Violences sexuelles et sexistes dans le cinéma français
Les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma français concernent les violences sexuelles et sexistes commises par des professionnels du cinéma en France.
À la suite de plusieurs affaires sexuelles médiatisées, les institutions du cinéma français organisent la profession pour endiguer celles-ci. Ainsi, en 2019, des formations sont rendues obligatoires pour les dirigeants des structures (producteurs, distributeurs et vendeurs internationaux), et soutenues par le Centre national du cinéma et de l'image animée, pour lutter contre le harcèlement sexuel. En 2023, cette formation est élargie à toute l’équipe d’un film. Par ailleurs, le métier de coordinateur d'intimité commence à s'implanter sur les tournages. En 2024, quatre coordinatrices d’intimité sont recensées en France. Une certification professionnelle est envisagée avec la formation de six personnes par an dès 2025.
Historique
[modifier | modifier le code]En 2019, à la suite des accusations d'Adèle Haenel et de la vague #MeToo, le ministre de la Culture Franck Riester s'engage, lors des deuxièmes Assises sur la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma, à faire accorder les aides du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) sous réserve du respect de règles contre le harcèlement sexuel[1]. Ainsi le CNC rend obligatoire des formations aux dirigeants des structures (producteurs, distributeurs et vendeurs internationaux), qui lui demandent des aides financières, pour lutter contre le harcèlement sexuel[2].
Pour sa part, la télévision publique va plus loin et s'engage sur un quota de réalisatrices à partir de 2020, une clause de diversité contractuelle pour l'ensemble de ses productions et la création d'un « référent harcèlement sexuel sur chacun des tournages »[3].
Le CNC publie en 2017 la statistique de féminisation des « petits métiers » du cinéma français soit par exemple : 96 % chez les scriptes, 88,4 % pour les habilleuses ou 74 % pour les coiffeurs-maquilleurs. Interrogées par Virginie Ballet, une journaliste de Libération, certaines témoignent, en 2019, du climat sexiste qu’elles estiment subir sur les tournages. Peu considérées, avec un statut précaire, elles préfèrent « serrer les dents » si elles sont importunées : « Outre une question de domination masculine, c'est aussi une forme de domination sociale qui est à l'œuvre, et qui entraîne une peur de ne pas retravailler, d'être blacklistée[4]. »
Lors de la 45e cérémonie des César en février 2020, le César de la meilleure réalisation est attribué à Roman Polanski, accusé à plusieurs reprises de viol ; Adèle Haenel, suivie de Céline Sciamma et d’autres professionnels, quitte la salle en criant « C'est la honte ! La honte ![5] »
Publié à l’occasion des troisièmes assises du collectif 50/50 en 2020, le livre blanc « pour la prévention et la lutte contre le harcèlement sexuel & les violences sexistes et sexuelles dans l’audiovisuel et le cinéma » est une boîte à outils à l'usage de la profession[6],[7]. Il est « pensé comme une aide concrète destinée aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel pour définir, sensibiliser, détecter, réagir » et comprend des chiffres clés, des informations légales ou encore des modèles de courriers[8].
Le métier de coordinateur d'intimité commence à prendre de l'ampleur aux États-Unis à partir de 2017. En France, il n'existe pas à cette date de formation spécifique à ce nouveau métier du cinéma[9]. En 2024, quatre coordinatrices d’intimité sont recensées en France, contre quatre-vingts aux États-Unis. L’activité reste donc faible, même si des productions américaines tournées en France, comme Emily in Paris, les font intervenir. Aussi, la Commission paritaire nationale emploi et formation de l'AudioVisuel (CPNEF-AV) étudie la création d’une certification professionnelle et envisage de former six personnes par an dès janvier 2025[10],[11].
En décembre 2023, le nombre des producteurs qui ont suivi la formation obligatoire, mise en place depuis 2019, est de 4 000. Il y est notamment précisé qu'il existe une porosité sur le tournage d'un film entre vie personnelle et vie privée. Ainsi la responsabilité de la production ne s'arrête pas aux heures de travail et aux infractions pénales. Le producteur Marc Missonnier, président de l’association des producteurs de cinéma, indique : « Je n’avais pas compris, par exemple, que s’il y avait une agression commise lors d’une soirée entre techniciens pendant le week-end, ma responsabilité était quand même engagée. » Par ailleurs, la cellule d’écoute installée en 2020 pour le secteur de la culture, a reçu un millier d’appels avec 52 % d'entre eux pour des actes et agressions physiques et 48 % pour des attitudes ou des propos sexistes[12].
