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Introduction Et Axe 1 Du Cours - 081023

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COURS

« INTRODUCTION A LA SCIENCE POLITIQUE »

Chargé de cours : Dr. Adamon Pegui-Bere BOUDZANGA.

PRESENTATION DE L’ENSEIGNEMENT

# Plan du cours

Introduction générale

- Objet de la science politique


- Dénomination de la science politique
- Existence de la science politique : A quelles conditions est-elle une science ?

Chapitre 1 – L’explication des phénomènes politiques et régimes politiques

A. Explication des phénomènes politiques

B. Les régimes politiques

Chapitre 2 – Les organisations politiques et la participation politique

A. Les partis politiques

B. La participation politique

# Objectifs de l’enseignement

Sur le plan des connaissances, cet enseignement vise l’acquisition des notions fondamentales de
la science politique relatives aux thèmes principaux traités par la discipline. Pour nous, l’objectif sera ici,
de découvrir quelques problématiques propres à la science politique sur un certain nombre de
domaines (les régimes politiques, les partis politiques, la participation électorale, etc.). Sur le plan de la
réflexion, il est question d’apprendre à utiliser la boîte à outils de la science politique, l’objectif étant à la
longue, de pouvoir penser les enjeux politiques de l’organisation sociale africaine en générale et
gabonaise en particulier.

2
INTRODUCTION GENERALE

Toute introduction à une nouvelle discipline suppose de réaliser deux opérations :


- La première est de situer la nouvelle discipline à la fois dans l’espace des objets ou des
pratiques (en identifiant quel objet on retient et quels objets on délaisse) et dans l’espace des
savoirs (en présentant les liens et les tensions avec les autres disciplines plus ou moins
voisines) ;
- La deuxième est de situer la discipline dans le temps c’est-à-dire raconter sa dynamique
interne, son évolution. En somme, présenter son développement.

Après ces deux opérations, nous avons fait le choix, pour cette introduction à la science politique,
d’examiner les points relatifs à l’explication des phénomènes politiques dont nous verrons à quoi ils se
rapportent, ainsi qu’aux régimes politiques et à la participation politique.
La réalisation desdites opérations nous conduira tour à tour donc, à nous examiner les éléments
suivants :
1) L’objet de la science politique (1)
2) Les controverses sur l’intitulé même de cette discipline (2),
3) Sa scientificité ; et, si nous le temps le permet
4) Quelques précautions à prendre pour ne pas la confondre avec d’autres discours d’apparence
politistes mais qui ne le sont pas.

Mais, l’intérêt de se poser ces questions ne saurait être aisément compris si l’on n’y apporte pas
certaines précisions dont les suivantes :
D’entrée, il nous importe de dire que la science politique peut être définie comme la discipline
ayant pour objectif l’étude scientifique des phénomènes politiques. Bien que simple en apparence, cette
définition soulève pourtant toute une série de questions. Une première incertitude apparaît ainsi
lorsqu’on s’interroge sur ce qu’est un phénomène politique. On s’aperçoit alors que le mot
apparemment banal de politique n’a pas une signification aussi évidente qu’on pourrait le penser. Il
suffit par exemple, de faire varier l’article devant le mot « politique » pour constater des glissements de
sens qui révèlent la polysémie de ce terme. Ainsi, se révèle une première interrogation qui concerne la
définition de l’objet de la science politique.
Ensuite, l’intitulé de la discipline pose lui-même problème, aux yeux des observateurs extérieurs
comme de ceux des spécialistes de la discipline. Ces débats sémantiques sont loin d’être sans enjeu et
les flottements que l’on constate en la matière renvoient ‘d’une part, à ce qu’a été l’histoire occidentale
de la réflexion politique et d’autre part, à des incertitudes souvent encore rencontrées sur ce qu’est la
science politique, la méthodologie de ses recherches et sa place institutionnelle par rapport aux autres
disciplines intellectuelles et universitaires.
Enfin, le terme de « science » utilisé dans « science politique », est parfois contesté quand il est
appliqué à la connaissance des phénomènes politiques. Cela, tant et si bien que c’est alors l’existence
de la science politique en tant que discipline « scientifique » qui se trouve remise en question. Cette
interrogation s’explique d’autant plus que le développement du discours scientifique sur les
phénomènes politiques se heurte à un certain nombre d’obstacles et qu’un certain nombre de tentations
menacent le politiste et sont susceptibles de compromettre le caractère scientifique de ses travaux.

1. Objet de la science politique

Au XIXe siècle, l’on croyait qu’une science, c’était un objet plus une méthode. A l’époque, l’on
« assignait à chaque science un domaine propre (son objet) et une façon particulière de l’élaborer (sa

3
méthode). Dans cet élan, en ouvrant le premier cours de doctorat dispensé après la création, en 1956,
du Diplôme d’Etudes Supérieures de Science Politique, Marcel Prélot notait :
« Dans chaque ordre de réalité, il y a lieu de délimiter un domaine à explorer où la science qui s’y
rapporte réclamera l’exclusivité par rapport aux autres sciences qui l’entourent »
La science politique ne saurait ainsi se départir de l’exigence de posséder un objet. D’où le
questionnement sur son objet parait tout à fait nécessaire pour la définir comme discipline. Pourtant,
cette démarche ne fait pas l’unanimité dans la communauté des politistes. Par exemple, dans
l’introduction à leur Traité de science politique, M. GRAWITZ et J. LECA récusent cette conception. Ils
soutiennent en effet que « l’idée qu’une discipline doit avoir une loi fondamentale, un objet construit et
bien identifiable et des frontières incontestables n’est plus aujourd’hui la conception dominante de la
science »3. A cet égard, certains sont tentés de considérer que la réflexion sur la science politique en
termes d’objet ou de discipline serait sans intérêt en aboutissant à des simplifications démenties par la
complexité des faits et de la réalité4.
Si cette position est loin d’être sans intérêt sur le plan intellectuel dans la mesure où elle se base
sur des arguments qui méritent l’attention, elle paraît beaucoup plus discutable sur le plan de
l’opportunité et de la reconnaissance sociale et institutionnelle de la discipline. D’ailleurs, cette
interrogation n’est pas propre aux sciences sociales. Les sciences dites exactes ne sont pas elles aussi,
épargnées par les contestations épistémologiques, ce qui n’empêche pas l’usage pratique de ces
notions et le fait que l’on ne confonde pas par exemple, un mathématicien avec un chimiste. Il semble
donc, pertinent d’agir de même en ce qui concerne la science politique, même si l’on sait les limites
intellectuelles de cette approche en termes d’objet et de discipline. Cette prudence se justifie d’autant
plus que, comme dit précédemment, le sens du terme « politique » est ambigu. Plus précisément,
suivant l’article dont on le fait précéder, le mot ne désigne plus exactement la même chose : « une »
politique ne désigne pas la même réalité que « la » politique et « la » politique ne désigne pas la même
chose que « le » politique. Cette difficulté à définir l’objet de la science politique donnera lieu à plusieurs
tentatives visant à donner de la politique une définition plus conceptuelle. En particulier, cet effort s’est
traduit pendant un temps par une controverse devenue classique entre tenants de la science politique
comme « science de l’État » et tenants de la science politique comme « science du pouvoir ». Certes, il
s’agit-là d’une controverse relevant du passé et n’ayant pas autrefois, permis de parvenir à une solution
pleinement satisfaisante du problème soulevé ici. Ceci dit, on ne peut pas ne pas en rappeler les termes
pour bien comprendre le cheminement de la réflexion ayant conduit à la définition que l’on retiendra sur
ce point et sachant plus encore qu’elle demeure actuelle comme le prouvent des productions
scientifiques récentes de nombreux politistes d’ici et d’ailleurs.

a. La science politique comme science de l’Etat

La première conception relativement classique et traditionnelle, qui a été fortement influencée par
les juristes, définit la science politique comme « la science du gouvernement des États ». En France,
cette conception que l’on rencontre avant la seconde guerre mondiale développée par les juristes et par
certains sociologues, comme Georges Davy, a surtout été illustrée après 1945 par les écrits de Marcel
PRELOT5. On la retrouve aussi chez des auteurs comme le belge Jean DABIN. Ces derniers tentaient-
là de sortir du giron des juristes dont la conception semblait déjà tranchée et persistante dans le temps.
Par exemple, un juriste aussi influent que Léon DUGUIT écrira au XIXe siècle, que « les phénomènes
politiques sont ceux qui se rapportent à l’origine et au fonctionnement de l’Etat : ce sont essentiellement
des phénomènes juridiques ... ». Pour ce dernier, la « prétendue science politique », suivant ses propres
termes, n’était « autre chose que le droit constitutionnel, c’est-à-dire une branche de la science générale

3
P.XII
4
Cf. P. FAVRE, « La question de l’objet de la science politique a-t-elle un sens ? », in Mélanges dédiés à R.
Pelloux, Lyon, Hermès, 1980, pp. 129-142
5
Cf. M. Prélot, La science politique, Paris, PUF, Que-sais-je?, 1966.

