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LES ETATS GENERAUX DE LA JUSTICE
CONGOLAISE
Pourquoi la Justice Congolaise est-elle malade ?
Quelle thérapie pour la guérir ?
RAPPORT DU PANEL « CONSEIL SUPERIEUR DE
LA MAGISTRATURE »
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INTRODUCTION
Les états généraux de la Justice congolaise se sont déroulés du 06 au 15
novembre 2024 au Centre Financier de Kinshasa puis poursuivis en ateliers dans divers
points, avec pour objectif général « la contribution à l’instauration effective de l’Etat
de droit en République Démocratique du Congo »
Les travaux du panel « Conseil Supérieur de la Magistrature » se sont
ouverts le lundi 11 novembre 2024 vers la fin de la journée au Centre Financer de
Kinshasa, immédiatement après les communications en plénière suivies des débats.
Après la communication du Professeur MASAMBA, les travaux se sont poursuivis les
12 et 13 novembre dans la Salle MENETA puis dans la Salle Henri De la KETHULE du
Centre Catholique Pierre Claver.
Le présent rapport comprend les grandes lignes ci-après : composition du
Bureau de l’atelier (I), outils à la disposition de l’atelier (II), mot introductif (III), et les
débats (IV).
I. COMPOSITION DU BUREAU DE L’ATELIER
Après quelques préalables sur la composition initiale du bureau proposé
par le Comité organisateur, un membre autre membre, en l’occurrence le Conseiller à la
Cour d’appel LOSANGE MOKWALA Zéphirin, a été intégré dans le secrétariat
technique en vue de garantir la transparence et l’acceptation des résolutions par toutes
les composantes.
Ainsi, composé de 151 membres dont liste en annexe, le présent panel s’est
doté d’un bureau composé de :
- Président : Colonel Magistrat MAKELELE MUKENGE Joseph, Auditeur
Supérieur près la Cour militaire de l’Ituri ;
- Premier Rapporteur : LOSANGE MOKWALA Zéphirin, Conseiller à la Cour
d’appel de Kinshasa-Matete, Délégué élu au Conseil Supérieur de la Magistrature
et Membre du Syndicat Autonome des Magistrats (SYNAMAC) ;
- Deuxième Rapporteur : Maître LOTETEKA BOTIMELA Jacquie, Avocate
près les Cours d’appel de Paris et de Kinshasa-Matete ;
- Troisième Rapporteur : KABANGA KABULA Jeff, Premier Substitut du
Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Lubumbashi ;
- Communicateur : Professeur Roger MASAMBA MAKELA, Président de la
Commission Nationale OHADA, avocat près la Cour d’appel de Kinshasa-
Gombe, Professeur Ordinaire à l’Université de Kinshasa.
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II. OUTILS A LA DISPOSITION DE L’ATELIER
1. Sources légales :
a. La constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février
2006 telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant
révision de certains articles de la Constitution de la République
Démocratique du Congo du 18 février 2006 ;
b. La constitution de la République du Congo, adoptée par référendum le 25
octobre 2015, telle que modifiée au 7 janvier 2022 ;
c. La loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des
magistrats ;
d. La loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et
fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.
2. Ouvrages :
a. Professeur Télesphore KAVUNDJA N. MANENO, Traité de droit
judiciaire congolais, volume 1. Les principes d’organisation judicaire,
Paris, édition Espérance, 2023, pp. 145-180 ;
b. Zeph ZABO, Justice corrompue, volume 3 : Stop au banditisme judiciaire
de nos magistrats véreux : modus operandi dénudé, Edition Justice,
Education et Développement (JED), Kinshasa, 2023.
3. Rapports
a. Rapport général des Etats généraux de la Justice en République
Démocratique du Congo tenu à Kinshasa, du 27 avril au 02 mai 2015
b. La Politique Nationale de la Réforme de la Justice PNRJ 2017 - 2026
c. Le Plan d’Action prioritaire PAP
4. Les discours d’ouverture
a. Discours de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef
de l’Etat et Magistrat Suprême ;
b. Discours de Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle et du
Conseil Supérieure de la Magistrature ;
c. Discours de Son Excellence Monsieur le ministre de la Justice et Garde de
Sceau ;
5. Mot introductif de l’Atelier du Professeur Roger MASAMBA MAKELA ;
6. Communications écrites de la Ligue des Electeurs, du Magistrat OBOTELA
LOTIKA, Conseiller à la Cour de cassation, …
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III. MOT INTRODUCTIF
Avant d’entrer dans le vif du sujet, le Président de la séance a invité le
Professeur MASAMBA à exposer les lignes directrices qui devraient servir de tableau
de bord pour l’Atelier. Il a notamment proposé comme cadre organique de gestion du
Pouvoir judiciaire, le maintien du Conseil Supérieur de la Magistrature dans son format
actuel, lequel coexisterait avec un Haut Conseil de la Justice présidé par le Chef de l’Etat
et dont seraient membres le ministre de la Justice, les magistrats, les différents corps de
métiers qui participent à l’administration de la Justice, ainsi que la société civile.