Toujours en décembre 2023, Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, annonce un renforcement des mesures de prévention contre les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français. Il s'agit en particulier d’élargir la formation obligatoire au début du tournage, à destination de toute l’équipe d’un film soutenu par le CNC[13],[14].
Judith Godrèche, plaignante contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour agressions sexuelles, dénonce « l'omertà » et « l'écrasement de la parole » face à l'emprise et aux violences sexuelles[15]. Elle prononce le 24 février 2024, un discours lors de la cérémonie des César pour évoquer « son expérience de jeune fille abusée par des réalisateurs » et la place des femmes dans le cinéma en général[16],[17]. Au lendemain de cette intervention Judith Godrèche constate l'« omertà » du milieu du cinéma et demande des « changements » dans les institutions cinématographiques. Ainsi, elle s'interroge ; comment Dominique Boutonnat, président du CNC, mis en examen pour agression sexuelle sur son filleul[N 1], peut « organiser au CNC des formations contre les violences sexuelles et sexistes[21] ? » Dans le même temps, Rachida Dati, ministre de la culture, dénonce « un aveuglement collectif, un aveuglement qui a duré des années » et annonce une remise en question profonde pour le cinéma français[22].
Le 29 février 2024, Judith Godrèche est auditionnée par la délégation parlementaire aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes du Sénat : elle demande une commission d’enquête concernant les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma. Elle préconise l'obligation d'un référent indépendant, non payé par la production, sur les tournages avec un mineur, afin « qu’un enfant ne soit jamais laissé seul ». Elle demande aussi un coordinateur d'intimité pour les scènes d'ordre sexuel. Par ailleurs, elle précise avoir reçu 4 500 témoignages de victimes sur une adresse électronique, ouverte à cet effet[23].
Le 2 mai 2024, en présence de Judith Godrèche qui l'avait demandée, l’Assemblée nationale décide la création d’une commission d’enquête sur « les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ». La rapporteuse de la commission est la députée Francesca Pasquini[24],[25],[26],[27]. À la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin, la commission disparait sans avoir terminé son travail[28], mais est réouverte par un vote à l'unanimité le 9 octobre 2024[29].
Affaires médiatisées
[modifier | modifier le code]Après Le Dernier Tango à Paris, sorti en 1972, le réalisateur Bernardo Bertolucci admet qu'il a organisé la scène du viol de Maria Schneider, la plupart du temps nue dans le film, sans la prévenir car il attendait une réaction « en tant que femme et pas en tant qu'actrice. Pour obtenir quelque chose, je pense que vous devez être complètement libre. Je ne voulais pas qu'elle joue l'humiliation et la rage, je voulais que Maria la ressente ». Bien que fictive, la sodomie imposée est destructrice pour l'actrice de 19 ans[30].
À la suite du Mouvement #MeToo et de l'affaire Harvey Weinstein, plusieurs personnalités du cinéma français sont impliquées dans des affaires d'abus sexuels[31].
Le producteur et cinéaste Luc Besson est accusé, en mai 2018, de viols par l'actrice Sand Van Roy. Puis huit autres femmes l'accusent de violences sexuelles ou de comportements déplacés. Un non-lieu est prononcé par la juge d'instruction en 2021. Les autres témoignages restent sans suite, souvent prescrits[32].
À partir de , Gérard Depardieu est accusé de viols et d'agressions sexuelles par plusieurs femmes et il est mis en examen en 2020. En 2023 et 2024, quatre nouvelles accusations de viol et/ou d'agressions sexuelles puis la diffusion d'un reportage le concernant provoquent une véritable affaire Gérard Depardieu. Celui-ci conteste ces accusations[33],[34].