4
du droit »6. Plus tard, en 1949, Georges BURDEAU soutiendra que la science politique est « une
méthode pour une fructueuse étude du droit constitutionnel, un angle de vision élargi où s’inscrivent les
problèmes traditionnels du droit public »7. Or, puisque le droit constitutionnel est la branche du droit
public qui encadre l’exercice des pouvoirs publics (Etat et collectivités), vous comprenez que pour ces
auteurs, la science politique portait sur les phénomènes relatifs à l’État.
À cette thèse de la science politique comme « science de l’État », on reconnaissait en général le
mérite de la précision. Cela, dans la mesure où elle renvoyait à une réalité bien connue, en l’occurrence
l’organisation de l’État moderne. Cependant, cette approche centrée sur la notion d’État, et sur son
corollaire juridique qu’est la théorie de la souveraineté, fit l’objet d’un certain nombre de critiques. Nous
pouvons en citer 3 :
- Tout d’abord, sa précision reste relative car les frontières de l’État ne sont pas évidentes,
particulièrement dans une période qui a vu s’étendre les activités et les interventions de l’État
dans la vie sociale et en même temps, contester ses pouvoirs ;
- Ensuite, et surtout, on reproche à cette définition de conduire à une vision restrictive du
politique en privilégiant ses aspects juridiques et institutionnels au détriment de ses dimensions
sociologiques (notamment le territoire et la population). En effet, cette définition ferait oublier
qu’avant d’être des phénomènes juridiques, les phénomènes politiques entrent dans la
catégorie plus générale des phénomènes sociaux et qu’il faut donc, examiner toutes les
dimensions constitutives de la notion d’Etat. Pour rappel, les juristes définissent l’Etat comme
une organisation juridique, une personne morale, exerçant un pouvoir souverain pour prendre
des décisions s’imposant aux membres de la collectivité étatique. On voit par exemple, dans
cette définition, que la notion de territoire est absente alors qu’elle constitue un thème de la
science politique ;
- Enfin, le caractère restrictif de cette approche se manifeste par son orientation ethnocentrique,
dans la mesure où elle exclut du champ de la science politique des modes d’organisation
politique qui n’ont pas atteint la complexité du modèle étatique caractérisant les sociétés
modernes. A noter que cette approche qui écarte les éléments sociologiques de l’Etat n’a
trouvé que peu d’adeptes chez les auteurs anglo-saxons.

Face de la thèse « statologique », s’est affirmée une autre conception de la science politique,
d’inspiration souvent anglo-saxonne, l’envisageant comme l’étude des phénomènes de pouvoir.

b. La science politique comme science du pouvoir

La science politique est envisagée dans cette approche, comme la discipline consacrée à
l’analyse des rapports d’autorité, de commandement, de gouvernement dans quelque société que ce
soit, et pas seulement dans le cadre de l’organisation étatique.
Cette conception de la science politique comme étude des phénomènes de pouvoir, insiste
fondamentalement sur les rapports inégalitaires entre gouvernants et gouvernés, et a été
particulièrement développée par des politistes anglo-saxons comme Harold LASSWELL ou Robert
DAHL, aussi bien que par des auteurs français comme Raymond ARON, Georges BURDEAU, Bertrand
de JOUVENEL ou Maurice DUVERGER. D’entre ces politistes anglo-saxons, R. DAHL définit un
système politique comme « […] un ensemble persistant de rapports humains qui impliquent dans une
mesure significative des relations de pouvoir, de domination ou d’autorité ». L’intérêt de cette
conception est de souligner que la notion de pouvoir se retrouve dans la plupart des groupes sociaux et
que l’on rencontre dans tous les groupes sociaux des phénomènes qui ne sont pas sans présenter
d’assez fortes analogies avec ceux que l’on rencontre dans le cadre de l’organisation étatique, avec la
possibilité d’enrichir la connaissance des uns par la connaissance des autres, et inversement. Dès lors,

6
Le droit constitutionnel et la sociologie, ARMAND COLIN et Cie, Paris, 1889, p.20
7
G. Burdeau, Traité de science politique, Paris, L.G.D.J., 1949,1.1, p. 7.

5
tout groupe humain comportant des rapports de pouvoir relèverait de la catégorie des phénomènes
politiques.
Si la thèse « statologique » est apparue restrictive, cette approche du politique par la notion de
pouvoir paraît exagérément extensive/large, car multiples sont les formes de pouvoir que l’on rencontre
dans la vie sociale. Ainsi du pouvoir du parent sur son enfant ; du patron dans son entreprise ; du chef
religieux dans son église, du professeur dans sa classe, pour ne citer que ces quelques exemples parmi
bien d’autres possibles. Le hic, c’est que sous ce rapport, le politique tend à se dissoudre dans le social
et à perdre toute identité spécifique.
Les deux approches qui viennent d’être évoquées se heurtent donc à des objections d’une portée
non négligeable. Ces objections sont tellement fondées que de part et d’autre, plusieurs d’entre eux ont
repensé la question et fini par réviser leur thèse. C’est le cas de Marcel PRELOT qui, en maintenant sa
référence à l’État, précisait que la science politique devait s’étendre à la connaissance de « tout l’État »,
dans ses diverses formes et dans ses diverses composantes (juridiques certes, mais aussi
sociologiques). Il ajoutait que la science politique ne devait pas négliger l’étude de ce qui a précédé
l’État – les « phénomènes pré-étatiques » – l’étude de ce qui peut, dans certains cas, le remplacer – les
« phénomènes para-étatiques » – et enfin l’étude de ce qui peut éventuellement le dépasser – les
« phénomènes supra étatiques »8 (organisations intergouvernementales entre autres). De même, ceux
pour qui la science politique a pour objet les phénomènes de pouvoir admettaient que les formes les
plus perfectionnées et les plus complexes de pouvoir se situaient dans le cadre de l’organisation
étatique. C’est le cas de Maurice DUVERGER. Selon lui, « […] ceux qui définissent la politique comme
la science du pouvoir en général reconnaissent qu’il atteint dans l’État sa forme la plus achevée, son
organisation la plus complète et qu’on doit surtout l’étudier dans ce cadre ; dans les autres sociétés
humaines il reste embryonnaire »9.
Malgré ces efforts, cette controverse classique laisse le chercheur insatisfait, dans la mesure où
les concessions des tenants des deux thèses illustrent toujours des limites. Aussi, pour surmonter ces
difficultés, certains auteurs préfèrent évoquer la notion de société globale. Selon Jean-Louis LOUBET
BAYLE, une société globale renvoie à un groupe social au sein duquel « toutes les catégories
d’activités sont exercées et plus ou moins intégrées (nation, tribus, etc.), par opposition à des groupes
spécialisés (entreprise, église, syndicat, famille, etc.) ». Le mot est ancien et peut être retrouvé dans des
travaux datant des années 1950.C’est le cas de l’ouvrage de Jean MEYNAUD intitulé Introduction à la
Science Politique paru en 1959. Dans cet ouvrage, ce dernier écrit que la politique renvoie aux «
décisions autoritaires qui assurent le fonctionnement de la société globale ». De même, en 1973, Jean-William
LAPIERRE, dans son ouvrage intitulé Analyse des systèmes politiques, écrit que l’on entend « par
pouvoir politique la combinaison variable d’autorité légitime (recours au consensus) et de puissance publique
(recours à la coercition) qui rend certaines personnes ou certains groupes capables de décider pour (et au nom de)
la société globale et de commander à celle-ci afin de faire exécuter les décisions prises »10. Selon LAPIERRE,
les cinq (5) conditions universelles d’existence d’une société globale, sont :

- Une population dont la reproduction est régulièrement assurée ;


- Un espace qu’elle habite, aménage ou modifie ;
- Un mode de production économique assurant sa subsistance et des surplus destinés à
satisfaire diverses demandes sociales ;
- Des codes de communication entre ses membres qui leur sont communs et les distinguent
d’autres populations ;
- Un système de règles assurant la coordination des activités de ses membres, c’est-à-dire des
procédures de règlement des tensions et conflits11.

8
La science politique, Op. cit., pp. 97-100
9
Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, pp. 15-16.
10
Analyse des systèmes politiques, Paris, PUF, 1973, p.29
11
Cité par BRAUD, P., « Du pouvoir en général au pouvoir politique ». in Traité de science politique, Tome 1,
p.371-372

6
Un peu plus tard, Georges BALANDIER écrit – en revenant sur la controverse entre les
« maximalistes » et les « minimalistes » où les maximalistes défendent la thèse qu’il n'y a pas de
société sans gouvernement – que le mode d’interprétation maximaliste « aboutit, chez certains
anthropologues modernes, à assimiler l'unité politique à la société globale (...) »12. BALANDIER cite en
outre le politiste canadien, David Easton, chez qui les systèmes politiques font d’abord référence à
l’ensemble des « activités qui impliquent la prise de décisions intéressant la société globale et ses
subdivisions majeures »13. L’on pourrait aussi citer Philippe BRAUD dont l’article dans le Traité de
science politique de GRAWITZ et LECA, emploie ce concept. Il écrit en effet, que « le mode de
régulation des conflits qui assure l’intégration du groupe et lui permet sa pérennisation en tant que
groupe apparaît comme une condition d’existence de la société globale perçue comme système social
« indépendant »14. Il ajoute que la société globale est « le champ d’extension du pouvoir politique comme
système d’interactions »15.

À partir de ce qui précède, on peut déjà retenir trois points principaux pour une approche du
politique :
- Les phénomènes politiques concernent l’organisation des sociétés globales ;
- Il y a phénomène politique lorsque l’organisation de la société considérée comporte l’existence
de processus décisionnels permettant la prise de décisions pour et au nom de cette société ;
- Il y a phénomène politique lorsque les décisions ainsi prises ont une valeur obligatoire fondée
soit sur une obéissance consentie soit sur la mise en œuvre de moyens coercitifs pouvant aller
jusqu’au recours à la contrainte physique.

