente du pouvoir, quand il a développé ses deux principaux concepts
de Macht (puissance de coercition) et Herrschaft (pouvoir comme autorité).
où il identifie le pouvoir comme la capacité d'un acteur (individu,
institution, groupe, partis politique, famille...), dans un rapport social, de
modifier le comportement d'un autre, par la pression, la force ou par
d'autres formes de domination non coercitives. L'autorité, selon weber
implique nécessairement le « pouvoir de commander et le devoir d'obéir ».

Généralement, le pouvoir politique est cette capacité, dont dispose l’Etat


d’agir autoritairement sur les comportements et la vie des citoyens dans le
cadre du territoire national. On est l{ en présence d’une autorité et d’une
contrainte institutionnalisées et manifeste, c’est { dire organisées au sein
d’un certain nombre d’institutions et régulées par d’innombrables de
normes et de lois obligatoires. La nature même de tout pouvoir politique est
d'obtenir la soumission des membres de la société sous menace de
contraintes physiques.

Le pouvoir politique n’est alors qu’une des multiples facettes que peut
revêtir le pouvoir : pouvoir religieux, pouvoir économique, scientifique...De
plus, le pouvoir n’est pas nécessairement concentré dans l’Etat et ses
institutions, en ce sens que d’autres institutions sociales peuvent elles aussi
le produire et l’exercer comme les partis politiques, la famille, les syndicats,
l’école, les zaouïas, les organisations de la société civile…

Force est de constater que les États modernes prétendent exercer leur
souveraineté exclusive sur l'ensemble de la société, c'est-à-dire le pouvoir

80
édicter des règles pour tous les domaines de la société. Toutefois, cette
prétention, ne s’est jamais pleinement réalisée. Les champs existants dans
un État reflètent toujours les luttes historiques et en cours entre les champs
étatiques et les champs non étatiques.

2. Les modalités de l’exercice du pouvoir

Michel Foucault estime que le pouvoir ne se possède pas par les individus,
mais il s’exerce. De l{, la vraie question n’est pas de savoir qu’est-ce que le
pouvoir, mais comment il s’exerce par ceux qui le détiennent, par quels
mécanismes il s’exerce, et quels sont ses lieux d’exercice (tactiques,
techniques, stratégies, règles, enjeux, objectifs…) ; (la prison, les asiles
psychiatriques, les écoles, les ateliers, l'armée, la famille…)

Il faut noter que si le phénomène du pouvoir est universel et naturel ses


modalités d’exercice ont fluctué durant l’histoire. Mais, depuis le milieu des
années cinquante on a commencé { voir naitre l’Etat providence en occident
et avec lui une nouvelle forme de pouvoir politique. On est donc passé selon
Michel Foucault, d'un pouvoir qui « fait mourir ou laisse vivre » à un système
qui « fait vivre ou laisse mourir ».

Généralement, le pouvoir politique peut prendre plusieurs formes lors de


son exercice.

a. Distinction selon le nombre de ceux qui exercent le pouvoir

On peut dès lors distinguer trois formes principales selon le nombre de


ceux qui l’exercent :

 Le pouvoir d’un seul ; (Roi, despote, président, consule, chancelier,) qui


exerce { lui seul tous les pouvoirs politiques. On parle alors d’un pouvoir
autocratique. Ce type de pouvoir peut dériver vers un pouvoir

81
personnifié et personnalisée dans la personne même de l’autocrate. En
d’autres termes, l’autocrate incarne physiquement le pouvoir politique
lui-même et concentre entre ses mains l’essentiel de ses attributs.

 Le pouvoir d’une minorité. (Oligarchie, aristocratie, technocratie,


ploutocratie, gérontocratie,...) dans ce cas, le pouvoir politique est exercé
par une minorité ou par une élite restreinte qui demeure étrangère par
rapport aux restes de la population. Dans ce cas le pouvoir politique
circule uniquement { l’intérieur du cercle du pouvoir détenu par la
minorité. Il se transmet soit, par hérédité, soit par, cooptation, soit par
tirage au sort, soit même par la désignation. L’objectif de ce type de
pouvoir est de rester toujours { l’intérieur du groupe minoritaire qui
gouverne.

 Le pouvoir de la multitude, (Démocratie). Ce type de pouvoir politique


s’exerce par la foule, ou la masse des citoyens indépendamment de leurs
origines, classes, richesses, religion. Ce type d’exercice du pouvoir se
base essentiellement sur le facteur nombre et sur la majorité numérique
pour prendre les décisions qui s’imposent { toute la société. Cette forme
d’exercice du pouvoir politique semble être la moins personnalisé
puisque le choix des détenteurs du pouvoir n’obéit { aucun critère
sélectif particulier. De plus ce type de pouvoir se prête le plus pour le
processus { l’institutionnalisation étant donné que la ou les personnes
détentrices du pouvoir ne peuvent prétendre s’assimiler à leur poste ou
le détenir en dehors des règles fixées par la majorité des citoyens.

b. Distinction selon la légitimité du pouvoir

On peut aussi distinguer d’autres formes d’exercice du pouvoir, selon


son caractère dissuasif et son acceptation (légitimité) de la part de ceux

82
qui le subissent. Dans ce cas, trois formes de légitimité du pouvoir
peuvent être évoquées :

 La légitimité rationnelle, qui repose sur la croyance de tous les


citoyens en la légalité (la conformité au Droit) des décisions et des
ordres dictés par ses détenteurs. Dans ce cas, on parle d’un pouvoir
institutionnalisé et légale, c’est { dire qui s’exerce en vertu de sa
conformité avec les lois et les normes des institutions politiques. Les
détenteurs du pouvoir n’ont dans ce cas aucun rapport avec le lieu du
pouvoir. Le lieu du pouvoir politique se trouve dans les institutions et
non dans les personnes qui l’exercent.

 La légitimité traditionnelle : qui repose sur la soumission des sujets


à la sainteté et aux traditions sociologique et religieuses qui font de
lui une chose sacrée et mystique qui inspire la peur et le respect de la
part de ceux qui le subissent. L’obéissance des sujets { ceux qui
détiennent le pouvoir est dictée par des règles sacrées transmises de
génération en génération. Celui qui détient le pouvoir n’est pas un
supérieur de ceux qui obéissent mais simplement un seigneur dont le
pouvoir est personnel, et qui est entouré de serviteurs et de sujets.