En 2019, Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » entre 2001 et 2004, alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans[35]. À la suite de ces révélations, Valentine Monnier accuse Roman Polanski d'un nouveau viol qui se serait produit en 1975[36],[37]. En 2024, le parquet requiert à l'encontre de Christophe Ruggia un procès pour « agressions sexuelles aggravées sur mineur de 15 ans[38].
Lors du Festival de Cannes 2023, le film Le Retour de la réalisatrice Catherine Corsini, est présent alors que le procureur de la République est saisi d'allégations d'agressions sexuelles sur le tournage. Pour le collectif 50/50 : « C’est évidemment un signal dévastateur envoyé aux victimes de violences sexistes et sexuelles »[39],[40].
Au début de l'année 2024, quatre actrices (Judith Godrèche, Julia Roy, Vahina Giocante et Isild Le Besco) témoignent d'actes de harcèlements sexuels, ainsi que de violence psychologique et physique à l'encontre du réalisateur Benoît Jacquot[41]. En février 2024, Judith Godrèche porte plainte contre Benoît Jacquot pour « viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans » commis par personne ayant autorité, malgré la probable prescription des faits[42]. De même, trois actrices (Judith Godrèche, Anna Mouglalis et Isild Le Besco) portent plainte contre Jacques Doillon[43]. Les deux cinéastes sont placés en garde à vue le par la Brigade de protection des mineurs[44]. À la suite, le parquet de Paris demande le placement sous contrôle judiciaire et la mise en examen de Benoît Jacquot. La garde à vue de Jacques Doillon est elle levée « pour des raisons médicales ». Le parquet de Paris doit étudier la suite à donner le concernant[45],[46].
En février 2024, l'acteur Aurélien Wiik indique avoir été abusé, de ses 11 ans à ses 15 ans, par son agent et d’autres membres de son entourage, et encourage dès lors toutes les victimes à parler afin d’envoyer les coupables en prison : « Jusqu’à 25 ans, on m’a proposé des rôles en échange de faveurs. On a tenté de me droguer souvent. » Il indique avoir porté plainte à l'âge de seize ans, son agresseur est alors condamné à cinq ans de prison. Il incite d'autres victimes à parler, il explique : « On était plusieurs gamins au procès. Il a pris cinq ans. C’est possible[47],[48]. »
Après la prise de parole d'Aurélien Wiik et sous le hashtag #metoogarcons, l'acteur Francis Renaud porte plainte contre André Téchiné[N 2] et Gérard Moulevrier le [50].
Le 9 avril 2024, dix actrices, parmi lesquelles Hélène Seuzaret, Élodie Frenck, Amandine Dewasmes, Emilie Deville, Marie Gillain et Louise Szpindel, dénoncent des comportements inappropriés et des agressions sexuelles, de la part du réalisateur Philippe Lioret, incluant des gestes déplacés et des baisers forcés. Certaines d’entre elles témoignent sous couvert d’anonymat. La comédienne Clémentine Poidatz, membre du conseil d’administration de l’association ADA, qui lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma, estime que les castings devraient être plus encadrés et propose que soient présents « des coordinateurs d’intimité lors des castings, comme il y en a - certes en nombre insuffisant - sur les tournages »[51].
En mai 2024, neuf femmes accusent le producteur Alain Sarde de viols et d’agressions sexuelles[52]. Les faits, qui n'ont fait l'objet d'aucune plainte, se seraient déroulés entre 1983 et 2003[53]. Dans les années 1990, Alain Sarde a été impliqué dans l'affaire Brumark-Bourgeois[N 3] concernant un réseau international de prostitution[56],[57].
En août 2024, la comédienne Caroline Ducey accuse la réalisatrice Catherine Breillat d'avoir organisé son viol sur le tournage du film Romance[58]. Alors qu'un acteur (casté peu de temps auparavant dans une boîte échangiste) doit faire semblant de pratiquer un cunnilingus, celui-ci pratique réellement l'acte[58].
En novembre 2024, l'acteur Gérard Darmon est accusé par neuf femmes de violences sexistes et sexuelles dans une enquête de Politis[59].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Dominique Boutonnat quittera la présidence du Centre national du cinéma et de l'image animée uniquement en juin 2024, après sa condamnation à trois ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis, pour agression sexuelle[18],[19]. Il annonce faire appel de cette condamnation[20]
- La plainte contre André Téchiné est classée sans suite en juin 2024 par le parquet de Paris pour cause de prescription[49].