Les échanges ont essentiellement porté sur la Nature de l’organe qui doit
gérer les magistrats (I), le rôle du Chef de l’état et du ministre de la Justice (II) et les
Propositions de résolutions (III).
IV. LES DEBATS
Les débats ont essentiellement porté sur la nature de l’organe appelé à
gérer le Pouvoir judiciaire (A) et le rôle du chef de l’Etat et du ministre de la Justice (B).
A. NATURE DE L’ORGANE QUI DOIT GERER LE POUVOIR
JUDICIAIRE
Sur la question de l’organe chargé de gérer le pouvoir judiciaire, des
propositions ont été faites dans le sens : soit de remplacer le CSM par un autre organe
qui serait notamment le Conseil Supérieur de la Justice (1), soit de maintenir le CSM tel
que prévu à ce jour par les textes constitutionnels et légaux (2), soit les 2, à la fois de le
maintenir tel qu’existant et de créer un autre organe non pas de substitution, mais
complémentaire, qui s’appellerait par exemple un Haut Conseil de la Justice (3).
1. Du remplacement du CSM par un autre organe qui serait notamment le
Conseil Supérieur de la Justice.
Les arguments qui concourent à cette idée tiennent au fait que les
magistrats sont certes un maillon important de la distribution de la justice, mais pas les
seuls qui y concourent. Ainsi, en tenant compte de la contribution des greffiers, des
secrétaires des parquets, des officiers de police judiciaire, des avocats, des autres agents
de l’ordre judiciaire, des notaires, etc. Il y a lieu que le CSM, aujourd’hui réduit aux
seuls magistrats, soit plus inclusif.
Ainsi, il devrait être purement et simplement remplacé par un Conseil
Supérieur de la Justice qui serait proche du modèle belge et probablement néerlandais,
ce d’autant que « l’administration judiciaire est trop importante pour qu’on eût pu en
laisser la gestion aux seuls magistrats » (sic !).
Sa gestion actuelle uniquement par les pairs a conduit, a-t-on souligné, à
un corporatisme protecteur des magistrats dits « véreux » et à la création d’un « réseau
maffieux » nuisible à l’administration de la justice.
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2. Du maintien du CSM tel que prévu à ce jour par les textes constitutionnels et
légaux
A l’appui de cette deuxième thèse, il est relevé que l’organisation
judiciaire de notre pays est riche d’expérience en termes de gestion des magistrats et que
l’histoire judiciaire récente part des années 2005, période considérée comme point de
départ de la lutte tendant à extirper le politique qui était en plein dans le judiciaire. Ainsi,
s’est fait corps la réflexion progressive sur l’institution d’un CSM comme organe
homogène de gestion du pouvoir judiciaire composé des seuls magistrats, conçu comme
un contrepoids aux pouvoirs politiques incarnés par le Parlement et l’Exécutif.
En tant qu’option politique, cela sera consacré par la Constitution du 18
février 2006 de laquelle ont dérivé les deux lois subséquentes sur le Statut des magistrats
et sur le CSM.
Aux yeux des partisans de cette approche, ces textes consacrent, non
seulement l’homogénéité, mais davantage la sacralité du CSM et constituent une
avancée significative par rapport aux autres Etats africains et font même des émules en
Europe et notamment en France.
Il a toutefois été relevé que cet organe n’a guère été doté de moyens
suffisants, de sorte que les Etats généraux organisés il y a 9 (neuf) ans et qui ont produit
350 recommandations n’ont été exécutés qu’à hauteur de 0,8 %. Ce faisant, on ne peut
pas juger objectivement un organe qui n’a pas pu fonctionner de manière optimale.
3. Maintien de l’actuel CSM qui cohabiterait avec un Haut Conseil de la Justice
A l’image des différents conseils de l’ordre, dont le Barreau qui ne sont
composés que des pairs, cette thèse exalte la nécessité d’avoir également un CSM
composé des seuls magistrats pour régler les questions liées notamment à leur carrière.