 La légitimité charismatique : qui se base sur la soumission totale


quasi sacrée au chef charismatique dont les vertus, la valeur,
l’héroïsme et le courage dépasse ceux de ses semblables. L’obéissance
des citoyens est garantie grâce aux qualités personnelles du chef et
non à un quelconque ordre légal ou institutionnel. Le chef
charismatique constitue de ce fait le lieu même du pouvoir politique.
Il communique ses ordres et ses décisions à son peuple en dehors des
institutions politiques, puisque ces dernières ne peuvent prétendre à
aucune légitimité en dehors de sa personne. Ce type de pouvoir est

83
souvent un pouvoir personnifié et personnalisé dans et par la
personne du chef. il peut dévier vers un type de pouvoir autocratique,
despotique, ou même totalitaire.

De toute manière, l’exercice du pouvoir politique ne peut reposer


uniquement sur la violence, il requiert inexorablement un minimum de
légitimité de ceux qui l’exercent.

c. Les sources du pouvoir politique

De manière générale, les détenteurs du pouvoir politique se distinguent de


leur semblable par une qualité ou par un certain nombre de qualités
personnelles qui les valorisent aux yeux de la communauté. Parmi ces
qualités qui confèrent à certains de devenir chefs et détenteurs du pouvoir
politique on peut citer :

1. La descendance d’une famille de rois, saints, notables,... l’hérédité


joue alors un rôle déterminant dans l’accession de l’individu au pouvoir en
ce sens que l’appartenance au clan ou { la famille qui règne suffit { elle seul
pour devenir un chef détenteur du pouvoir ou pour faire partie du cercle de
ceux qui gouvernent. La descendance comme critère d’accession au pouvoir
est pratiquée dans les régimes politiques, oligarchiques, aristocratiques,
monarchiques...

2. La richesse ; souvent les chefs politiques font partis des familles les plus
riches dans la société. La richesse permet à ceux qui la détiennent
d’influencer directement le comportement des autres, en ce sens qu’elle
permet de récompenser la soumission et l’édilité des autres. On appelle le
type de pouvoir qui est basé sur la richesse la Ploutocratie.

3. Le savoir, et la bonne parole ont eu souvent un impact décisif sur les

84
comportements des hommes. Et comme le savoir et la parole sont
inégalement répartis dans les sociétés, ceux qui les détiennent arrivent
parfois à se frayer un chemin vers le pouvoir politique pour devenir des
chefs ou simplement pour faire partis des cercles rapprochés du pouvoir
politique. Le pouvoir des savants et des érudits est appelé technocratie. Le
savoir et la parole deviennent alors le fondement même de la légitimité
politique.

4. Le charisme, c’est { dire l’ensemble des qualités personnelles


exceptionnelles du chef politique, courage, héroïsme, sagesse, générosité,
paternalisme, montreur de conduite... qui constituent le fondement de la
légitimité et du pouvoir politique du chef. on obéit au chef, non pas à cause
du pouvoir de contrainte dont il dispose, mais parce qu’il bénéficie d’une
acceptation préalable des sujets qui croient en lui et en ses qualités
exceptionnelles au point de devenir docile. L’obéissance au chef
charismatique constitue un signe de reconnaissance et de confiance que les
sujets manifestent à son égard. Le chef devient alors le centre du pouvoir
politique, et il est entouré de plusieurs cercles de serviteurs de confiance
qui n’ont aucune légitimité politique propre en dehors de celle que le chef
leur procure. Le charisme n’est pas une situation politique statique et
stable, car il est attaché à la personne du chef lui-même. Une fois ce denier
disparait, son charisme est alors amené à changer de caractère, soit en se
rationnalisant en se basant sur des institutions durables, soit en se
traditionalisant en se basant sur l’histoire exceptionnelle de l’ex-chef qui
devient un critère de sélection des chefs politiques à venir.

5. La tradition, le chef détenteur du pouvoir politique et l’étendue de ses


pouvoirs sont alors fixés selon des règles anciennes transmises de
génération en générations. Le chef politique n’est pas un supérieur

85
hiérarchique de ses sujets. Il est un saint auquel la tradition et les règles
sacrées (religion) confère le statut de chef en vue d’appliquer le pouvoir des
divinités, ou de forces extranaturelles. Le chef traditionnel devient ainsi le
gardien de la tradition et de la parole des divinités et des forces protectrices
de la communauté. Les sujets en obéissant à leur chef ne font qu’obéir { un
ordre divin ou surnaturel protecteur en quoi ils croient.

6. Le hasard, beaucoup de chef politique ont accéder au pouvoir non pas


grâce leur charisme, talent, ou appartenance sociale, mais grâce a un pur
concours de circonstances qui avait facilité leur accès au pouvoir. Le hasard
peut jouer en faveur d’un chef politique en cas de décès, maladie,
déchéance, élimination, abdication, tirage au sort, coup d’Etat... d’un
prétendant favori au pouvoir. (Bachar al Assad, Staline, poutine, abdication
du Roi Edward VIII en 1936 en faveur de son frère Georges VI, Napoléon,
Mandela, ...).

7. Le réseau politique, la place que peut occuper un individu ou un groupe


d’individus dans Les réseaux politiques influents, c’est { dire dans ces
structures spécifiques de relations (la communication, le soutien,
l'influence, le commandement et le contrôle, l'auto- organisation, la
persuasion, la coalition, les flux commerciaux, la solidarité,...) entre les
acteurs-individuels, collectifs, privés, publics ... peut déterminer largement
leur chance d’accéder au pouvoir politique. Autrement dit, la place
qu’occuperait un acteur dans un ou plusieurs réseaux politiques élitiste et
influent peut être révélatrice de ses chances et de ses capacités de devenir
un chef politique.

86
Exercice de TD N° 9

Décrivez brièvement, en vous appuyant sur une introduction et sur un


plan en deux parties, la spécificité du pouvoir politique et ses modalités
d’exercice

Chapitre 4. Typologie des régimes politiques contemporains


§1 typologie classique des régimes politiques

Déj{ dans l’antiquité Aristote considère qu’un État se définit par rapport {
sa constitution (politéia), c’est-à-dire par rapport { l’ordre selon lequel sont
distribuées et réglées les différentes fonctions politiques. Cet ordre diffère
selon que l’on est devant une assemblée du peuple, un conseil restreint ou
devant un seul individu ; et selon le but poursuivi : intérêt collectif ou
intérêts particuliers de quelques-uns.

« Le gouvernement et la constitution étant choses identiques, et le


gouvernement étant le maître suprême de la cité, il faut absolument que
ce maître soit, ou un seul individu, ou une minorité, ou enfin la masse
des citoyens. Quand le maître unique, ou la minorité, ou la majorité
gouvernent dans l'intérêt général, la constitution est nécessairement
pure ; quand ils gouvernent dans leur propre intérêt, soit dans l'intérêt
d'un seul, soit dans l'intérêt de la minorité, soit dans l'intérêt de la foule,
la constitution est déviée de son but, puisque de deux choses l'une : ou
les membres de l'association ne sont pas vraiment citoyens ; ou s'ils le
sont, ils doivent avoir leur part de l'avantage commun ».