Les phénomènes politiques sont alors les phénomènes en rapport avec ce mode d’organisation
et de fonctionnement des sociétés globales. En se situant dans cette perspective, on peut retrouver les
diverses significations du terme « politique » :

- « le » politique désigne le mécanisme du processus décisionnel qui permet de prendre des


décisions engageant la collectivité. Cette définition correspond approximativement au terme « polity »
en anglais ;
- « une » politique désigne ensuite les décisions prises par ce pouvoir décisionnel, soit qu’elles
concernent l’ensemble de la vie collective, soit qu’elles concernent certains secteurs déterminés de
celle-ci (politique étrangère, politique économique, politique culturelle, etc.). C’est l’aspect du politique
que les anglais désignent par les mots « policy » ou « policies »;
- « la » politique désigne enfin la compétition et les conflits entre les individus et les groupes qui
se développent pour contrôler le pouvoir décisionnel et orienter les décisions prises, tous aspects de la
vie politique que les anglais tendent plus ou moins à regrouper sous le terme « politics ».
Cette approche a le mérite de répondre à une objection souvent avancée pour contester la
possibilité de définir un objet de la science politique. À savoir, l’argument qui prend appui sur les
variations du champ de la politique selon les époques et les sociétés. Il est en effet, notable qu’un
problème sans caractère politique dans telle société ou à telle époque peut en devenir un dans une
autre société et à un autre moment. Ceci dit, en fonction de ce qui vient d’être développé, il est possible
de considérer qu’un problème n’a pas un caractère politique en soi, mais seulement à partir du moment
où il est susceptible d’avoir une influence sur le fonctionnement du pouvoir politique ou lorsqu’il devient
susceptible de faire l’objet d’interventions et de décisions du pouvoir politique. Un problème peut en

12
Cf. « Le politique des anthropologues », in LECA, J. et GRAWITZ, M., Traité de science politique, Tome 1,
p.312
13
Idem, p.313
14
Cf. « Du pouvoir en général au pouvoir politique », Op.cit., p.372
15
Op.cit., p.371

7
outre, revêtir un caractère politique lorsqu’il est l’occasion de débats, de conflits ou d’affrontements aux
fins de savoir s’il doit faire ou non l’objet de décisions du pouvoir politique ou pour déterminer quelles
seront les orientations de ces décisions. Pour J.-M DENQUIN, « est politique tout ce qui intéresse, de
manière médiate ou immédiate, directe ou indirecte, proche ou lointaine, centrale ou marginale, la
dévolution du pouvoir politique, parce que celle-ci dépend de l’opinion des gouvernés. »16. A cet égard,
Yves SCHEMEIL note que « Ce qui n’est pas directement politique peut néanmoins être politiquement
pertinent […] »17. SCHEMEIL nous propose d’ailleurs, un tableau des processus qu’il qualifie de
« politiques » (voir encadré 1 ci-dessous).

Encadré 1 : Les processus politiques


Processus considérés comme politiques et relevant de la science du même nom :
 les efforts faits dans toutes les sociétés et tous les gouvernements de l’humanité pour dominer la
violence, se dominer soi-même, ne pas être dominés par les autres ;
 les moyens qu’on se donne pour vivre avec ses voisins, ou vivre à nouveau avec eux après des
dissensions durables et des conflits dramatiques, ou s’en séparer pour toujours en créant un autre Etat ;
 la fusion de groupes divisés en une seule communauté politique, et aussi l’épuisement de cette fiction
quand un ou plusieurs de ces groupes font sécession et ne se reconnaissent plus la légitimité d’un pouvoir
central ;
 la coordination, la délibération, la négociation, le compromis avec leur cortège de procédures, de
discussions, de tactiques, mais aussi de convictions idéologiques, morales ou religieuses.
Les instruments disponibles depuis l’aube de l’humanité pour atteindre ces objectifs sont :
 les élections (et toutes les formes possibles de scrutin) : les élections sont le moyen de parvenir à des
décisions publiques, y compris quand il y a une personne ou un groupe de personnes capables de dicter aux
autres leur vote. Elles peuvent être générales ou limitées à un petit groupe.
 les coups d’Etat (et autres interventions des forces de sécurité dans la vie civile) : Les coups d’Etat
évitent ou interrompent un processus de démocratisation et parfois même un processus que leurs auteurs
jugent source de désordres excessifs. Ils sont faits par des groupes d’individus persuadés qu’une population
n’est pas mûre pour se réformer, que la majorité populaire n’a pas toujours raison, qu’un pays trop divisé est
vulnérable dans ses relations avec les autres.
 les révolutions (et toute autre forme de crises politiques) : les révolutions naissent d’un écart entre les
décisions publiques prises (ou reportées) et les attentes d’une population ou d’une catégorie sociale jouant un
rôle majeur à un moment de l’histoire du pays.
 les guerres (civiles ou internationales) : les guerres sont l’horizon indépassable du politique. C’est
malheureux, mais la condition humaine est ainsi faite. Qu’elles soient « la continuation de la politique par
d’autres moyens » ou le signe le plus patent de l’échec de la politique, elles existent et, quand on croit avoir
triomphé, elles reviennent, là où et quand on les attend le moins. Elles manifestent notamment l’échec de toutes
les tentatives de compromis entre adversaires, dans lesquelles on reconnaît souvent la trace de ce qu’est la
politique (savoir négocier).
 les négociations.
Source : SCHEMEIL, Y., Introduction à la science politique : objets, méthodes, résultats, 3e édition
revue et augmentée, Dalloz, juin 2015, p.74

16
Op.cit., p.29
17
Introduction à la science politique : objets, méthodes, résultats, 3e édition revue et augmentée, Dalloz, juin
2015, p.85

8
2. Dénomination de la science politique

L’étude scientifique des phénomènes politiques s’est vue autrefois, désignée par des termes
différents : « science politique », « sociologie politique », « sciences politiques », « sciences du
politique »18. Ces variations de la terminologie employée n’étaient pas fortuites et traduisaient
l’incertitude qui caractérisait le statut de la science politique, particulièrement en France, notamment en
ce qui concerne la façon d’aborder l'étude des phénomènes politiques. Cette incertitude tient à diverses
causes. Une de celle-ci tient sans doute à l’histoire de la science politique, notamment, à la fois, à
l’ancienneté et à la jeunesse de l’étude des phénomènes politiques.
La première caractéristique de cette histoire, c’est l’ancienneté de la réflexion sur les
phénomènes politiques. En effet, elle remonte aux Ve et IVe avant J.-C. À ce moment-là, elle est l’œuvre
de philosophes : l’objet politique est d’abord appréhendé sous l’angle philosophique. Platon et Aristote
plaçaient déjà la science politique au cœur de leurs réflexions. Mais pendant longtemps, le savoir sur la
science politique fut synonyme de savoir sur la science de gouvernement. Toutes ces premières
analyses privilégiaient le jugement moral, le devoir-être, au détriment de l’étude des réalités
observables. Jusqu’au XIIIe siècle, les auteurs portaient des jugements de valeurs. Ils insistaient sur ce
qui devrait être au lieu d’analyser les processus politiques réels, les faits politiques. En somme, le
premier handicap de la science politique fut la difficulté d’acquérir et affirmer son autonomie par rapport
aux orientations normatives de la philosophie politique (aujourd’hui encore, les politistes sont souvent
soupçonnés de dissimuler sous leurs analyses d’apparence scientifique, des préférences idéologiques
ou partisanes).
Au Moyen-âge, la réflexion est dominée par les références religieuses et théologiques. La
politique ne fait plus l’objet d’une réflexion autonome ; elle est absorbée par la théologie et le plus
souvent reléguée au second plan comme chez Saint Augustin (350-430 ap J-C). Les œuvres des
penseurs grecs sur la politique sont perdues et il faudra attendre le XIIIe siècle pour qu’on les
redécouvre grâce à la civilisation arabe (Thomas d’Aquin…). Ce sera le point de départ d’une
Renaissance de la pensée politique. À partir de la Renaissance, les penseurs modernes se séparèrent
de cette chape de plomb éthique et largement théologique surplombant le politique. En effet, certains
auteurs commencèrent à livrer des réflexions fondées sur une observation empirique rigoureuse : ces
auteurs apparaissent comme des précurseurs de la science politique moderne, ayant été les premiers à
tenter de théoriser ce qui se rapporte à la science du gouvernement, aux affaires de la cité. Il s’agit en
l’occurrence d’Aristote, de Machiavel et de Montesquieu (sans être cependant, exhaustif).

a) Aristote se livra à une observation scientifique des régimes politiques existants. Avec ses
élèves, il rédigea une série de monographies sur les Constitutions de 158 cités grecques et étrangères.
Toutefois, sa démarche resta tributaire de la philosophie, ce dernier comparant les régimes grecs pour
tenter de discerner les mérites et défauts des uns et des autres. Cela dit, il est le premier à faire une
observation systématique ;

b) On peut considérer que la science politique naît au XVIe siècle avec Machiavel : il est le
premier à séparer morale et politique. En 1532, Machiavel publie Le Prince. Sa contribution à la
naissance de la science politique est décisive car il lui apporte un objet, une méthode et des lois. Un
objet : il centre son étude sur l’État (c’est d’ailleurs, lui qui crée le mot au sens moderne) ; il réfléchit sur
la conquête, l’exercice du pouvoir, le maintien au pouvoir, l’accroissement / la perte du pouvoir. Il
adopte une démarche positive qui coupe la science politique de la morale et de la religion : il cesse de
mener ses travaux en juge et philosophe pour devenir observateur et témoin. L’analyse du politique
devient descriptive et non plus normative (école des faits). Ainsi, écrit-il : « (…) dans le dessein que j’ai
d’écrire des choses utiles pour celui qui me lira, il m’a paru qu’il valait mieux m’arrêter à la réalité

18
À noter aussi l’existence des termes de « politologie » proposé par M. Prélot et J. Freund ou de « statologie »
par M. de la Bigne de Villeneuve.

9
des choses que de me livrer à de vaines spéculations »19. Il substitue l’observation directe au
raisonnement pur. À partir des faits qu’il observe, il tente de dégager des constances, des relations, des
successions significatives, etc. Il s’efforce de découvrir des lois qui relient et expliquent les événements.

c) Quant à Montesquieu, il écrivit et publia L’esprit des lois en 1748, servant de vaste enquête sur
les lois, les systèmes juridiques et politiques de divers pays. L’État y est envisagé comme une structure,
une totalité, et il essaie de saisir l’ensemble en étudiant les partis. Il annonce les notions de système
social et structure sociale et analyse les faits sociaux comme étant reliés entre eux par des liens
subjectifs. Ainsi, dans sa préface, il écrit : « Je n’ai point tiré mes principes de mes préjugés mais de la
nature des choses ». Et dans le chapitre 2, il écrit : « On dit ici ce qui est, et non pas ce qui doit être ».