Néanmoins, la justice étant plus large que les questions propres aux
magistrats, il reste loisible de créer un autre organe qui serait alors présidé par le Chef
de l’Etat et dont le Ministre serait membre, tout comme les avocats et autres acteurs du
secteur de la justice.
Tout en adoptant cette position, quelques autres participants ont soit :
admis la création d’un Haut Conseil de la Justice comme un simple organe non
permanent ou encore comme une agora ponctuelle pour l’évaluation de la justice qui,
comme les Etats généraux de la justice, n’ont pas été prévus par un texte.
B. DU ROLE DU CHEF DE L’ETAT ET DU MINISTRE DE LA JUSTICE
Ce point se nourrit des idées relatives à l’intégration du Chef l’Etat (1), du
ministre de la Justice (2) et d’autres personnes (3) dans le fonctionnement du pouvoir
judiciaire.
Les partisans de la thèse relative à l’intégration du Chef de l’Etat et autres
tierces personnes dans le CSM estiment que tout serait à l’avantage de cet organe si le
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ministre de la Justice et davantage le Chef de l’Etat en étaient membres, car, de
l’intérieur, ils comprendraient mieux les maux qui minent le fonctionnement du pouvoir
judiciaire et pourraient alors prendre des dispositions idoines, dont des crédits
conséquents, pour y remédier.
A l’autre bord, les tenants de la thèse qui consacre l’homogénéité du CSM
font observer que le pouvoir législatif n’a jamais eu besoin d’avoir le Chef de l’Etat ou
le Ministre ayant en charge les Relations avec le Parlement en son sein pour bénéficier
des budgets colossaux lui alloués. D’un point de vue purement technique, ils considèrent
que ces deux autorités politiques jouent déjà un rôle crucial dans le fonctionnement de
la justice, de sorte qu’il serait superflu de leur en confier d’autres.
1. Du Chef de l’Etat
S’agissant du Chef de l’Etat, il a notamment été relevé que tant dans son
exposé des motifs que dans son dispositif, la loi organique n° 08/013 du 05 août 2008
portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature consacre
le Chef de l’Etat comme « unique autorité de nomination, promotion, mise à la retraite,
révocation et de réhabilitation de tous les magistrats, sur proposition du Conseil
supérieur de la magistrature » susceptible de « formuler des observations sur les
propositions qui lui sont adressées ».
Cette haute mission d’acteur privilégié de la carrière du magistrat de
l’amont à l’aval fait insidieusement du Chef de l’Etat un acteur majeur du pouvoir
judiciaire, ce d’autant que le CSM propose, mais c’est le Chef de l’Etat qui dispose.
Au surplus, alors qu’il est aujourd’hui revêtu de la mission
constitutionnelle de garant de la bonne marche des institutions et non plus, comme jadis,
de simple garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, il serait aberrant, estiment
certains, de réduire le Chef de l’Etat au simple rang de membre du CSM.
2. Du ministre de la Justice
Autant qu’il en est dit du Chef de l’Etat, les participants qui souhaitent
voir le ministre de la Justice faire partie du CSM partent du postulat qu’il est le membre
du Gouvernement qui exécute la politique criminelle du Gouvernement et en même
temps le pendant du pouvoir judiciaire au sein du Gouvernement.
Pour les partisans de l’opinion contraire, le ministre de la Justice dispose
depuis la révision constitutionnelle de 2011, du pouvoir d’injonction sur les Magistrats
du Ministère public. Davantage, il peut donner des orientations par voie des règlements
et notes circulaires qui lient les magistrats du siège et du parquet, s’ils sont conformes à
la Constitution.
Ils renchérissent que l’article 28, alinéa 2 de la loi organique n° 08/013 du
05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la
magistrature lui donne l’opportunité de saisir la Chambre de discipline à charge d’un
magistrat, lorsqu’il dispose que « sans préjudice des dispositions pertinentes de la
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susdite Loi, la Chambre de discipline peut être saisie par le Ministre de la Justice ou sur
plainte de toute personne intéressée ».
A ces arguments, ils ajoutent que le rang protocolaire du ministre de la
Justice face aux membres du Bureau du CSM qui sont des chefs de corps avec rang de
Premier Ministre résonne comme un bémol lui l’empêchant de jouer un rôle prééminent
au sein du CSM. De la sorte, un membre de l’Atelier a cru tout de même nécessaire de
faire de lui le 5ième Vice-Président du CSM.
3. Des membres du Parlement, des avocats ou autres membres de la société
civile ?