Dans son œuvre Discours sur la première décade de Tite-Live Machiavel


expose sa typologie de la manière suivante :

« Le hasard seul a fait naître parmi les hommes cette variété de


gouvernements ; car, Au commencement du monde, les habitants de la

87
terre étaient en petit nombre… la population s’étant accrue, ils se
réunirent ; et, afin de se mieux défendre, ils commencèrent à distinguer
celui qui parmi eux était le plus robuste ; ils en firent comme leur chef et
lui obéirent. [...]Alors, quand il fut question d’élire un chef, on cessa
d’aller { la recherche du plus courageux, on choisit le plus sage, et
surtout le plus juste ; mais, le prince venant ensuite à régner par droit
de succession et non par le suffrage du peuple, les héritiers
dégénérèrent bientôt de leurs ancêtres ; Vivant dans le luxe, le prince
commença dès lors { exciter la haine ; la haine l’environna de terreur ;
mais, passant promptement de la crainte { l’offense, la tyrannie ne
tarda pas à naître. Telles furent les causes de la chute des princes ; alors
s’ourdirent contre eux les complots mais où l’on vit entrer surtout ceux
qui surpassaient les autres en générosité, en grandeur d’âme, en
richesse, en naissance, et qui ne pouvaient supporter la vie criminelle
d’un tel prince. La multitude s’armait contre le souverain, et après son
châtiment elle leur obéissait comme à ses libérateurs. Ces derniers,
haïssant jusqu’au nom du prince, organisaient entre eux un
gouvernement et …ils conformaient leur conduite aux lois qu’ils avaient
données : préférant le bien public à leur propre avantage, ils
gouvernaient avec justice et veillaient avec le même soin à la
conservation des intérêts communs et particuliers. Lorsque le pouvoir
passa dans les mains de leurs fils, comme ces derniers ignoraient les
caprices de la fortune, et que le malheur ne les avait point éprouvés, ils
ne voulurent point se contenter de l’égalité civile ; mais, se livrant à
l’avarice et { l’ambition, arrachant les femmes { leurs maris, ils
changèrent le gouvernement, qui jusqu’alors avait été aristocratique,
en une oligarchie qui ne respecta plus aucun des droits des citoyens. Ils
éprouvèrent bientôt le même sort que le tyran : la multitude, fatiguée de

88
leur domination, se fit l’instrument de quiconque voulait la venger de
ses oppresseurs, et il ne tarda pas { s’élever un homme qui, avec l’appui
du peuple, parvint à les renverser. On se tourna vers l’état populaire, et
on l’organisa de manière que ni le petit nombre des grands, ni le prince,
n’y obtinrent aucune autorité … de sorte que, tout le monde vivant selon
son caprice ... Fatigué d’une telle licence, on en revint { l’empire d’un
seul, pour retomber encore de chute en chute, de la même manière et
par les mêmes causes, dans les horreurs de l’anarchie. Tel est le cercle
dans lequel roulent tous les États qui ont existé ou qui subsistent
encore. »

Montesquieu quant à lui suggère qu’« Il y a trois espèces de


gouvernements : le Républicain, le Monarchique et le Despotique. Pour
en découvrir la nature, il suffit de l’idée qu’en ont les hommes les moins
instruits. Je suppose trois définitions, ou plutôt trois faits : l’un que le
gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement
une partie du peuple a la souveraine puissance ; le monarchique, celui
où une seule gouverne, mais par des lois fixes et établies ; au lieu que,
dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa
volonté et par ses caprices. Voil{ ce que j’appelle la nature de chaque
gouvernement. Il faut voir quelles sont les lois qui suivent directement
de cette nature, et qui par conséquent sont les premières lois
fondamentales. »

§1Typologie moderne de régimes politiques


Si la démocratie était considérée dans la pensée politique classique comme
le régime politique le moins bon par rapport aux autres formes de
gouvernement, elle est devenue dans la pensée moderne l’idéal type
indispensable à toute typification politique. Cela implique une distanciation

89
par rapport aux typologies classiques qui partent du principe du nombre et
des objectifs de ceux qui gouvernent pour se centrer exclusivement sur le
degré de participation de la masse dans la gestion des affaires politiques. La
participation des citoyens dans les affaires de l’État étant devenue le critère
d’identification de base des régimes politiques, impose l’élaboration d’une
nouvelle grille d’évaluation de performance de participation et de liberté
politique au sein des régimes politiques. De là la nouvelle typologie des
régimes se base sur la démocratie comme régime modèle idéal de tout
système politique. Ce régime peut bien sur englober en son sein toutes les
formes de gouvernement classiques comme la monarchie, l’aristocratie en
ce sens qu’il n’est pas incompatible avec eux. En fait, il s’agit selon la
nouvelle typologie des régimes politiques de vérifier en première instance
si un régime politique est démocratique ou non. Giovanni Sartori pose la
problématique de la manière suivante : la différence entre un régime
démocratique et un régime non démocratique, est-elle une différence de
nature ou de degré. Cette problématique se justifie par le fait que sur 194
États membre de l’ONU, plus des deux tires se réclame comme étant
démocratique. Mais, entre l’auto- identification comme démocratique et
l’identification objective de la démocratie, il existe une grande différence de
taille et de nature.

Toutefois, le régime démocratique porte en soit les germes de sa propre


dénégation voire destruction. Le totalitarisme et l’autoritarisme constituent
deux antipodes de la démocratie en ce sens qu’ils se basent sur des valeurs
politiques de sujétion des citoyens au lieu de leur libération.

§2 Le régime démocratique
La démocratie est une notion qui dérive des mots grecs Démos et Kratos qui
signifient respectivement Peuple et pouvoir. Elle envoie ainsi au pouvoir du

90
peuple dans l’Etat. Abraham Lincoln considère ce régime comme le
gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. Ce régime était
considéré par le penseur politique comme le moins acceptable en ce sens
qu’il offrait injustement le pouvoir politique { la multitude qui est par
nature chaotique et irrationnelle.
Selon Montesquieu, « La démocratie et l'aristocratie ne sont point des
états libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans
des gouvernements modérés. Mais elle n'est pas toujours dans des
gouvernements modérés. Elle n'y est que lorsqu’on n’abuse pas du
pouvoir : mais c'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du
pouvoir est porté { en abuser ; il va jusqu'{ ce qu’il trouve des limites.
Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites.»

