Abolition du servage de 1861
L'abolition du servage de 1861 (en russe : Крестьянская реформа 1861) est une réforme agraire de grande importance ayant eu lieu en 1861 dans l'Empire russe au début du règne d'Alexandre II, qui a pour but principal l'abolition du servage et la vente de terres agricoles aux serfs ainsi affranchis. Celle-ci entre en vigueur le , ou le selon le calendrier julien alors en usage[1]. Selon le juriste et philosophe russe Boris Tchitcherine, contemporain de cette mesure, il s'agit de l'« œuvre la plus grandiose de l'histoire russe »[2].
La réforme, longtemps attendue, a pour conséquence de libérer 23 millions de paysans du statut de serf. La réforme a cependant eu un impact limité dans certains domaines : ainsi les serfs liés à des terres étatiques n'ont été libérés de leur statut qu'en 1866. Cette réforme est portée par Nikolaï Milioutine, Alexeï Strolman et Iakov Rostovtsev, notamment via l'élaboration d'un manifeste en faveur de cette réforme.
Contexte
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Monté sur le trône en , Alexandre II mène une politique réformiste afin d'apaiser l'empire dans le contexte difficile de la défaite lors de la guerre de Crimée[3]. La réforme — perestroïka — agraire qu'il souhaite est tout entière marquée par la volonté impériale et Alexandre II y est indissolublement lié[4]. L'abolition définitive du servage dans le pays lui vaudra le qualificatif de « tsar libérateur » même s'il est assassiné en et que les dernières traces de ce servage subsistent jusqu'en [5].
La décision de mettre fin au servage en Russie est aussi précédée de nombreuses prises de position contre les conditions de vie des serfs comme le montrent les extraits de Mémoires d'un chasseur de l'auteur russe Ivan Tourgueniev[6]. Des années plus tôt, c'est Nicolas Gogol dans Les Âmes mortes s'attaque en partie à ce sujet.
Mise en œuvre
modifierSur une population de 60 millions d'habitants, 50 millions étaient des serfs, la moitié servant environ 100 000 familles nobles, l'autre moitié les domaines de l'État.[réf. nécessaire]
L'émancipation des serfs suit un plan proposé par les représentants des propriétaires terriens, qui leur permet de choisir les terres qu'ils conservent et celles qu'ils vendent aux paysans libérés, bien souvent les moins productives[3].
Conséquences
modifierPour Sabine Dullin, cette abolition du servage eut un effet inattendu à savoir le renforcement des traditions et de la soumission des paysans aux grands propriétaires terriens[7]. Ces derniers sortent par ailleurs fortement endettés de cette réforme et ont du mal à remplacer la main d'œuvre autrefois gratuite[7]. Serge Witte, ministre des finances à la fin du XIXe siècle trouve le résultat de cette réforme irrationnel économiquement[8]. Si l'objectif était de créer un paysage rural sur le modèle européen[α], composé de paysans travaillant sur leur propriété, il s'avère que l'acquisition de terres est quasiment impossible, du moins pour pouvoir y vivre, pour les paysans et la création de mir, organismes de gestion collective des terres à l'échelle locale, va à rebours de l'effet escompté[5]. La réforme provoque aussi un manque de terres, formant le terreau de soulèvements paysans et l'essor des partis populistes et radicaux allant jusqu'aux révolutions de 1905 et 1917[9].
Une conséquence secondaire est l'ouverture de nouvelles prisons d'État : en retirant aux propriétaires terriens la prérogative d'incarcérer leurs valets de charrue, la Couronne de Russie doit prendre en charge l'application des peines prévues par la loi pour cette population.
Notes et références
modifierNotes
modifier- Il est entendu par là les pays comme la France de la IIIe République ou encore l'Angleterre victorienne. La société russe, de la littérature — entre Tourguéniev et Dostoïevski — à la politique — entre les slavophiles et les europhiles — est divisée entre l'attrait de l'Europe de l'Ouest et le maintien d'une spécificité russe.
Références
modifier- Michel Dalan, « 3 mars 1861 Abolition du servage en Russie », sur herodote.net, (consulté le )
- Michel Heller, Histoire de la Russie et de son empire, Paris, Flammarion, (ISBN 978 2 081235335), p. 760
- (en) Michael Lynch, « The Emancipation of the Russian Serfs, 1861 », History Review, no 47, (lire en ligne).
- Edvard Radzinsky 2009, p. 152.
- Dullin 2021, p. 36.
- Dullin 2021, p. 34.
- Dullin 2021, p. 37.
- Dullin 2021, p. 39.
- Dullin 2021, p. 38.
Bibliographie
modifier- Michel Heller, Histoire de la Russie et de son empire, Paris, Perrin, coll. « Tempus », (1re éd. 1995), 1100 p. (ISBN 2081235331), « La révolution d'en Haut(Alexandre II (empereur de Russie)) », p. 1111-& suiv..
- Louis Ozeas Lubliner (préf. Louis Lubliner), De l'abolition du servage en Russie : Examen critique du projet de l'empereur Alexandre II, Bruxelles, Elibron Classics, coll. « Replica Edition », (1re éd. 1858), 91 p. (ISBN 0543974944)
- Edvard Radzinsky (trad. du russe par Anne Coldefy-Faucard), Alexandre II : la Russie entre espoir et terrorisme, Paris, Le Cherche midi, , 545 p. (ISBN 978-2749105925, OCLC 495294723)
- Hélène Carrère d'Encausse, Alexandre II : le printemps de la Russie, Paris, Fayard, coll. « Le Livre de poche », (1re éd. 2008) (ISBN 978-2-253-12959-2)
- Sabine Dullin, L'ironie du destin. Une histoire des Russes et de leur empire (1853-1991), Paris, Payot et Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », , 300 p. (ISBN 978-2-228-92929-5, EAN 9782228929295)
Article connexe
modifier- Servage
- Droit seigneurial, fief
- Alexis de Levchine
- Mir (communauté)
- Émeutes des pommes de terre (Russie) (1840-1844)
- Piotr Stolypine (1862-1911), abolition du mir
Liens externes
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- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