Tant des magistrats que des avocats ont argüé dans le sens de l’inclusion
de ces catégories professionnelles dans le Conseil Supérieur de la Magistrature, dans la
mesure où, comme susdit, la justice n’est pas l’apanage du seul magistrat.
A l’antipode, d’autres magistrats et avocats ont exclu cette possibilité,
notamment parce qu’autant il y a des faiblesses humaines dans le fonctionnement du
CSM, autant il y en a aussi dans les autres ordres professionnels, surtout lorsqu’ils sont
appelés à juger leurs semblables.
Aussi ont-ils proposé que le CSM demeure monocolore.
C. DES PROPOSITION DE RESOLUTIONS
Les participants ont commencé par lever les options sur la forme de
l’organe appelé à gérer le pouvoir judiciaire et sur sa composition. S’agissant de
l’organe, il leur a été demandé d’opter soit pour le Conseil Supérieur de la Magistrature
tel qu’organisé à ce jour ou son remplacement par le Conseil Supérieur de la Justice ou
encore d’imaginer la coexistence entre le Conseil Supérieur de la Magistrature et le Haut
Conseil de la Justice.
A la majorité des voix par vote à main levée, les participants ont opté pour
le format actuel du Conseil Supérieur de la Magistrature qui ne devrait subir aucune
modification.
En ce qui concerne sa composition, la question était également posée de
savoir si le Chef de l’Etat, le ministre de la Justice ou d’autres personnes pouvaient ou
non intégrer le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Comme tout à l’heure, par vote à main levée, la majorité des participants
ont opté pour le maintien de la composition actuelle du Conseil Supérieur de la
Magistrature
Il importe de signaler qu’après ce vote, les participants ont salué l’arrivée
de son Excellence Monsieur le ministre de la Justice et Garde des Sceaux qui a émis le
vœu de les voir tenir compte de lui en tant qu’autorité qui répond des questions liées à
l’administration de la justice au Parlement. Il a aussi souhaité que le Conseil Supérieur
de la Magistrature puisse collaborer avec lui pour la défense du budget du pouvoir
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judiciaire au parlement et éviter que les résolutions des présents Etats généraux ne
connaissant un faible taux d’exécution, comme les précédents.
Après son départ les participants ont relevé les causes de la maladie dont
souffre la justice, avant de proposer des pistes de solution. De manière générale, ils ont
affirmé que la maladie dont souffre la justice lui a été inoculée par le pouvoir exécutif
qui lui prive des moyens de fonctionnement, outre le trafic d’influence et les
interférences dans le recrutement et promotion des magistrats.
Il s’en dégage la résolution principale suivante : dotation au pouvoir
judiciaire d’un budget propre à même d’assurer son indépendance.
Plusieurs autres résolutions ont été adoptées ;
- Gestion efficiente du Conseil supérieur de la Magistrature en matière de :
o Formation
▪ Initiale et continue en vue de permettre au magistrat de prendre de
bonnes décisions ;
▪ Réintégration dans les centres de formations des hauts magistrats
retraités rompus en andragogie ;
o Amélioration des conditions de vie et de travail des magistrats
o Discipline
▪ Sanctionner positivement les bons magistrats ;
▪ Prise en compte du signalement lors des promotions ;
▪ Interdiction de la promotion des magistrats notoirement véreux ;
▪ Renforcement des peines pécuniaires ;
- Activation du cadre de concertation formelle CSM – ministre de la Justice à très
court terme ;
- Harmonisation de l’article 149 de la Constitution avec l’article 152 qui maintient
le magistrat du ministère public dans le pouvoir judiciaire ;
- Poursuite de la réflexion sur la création d’un Haut Conseil de la Justice comme
un simple organe non permanent pour l’évaluation de la justice ;
- Poursuite de la réflexion sur la création de l’Ecole Nationale de la Magistrature ;
- Mise en place d’une boîte aux lettres pour permettre aux magistrats ou autres
justiciables puisse dénoncer des cas d’injustice ;
- Contrôle des finances du pouvoir judiciaire conformément aux articles 41 à 43
de la Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et
fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;
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- Ordonnancement rapide du budget du pouvoir judiciaire pour en éviter la
réaffectation dans d’autres postes budgétaires.
Les travaux se sont clôturés avec la garantie aux participants de
l’immunité de parole.
Fait à Kinshasa, le 14 novembre 2024
Les Rapporteurs, Le Président,
LOSANGE MOKWALA Zéphirin MAKELELE MUKENGE Joseph
LOTETEKA BOTIMELA Jackie
KABANGA KABULA Jeff