Si tout État démocratique est par nature un État de droit (France, Grande
Bretagne…etc.), il n’est pas vérifié que tout État de droit soit un État
démocratique (Allemagne nazie, Italie fasciste, Ex-États du bloc
communiste).

A. La démocratie représentative
Selon une définition devenue désormais classique, la démocratie
représentative est « un système politique où les gouvernants sont élus par les
citoyens et considérés ainsi comme leurs représentants ». La démocratie
représentative est de ce fait, une des formes les plus répandues des
systèmes de gouvernement dits démocratiques, dans la mesure où le peuple
souverain, étant dans une impossibilité objective et technique d’exercer lui-
même le pouvoir législatif, il le délègue à ses représentants lors des
élections. Ces derniers ont l’avantage d’être qualifiés pour discuter les
affaires publiques sans pour autant qu’ils ne reçoivent des instructions
directes de la part de ceux qui l’ont choisi.

91
La démocratie ne peut être dissociée de sa dimension intrinsèquement
représentative étant donné que l’origine de tous les pouvoirs réside dans la
nation dépositaire de la souveraineté.
La démocratie représentative repose ainsi sur les principes suivants :
1. La souveraineté appartient exclusivement à la nation,
2. Les gouvernants sont désignés par des élections libres, transparentes et
régulières,
3. Les élus sont indépendants de leurs électeurs car ils représentent la
nation entière.
4. Le parlement est le centre de tous les pouvoirs politiques,
5. La justice est indépendante par rapport aux autres pouvoirs,
6. Les droits et libertés fondamentaux des citoyens sont garantis,
7. Le pluralisme partisan est institutionnalisé.

Les principes fondateurs du mode de gouvernement démocratique

92
La démocratie représentative se distingue de la démocratie directe en ce
sens qu’elle se repose sur l’idée de la souveraineté nationale au lieu de la
souveraineté populaire. Cela signifie que le citoyen électeur n’est pas
titulaire de la souveraineté. Cette dernière appartient plutôt à la nation qui
est une entité, abstraite, collective et indivisible, différente des individus qui
la composent. Les élus représentent ainsi la nation toute entière et n’ont
aucune directive à recevoir de ceux qui les ont élus.
Généralement, la démocratie représentative demeure un mode de
gouvernement ou les citoyens électeurs ne font que jouer un rôle, qui est
celui de contribuer, par leur vote, { l’expression de la volonté générale de la
nation.
Le parlement est le lieu où se manifeste cette volonté générale de la nation
qui demeure indépendante est souveraine.
Une telle vision de la démocratie qui sépare les élus de leur base sociale
avait entrainé un renforcement démesuré des rôles de l’institution
parlementaire et des députés qui y siègent au point d’être qualifié du
parlementarisme absolu, ou de l’absolutisme de la loi. L’indépendance quasi
totale du parlement par rapport au peuple fait de lui le détenteur effectif de
la souveraineté.
Ce mode de gouvernement a fini par engendrer une élite parlementaire
professionnelle, coupée de la réalité sociale et une institution
représentative sans rapport avec ceux qu’elle est censée représenter.
Ce modèle souffre également de son caractère ultra conservateur en ce sens
que le benchmark historique révèle qu’il était plutôt un facteur de stabilité
politique que de changement, et ce en dépit de l’introduction du suffrage
universel directe et secret à partir de 1848 en France et 1962 au Maroc.
On peut aussi lui reprocher son insensibilité flagrante { l’égard du genre et
des couches sociales vulnérables, dans la mesure où la citoyenneté se

93
confond souvent avec le droit de vote qui est plus un prestige dont jouissent
uniquement ceux qui en possèdent les moyens : les hommes, les nationaux,
les lettrés…etc.,
B. La séparation des pouvoirs
La séparation des pouvoirs serait un principe constitutionnel d’origine
doctrinaire remontant à John Locke et à Montesquieu qui consiste à prévenir
les abus du pouvoir politique en confiant chacune des trois fonctions
principales de l’État (législative, exécutive et juridictionnelle) { un organe
politique distinct.

Encadré de Montesquieu

« Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la


puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de
liberté ; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat
ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.

Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la


puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance
législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car
le juge serait législateur.

Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un
Oppresseur ».

La théorie de la séparation des pouvoirs se base sur les principes politiques


et philosophiques libéraux suivants :

94
 Le pouvoir est intrinsèquement incompatible avec la liberté des citoyens,
car il est par nature oppressif ;
 Seul le pouvoir peut arrêter la pouvoir.

Généralement la séparation des pouvoirs peut être soit : fonctionnelle,


lorsque les institutions et les pouvoirs se spécialisent dans une seule
fonction, ou organique, lorsque ceux-ci sont autonomes l’une de l’autre
dans leurs existences et leur statut constitutionnel et juridique. Elle peut
être aussi à la fois organique et fonctionnelle, lorsque la séparation est
rigide.

Fonctions et organes de l’État

Fonctions Organes de l’État

Le Roi (Dahir, article 41, 42 … de la constitution)


Parlement (domaine de la loi articles 70, 71)
Légiférer
Gouvernement (règlements autonomes art 72)
Conseil (cour) constitutionnel (décisions art 132-133)
Gouvernement (textes d’application, mesures individuelles)
Administration (textes d’application, mesures individuelles,
Exécuter
opérations matérielles)
Parlement (mesures individuelles exceptionnelles)
Parlement (lois d’amnistie art 71)
Gouvernement et Administration (recours gracieux)
Juger
Autorités juridictionnelles (recours contentieux)

En pratique, { partir du 18ème siècle, l’expression « séparation des


pouvoirs » désigne le principe négatif de Montesquieu qui interdisait
simplement de confier tous les pouvoirs à une seule et même autorité.

La séparation des pouvoirs ne peut donc être que relative étant donné
qu’elle signifie d’abord une distinction entre les différents organes plutôt
qu’une séparation organique entre eux. La séparation des pouvoirs au sens

95
propre du terme n’est effective et réelle que vis-à-vis des organes judicaires
qui doivent fonctionner indépendamment de l’intervention du parlement
ou du gouvernement.