Les propos de ces précurseurs vont au-delà de la philosophie politique tant et si bien que la
science politique en fait toujours usage. Ceci dit, si la réflexion sur les phénomènes politiques est
ancienne, la science politique est au contraire une science jeune20. En effet, même si les œuvres des
auteurs précités annoncent, par la place qu’ils font à l’observation de la réalité, la perspective
scientifique que l’on vient d’évoquer, on peut situer la naissance de la science politique moderne dans
la seconde moitié du XIXe siècle, aux États-Unis, à l'université de Columbia. L’on peut retenir les dates
suivantes :
- En 1857, Francis LIEBER est le premier professeur d’histoire et science politique ;
- En 1880, y est créée la première école de sciences politiques ;
- En 1903, l’Association américaine de science politique voit le jour ;
- Dans les années 1950 / 1960, les études mettent l’accent sur les comportements des individus
et groupes (école behavioriste) ; époque où la science politique se développe en se
rapprochant de disciplines voisines (économie, anthropologie, etc.), où des auteurs américains
développent des modèles (ex : modèle d’Easton).

En France, la science politique connaît une apparition plus difficile. Au XIXe siècle, avec la
révolution industrielle, la société se transforme profondément et on cherche davantage à comprendre
son fonctionnement. Fin 1870, la défaite de Sedan se rapportant à la guerre franco-allemande,
provoqua un profond traumatisme, entraînant une remise en cause des élites françaises et créant un
climat favorable à la création de l’école libre des sciences politiques. Dans ce contexte, étant
particulièrement frappé par l’ignorance des questions politiques de l’opinion française pendant la
Commune insurrectionnelle de Paris – créée en 1871, en raison du refus de capituler devant le
royaume de PRUSSE –, Émile BOUTMY, écrivain politique libéral, chercha à faire mieux comprendre
aux nouvelles générations les questions politiques. D’où il créera en 1872, l’école libre des sciences
politiques (ELSP) dans laquelle, à l’origine, était enseignée une partie du droit, de l’histoire, des
sciences sociales. Très vite, cette école va se spécialiser dans le recrutement et la formation des élites
destinées à administrer l’État et les grandes entreprises21. Notez qu’à cette époque, on parlait « des
sciences politiques », ces dernières étant perçues comme des savoirs pratiques destinés à instruire,
former les grands serviteurs de l’État. Cette école avait en effet, un quasi-monopole des sciences
sociales et formait même, les élus. On va assister peu à peu à une institutionnalisation de la science
politique : les facultés de droit en revendiquaient enfin l’enseignement, même si elles considéraient que

19
MACHIAVEL, N., Le Prince, Chap.15, p.95
20
Cf. P. FAVRE, « Histoire de la science politique » in M. GRAWITZ et J. LECA, Traité de Science Politique,
Tome 1, Paris, P.U.F., 1985, 1.1.
21
Cette École va faire plus de place à l’enseignement pour former les cadres de la haute fonction publique qu’à
la recherche et, dans la mesure où sont alors publiés des travaux concernant les phénomènes politiques, ce sont
souvent des travaux de juristes plus ou moins frottés de sociologie, comme ceux de Duguit ou Hauriou, la seule
exception notable étant le Tableau Politique de la France de l’Ouest sous la Ille République, d’André Siegfried
(in P. Favre, Naissances de la science politique en France, Paris, Ed. Fayard, 1989).

10
ce n’est qu’une branche du droit. Finalement, la discipline se vit consacrée au lendemain de la seconde
guerre mondiale :
- En 1945, l’école libre des sciences politiques va être nationalisée, devenant l’Institut d’Études
Politiques (IEP), tandis que la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) se verra
confier la mission de développer la science politique ;
- En 1949, va être créée l’Association française de science politique (AFSP) ;
- En 1951, la Revue française de science politique verra le jour ;
- On assistera aussi à la création en 1956 d’un Ille cycle de science politique et à ;
- L’organisation dès 1970, d’un recrutement spécialisé d’enseignants de science politique –
maîtres de conférences puis professeurs – dans les universités ;
- Dès 1964, la science politique va même finir par se développer dans les facultés de lettres.

Durant cette période, la science politique est dominée par de grandes figures qui reflètent le
caractère composite de la discipline.
- Parmi les juristes s’adonnant à la science politique, il faut citer Maurice DUVERGER qui sera
connu internationalement pour ses travaux sur les partis politiques.
- Parmi les sociologues, on doit mentionner Raymond ARON (figure tutélaire de la discipline)
mais aussi Jean MEYNAUD pour ses travaux sur les groupes d’intérêt, Jean-Luc PARODIE sur
les sondages.
- Du côté des historiens, les noms de René REMOND, Jacques CHAPSAL s’imposent comme
initiateurs de l’histoire de la vie politique.
- S’agissant de l’histoire des idées politiques, il faut mentionner Jean-Jacques
CHEVALLIER et Jean TOUCHARD qui écrivirent les premiers manuels et régnèrent sur ce
secteur.
- Quant aux relations internationales, on retiendra les travaux des historiens Jean-Baptiste
DUROSELLE, Pierre RENOUVIN et du sociologue Marcel MERLE…

Si la naissance tardive de la science politique en France s’explique par le problème général déjà
signalé de la confusion entre philosophie politique et science politique22, elle tient aussi à des
problèmes plus spécifiquement français liés à la difficulté qu’a rencontrée la science politique pour
affirmer et défendre son identité en face de trois disciplines établies, qui entendaient garder dans leur
domaine l’étude des phénomènes politiques. Ces trois disciplines sont le droit public, l’histoire et la
sociologie.

Dans ce contexte, la préoccupation d’affirmer l’identité et l’autonomie de la science politique s’est


par exemple, traduite chez certains auteurs par le recours au terme de « sociologie politique » pour
désigner l’étude des phénomènes politiques. Le but poursuivi par certains des auteurs qui adoptent
cette position est de rappeler que les phénomènes politiques sont des phénomènes sociaux et que
l’étude scientifique des phénomènes politiques constitue une des branches spécialisées de la sociologie
et doit être pratiquée en mettant en œuvre les principes de la méthode sociologique.
Négativement, ce choix est justifié par la volonté de repousser l’impérialisme des juristes, qui
tendraient à user du terme de science politique pour limiter la discipline à l’étude de l’État dans ses
aspects institutionnels et juridiques. Face à cette menace de réductionnisme, les tenants de
l’expression « sociologie politique » entendent donc souligner trois idées essentielles :
1) Les institutions et les règles juridiques font partie de la réalité politique, mais la réalité politique
ne se réduit pas à ses aspects juridiques et institutionnels ;

22
Cf. dans ce sens le titre de l’ouvrage classique de P. Janet, Histoire de la science politique dans ses rapports
avec la morale, Paris, 1887, ou la création encore de l’Académie des sciences morales et politiques au sein de
l’Institut de France.

11
2) Les phénomènes politiques sont des phénomènes sociaux, qui doivent être étudiés en mettant
en œuvre les mêmes techniques et méthodes que celles utilisées pour l'étude des autres
catégories de phénomènes sociaux ;
3) Les phénomènes politiques ne sont pas des phénomènes sociaux isolés, mais des
phénomènes sociaux en situation d’interaction avec les autres catégories de phénomènes
sociaux. Dès lors, l’étude de ces interactions ne saurait être négligée pour une bonne
compréhension de la nature et des caractéristiques des phénomènes politiques.

Les arguments ainsi développés mettent l’accent sur des problèmes importants et avancent des
considérations qui paraissent au premier abord, totalement fondées. Pourtant, il convient de rester
réservé devant la conclusion terminologique tirée du caractère sociologique de la science politique, en
demeurant fidèle à l’emploi de l’expression « science politique » pour désigner l’étude des phénomènes
politiques. En effet, ce vocable paraît permettre aussi bien d’affirmer la spécificité de la science politique
par rapport au droit que de rappeler l’intérêt de l’approche sociologique des phénomènes politiques.
Ces objectifs semblent pouvoir être atteints sans utiliser le terme de « sociologie politique » qui tend, lui,
à dissoudre l’identité de la science politique dans la sociologie. S’il est incontestable que les
phénomènes politiques sont des phénomènes sociaux, en situation d’interaction avec les autres
catégories de phénomènes sociaux, il n’en reste pas moins qu’ils conservent une spécificité qui permet
de fonder l’autonomie des recherches les concernant. A ce titre il paraît justifié de parler de « science
politique » et non de « sociologie politique », de la même façon que l’on parle de science économique et
non de sociologie économique ; de démographie et non de sociologie démographique ; d’ethnologie et
non de sociologie ethnographique ; etc. Il semble donc légitime de conserver l’emploi du terme science
politique, d’autant que si le terme de « sociologie politique » peut être intellectuellement créateur
d’ambiguïté, rien ne prouve qu’il ait une efficacité particulière pour atteindre le but principal poursuivi :
libérer l’analyse des phénomènes politiques de l’approche réductrice des juristes et surtout, développer
l’autonomie institutionnelle de la discipline.
Si l’emploi du terme « sociologie politique » parait traduire des aspirations légitimes, il n’en est
pas de même lorsque l’expression science politique est utilisée au pluriel, qu’il s’agisse de l’expression
traditionnelle de « sciences politiques » ou de son rajeunissement en « sciences du politique ». Les
justifications de cet emploi du pluriel sont que les phénomènes politiques sont des phénomènes
présentant des aspects divers qui se trouvent en relation avec des faits variés, étudiés par des
disciplines différentes : faits économiques étudiés par la science économique, faits juridiques étudiés
par les juristes, faits historiques étudiés par l’histoire, etc. Dès lors, la science politique n’existerait pas,
il n’existerait que des sciences diverses saisissant chacune un des aspects des phénomènes politiques
dont la connaissance complète suppose l’addition de connaissances issues de sources scientifiques
différentes. Tout au plus, dans cette perspective, certains accepteraient-ils que l’on parle de « science
politique-carrefour », cette discipline étant au croisement des recherches poursuivies sur les différents
aspects des phénomènes politiques par les disciplines spécialisées susmentionnées. Il est évident que
derrière cet usage du pluriel, c’est l’identité et l’autonomie de la discipline qui sont en question.
À cet usage de l’expression « sciences politiques » au pluriel on peut d’abord reprocher de
rendre difficile, sinon d’empêcher, le développement d’une identité de la discipline, en légitimant les
empiétements et les revendications des disciplines qui lui sont connexes, si bien que l’on en arrive à
des situations où l’on voit, d’un même mouvement, des représentants de ces disciplines connexes
contester, d’une part, l’existence de la science politique et revendiquer, en même temps, cette
appellation pour leur propre discipline, en semblant ignorer superbement les contradictions de leurs
positions. D’autre part, l’argumentation justifiant le pluriel par les interactions entre les phénomènes
politiques et les phénomènes sociaux étudiés par d’autres disciplines n’est guère fondée, car ce type de
situation se rencontre dans l’étude d’autres phénomènes que les phénomènes politiques sans que, pour
cela, on conteste l’identité des disciplines scientifiques les concernant.

