Danakil tisse des liens solidaires pour son reggae militant

Danakil, 2024. © Alex Sorin

Actif depuis plus de deux décennies et incontournable sur la scène reggae française, Danakil questionne un peu plus le monde et ceux qui le peuplent sur son nouvel album intitulé Demain peut-être. Entretien avec Balik, chanteur d’une formation qui renforce à l’occasion un peu plus ses liens avec le continent africain.

RFI Musique : Sur ce nouvel album figure une chanson intitulée La Démocratie balbutie, dont vous avez fait une version alternative avec les chanteurs de Sinsemilia, juste avant le premier tour des élections législatives en France. Quelle était l’intention première ?

Balik : Si tu écoutes la chanson en entier, elle n’est ni partisane ni contre l’extrême droite. C’est une chanson sur le rapport populaire à la démocratie, inspirée par les événements qui ont eu lieu au Sénégal, quand Macky Sall a tout fait pour emprisonner celui qui est finalement au pouvoir indirectement aujourd’hui, Ousmane Sonko. Je suivais ça de près parce que j’ai passé du temps là-bas, je parlais aussi avec Natty Jean [membre de Danakil, NDR] qui est très concerné par la situation politique dans son pays. Et après j’ai extrapolé dans mes couplets, aux différences à travers le monde, à ces rapports démocratiques, qui ne sont pas partout pareils : la démocratie, elle est ce qu’on en fait.

Les effectifs du groupe ont changé depuis le dernier album, avec l’arrivée de la Gabonaise Pamela Badjogo et de l’Ivoirien Gabty, qui ont leurs carrières personnelles en parallèle. Quelle est votre histoire avec eux ?

On les a rencontrés en même temps que Natty Jean en 2010 au Mali, chez Manjul [devenu entretemps membre de Danakil, NDR] dans son studio parce qu’il travaillait avec eux à l’époque. On venait pour enregistrer l’album Echos du temps et il nous a présenté Pamela et Gabty pour qu’ils fassent les chœurs – et ils les ont faits aussi sur tous les albums suivants ! J’ai vécu deux ans au Mali, avant d’aller au Sénégal, et j’ai passé deux ans à les côtoyer aussi en dehors de la musique. Aujourd’hui, quand Pamela fait un concert à Paris, j’y suis toujours pour faire un featuring avec elle. Gabty, lui, était venu au Mali de Côte d’Ivoire. Il était chanteur du groupe Soul Train qui jouait beaucoup à Bamako. Quand j’ai fait un concert pour dire au revoir à tous les gens avec qui j’avais passé de bons moments dans la musique là-bas, c’est son groupe qui m’accompagnait. Que ce soit l’un ou l’autre, c’est une vraie histoire d’amitié.

Cet album se distingue aussi par l’absence du Sénégalais Natty Jean, avec lequel vous partagiez le micro depuis une décennie. Pour quelles raisons ?

Il a levé la main pour dire qu’il aimerait bien retourner au Sénégal, dont il était parti depuis plus de quinze ans, pour faire fructifier son expérience là-bas, monter un label, créer une résidence d’artistes. Revivre un peu chez lui. Il n’est pas parti définitivement, on se retrouvera plus tard. D’ailleurs, il sera au Zénith à Paris avec nous et sur les dates à l’étranger. Mais il avait besoin de cet air-là. Il a demandé à ne pas travailler sur le nouvel album et c’était logique. J’ai toujours eu l’habitude d’écrire essentiellement seul, et on se retrouvait ensuite. Donc ce n’était pas déstabilisant sur ce plan ; en revanche en live, ça me change beaucoup. Je dois réoccuper l’espace tout seul. Je me retrouve comme dans les dix ou douze premières années du groupe. C’est là qu’on s’est dit qu’on pourrait avoir une vraie section de chœurs, coachée par Manjul sachant qu’ils se connaissent avec Pamela et Gabty depuis très longtemps. Pour nous ouvrir à une direction musicale plus reggae roots. Et ça s’est confirmé sur scène même si on n’a fait que sept concerts avec cette formule.

Vous acceptez de nombreux featurings, en tant que chanteur de Danakil ou sous votre nom de scène, avec des artistes de renommées très différentes. Comment considérez-vous ces collaborations ?

Je viens d’en faire un avec Ryon : quand il avait 17 ans, il faisait des reprises de Danakil à la gratte sèche, sur son canapé, et il les postait sur Youtube ! J’ai pas mal de sollicitations, et parfois je botte en touche pour des questions d’agenda. Et aussi pour des questions de goût, mais dans ce cas, j’essaie de trouver les bons mots, parce qu’une demande de featuring, c’est toujours plein de bienveillance. Je sais ce que ça fait quand un artiste que tu as contacté accepte ta proposition ! Je trouve que c’est essentiel d’en faire, même s’il faut se bousculer pour partager quelque chose. Et c’est dans la culture du reggae de faire des combinaisons. On le fait souvent sur scène, mais pourquoi pas en studio ?

Vous avez enregistré début 2024 une reprise de Né quelque part de Maxime Le Forestier, pour soutenir l’ONG SOS Méditerranée. Qu’est-ce que ce morceau évoque pour vous ?

À l’origine, c’est le Booboo’zzz All Stars, un groupe qui fait des reprises et invite des chanteurs, qui m’a demandé de participer à sa session pour le Web. On s’est dit que le morceau allait bien avec ce que défend Danakil et le message de la chanson reste malheureusement d’actualité : il date de l’époque des premières lois Pasqua [sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, en 1986, NDR]. On a proposé au Booboo’zzz de mélanger nos deux groupes et d’enregistrer. Ensuite, on a contacté Maxime Le Forestier qui nous a accueillis dans sa maison de campagne. J’étais un peu stressé parce qu’on a abordé le fait que j’ai ajouté un couplet. Il nous a montré toutes les versions de cette chanson enregistrée par d’autres dans plein de langues, des bonnes et des moins bonnes. Et il a répété ce que lui avait confié Georges Brassens : une chanson est faite pour être chantée.

Danakil Demain peut-être (Baco Records) 2024

Facebook / Instagram / YouTube