En revanche, la théorie de séparation des pouvoirs qui a longtemps


influencé les différentes constitutions et régimes politiques, se trouve
actuellement érodée voire critiquée et qualifiée de « rhétorique » pour
plusieurs raisons :

 Son irréalisme, puisque les États fonctionnent comme une entité morale
unitaire.
 Son illogisme, puisqu’on suppose paradoxalement que la souveraineté de
l’État est indivisible et partagée entre plusieurs organes.
 Son inadéquation avec la réalité du pouvoir étatique moderne où l’État
intervient dans tous les domaines de façon homogène et sans distinction
rigide entre la sphère législative, exécutive et judiciaire. Exemple : un
policier qui rédige un Procès-verbal constatant une infraction commise par
un conducteur, agit conformément aux trois sphères administratives,
législatives et judicaires. De même un juge qui interprète une loi ne fait
qu’en créer une autre sans se rendre compte.
 Dans ce sens René Capitant estime que « … la séparation des politiques n’est
qu’un régime politique parmi d’autres. Ce régime précédant le régime
parlementaire, n’est autre que la monarchie limitée, telle qu’elle s’est réalisée
en Grande Bretagne dès 1688 ».
Toutefois, force est de noter que, les États-nations modernes ne sont pas
nécessairement démocratiques car il n’existe aucune corrélation vérifiée
entre la forme de l'État et le type de régime politique. Les États-nations
démocratiques peuvent parfaitement s'engager dans des pratiques non
démocratiques qui limitent les droits et libertés fondamentaux des citoyens,

96
au point d’être qualifiés par le politiste American Fareed Zakaria de
Démocratie illibérales, comme c’est le cas en suède ou aux Pays-Bas, ou des
restrictions légales empêchent sérieusement les citoyens de bénéficier
pleinement de leur liberté de propriété, ou même le cas des Etats Unis
d’Amérique qui poursuivent une politique étrangère qui défend des
régimes politiques autoritaires et non respectueux des Droits de l’Homme.
Les atteintes aux droits des femmes { l’IGV, aux droits des LGBT ou aux
droits des émigrés et des populations autochtones sont souvent observées
dans beaucoup de pays traditionnellement démocratiques, comme les EUA,
la Pologne, l’Australie, la Turquie, la Russie). Bref, les institutions
démocratiques ne correspondent pas toujours aux attitudes démocratiques
des élites au pouvoir. Du coup, les institutions démocratiques sont
caractérisées par leur fragilité congénitale face aux dirigeants autoritaires
et aux politiques populistes.

§2. Les régimes totalitaires


Le mot totalitarisme semble être inventé pat Mussolini dans les années
trente du XXème siècle pour désigner la supériorité de l’Etat sur tout autre
institution politique ou sociale et son caractère total.
Le totalitarisme est de ce fait un régime politique ou aucune résistance à
l’Etat et { ses institutions n’est tolérée même si elle pacifique. Les citoyens
sont dans un tel régime réduit à de simples serviteurs de la grandeur de
l’Etat. Autrement dit, on est devant une nouvelle catégorie de régimes
politiques ou l’Etat prend en charge de manière exclusive la création d’une
nouvelle société et d’un nouveau citoyen. Ces régimes ont vu le jour en
Italie fasciste, en Allemagne nazie et en URSS stalinien. Hanna Arendt décrit
parfaitement le processus d’atomisation de la société totalitaire ou les
individus sont réunis en masses, non pour un intérêt commun, mais à cause
de leur extrême isolement et solitude.

97
« Le totalitarisme diffère par essence des autres formes d'oppression
politique que nous connaissons, comme le despotisme, la tyrannie et la
dictature. Partout où celui-ci s'est hissé au pouvoir, il a engendré des
institutions politiques entièrement nouvelles, il a détruit toutes les
traditions sociales, juridiques et politiques du pays. Peu importent la
tradition spécifiquement nationale ou la source spirituelle particulière
de son idéologie : le régime totalitaire transforme toujours les classes
en masses, substitue au système des partis, non pas des dictatures à
parti unique, mais un mouvement de masse, déplace le centre du
pouvoir de l'armée à la police, et met en œuvre une politique étrangère
visant ouvertement à la domination du monde. Les régimes totalitaires
actuels sont nés des systèmes à parti unique ; chaque fois que ces
derniers sont devenus vraiment totalitaires, ils se sont mis à agir selon
un système de valeurs si radicalement différent de tous les autres
qu'aucune de nos catégories utilitaires, que ce soient celles de la
tradition, de la justice, de la morale, ou celles du sens commun, ne nous
est plus d'aucun secours pour nous accorder à leur ligne d'action, pour
la juger ou pour la prédire ».
Parmi les caractéristiques de ce régime on peut invoquer :
a. La subordination de tous les secteurs sociaux { l’Etat ;
b. L’existence d’un chef charismatique et du culte de la personnalité,
c. L’existence d’un parti unique ;
d. Le monopole et le contrôle de tous les moyens de communication de
masse ;
e. L’existence d’une idéologie officielle, pour simplifier et réduire le
monde ;
f. Le recours massif à la violence et à la terreur comme mode de
gouvernement,

98
g. Le refus de toute forme de pluralité et de diversité politique ou
culturelle,
h. La stigmatisation et la persécution d’un certain nombre de minorité,
i. Une tendance guerrière et agressive en politique étrangère (volonté de
domination et d’expansion { l’étranger.

§ 3 les régimes autoritaires


Karl Popper estime que l’autoritarisme peut s’imposer en dépit de la bonne
foi du chef autoritaire, dans la mesure ou « … vouloir le bonheur du peuple
est, peut-être, le plus redoutable des idéaux politiques, car il aboutit
fatalement à vouloir imposer aux autres une échelle de valeurs
supérieures jugées nécessaires à ce bonheur. On verse ainsi dans
l’utopie et le romantisme ; et, { vouloir créer le paradis terrestre, on se
condamne inévitablement { l’enfer. De l{ l’intolérance, les guerres de
religion, l’inquisition, avec, { la base, une conception foncièrement
erronée de nos devoirs. Que nous ayons le devoir d’aider ceux qui en ont
besoin, nul ne le conteste ; mais vouloir le bonheur des autres, c’est trop
souvent forcer leur intimité et attenter à leur indépendance ».
Le terme autoritaire recouvre un vaste éventail de régimes politiques, que
l’on peut qualifier de franquisme, de régimes militaires en Amérique latine
et en Asie, des Etats nouvellement indépendants d’Afrique, des monarchies
sultaniennes ou partimonialistes…etc.
Juan José Linz défini les régimes autoritaires sur la base de trois
caractéristiques principales :
1. Le pluralisme politique limité,
2. La présence d'une mentalité politique plutôt que d'une idéologie
totalisante,
3. L’absence ou le faible niveau de mobilisation politique des masses.