12
Tableau 1 : Différences et affinités de vue sur les objets politiques selon les disciplines
Questions essentielles Objectifs de la principale Objets politiques Techniques conçues dans
sur l’objet de la science discipline concernée et de la privilégiés par cette ce cadre pour se saisir de
politique science politique discipline ces objets
Sociologie générale : la norme Domination, hiérarchie sociale ; Collecte de données
permet d’éviter le conflit, qui est à constitution de groupes, statistiques et de données
la source de nouvelles normes : catégories, classes, castes, d’enquête ; observation de
Les différences conformisme et transgression lignages, etc. l’intérieur (« participant »).
sociales créent-elles s’opposent.
du désordre ou de Science politique : l’agrégation Interactions individuelles et Entretiens, contrôle croisé des
l’ordre politique des choix individuels produit soit constitution d’identités ; réponses, confrontation des
un ordre plus durable soit un plus mobilisation des différences réponses avec les données
grand désordre. dans l’action collective. d’archives ; sondages ; études
de cas.
Droit : la loi l’emporte sur la force, Etat, régimes, gouvernement, Interprétation des textes
donc le droit prime la politique. administration ; constitution, juridiques ; discussion de la
lois, règlements, codes ; doctrine, des cas de
élections, partis, associations. jurisprudence et du contentieux
Quelle place pour le (administratif, constitutionnel,
droit en science extérieur).
politique ? Science politique : l’usage des Gouvernance ; processus de Connaissance des textes
règles de droit par les acteurs politisation, légitimation, juridiques, de leur signification,
politiques est plus important que intégration, régulation, prise de des conditions de leur
leur contenu. décisions. application ; étude des rapports
entre juges, tribunaux, ordres
judiciaires.
Philosophie : éthique et logique Définition des principes de Recherche d’un idéal à
engendrent des institutions justice ; énonciation de droits atteindre (un absolu, non
acceptables et produisent des de la personne humaine réalisé) par une « expérience
Comment rendre une droits imprescriptibles. (liberté, égalité ou équité, de pensée » ; travail
société vivable et solidarité, droit à consentir, interprétatif d’exégèse et de
comprendre habeas corpus) dépassement des œuvres de
l’inhumain ? penseurs influents.
Science politique : une société Elimination des injustices ; Recherche d’un équilibre entre
intelligible et une société où les obligation civique ; organisation justice et efficacité dans
choix publics sont argumentés et d’un débat public contradictoire l’énonciation des mesures
débattus. et équitable. publiques.
Histoire : la violence est Formation et transformation Travail sur archives et
progressivement contenue dans la des ordres politiques locaux et témoignages permettant de
longue durée, mais elle resurgit globaux ; cycles politiques, reconstituer le déroulement des
périodiquement avec brutalité. successions de périodes et évènements passés ;
La politique est-elle modalités de passage de la comparaison de séquences
universelle ou précédente à la suivante historiques entre elles ;
« historicisée » ? confrontation de l’histoire à la
mémoire.
Science politique : les problèmes « Euphémisation » de la Etude de la genèse et de la
sont universels, leurs solutions violence, civilisation des trajectoire des institutions et
dépendent de contextes mœurs, oubli des origines ; des pratiques ; comparaisons
particuliers. continuité entre situation transnationales.
banales et situations
exceptionnelles.
Economie : à la concurrence sur Relations entre organisations Choix rationnels, choix publics,
le marché s’oppose l’autorité dans privées et institutions théorie des jeux, économétrie.
l’Etat et les organisations publiques.
La politique est-elle intergouvernementales, sans
affaire de qu’un ordre l’emporte sur l’autre.
compétition, de Science politique : le marché Interactions à la fois Etude historique de la
commandement ou organisé par l’Etat, qui coordonne concurrentielles et transformation des économies
globalement les activités des hiérarchiques entre acteurs de (stagnation, développement,
de coordination ? acteurs institutionnels et celles des toutes catégories, statuts et croissance) ; usages
citoyens. niveaux statistiques de la comptabilité
nationale.
Source : SCHEMEIL, Y., Introduction à la science politique : objets, méthodes, résultats, 3e édition revue et augmentée,
Dalloz, juin 2015, pp.89-90

13
L’on peut reprendre ici les exemples, entre autres, de l’économie, de la démographie, ou de
l’ethnologie. Si l’argumentation concernant l’emploi du terme « sciences politiques » employé au pluriel
ne saurait mettre en cause l’affirmation de l’identité de la science politique par l’usage au singulier de
cette expression, elle souligne en revanche l’intérêt pour le développement de la science politique et de
la connaissance des phénomènes politiques d’une collaboration interdisciplinaire amenant les
spécialistes de science politique à collaborer avec les représentants d’autres disciplines et à acquérir
des connaissances dans d’autres domaines que celui de leur spécialité entendu au sens étroit. Tenant
compte de cette remarque sur l’interdisciplinarité, il parait donc légitime d’user du terme de science
politique au singulier pour éviter un certain nombre d’ambiguïtés et d’équivoques.

La situation intellectuelle et institutionnelle de la science politique peut-être encore source


d’interrogations et les débats sur sa dénomination en étaient le reflet. Pour nous, au Gabon, éviter les
vocabulaires ambigus – comme l’usage de l’expression « sciences politiques » – qui peuvent favoriser
des confusions dommageables constituera donc bien pour la science politique une nécessité, afin
d’affirmer et de faire reconnaître son identité et son autonomie dans notre espace.

3. Existence de la science politique : A quelles conditions est-elle une science ?

Certaines objections du sens commun obligent à s'interroger sur le terme de « science » appliqué
aux recherches concernant les phénomènes politiques, en soulevant des questions qui sont à la base
de l'existence de toutes les sciences sociales, parmi lesquelles figure la science politique. Cette
réflexion sur la notion de science politique conduit à se demander ce qu'est une science, pour savoir si
la définition que l'on peut en donner est applicable aux études concernant les phénomènes politiques.
Concernant ce point, on peut tenter de faire varier la définition de la science de manière à ce que
les critères retenus conviennent à la « science politique ». Si on le faisait, l’on dévaluerait alors le mot
« science » pour ne pas dévaloriser la « science politique ». Il convient de ne pas succomber à cette
tentation mais au contraire, de distinguer scrupuleusement la définition du mot « science »,
indépendamment de son application éventuelle à la science politique. Sur la base de cette définition,
l’on pourra être capable de dire si la science politique est effectivement une science.
Les définitions du concept de science sont assez variées. Cela dit, tout en tenant compte d’un
certain nombre de réflexions épistémologiques23, notamment sur le statut particulier des sciences
humaines, on retiendra ici la définition de Pierre FAVRE pour qui l’on « peut sans risque définir la
scientificité par la possibilité de réitération, à des fins de vérification, de la démonstration conduite, cette
possibilité étant inscrite dès sa réalisation dans la recherche puisque celle-ci doit être construite comme
vérifiable. (...) ». En effet, en tant que discours portant sur le réel, selon la définition donnée par Jean-
Marie DENQUIN, la science est un discours fondé sur l’observation de la réalité, ce qui rend possible la
répétition à des fins de vérification (même si cela ne se vérifie pas toujours). A des fins de vérification
car, contrairement aux discours théologiques, esthétiques ou encore, idéologiques, ce qu’un chercheur
« pense avoir établi, n’importe quel autre – à condition de posséder la compétence nécessaire (…) – peut
l’examiner, le confirmer ou le réfuter s’il y a lieu ». En effet, un discours construit de manière à écarter
toute possibilité de réfutation ne saurait être une science. De cette caractéristique de pouvoir réfuter
tout savoir scientifique, il en résulte que certains savoirs ne peuvent être objets de science en raison de
l’impossibilité – du moins actuelle – pour le chercheur de pouvoir accéder à certaines expériences. Ainsi
par exemple, de l’expérience intérieure de chacun de nous qui est parfaitement évidente mais qu’aucun
autre ne peut examiner. FAVRE précise cependant qu’« un tel critère de scientificité implique
l’existence d’une communauté scientifique et (...) donc les dimensions institutionnels et

23
Du mot « épistémologie » qui est la partie de la philosophie ayant pour objet l’étude critique des postulats,
conclusions et méthodes d’une science particulière, considérée du point de vue de son évolution, afin d’en
déterminer l’origine logique, la valeur et la portée scientifique et philosophique (cf. philosophie des sciences,
empirisme logique).

14
méthodologiques de la science sont deux aspects qui ne peuvent être disjoints »24. Partant de là,
FAVRE précise plus loin au sujet de la science politique :
« Si l’on s’en tient au critère précédemment proposé — il y a « science politique » stricto sensu
lorsqu’il y a à la fois des recherches se conformant, ou tendant à se conformer, aux normes actuelles de
la scientificité, et une communauté savante dont l’activité s’inscrit dans un ensemble institutionnel —,
l’histoire de la science politique en France commence aux environs de 1870, plus tôt donc que dans la
plupart des autres pays occidentaux. Une date repère est donnée par la création, en 1871, de l’Ecole libre
des Sciences politiques, même s’il faut attendre les années 1885-1895 pour que l'ensemble des traits
caractérisant une discipline en voie de constitution soit en place »

La scientificité de la science politique ne faisant donc aucun doute, il nous faut néanmoins nous
arrêter sur certaines tentations susceptibles de compromettre le caractère scientifique du travail du
politiste ou de l’apprenti politiste.