- Alain Sarde est visé en 1997 par une enquête pour agression sexuelle. L'instruction montre que le producteur a eu plusieurs relations sexuelles avec des aspirantes actrices qui venaient le voir pour des raisons professionnelles. L'une d'elle décrit un « casting » dans lequel le producteur, après avoir décrit le film, lui demande de se déshabiller pour « qu'il vérifie la beauté de [son] corps » puis « d'aller [s']allonger sur le lit dans la chambre à coucher [...] » Faute de preuve matérielle de contrainte, un non lieu est rendu. (voir affaire Brumark-Bourgeois)[54],[55].
Références
[modifier | modifier le code]- « Les professionnels du cinéma vont devoir se former à la prévention des violences sexuelles », sur Le Monde, (consulté le ).
- « Harcèlement sexuel : les petits pas du cinéma français », Les Échos, (lire en ligne).
- « Sexisme et abus dans le cinéma : la fin du hors-champ ? », sur Libération, (consulté le ).
- « Sexisme dans le cinéma Scriptes, costumières… : "On a peur d’être blacklistées" », sur Libération.fr, (consulté le ).
- « Césars : le changement, c’est pas maintenant », sur Libération.fr, (consulté le ).
- « Cinéma français : «Certaines injustices persistantes mettent profondément en colère» », sur Libération.fr, (consulté le ).
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- « Assises 50/50 : deux jours de débats passionnants et un “Livre blanc” pour l’égalité », sur Télérama (consulté le ).
- « Monia Aït El Hadj, coordinatrice d'intimité, un métier du cinéma post-#MeToo », sur France Culture, (consulté le ).
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- « Agressions sexuelles : Judith Godrèche va prononcer un discours aux César sur les violences sexistes dans le cinéma », La Dépêche du Midi, (lire en ligne).
- « « Deux mains dégueulasses sur mes seins de 15 ans » : le puissant discours de Judith Godrèche souffle les César 2024 », Madame Figaro, (lire en ligne).
- « César 2024 : "Judith Godrèche a eu des mots justes, des mots courageux", selon la porte-parole d'Osez le féminisme », France Info, (lire en ligne).
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- « Rachida Dati dénonce un « aveuglement qui a duré des années » au sujet des violences sexuelles dans le cinéma français », Le Monde, (lire en ligne).
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- Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, Ministère de l'Injustice, Éditions Grasset, , 255 p. (ISBN 978-2-246-82751-1, présentation en ligne), p. 22 à 27.
- « Le producteur de cinéma Alain Sarde est écroué pour viol », sur Le Monde.fr, (consulté le )
- Cyril Simon et Jean-Michel Décugis, « En 1997, le cinéma français et la planète people déjà secoués par un scandale sexuel » , sur Le Parisien, (consulté le ).
- Metoo Cinéma : Caroline Ducey accuse la réalisatrice Catherine Breillat d’avoir organisé un viol lors d’un tournage, 30 août 2024, L'Humanité.
- Hugo Boursier, Neuf femmes accusent Gérard Darmon de violences sexistes et sexuelles, 27 novembre 2024, Politis.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld, Une affaire très française : L'enquête inédite, Albin Michel, , 192 p. (ISBN 978-2-226-49230-2)
- Isild Le Besco, Dire vrai, Éditions Denoël, , 176 p. (ISBN 978-2207182123)
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Moi aussi
- Violences sexuelles faites aux femmes au travail
- Violences sexuelles et sexistes dans l'Armée française
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Kit de prévention à l'égard des violences à caractère sexuel, du harcèlement sexuel et des propos ou comportements sexiste, établi par les CHSCT des productions audiovisuelle, cinématographique et publicitaire ainsi que Le Collectif 50/50 soutenu par le Centre national du cinéma et de l'image animée, édition de mars 2022.
- #MeToo en France : Le regard des Français sur les affaires les plus médiatisées, cette analyse est publiée en mars 2024 par le Département Opinion et Stratégies d’Entreprises de l’Ifop.