99
Encadré l’Autoritarisme chez Juan Linz

« Des systèmes politiques caractérisés par un pluralisme politique


limité, non responsable, dépourvus d’idéologie directrice élaborée mais
reposant sur une mentalité caractéristique, sans volonté de
mobilisation extensive aussi bien qu’intensive si ce n’est { certains
moments de leur développement, et dans lesquels un leader ou parfois
un petit groupe exercent un pouvoir dont les li mites formelles sont mal
définies bien qu’elles soient en fait très prédictibles.»

Exercice de TD N°10

Faites un résumé analytique, { l’aide d’une introduction et d’un plan en


trois parties des différents types de régimes politiques

Chapitre 5 L’action politique


Le concept d’action politique renvoie { un large éventail des actions (agir,
choisir, décider, penser…) entreprises, par les différents acteurs politiques
(Etat, gouvernement, partis politiques groupes, individus…), qui traduisent,
d’une manière ou d’une autre, leurs convictions personnelles et l’intérêt
particulier qu’ils portent pour la politique, (attitudes, opinions
comportements politiques, mobilisation, communication, etc,…).

§1. Les politiques publiques


A. Définition de la politique publique

100
En règle générale, les politiques publiques se présentent sous forme de
programmes d’action gouvernementaux dans des secteurs particuliers de la
société (santé, éducation, transports, sécurité…) ou des espaces
géographiques limités (Régions, collectivités territoriales, villes,
compagnes…).
La notion de « politiques publiques » se base sur deux notions
fondamentales : celle de programme d’action et celle d’autorité publique.
Un programme d’action correspond { un ensemble d’actions (de nature
diverse) présentant une certaine cohérence (en termes de finalités en
particulier) et s’inscrivant dans la durée. Le mot « public » quant à lui,
renvoie { la place centrale de l’État en tant que concepteur et producteur de
ces politiques. Du coup, est public tout ce qui relève de la sphère de l’État,
par opposition à la sphère privée qui touche les relations des individus
entre eux.
Cela implique que les programmes d’action publics sont exécutés de
manière autoritaire, puisque l’Etat dispose du monopole de la violence
légitime et de l’autorité publique.
Pierre. Muller de sa part insiste sur le fait que « Faire une politique
publique ce n'est donc pas résoudre un problème mais construire une
nouvelle représentation des problèmes qui met en place les conditions
socio-politiques de leur traitement par la société et structure par là
même l'action de l'État » De ce fait, « Une politique publique peut se
définir comme un ensemble combiné d’actions ou encore de
“programmes” conçus et mis en œuvre par une ou plusieurs autorités
publiques et visant à apporter une réponse à une situation
environnante jugée problématique, c’est-à-dire soulevant des questions
à résoudre. »

101
Les politiques publiques sont inventées en fonction d’un référentiel
déterminé qu’on peut identifier comme « l’ensemble des normes ou
images de références en fonction desquelles sont définis les critères
d’intervention de l’Etat ainsi que les objectifs de la politique publique
concernée » « Chaque politique est porteuse { la fois d’une idée du
problème […], d’une représentation du groupe social ou du secteur
concerné qu’elle cherche { faire exister […] et d’une théorie du
changement social ».
Selon J .C. THOENIG, cinq traits essentiels caractérisent la notion de
politique publique :
1. -La politique publique se distingue par un ensemble de mesures. En
d'autres termes, le travail gouvernemental produit des résultats concrets,
ce qu'en anglais on désigne parfois du nom d'output ou d'outcome.
L'attention portée tant au contenu qu'au processus qui a conduit à sa
création constitue l'une des originalités de l'étude des politiques publiques ;
2. Elle contient des éléments de décision ou d'allocation dont la nature est
imposée par les acteurs gouvernementaux à leur environnement. Elle est
une règle énoncée de façon verbale (discours) ou écrite (loi, circulaire), une
prescription ou une incitation visant à guider les comportements. La
Coercition – dont l'autorité publique à l'exclusivité – est un facteur
structurel qui sous-tend l'action gouvernementale ;
3. Elle désigne un cadre assez général d'actions qui n'exclut pas la prise en
compte de stratégies ponctuelles ou isolées. D'autre part, toutes les
politiques publiques ne sont pas fondées sur des perspectives explicitement
définies ;
4. Elle affecte, par son contenu, son impact, un certain nombre d'individus, de
groupes ou d'organisations dont l'intérêt, la situation ou le comportement
s'en trouvent modifiés ;

102
5. Elle est normative car elle doit atteindre des objectifs pour satisfaire à des
intérêts politiques.
B. Les séquences d’une politique publique
L’approche séquentielle des politiques publique a été formalisée par
Charles O. Jones en 1970. Elle suggère que celle-ci passe par cinq phases :
1. L’identification du problème (l’invention/émergence du problème)
(les processus de perception, de définition, d’agrégations des
données/exigences, d’organisation de structure, de représentation des
intérêts et de définition de l’agenda politique { mettre en œuvre).
Dans cette phase le problème est pris en charge par les autorités publiques,
comme une catégorie de problèmes politiques nécessitant l’intervention
autoritaire (extractives, distributives, constitutives…) des autorités
publiques.
Deux questions se posent quand même :
• La prise de conscience par les acteurs du caractère politique du problème
sur lequel on veut intervenir,
• Le processus de politisation des problèmes sociaux.

2. Le développement du programme / la construction du référentiel


Le premier acte constitutif de toute action publique, consiste en la
construction d’un référentiel politique, supposé guider l’ensemble des
pratiques sociales des acteurs dans le secteur d’intervention.
(Les processus de formulation et de sélection des méthodes d’action
publiques et des solutions pour résoudre le problème et de légitimation de
celles-ci) ;
La construction du référentiel est fondée sur des valeurs, autrement dit les
« représentations les plus fondamentales sur ce qui est bien ou mal,
désirable ou à rejeter.

103
Le référentiel des politiques publiques peut être soit global, soit sectoriel :
Il est global lorsqu’il se fonde sur une représentation générale autour de
laquelle vont s’ordonner et s’hiérarchiser les différentes représentations
sectorielles. C’est-à-dire, sur un ensemble de valeurs fondamentales qui
constituent les croyances essentielles d’une société, ainsi que de normes
définissant le rôle de l’État et des politiques publiques.
Il est sectoriel lorsqu'il se fonde sur une représentation bien défini du
secteur, de la discipline ou de la profession.
On sait que les frontières d’un secteur sont souvent l’objet de conflits en
liaison avec les controverses sur le contrôle de l’agenda politique. Le
référentiel d’une politique publique n’est donc jamais d’une cohérence
parfaite, il est souvent l’objet de lutte hégémonique permanente entre
plusieurs acteurs protagoniste dans le secteur.
A ce stade, la production du référentiel des politiques publiques n’est pas
l’apanage des élites intellectuelles, mais se fait souvent au niveau des
médiateurs qui sont directement issus du secteur ou du groupe objet de
l’action publique. De ce fait tout référentiel de politique publique comporte
une forte dimension identitaire du groupe ou du secteur objets
d’intervention. (Agriculture, santé, logement…)

3. Le processus de mise sur l’agenda de l’Etat

L’agenda gouvernemental, peut être défini comme : la liste sur laquelle


figure l’ensemble des sujets ou problèmes perçus par les acteurs politiques
comme politiques et par conséquence nécessitant l’intervention des
autorités publiques pour les résoudre.
Cela implique que ce processus est l’objet d’une compétition entres les
groupes et les secteurs en question et qu’il ne peut de ce fait être neutre.