4. Tentations de la science politique

Comme nous venons de le voir, la science politique est bien une science, précisément une
science humaine, qui tend à conquérir son autonomie et son identité scientifique. Mais cette conquête
qui a été difficile, reste toujours menacée par un certain nombre de tentations que l’on ne peut ignorer,
car elles peuvent compromettre le caractère scientifique du travail du politiste.

La première tentation pouvant menacer le politiste, est « la tentation du discours militant », c’est-
à-dire la tentation de substituer au discours scientifique un discours orienté vers la défense ou la
promotion d’une cause politique, ce qui remet en question la neutralité et l’objectivité du discours
scientifique. Il arrive en effet, que certains politistes se comportent alors en militants politiques,
l’exercice de la science politique constituant pour eux, une forme d’engagement au service de la cause
politique à laquelle ils sont attachés. Or, on ne saurait confondre science politique et militantisme
politique. De même, il ne faut pas confondre : « faire » de la politique, ce n'est pas « faire » de la
science politique. Cette confusion peut être favorisée par la prétention de certaines doctrines politiques
modernes à posséder un fondement scientifique et à ne pas être seulement un ensemble de
préférences normatives. Ainsi de la théorie marxiste de la révolution et de la société sans classes qui ne
se considérait pas comme la formulation d’une philosophie politique mais comme l’expression d’une
théorie scientifique.

La substitution du discours militant ou idéologique au discours scientifique prétend, selon


certains, trouver sa justification dans la difficulté d’évacuer toute dimension subjective et toute
perspective normative dans la recherche sur les phénomènes politiques, notamment du fait de la
prégnance de l’idéologie du milieu social auquel le chercheur appartient, qui l’amènerait à légitimer par
le discours scientifique les valeurs de celle-ci25. De cette difficulté on conclut alors que tout discours à
prétention scientifique est en réalité un discours idéologique qui se dissimule ou qui s’ignore, et qui de
ce fait est d’autant plus pernicieux. En conséquence, il n’existerait pas de discours scientifique neutre,
tout discours étant en réalité un discours « engagé », un discours « militant ». Dès lors, l’opposition
entre discours scientifique et discours militant n’aurait aucun sens.

24
Traité de science politique, Op.cit., Tome 1, p.6
25
Cf. les critiques de P. Bourdieu considérant que la science politique, « loin de contribuer à la science objective
de l’univers « politique », travaille à sa légitimation en reprenant à son compte le découpage de l’objet
préconstruit et l’axiomatique implicite qui est au principe de ce découpage » in « Questions de politique », Actes
de la recherche en Sciences Sociales, 1977, p. 87.

15
Bien que cette argumentation se fonde sur des observations qui ne sont pas sans justifications,
elle en tire des conséquences erronées et trop radicales. En effet, ce n’est pas parce que l’idéal
scientifique d’une objectivité totale de la connaissance est sans doute un idéal impossible à atteindre
qu’il faut renoncer à tenter d’y parvenir. Cet idéal d’objectivité doit rester l’idéal du chercheur, même si
les difficultés pour l’atteindre sont évidentes.

Les remarques qui précèdent doivent également prévenir le chercheur contre une autre
tentation : la « tentation angélique ». Tentation inverse de la tentation du discours militant, elle consiste
à affirmer la pureté absolue du discours scientifique, en considérant qu’il est possible de parvenir sans
difficulté à l’idéal de réalisme et d’objectivité. Elle fait croire à la possibilité d’arriver dans la recherche
sur les phénomènes politiques à une « scientificité » totale. Elle fait ainsi oublier que le chercheur n’est
pas un pur esprit mais plutôt un homme « situé », situé sociologiquement, historiquement,
intellectuellement. Il y a donc un conditionnement du savoir scientifique que l’on ne saurait ignorer. Ce
conditionnement est d’abord un conditionnement sociologique en fonction de l’environnement social du
politologue : le politologue d’un pays développé n’aura pas, par exemple, les mêmes préoccupations
que le politologue appartenant à un pays en voie de développement. Ce conditionnement est aussi
historique en fonction du moment où se situe la constitution d’un savoir (par exemple, l’essor des
travaux sur la notion de développement politique durant la période de la décolonisation dans les années
1950-60). Ce conditionnement est également un conditionnement intellectuel en fonction de l’état de la
discipline au moment où se situe la recherche. En plus, s’il y a des modes concernant les objets
étudiés, il y a aussi des modes intellectuelles concernant la manière de les étudier ou les méthodes
mises en œuvre pour le faire. Enfin, il existe un conditionnement personnel du chercheur en fonction de
son histoire individuelle, de ses expériences, des engagements et des opinions qui peuvent être les
siens. En somme, le chercheur ne doit pas faire l’économie d’une réflexion critique sur les conditions
dans lesquelles s’élabore son savoir. Ceci dit, prendre lucidement conscience de ces conditionnements
ne signifie pas capituler devant eux. C’est, au contraire, en prendre la mesure pour mieux s’en libérer,
tout en sachant que cette libération pourrait ne pas être totale.

Une autre tentation est celle du « discours journalistique ». Ici, la tentation est celle de s’en tenir à
un discours plus ou moins superficiel et descriptif sur les réalités politiques, nourri notamment des
informations que les médias déversent à jet continu dans la société nationale ou internationale. L’on se
trouve là devant une tentation particulièrement spécifique à la science politique, qui tend à lui donner
une place à part parmi les autres sciences sociales. Ce particularisme tient d’abord au fait que l’on vit
de manière quasi continue dans un univers politique ou politisé et que chacun fait, constamment ou
quasi-constamment, directement ou indirectement, l’expérience de phénomènes politiques. Par ailleurs,
chacun dispose sur les phénomènes politiques d’une formidable masse d’informations et
d’interprétations auxquelles les médias donnent un accès quotidien, parfois presque immédiat. Dès lors,
chacun porte en lui un stock de connaissances politiques plus ou moins étendues et un ensemble
d’interprétations plus ou moins conscientes des phénomènes politiques. De ce fait, on peut dire que
chacun est porteur d’un savoir politique immédiat, et la tentation peut être grande de confondre ce
savoir politique immédiat avec « la » science politique, d’autant que ce savoir politique immédiat peut se
réclamer des évidences du bon sens ou de la caution de journalistes et commentateurs politiques plus
ou moins réputés. Sous sa forme universitaire, cette tentation prend souvent la forme de la confusion de
la science politique avec ce qu’il est convenu d’appeler la culture générale.

La science politique n’est pas le journalisme politique et son développement implique une volonté
de rupture brutale avec cette science politique spontanée et avec les pseudo-évidences du sens
commun. Ce n’est pas en lisant « L’Union », « Echo du nord », « La Loupe » ou en suivant « Gabon
24 » que l’on devient politologue. La science politique suppose un apprentissage au même titre que
d’autres disciplines scientifiques, avec l’acquisition d'un savoir spécifique, la maîtrise d’un langage

16
spécifique et la mise en œuvre de méthodes spécifiques. N’importe quel discours sur la politique n’est
pas de ce fait, un discours de science politique.
La tentation du « discours journalistique » suscite parfois des réactions extrêmes se traduisant
par ce que l’on peut qualifier de « tentation du discours ésotérique ». C’est la tentation qui consiste à
vouloir affirmer et proclamer la « scientificité » de la science politique par le recours à un discours qui,
de façon plus ou moins délibérée, est en rupture systématique avec le langage commun. Cette
tentation, c’est donc la tentation d’affirmer la spécificité de la science politique par une spécificité qui
tend à donner un caractère quasi initiatique à son discours en le rendant difficilement accessible aux
non-initiés. On a alors affaire à des analyses qui usent et abusent d’un vocabulaire spécialisé qui n’est
compréhensible qu’à une minorité d'initiés, si ce n’est pas parfois qu’à leurs seuls utilisateurs. Or, s’il est
vrai que le développement d’une discipline scientifique suppose effectivement l’apparition progressive
d’un vocabulaire précis et spécifique, il n’en reste pas moins que le vieil adage selon lequel « ce qui se
conçoit bien s'énonce clairement » (Nicolas Boileau) garde une part de sa vérité, même pour les
politologues. L’obscurité d'un discours n’est donc pas obligatoirement une garantie de son caractère
scientifique.
Un autre risque auquel est exposé le politiste est celui du « discours simpliste ». Il faut garder à
l’esprit que le but d’une science est de parvenir à l’explication des phénomènes étudiés en établissant
des relations entre ces phénomènes. Or, face à la tentation du « discours simpliste », le risque est
qu’une volonté démesurée d’arriver à une compréhension claire de la réalité politique ne conduise à des
schématisations intellectuellement séduisantes par leur simplicité, mais peu conformes aux faits. Sur ce
plan, la tentation la plus typique est constituée par les théories explicatives fondée sur le schéma d’un
facteur dominant qui permettrait d’expliquer tous les aspects de la réalité sociale et politique, en les
ramenant à l’influence déterminante d’un type donné de phénomènes. Ainsi, par exemple, des thèses
de l’école du déterminisme géographique expliquant les phénomènes politiques par l’influence
déterminante des facteurs géographiques, ou les interprétations du marxisme ramenant l’explication
des phénomènes politiques à l’influence déterminante de leur contexte socio-économique.
Enfin, l’on peut attirer l’attention sur la « tentation scientiste » qui surestime les possibilités de la
science politique en croyant que cette discipline puisse devenir une « science de la politique », c’est-à-
dire une science qui permettrait aux acteurs politiques de déterminer scientifiquement leur
comportement et leur action, en rendant par-là même, inutile toute réflexion philosophique sur les fins et
les moyens de l’action politique. Cette tentation est une illusion, et une illusion dangereuse. C’est
d’abord une illusion en raison des limites de la science politique qui ont été soulignées précédemment
et qui tiennent à la complexité des phénomènes politiques et à la part d’indétermination qu’ils
comportent. La tentation scientiste est donc à rejeter en rappelant que le politologue ne saurait se
substituer au philosophe politique ni au décideur politique. La science politique n’est pas en effet, la
philosophie politique, c’est-à-dire que sa vocation n’est pas de dire ce que doit être la meilleure
organisation politique, ou ce qui est le meilleur comportement politique dans tel ou tel cas. La réflexion
sur ces problèmes relève de la philosophie politique, même s’il est vrai que les connaissances
apportées par la science politique peuvent contribuer à éclairer la signification et les conséquences de
ces choix.
En mettant en garde contre l’illusion que représentent les explications simplistes de la réalité
politique et en évoquant les risques de dérives scientistes de la science politique, on a entendu
souligner les limites de la science politique. Certes, et nous l’avons dit plus haut, cette prise de
conscience ne saurait être interprétée comme une mise en question de son importance et de son utilité.
Au contraire, on ne peut qu’insister sur l’importance que présente le développement de la connaissance
17
des phénomènes politiques dans des sociétés qui voient s’étendre le domaine du politique et se
multiplier les aspects de la vie humaine concernés par des décisions de nature politique. Jamais sans
doute l’existence de chaque individu n’a été influencée à ce point par le fonctionnement politique de la
société et jamais n’a donc été aussi utile l’analyse de ce fonctionnement. Cela, que ce soit pour
permettre une meilleure compréhension du monde qui nous entoure ou pour nourrir la réflexion
philosophique sur les réalités politiques et pour éclairer l’action des décideurs politiques. Les limites
réelles qui sont celles de la science politique, les difficultés qu’elle rencontre, les résultats partiels, et
parfois un peu décevants, auxquels elle parvient ne sauraient remettre en cause le progrès de la
connaissance qu’elle représente.
Connaissant maintenant ce qu’est la science politique et pouvant donc, la distinguer de ce qui s’y
rapproche en veillant continuellement à ne pas tomber dans ses tentations, nous allons tour à tour,
dans les développements qui suivent, examiner quelques thèmes principaux de cette discipline, à
savoir : l’explication des phénomènes politiques ainsi que les régimes politiques (Chapitre 1), les partis
politiques et la participation politique (Chapitre 2), quelques outils de la science politique pour penser
par exemple, les enjeux politiques de l’organisation sociale gabonaise et éventuellement y déceler les
limites qui rendraient impérieuse la nécessité de repenser ces outils.