104
Il incombe de souligner que l'établissement de l'ordre du jour est un
processus complexe par lequel les problèmes et les solutions alternatives
gagnent ou perdent l'attention du public et des élites. La compétition entre
les différents groupes sociaux et politique pour déterminer l'ordre du jour
de l’action publique est souvent rude en ce sens qu’ils Ils doivent
continuellement lutter pour imposer leur problème dans les programmes
d’action de l’Etat et faire en sorte { ce qu’ils restent prioritaires par
rapports aux problèmes d’autres groupes.
Il arrive souvent que le groupe ou secteur qui réussit le mieux à décrire un
problème sera celui qui en détermine les solutions, ce qui prévaut dans le
débat politique.

4. La mise en œuvre du programme, implémentation


Cette phase correspond { l’exécution des choix et { l’organisation des
moyens pour les mettre en œuvre (lois, règlementations, directives…), c’est
dans cette phase qu’intervient l’administration en tant qu’acteur
institutionnel disposant de l’autorité publique contraignante et les moyens
humains et matériels lui permettant d’appliquer les mesures prises par le
gouvernement. De plus c’est { ce niveau qu’on constate l’existence des
facteurs de distorsion entre les décisions prises au sommet de l’Etat et leur
mise en œuvre. Ainsi, plus les niveaux d’exécution, les acteurs
administratifs sont nombreux, plus la distance entre la décision et son
exécution est grande et plus sa mise en œuvre s’avère difficile, voire
impossible.
5. L’évaluation du programme (les critères de jugement, la mesure des
données, leur analyse et la formulation des recommandations) ;

L’évaluation est souvent définie par rapport ce qu’elle n’est pas : elle n’est
ni un contrôle (qui vérifie la conformité d’une action { la règlementation),

105
ni un pilotage ou une bonne gouvernance (qui tend, { vérifier l’efficience et
l’exemplarité de la gestion), ni sans doute un audit, qui est définit comme
une vérification critique des pratiques de contrôle interne d’efficacité en
vue de les améliorer.

Il s’agit donc d’une opération de contrôle de qualité, de performance prise


en charge par des experts, destinée à produire des informations précises
sur les effets de l’action publique, ainsi que sur, sa pertinence, efficience et
efficacité. Elle est destinée aux décideurs, et porte sur les résultats concrets
d’un programme d’action publique tout en visant { en corriger des
dysfonctionnements. En d’autres termes elle peut etre definie comme une
activite plus ou moins scientifique, orientee vers la collecte, l’analyse,
l’interpretation et la communication d’informations sur le fonctionnement
et l’efficacite des programmes d’action publique, entrepris dans le but
d’améliorer les conditions sociales.

En général, il existe deux types d’évaluation des politiques publiques :

Un type technocratique et quantitatif qui est le plus répondu, il ambitionne


essentiellement de mesurer les résultats et l’efficacité de l’action publique {
travers des critères économiques et financiers.

Un type politique et qualitatif, axé plus sur la recherche des effets et e


l’impact des politiques publiques sur l’amélioration réelle des conditions de
vie des citoyens en termes de satisfaction et de participation.

De surcroit, on peut recenser deux types d’évaluation de l’action publique


selon leur temporalité :

Une évaluation ex ante, lorsque celle-ci intervient avant la mise en


œuvre d’une politique publique. Elle vise essentiellement la prévision,

106
aussi précise que possible, de l’impact financier et social des mesures
envisagées par le programme d’action public. Cela implique un
diagnostic préalable des bénéfices et des couts escomptés de l’action
publique, ainsi que la mise en œuvre des stratégies d’action publique. Ce
type d’évaluation cible en général les secteurs, les régions et les
catégories sociales qui sont supposés bénéficiers de l’action publique.

Une évaluation ex-poste vise { mesurer l’impact réel des programmes


d’action de l’Etat après leur mise en exécution pour étudier et mesurer
leur couts et bénéfices, ainsi que leur impact réel sur l’amélioration des
conditions de vie des citoyens ou tout simplement sur la résolution
partielle ou définitive d’un problème social donné.

Le problème que se pose dans ce genre d’évaluation est de savoir


précisément si l’action de l’Etat était { l’origine des changements ou des
améliorations constatées.

6. La terminaison/achèvement du programme, (la résolution du


problème et la terminaison de l’action).

CHAPITRE 6 : Le Nationalisme, Identité Nationale Et La Construction De


L’Etat
Si la nation peut être définie lapidairement comme la nation « … une
population nommée qui partage historiquement un territoire, des
mémoires et des mythes communs, une culture publique standardisée,
une économie et des droits légaux ainsi que des devoirs pour tous les
membres de la collectivité ». L'État-nation, quant à lui, constitue de nos
jours le principal médium institutionnel qui introduit un sens culturel dans
la politique. Le nationalisme devient alors une condition indispensable,
mais non suffisante, à la formation d'un État-nation. Il est, avant tout, une

107
idéologie sur l'appartenance à une nation ou à un État-nation. Les
idéologies, quant à elles, sont des récits discursifs cohérents sur la réalité
sociopolitique. Cependant le nationalisme ne peut être réductible en une
simple idéologie. Il relève d’abord de l’ordre des sentiments ; il est ensuite,
un catalyseur de la mobilisation identitaire des individus et des groupes et
il est enfin, un discours sur la façon dont une collectivité nationale devrait
vivre et se reconnaitre dans le monde ou elle vit.