Chapitre I – L’explication des phénomènes politiques et régimes politiques

A. Explication des phénomènes politiques

Si l’on considère que tous les phénomènes politiques appartiennent à la grande catégorie des
phénomènes sociaux, l’articulation du politique et du social apparaît comme un problème central. Ce
problème peut être résolu de deux manières. D’une part, l’on peut soutenir que les phénomènes
politiques naissent « des besoins de la société ». Les hommes auraient « inventé divers moyens qui
portent conventionnellement le nom de politique ». Selon J.M DENQUIN, « dans cette perspective, les
phénomènes politiques sont l’émanation nécessaire du social. Ils ont une valeur positive puisqu’ils
servent à quelque chose »26. D’autre part, les phénomènes politiques sont considérés comme
l’émanation d’« antagonismes sociaux : ils sont la traduction et l’instrument de la lutte entre les groupes
sociaux qui s’affrontent au sein de la société (…) Ils sont négatifs, puisqu’ils constituent la conséquence
de la violence, ouverte ou latente, qui existe dans la société »27. Toutefois, cette opposition peut être
dépassée.

1. Explication par les fonctions (en l’occurrence, régulatrice)

a. Principe

Si l’on adopte le point de vue du sens commun, une institution s’explique par son but. En effet,
l’explication des phénomènes politiques par les fonctions qu’ils remplissent est ce qui nous vient à
l’esprit le plus facilement. Pour cause, lorsqu’on observe le « monde politique », l’on voit des institutions
(Gouvernement, parlement, tribunaux, etc.) avec, à leur disposition, des moyens pour atteindre leurs
buts (services publics, armée, police, etc.). Chose assez remarquable : Parce que ces institutions
passent toujours pour être utiles pour la société – « elles ne déclarent jamais qu’elles ne servent à
rien » – l’on peut penser qu’elles existent précisément pour accomplir « ce qu’elles accomplissent ».
Ainsi, l’on peut penser que la police existe forcément pour le maintien de l’ordre et que tout recrutement
au sein de la police obéît à ce but. Nous avons précédemment vu que cette thèse était excessive et que

26
J.M DENQUIN, Op.cit, p.31
27
Idem

18
le pouvoir politique est souvent menacé de faire le jeu d’intérêts particuliers plus ou moins masqués.
Ainsi, l’observation de ce phénomène politique au Gabon et plus précisément, à Libreville où nous
donnons ce cours, montre qu’ici comme au Mexique ou au Brésil, certains groupes ou individus
détournent ces entités pour leurs propres intérêts. Comme le disait d’ailleurs, Victor Hugo en 1951 :
« Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part ».

Il est en effet, remarquable que les institutions justifient leur existence en décrivant ce qu’elles
font. Ainsi, un Gouvernement justifiera son existence et sa taille par le rôle d’animation de la vie
collective qu’il remplit, la lutte contre la criminalité qu’il assure, le maintien de la paix civile qu’il permet,
etc. Cette explication fonctionnaliste – qui débouche sur un discours autojustificatif – fait que même
quand le Gouvernement n’arrive pas à atteindre les buts par lesquels il justifie son existence, les gens,
plutôt de conclure qu’il ne sert à rien – son inexistence est inutile – préfèrent conclure que ce sont les
gouvernants qui ont mal fait leur travail. C’est dire que les institutions sont pour les gens, des « principes
idéaux censés accomplir les fonctions qu’implique leur nom ». Elles ne sont jamais mauvaises. Ce sont
toujours ceux qui ont la charge de les diriger qui peuvent être jugés mauvais quand elles ne remplissent
pas leurs rôles. Il est difficile de ce point de vue, d’admettre qu’un Gouvernement ne gouverne pas
puisque comme son nom l’indique, un Gouvernement gouverne. Les mots sont pris au pied de la lettre.
C’est aussi pour cette raison qu’il est plus difficile de supprimer une institution que d’en créer une car le
sens commun estimerait qu’en supprimer, ce serait priver les gens d’un bien, un bien que seul ne peut
remplir ladite institution. Le monde paraîtra anormal en l’absence de cette institution. A tout cet égard,
vous pouvez noter toutes les difficultés qu’il y a pour certains pays africains – à l’instar du Gabon –, à
supprimer le Sénat alors même que dans la plupart d’entre eux, cette institution à l’utilité est parfois
remise en cause, n’existait pas il y a une vingtaine d’années.

En dépit de ce qui précède, il importe de souligner que les institutions politiques ont au moins une
fonction irréductible. Autrement dit, une fonction qu’aucun mécanisme ne peut remplir à leur place. Il
s’agit en l’occurrence de celle de « dégager et mettre en œuvre les décisions collectives »28.

Toutes les sociétés sont confrontées à des choix. Même les sociétés qualifiées de primitives n’y
échappent pas. En effet, à un moment donné de leur existence, ces sociétés sont par exemple,
amenées à décider s’il faut aller vers le nord ou le sud pour trouver du gibier ou des plantes
comestibles ; se déplacer ou pas pour échapper à une épidémie comme Ebola ; etc. Les décisions
collectives ne sont donc pas le seul fait des sociétés modernes. Ceci dit, les mécanismes qui y
conduisent apparaissent plus complexes. Ainsi par exemple, quand dans les sociétés modernes, l’on
est amené à se demander s’il faut choisir entre l’organisation d’une CAN ou l’investissement dans
l’amélioration du système éducatif et de santé ; privilégier l’achat de nouvelles armes ou investir dans le
social pour assurer la paix ; etc. Bref, les sociétés modernes se trouvent souvent confrontées à des
« questions concrètes » qui appellent des « réponses concrètes ». D’où le besoin de recourir à la
décision collective.

Confrontées à divers choix, les sociétés recourent en effet, à la décision collective car si chacun
fait comme bon lui semble, la société ne sera plus en réalité qu’une « juxtaposition d’individus sans lien
social »29. L’idée est donc, de dégager une volonté unique à l’égard d’un problème concernant la
collectivité entière. Le résultat recherché en est une volonté « expression de la société comme unité,
éventuellement opposable aux volontés individuelles ». Pour y arriver, les processus peuvent varier. Ainsi,
par exemple, les décisions collectives peuvent être obtenues à l’issue d’un processus de palabre,
réunissant des individus qui discutent jusqu’à ce qu’une solution faisant l’unanimité soit trouvée. C’est le
cas dans certaines sociétés primitives. Si ce procédé a pour mérite d’éviter le recours à toute forme de

28
Idem, p.34
29
Ibid., p.33

19
contrainte, il n’est cependant, viable que si la décision à prendre n’est pas urgente (Ex : organisation
d’un mariage qui a lieu dans quatre mois) et si les individus ayant droit au chapitre de cette palabre,
sont prêts au compromis (Ex : le chef de la collectivité et les anciens). Dès lors que par exemple, l’une
de ces conditions n’est plus réunie, la collectivité pense naturellement à élaborer d’autres mécanismes
pouvant aboutir à une décision engageant la collectivité. De là, se pose alors, au moins deux
questions :
- Comment obtenir une volonté « une » de la pluralité de volontés individuelles ?
- Comment imposer celle-ci à ceux qui ne s’y reconnaîtraient pas et ne voudraient donc, pas s’y
soumettre ?