Il faut dire que l’existence de l’Etat nation renvoie { quatre scénarii


possibles de congruence ou d’incongruence de l’institution de l’Etat avec
son support social. Primo, l’Etat correspond parfaitement avec la culture
d’une population homogène sur le plan ethnoculturel (Nation). L’exemple
de ce modèle, devenu rare, sont le Japon, le Portugal et la France ; l’Etat
existe sans aucune nation comme en ex-Yougoslavie ; les Etats
multinationaux comme les l’Espagne, le Canada, l’Allemagne, le Danemark,
la Russie… ; les nations sans Etats comme : la nation Kurde dont le territoire
est partagé entre plusieurs États, comme, l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Syrie.
Le peuple palestinien qui ne dispose pas encore d’un territoire propre
reconnu juridiquement sur lequel les autorités palestiniennes peuvent
exercer leur souveraineté. Les Basques sont une nation divisée entre la
France et l’Espagne, …

En règle générale, les approches positivistes substantialistes du


nationalisme, procèdent par une certaine objectivation des métaconcepts de
la nation et de l’identité nationale, qui sont conçus comme des réalités
sociales intrinsèquement transcendantes et décentrées par rapport aux
acteurs sociaux et à leur vécu quotidien. Une telle démarche théorique
amplifie considérablement l’ambivalence de ces deux concepts « attrape
tout » qui paraissent désigner à la fois tout et rien. De plus, la prééminence
écrasante des paradigmes sociologiques coloniaux et marxiens,

108
particulièrement centrés autour des problématiques de la conflictualité des
rapports de la société avec l'État, semble expliquer la dominance des
approches objectivantes des concepts de la nation et de l’identité nationale.

En ce faisant, les chercheurs risquent souvent d'être exagérément investis


par le phénomène identitaire et nationaliste qu'ils croient eux-mêmes avoir
investi, en ce sens que les approches officielles réificatrices de la nation et de
l’identité nationale s'imposent { eux comme des paramètres objectifs et
incontournables de l’analyse de ces deux concepts, ou simplement comme
des « allant de soi » qui n’exigent aucune une interpellation scientifique
préalable.
A ce titre, l’appréhension scientifique du phénomène identitaire dans le
contexte sociopolitique moderne, suppose de facto l’adoption d’une
démarche théorique plus appropriée à leur caractère des plus en plus
liquides, puisque la vie sociopolitique n’arrive plus à retenir sa forme initiale.
La liquéfaction devient alors une caractéristique essentielle de toutes les
formes de vie modernes. Cela dit, les approches constructivistes et
cognitivistes suggérées par, Peter Berger et Thomas Luckmann, Eric. J.
Hobsbawm, Benedict Anderson et par la sociologie issue de l'école de
Chicago, semblent offrir un cadre théorique référentiel pertinent en la
matière. Toutefois, l'approche cognitive, développée par Rogers Brubaker est
particulièrement adéquate pour rendre compte de la phénoménologie
identitaire dans le contexte sociologique moderne quasi liquide et
fondamentalement hétérogène. Cette approche suggère, que la race,
l'ethnicité et la nation ne sont que des instruments cognitifs qui servent à
donner un sens au monde. En conséquence, il serait vain d’essayer de définir
en termes essentialistes ce que serait la nation et l'identité nationale. Cela
permet de réorienter l’analyse vers les fonctions et les usages sociaux de ces
concepts plutôt que vers leur substance insaisissable. En ce faisant, elle

109
permet de mieux vérifier comment ces deux notions s’articulent et
fonctionnent dans la réalité. De cette manière, Il importe de chercher d’abord
quel usage font les acteurs sociaux et politiques de ces concepts dans leur
contexte quotidien situé et quel sens leurs accordent-ils chaque fois qu’ils
s’en réfèrent.
Il parait, tout de même, nécessaire, de préciser que malgré leur incontestable
pertinence théorique et épistémologique, ces approches souffrent elles aussi
de certaines limites liées essentiellement à leur caractère démesurément
Anglocentrique, à leur hyper-rationalité qui tend, d'une manière ou d'une
autre à négliger toute forme de contrainte structurelle ou de
conditionnement préalable des acteurs sociaux, et à leur relativisme
outrancier qui peut, dans beaucoup de cas, fonctionner comme une
justification de l'ordre identitaire préétabli et, par là-même, comme un
discours discréditant de toute forme de revendications identitaires, sous
prétexte que celles-ci ne sont que des constructions imaginaires se
rattachant davantage { l’ordre du discours et des représentations discursives
qu’{ l’ordre de la réalité sociale objective. En d’autres termes quand cette
approche considère les revendications identitaires et culturelles de certains
mouvements sociaux ou politiques dissidents (nationalistes et activistes
Corses, Basques, kurdes, Amazighes…) comme de simples revendications
discursives socialement construites, elle n’en dit rien sur l’ordre culturel et
identitaire hégémonique qui est aussi socialement construit et susceptible
d’être déconstruit en France, Turquie, Espagne, France…
En fait, les défenseurs de l'approche cognitivo-constructiviste critiquent les
définitions essentialistes des identités et du nationalisme en ce sens qu’elles
sont obligées de se positionner à leur égard. Du coup, il devient nécessaire
d'adopter une posture de neutralité axiologique qui rejette d’emblée toute
forme de prédéfinition et de généralisation de ces deux concepts.

110
Dans cette perspective, le dépassement de la notion de l'identité, jugée
désormais ascientifique, parce qu'elle comporte en son sein une surcharge
de préjugés et de clichés qui la rende hautement polysémique, voire
contradictoire, devient impératif pour la remplacer par d’autres termes plus
analytiques renvoyant { des processus dynamiques et évolutives plutôt qu’{
des situations figées et décontextualisées. Or, les concepts proposés se sont
avérés eux aussi non moins polysémiques et abstraits que le concept identité
qu'ils prétendent remplacer.
Cette limite, étant signalée, il serait vain de chercher à remplacer le concept
de l’identité par d’autres concepts qui seront méconnus ou difficilement
persuasifs. Toutefois, essayer de le restructurer en le dégageant de ses
connotations « mêmetéistes » et collectivistes fortement réductrices de la
réalité politique semble être une entreprise indispensable. Cela exige
l’adaptation de ce concept, { l'origine destiné { rendre compte de la
similitude existant en les membres d’un groupe sociale, aux situations très
complexes de l'altérité intersubjective et intergroupale qui caractérisent les
sociétés modernes. Dans cette optique, l'identité nationale se présente
comme une sorte d'habitus qui prédispose les membres d’un groupe social {
se projeter dans l’univers sociopolitique qui les entourent, c'est-à-dire, un
principe de vision et de division de la réalité sociale. Elle serait dès lors, une
façon d'autoidentification, de compréhension et d'interprétation des
situations difficiles, ainsi que d’'identification des intérêts des membres
d’une communauté humaine. Elle serait également un mécanisme
institutionnalisé et formel de reconnaissance, d'identification et de
classification des autres, d'interprétation de la similitude et de la différence,
capable de générer le sens de l'être et de l’agir individuel et social des
membres de la société.

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