Les régimes politiques – depuis la monarchie absolue à la démocratie représentative –


constituent la réponse à la première question. Dans cette optique, des « individus sont investis du droit
de vouloir au nom de la Communauté ». Que la légitimation soit de type traditionnel, charismatique ou
légal-rationnel, ces individus peuvent donc prendre les décisions. Pour répondre au deuxième
problème, la collectivité – du moins, ceux qui sont placés à sa tête – y arrive grâce à une « combinaison
d’obéissance et de consentement ». Certes, vu le caractère exceptionnel du consentement unanime
dans les sociétés modernes, « l’obéissance ne peut souvent être obtenue sans recours à la coercition »,
ce qui explique l’image négative souvent associé au pouvoir politique.

Notons qu’au-delà des fonctions manifestes que l’on peut reconnaître aux institutions, les
phénomènes sociaux peuvent aussi posséder des fonctions latentes. En l’occurrence, les fonctions
latentes sont celles qui ne sont pas directement impliquées par le « but qui justifie l’existence de
l’organe ». Ni voulues, ni forcément conscientes, elles sont pourtant présentes. Ainsi par exemple, si la
fonction manifeste de la CAN est de mettre aux prises, les meilleures équipes nationales africaines, elle
possède plusieurs fonctions latentes comme le développement économique qu’elle peut occasionner
dans un pays, la promotion de la culture, voir l’enrichissement de plusieurs opérateurs économiques,
etc. Cette observation peut être généralisable dans la mesure où la quasi-totalité des phénomènes
sociaux entraînent des conséquences imprévues – qu’elles soient neutres, négatives ou positives.

b. Critiques

Cette analyse fonctionnaliste est cependant, périlleuse dans la mesure où elle tente d’interpréter
des phénomènes qui comme l’écrit J.M Denquin, dans son Introduction à la science politique,
« s’expliquent par la combinaison d’un hasard historique et de l’inertie propre aux choses humaines ».
L’analyse fonctionnaliste a en effet, ceci de limitatif qu’elle se borne à constater – les fonctions – plutôt
qu’à expliquer la véritable raison d’être des choses. Or, qu’elle ait été instituée en vue d’un but précis ou
sous la contrainte de données conjoncturelles, une institution pourrait durer simplement, comme
souligné précédemment au sujet du Sénat, parce qu’il est plus simple de laisser les choses en l’état que
de les faire disparaître et/ou les modifier. C’est donc, une des premières critiques faites à cette
approche par les fonctions.

A ce qui précède, s’ajoutent d’autres critiques accusant l’analyse fonctionnaliste de « déformer la


réalité » et de justifier l’ordre existant étant entendu qu’elle « se borne en effet, à constater l’état des
phénomènes, sans faire l’hypothèse que ceux-ci pourraient être autres qu’ils ne sont ». Ces critiques
sont entre autres, celles des partisans du changement social qui « considèrent volontiers le
fonctionnalisme comme une idéologie camouflée », une explication scientifique au service du
conservatisme. Ce, d’autant que l’analyse des phénomènes en termes de fonctions occulte une
dimension fondamentale des sociétés humaines, savoir : la dimension conflictuelle.

20
Si dans la société, chaque chose a sa fonction et partant, concourt au bien social, d’où viennent
les mécontentements des acteurs sociaux, leurs rivalités ou leurs affrontements ? Eu égard aux lacunes
de l’explication des phénomènes politiques en termes de fonction, ne vaut-il pas mieux, pour
comprendre les sociétés humaines – en l’occurrence dans leur dimension politique – les expliquer par
les conflits, c’est-à-dire partir du désordre plutôt que de l’ordre pour les saisir ?

2. Explication par les conflits

L’explication fonctionnaliste comporte des limites qui nous suggèrent l’idée, certes paradoxale,
d’une explication des phénomènes politiques par les conflits.

a. Principe

Expliquer les phénomènes politiques par les conflits plutôt que par les fonctions – manifestes ou
latentes – qui leur sont trouvées, peut heurter de prime abord, le sens commun. Pourtant, elle n’en est
pas moins popularisée dans la mesure où elle est « politiquement satisfaisante pour ses partisans ». Il
peut en effet, paraître paradoxal d’expliquer les phénomènes politiques par des conflits plutôt que par
les fonctions qu’ils remplissent. Pour cause, l’on pense tout de suite au fait par exemple, qu’un
affrontement entre forces antagonistes ne peut être qu’un évènement destructeur, une perte. Dans ce
cas, comment penser que cet affrontement entre forces antagonistes puisse constituer, ne serait-ce
qu’un seul instant, l’élément fondateur d’une institution ? S’il est admis, selon l’explication
fonctionnaliste, que l’institution est un fait positif, il est admis que les conflits sont des faits négatifs. Dès
lors, comment peut-on saisir le réel à partir d’un conflit ?

Si l’on se place d’un point de vue partisan – c’est-à-dire celui des individus se trouvant engagés
dans une lutte et pensant la société sous l’angle de celle-ci – force est de constater que les « difficultés
se changent en avantage ». Pour cause, le partisan valorise tout ce qui l’oppose à l’adversaire au point
où il élève au rang de « valeur », les phénomènes qui le servent dans sa lutte. De ce point de vue
également, il soupçonne tout ce qui le gène comme instrument au service de l’ennemi. Par conséquent,
il cherchera à démontrer que tout ce qui obstrue sa lutte résulte de la volonté de nuisance de
l’adversaire. En somme, pour celui qui a un point de vue partisan, le conflit dans lequel il est engagé
(conflit entre la classe à laquelle il appartient et la classe adverse ; conflit entre certains étudiants et les
forces de l’ordre ; conflit entre partis d’opposition et partis au pouvoir ; conflit entre capitalistes et
communistes ; etc.) constitue la clé du passé et du présent, l’unique principe d’explication de l’histoire et
de la société. Ainsi, Pour Karl Marx, la lutte des classes constituait le principe d’explication des
phénomènes politiques. Les partis communistes chinois et soviétiques trouvaient leur explication dans
la volonté de faire disparaître les différences entre classes, en faisant triompher le prolétariat et en
établissant la dictature de ce dernier. De même, la création de la SDN puis de l’ONU apparaissait
clairement sous cet angle, comme le moyen de résoudre et/ou prévenir un ensemble de conflits ; l’on
peut aussi le penser de la Conférence nationale en 1990, des Accords de Paris en 1994 et du dialogue
politique D’ANGONDJE en 2017, etc.

b. Critiques

Cependant, quoique simples, il existe plusieurs objections difficilement réfutables qui remettent
en cause cette explication des phénomènes politiques par les conflits. Pour garder l’exemple de la lutte
des classes, l’on peut se hâter de signaler que la lutte des classes apparait avec les classes mais pas
avant les classes. Dès lors, le conflit entre les classes favorisées et défavorisées ne pourrait être
premier. Il ne peut expliquer l’existence des classes puisque ces dernières ont existé avant qu’il y ait

21
conflit entre elles. Nous pouvons donc, retenir que les fonctions des phénomènes politiques sont
antérieures aux conflits.

Même pour se prémunir contre d’éventuelles menaces extérieures à la société, il faut qu’existe
des mécanismes permettant d’aboutir à une volonté une s’imposant à tous et que l’on pourra faire
exécuter y compris par ceux-là qui ne se reconnaitraient pas en la décision collective ainsi obtenue.
Sachant que l’existence de classes est antérieure à la lutte des classes, l’on voit que l’explication par
les « conflits ne permet pas de contourner la nécessité de mécanismes susceptibles de dégager des
choix collectifs ». En conséquence de quoi, le « rôle des conflits dans la genèse des institutions ne
saurait être, dans la meilleure des hypothèses, que subsidiaire », c’est-à-dire secondaire.

3. Insuffisance d’une explication unilatérale

Tant l’explication unilatérale et totalisante par les fonctions que par les conflits ne permet de
saisir tous les phénomènes sociaux et politiques. D’où l’importance de dépasser l’opposition entre ces
deux systèmes d’explication étant donné qu’elle ignore que certains phénomènes sociaux et politiques
sont simultanément, fonctions et conflits et qu’à contrario, d’autres ne se définissent ni par l’un ni par
l’autre.

- Les fonctions engendrent des conflits

C’est le cas des fonctions de commandement qui engendre au sein d’une société globale ou d’un
groupe spécialisé, des rivalités. Comme abordé plus haut, les détenteurs du pouvoir ont la légitimité de
prendre des décisions pour et au nom de la collectivité toute entière. Cependant, ces décisions
collectives peuvent engendrer des conflits à partir du moment où, certains ne se reconnaissant pas en
elles, refusent de s’y soumettre. Il ne faut pas oublier que la décision collective ne signifie pas
forcément l’absence de mécontentements de certains individus du groupe. D’où par exemple, la
révolution burkinabé à la suite de la décision de l’ancien Président, Blaise COMPAORE, de modifier la
Constitution.

- Les conflits possèdent des fonctions

Autant les fonctions peuvent engendrer des conflits, autant les conflits possèdent des fonctions.
En effet, sans conflits, les sociétés se seraient reproduites à l’identique. L’observation nous prouve qu’il
n’y a aucune société sans conflits et plus encore, que les conflits ont des fonctions. Par exemple,
certaines crises politiques ont pour fonction de rompre avec le conservatisme et de faire triompher la
nouveauté. A cet égard, certains phénomènes sociaux ou politiques sont la conséquence indirecte des
conflits. Ainsi du droit qui est un moyen de dépasser l’état de violence existant, du renouvellement des
élites né du conflit engendré par un accaparement du pouvoir par les mêmes dirigeants. Les
conférences nationales en Afrique subsaharienne, à la fin de la décennie 80 et début de la décennie 90,
ont débouché sur l’avènement ou le retour au multipartisme. Dans le cas du Gabon, cela entraîna un
retour au multipartisme et permis par exemple, la participation de candidats issus d’autres partis que
l’ancien parti-Etat, le PDG aux Législatives de 1990.

On voit qu’il existe une imbrication entre ces phénomènes. L’on ne devrait donc, pas voir en
l’explication fonctionnaliste, un camouflage d’intérêts tout comme l’on ne devrait pas voir en les conflits
que des accidents contingents puisqu’ils peuvent être provoqués.

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